Emmanuelle Hoffman : « D’une certaine manière l’on tente de se passer de créateur ou à en profiter sans son accord et à son insu » !

Publié le 18/10/2023

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Alors que les consommateurs sont de plus en plus attentifs à l’identité des marques qu’ils achètent, la propriété intellectuelle prend aujourd’hui une place centrale afin de protéger et valoriser cette identité. C’est à partir de ce constat qu’Emmanuelle Hoffman, spécialiste de la propriété intellectuelle, avocate au barreau de Paris, du Québec et AMCO, a décidé de publier aux éditions Fauves, un ouvrage intitulé : Nouveaux mondes, nouveaux droits. Véritable boîte à outils pour construire l’image d’une marque et la préserver, cette spécialiste de la propriété intellectuelle et du droit des marques donne la parole aux acteurs du secteur directement confrontés à ces enjeux. Elle revient ainsi sur les changements que connaît notre monde en matière technologique, mais également juridique. Emmanuelle Hoffman revient pour Actu-Juridique sur les enjeux de ce nouveau monde. À vos marques…

Actu-Juridique : Comment est née l’idée de ce livre ?

Emmanuelle Hoffman : L’idée est née principalement en partant de deux constats :

• la propriété intellectuelle est vraiment partout et en perpétuelle évolution (obligation pour s’adapter à toutes les mutations) ;

• les différents acteurs de la vie économique n’en ont pas toujours conscience !

L’idée de ce livre était donc de sensibiliser tous les publics (jeunes entrepreneurs/créateur, PME ou grande entreprise, consommateurs…) à ces enjeux de propriété intellectuelle, en les traitant simplement et par thème, afin de donner une boîte à outils, des « réflexes de premiers secours » ou à tout le moins, de faire prendre conscience que ces questions sont primordiales afin que, le moment venu, les acteurs qui y sont confrontés soient conscients et informés des réels enjeux économiques et de développement qui devront être pris en compte.

AJ : Quel est l’objectif du livre ?

Emmanuelle Hoffman : Démontrer que les questions de propriété intellectuelle sont importantes, pour les petites et les grandes entreprises, tant au niveau français, européen qu’international. Démontrer que ce sont des enjeux de valorisation, que la propriété intellectuelle est un investissement, mais qu’elle devient ensuite un partenaire économique, l’actif immatériel doit être appréhendé à tous les stades. De plus, il s’agit d’une matière complexe et les avocats spécialisés sont des acteurs dans la stratégie développement économique.

AJ : À qui s’adresse-t-il ?

Emmanuelle Hoffman : À tous les acteurs de la vie économique, autant aux grandes sociétés qui souhaitent mettre en place (ou renforcer) leur politique de RSE, valoriser leur portefeuille de marque, ou encore se mettre à jour sur les nouvelles législations en matière de packaging, que de petites entreprises voire, des créateurs individuels, débutant ou non, mais qui savent que, à chaque étape de la vie de leur société, la propriété intellectuelle peut jouer un rôle déterminant dans leur développement.

AJ : Dans ce livre vous faites dialoguer de nombreuses personnes d’univers différents mais qui sont tous confrontés à ces enjeux, comment les avez-vous sélectionnés ? Que disent-ils de ces nouveaux mondes ?

Emmanuelle Hoffman : Chacun a une vision assez singulière de ces questions, et c’est ce qui nous a paru à la fois indispensable et particulièrement intéressant puisque chacun depuis sa propre situation, depuis sa propre expérience, depuis les attentes de ses clients : le tout en fonction des moyens techniques à disposition – et de leurs évolutions constantes. Ainsi, quand j’ai commencé la rédaction de ce livre, pas un jour ne passait sans qu’un article sur le métavers ne soit publié, un an plus tard, le métavers semble quelque peu délaissé, et ce sont les IA qui font largement parler et qui semble constitué la véritable révolution.

Inclure des témoins grands chefs d’entreprise aux côtés d’influenceuse ou de journaliste est un symbole de la diversité et de la transversalité de cette matière.

AJ : Entrons dans le vif du sujet, toute une série de droits existe pour protéger les marques d’un point de vue matériel : propriété intellectuelle, droit des marques, brevet, mais qu’en est-il d’un point de vue immatériel, par exemple une création réalisée grâce à IA peut-elle bénéficier d’une protection ?

Emmanuelle Hoffman : C’est tout l’enjeu de ces nouvelles questions. Et c’est ce qui rend cette période passionnante : nous sommes confrontés à ce qui s’apparente à une révolution dans la création ou d’une certaine manière l’on tente de se passer de créateur ou à en profiter sans son accord et à son insu. Il n’y a pas pour le moment de réponse simple ou figée à votre question. Nous avons des pistes de réflexions, des projets de législations à venir, mais pas de réponse fixe à ce jour. Nous restons bien sur vigilants et sensibilisons les pouvoirs publics.

AJ : Pouvez-vous nous expliquer comment ChatGPT (OpenAI) interprète justement la notion de droit d’auteur dans ses conditions générales. Quel est le concept retenu pour le droit d’auteur pour une œuvre créée via ChatGPT ?

