Banque et finance

Ordres de virement revêtus d’une fausse signature – partage de responsabilité de la banque et du client

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 27 oct. 2016, no 2015008045

Les 11 et 15 septembre 2014 deux virements d’un montant respectif de 202 202 € et 186 000 € ont été effectués en faveur d’une banque polonaise par le Crédit Lyonnais (LCL) au débit du compte de sa cliente la société Juxta, sur la foi de deux ordres prétendument revêtus de la signature de M. Drouin, président de Juxta, transmis par fax par Mme F., responsable administrative et financière.

Le 17 septembre les virements ont été contestés, Juxta en réclamant le remboursement à LCL qui s’y est refusé. Le même jour une plainte pour escroquerie a été déposée par Juxta.

Assigné par Juxta en remboursement de la somme de 388 000 €, LCL reconventionnellement demande la condamnation de la demanderesse au paiement de la même somme à titre de dommages-intérêts en raison des fautes commises par celle-ci.

Le tribunal  fait droit à la demande de Juxta et partiellement à celle de LCL aux motifs suivants :

« Sur la demande principale :

Attendu qu’il n’est pas contesté que Madame F. était collaboratrice de longue date de la société Juxta et qu’elle était, en sa qualité de responsable administrative et financière, l’interlocutrice habituelle de LCL ; que, dans le cadre du service de certification proposé par LCL, Madame F. était mandatée pour transmettre à LCL les ordres de la société Juxta mais n’était habilitée à signer les ordres de paiement que conjointement, étant précisé que Monsieur D. était seul habilité à signer les ordres de paiement d’un montant supérieur à 150 000 € ;

Attendu que, le 10 septembre 2014, Madame F. a télétransmis à LCL un ordre de virement d’un montant de 202 000 € en faveur d’une société Monaro sur un compte auprès d’une banque en Pologne ; que sur cet ordre figurait la supposée signature de Monsieur D. ;

Que LCL a procédé au contre-appel téléphonique auprès de Madame F. avant d’exécuter l’ordre le 11 septembre ;

Attendu que, selon les mêmes modalités un second virement de 186 000 € a été effectué le 15 septembre 2014 ;

Attendu qu’il n’est pas allégué que Madame F. aurait agi frauduleusement ;

Attendu qu’il est établi, quelle que soit la ressemblance de la signature figurant sur l’ordre de virement transmis à la banque, que l’ordre de virement est un faux dès l’origine ;

Attendu que l’exécution d’un ordre de virement qui n’émane pas du titulaire du compte engage la responsabilité de la banque indépendamment même de toute faute dans l’exécution de ses obligations contractuelles et légales ;

Attendu que la banque ne conteste pas que le contre-appel a été passé auprès de Madame F., alors que, bien qu’il ait figuré sur le mail que l’interlocuteur unique devait être Madame F., le contre-appel aurait dû être adressé à celui qui était seul habilité à signer l’ordre compte tenu du montant du virement ; que l’affirmation de la banque selon laquelle « la société certifiait implicitement mais nécessairement que c’était bien la signature authentique de Monsieur D. qui y figurait » n’est pas fondée ; qu’en ne le faisant pas, la banque a engagé sa responsabilité, d’autant qu’elle reconnaît que « ces agissements frauduleux se multiplient depuis 2011 ou 2012 au moins », c’est-à-dire 4 ans avant les faits présents ;

Attendu que l’article L. 133-18 du Code monétaire et financier stipule que « En cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l’opération non autorisée… » ;

Attendu qu’il est établi que les deux virements litigieux ont été contestés dès le 17 septembre 2014 ;

Le tribunal, en conséquence, condamnera LCL à restituer à la société Juxta la somme de 388 000 € avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement et capitalisation des intérêts ;

 

Sur la demande reconventionnelle :

Attendu que LCL soutient que la société a commis des fautes ;

Attendu que le second virement de 186 000 €, intervenu 4 jours après le premier, n’a été possible qu’en raison de la défaillance de Madame F. qui, n’ayant pas en main un original du premier virement, n’a pas fait diligence pour s’assurer auprès de Monsieur Drouin qu’il était bien le signataire du premier ordre de virement, ce que la banque pouvait légitimement supposer ;

Attendu que le tribunal estime que cette faute de Madame F. est à l’origine de l’aggravation du préjudice subi par la société Juxta suite au 2e virement ; que la banque est fondée à solliciter des dommages et intérêts à hauteur de ce montant ».

Le tribunal condamnera la société Juxta à payer à LCL la somme de 186 000 € et que cette somme viendra en compensation avec la condamnation ci-dessus.

LPA 13 Avr. 2018, n° 132a8, p.13

Référence : LPA 13 Avr. 2018, n° 132a8, p.13

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