Emmanuelle Hoffman : Pour le moment et en l’absence de droit spécifique, nous sommes renvoyés à une pratique contractuelle des droits en cause. Ainsi pour ChatGPT, les conditions générales ont fait face à une évolution. À ses débuts (encore en janvier/février dernier), ChatGPT cédait tous les droits à ses utilisateurs. Ensuite, elle a fait le choix de conserver les droits, et de ne céder qu’une licence d’utilisation à ses utilisateurs, qui pouvait permettre de mettre en cause la responsabilité d’Open AI en cas de conflit. On a cependant observé un nouveau changement récemment. ChatGPT répond à nouveau qu’OpenAI ne revendique plus aucun droit sur les créations, et que « les droits d’auteur et la propriété intellectuelle sur le contenu généré par les utilisateurs appartiennent généralement à ces utilisateurs ». Même du point de vue des plateformes, les règles ne sont pas fixes et évoluent constamment, les utilisateurs, et les juristes doivent donc être attentifs à ces évolutions, et être particulièrement prudents quand il s’agit d’IA.

Il faut également noter qu’un règlement européen, l’Artificial Intelligence Act (dit « AI Act ») est actuellement à l’étude au Parlement européen. Ces questions sont techniques et doivent trouver des réponses car il existe une réelle inquiétude des auteurs sur ces sujets. Sans entrer réellement dans les détails, l’enjeu immédiat pour les auteurs en matière d’IA est de contrôler l’utilisation des œuvres dans les bases de données (puisqu’une fois dans cette base de données, l’œuvre est utilisée par l’IA à la fois pour « apprendre », et pour générer du contenu, qui pourra tout à la fois ou produire un nouveau contenu différent, ou s’en inspirant, ou allant jusqu’à la contrefaçon ou le parasitisme. C’est donc réellement le moment pour l’ensemble des acteurs du secteur de prendre la parole sur ce sujet et faire entendre sa voix.

AJ : Ce nouveau monde est principalement boosté par une vision anglo-saxonne, le Metavers/les metavers, l’IA sont des « œuvres » principalement américaines, ne va-t-on pas être influencé par leur discours qui est différent de nos notions juridiques ?

Emmanuelle Hoffman : C’est un risque, mais c’est là que l’Union européenne (UE) peut faire entendre sa voix et tenter de défendre les notions juridiques européennes. C’est donc à tous les acteurs, politiques, chefs d’entreprise, mais aussi avocats, d’arriver à faire entendre nos voix et défendre les modèles que l’on souhaite voir appliquer. Ce livre a également modestement vocation à contribuer au débat public sur ces questions.

AJ : Comment concilier des concepts anglo-saxons avec notre vision européenne, voire française, sur les marques et les DA ?

Emmanuelle Hoffman : L’UE a évidemment un rôle majeur à jouer et en est consciente, des députés travaillent déjà sur toutes ces questions, des projets de règlements sont à l’étude, et notamment une proposition de la Commission européenne d’une réglementation sur l’IA dès 2021 visant notamment à :

  • établir un cadre réglementaire et notamment :

  • établir classification des systèmes d’IA selon leur niveau de risque afin d’en faire découler des exigences réglementaires plus ou moins strictes,

  • prendre en compte les préoccupations éthiques liées à l’IA,

  • interdire purement et simplement certaines pratiques,

  • proposition d’une autorité de surveillance dédiée à l’IA,

  • proposition d’une coopération internationale.

AJ : Comme pour la loi sur les influenceurs, une fois le domaine régulé, le secteur s’autorégulera de lui-même, selon vous ?

Emmanuelle Hoffman : Possiblement, mais compte tenu de cette évolution qu’est l’IA — qui s’apparente en fait davantage à une révolution — toute spéculation est assez difficile à établir. En tant qu’avocat, on a plutôt tendance à imaginer tous les scénarios, et conseiller nos clients la solution qui présente pour eux le moins de risques.

Dans cette discussion spécifique à l’IA, la décision de favoriser l’autorégulation ou d’imposer une réglementation stricte dépendra évidemment des objectifs politiques, mais également de la maturité de l’industrie de l’IA, et des préoccupations concernant les risques ou les bénéfices pour la société. Il est essentiel de se rendre compte que les aspects technologiques ne sont pas les seuls en jeu dans le domaine de l’IA. Les considérations éthiques sont immenses, et nous commençons à peine à percevoir les bouleversements que l’IA va imposer à nos sociétés. L’IA n’en est qu’à son balbutiement. Dans tous les cas, la surveillance et la transparence resteront essentielles pour garantir que les acteurs du secteur de l’IA respecteront les normes établies, qu’elles soient réglementaires ou volontaires, mais également pour rassurer la population, élément qui est loin d’être négligeable.

AJ : Enfin, le droit est-il toujours au service de la création ?

Emmanuelle Hoffman : Évidemment ! Le droit est toujours secondaire dans la vie d’une entreprise/d’un créateur. Le droit (et l’avocat) vient accompagner le processus, le sécuriser, le rendre possible. Loin d’être un frein il est l’élément qui va faire en sorte que les projets aboutissent, va limiter les imprévus, et va permettre aux acteurs économiques de se concentrer réellement sur la création. Le droit apporte ainsi accompagnement, sécurité, et permet de valoriser les actifs immatériels en accroissant notamment leur protection !

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