Réflexions sur la procédure civile devant la juridiction unifiée du brevet

Publié le 03/05/2023
Idée, brevet
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La juridiction unifiée du brevet a vocation à remplacer les juridictions nationales en ce qui concerne les brevets européens à effet unitaire. Il convient d’opérer diverses réflexions sur la procédure civile développée tant dans l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet que dans son règlement de procédure. Si l’idée de créer une juridiction supranationale avec une seule procédure civile est louable, devant la juridiction unifiée du brevet elle est complexe et lacunaire. Ne pouvant faire primer la procédure civile étatique d’un État sur une autre, il est indéniable que la juridiction unifiée du brevet développera une procédure adaptée au litige en jeu, à savoir les brevets, en parfaite autonomie.

1. Éléments introductifs. « L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification, tandis que l’autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification »1. Cette affirmation peut apparaître paradoxale. En effet, il peut être difficile de concilier une velléité de rapprochement des règles juridiques tout en conservant son intégrité. En témoigne le Brexit. Pourtant, l’actualité récente offre aujourd’hui une illustration d’un tel rapprochement au travers de la juridiction unifiée du brevet. La procédure civile devient en conséquence un élément transnational, détachée de la souveraineté étatique, dans une logique d’entente afin d’assurer la sécurité juridique.

2. Le brevet européen à effet unitaire. Si la création d’un brevet européen ne s’est concrétisée que récemment, l’idée d’un tel système est ancienne2. Initialement, les États membres avaient envisagé de conclure une seule convention. Ce fut un échec. Il fut alors décidé d’en faire deux. La première sur la question de la délivrance de brevets européens signée à Munich le 5 octobre 1973 ; la seconde sur les effets des brevets délivrés signée à Luxembourg le 15 décembre 19753. Seule la première entrera en vigueur. La Commission européenne décida, le 5 juillet 2000, de recourir à un règlement. Cependant, eu égard aux désaccords politiques, le développement d’un brevet européen fut de nouveau compromis4. En raison de cette difficulté, 25 États ont adressé à la Commission européenne une demande d’instauration d’une coopération renforcée dans ce domaine, qui sera acceptée par le Conseil européen le 10 mars 20115. Seules l’Espagne et l’Italie ne faisaient pas partie intégrante du projet de coopération renforcée et ont essayé d’obtenir par la Cour de justice de l’Union européenne l’annulation de la décision du Conseil, sans succès6. L’Italie rejoindra les autres États membres dans la coopération renforcée le 30 septembre 20157. La coopération a permis l’instauration d’un brevet européen à effet unitaire par deux règlements de l’Union européenne8. S’il s’agit d’une avancée dans le développement d’un droit européen des brevets, il ne s’agit pas d’un titre de propriété industrielle de l’Union européenne. En effet, tous les États membres ne l’ont pas validé, à savoir l’Espagne et la Croatie. C’est pourquoi une partie de la doctrine française a pu en avoir une appréciation critique9. La qualification de brevet unitaire sera attribuée si trois conditions sont réunies : le titulaire du brevet doit la solliciter dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle la mention de la délivrance du brevet européen a été publiée au Bulletin européen des brevets10 ; le brevet européen doit avoir été délivré avec le même ensemble de revendications pour les différents États participants à ce système de brevet unitaire11 ; et l’effet unitaire doit être enregistré dans le registre de la protection unitaire conférée par un brevet12.

3. La juridiction unifiée du brevet. Les origines. Pour assurer la pleine efficience du système du brevet européen, il était nécessaire de développer une juridiction spécialement compétente. La juridiction unifiée du brevet, dont le fonctionnement effectif est prévu le 1er juin 202313, est le fruit d’une maturation commencée dès la Convention de Luxembourg de 1975. En effet, sans une juridiction spéciale, les juridictions étatiques des États membres étaient compétentes. Il y avait un risque de créer un forum shopping. Initialement, une cour d’appel commune devait être créée pour connaître des recours à l’encontre des décisions des juridictions étatiques de première instance pour le contentieux de la validité et de la contrefaçon des brevets communautaires14. Cette idée ne sera pas retenue. Par la suite, la proposition du règlement de 2000 envisageait la création d’un tribunal communautaire – composé d’une chambre de première instance et d’une chambre d’appel – ayant compétence exclusive sur la validité des brevets communautaires et les infractions les affectant15. Cette proposition fut modifiée lors du Conseil européen sur la compétitivité et l’emploi des 3 et 6 mars 2003. En se basant sur l’article 225 A du Traité instituant la Communauté européenne, le Conseil proposait de créer un tribunal du brevet communautaire. Le système était complexe. Les décisions de ce tribunal pouvaient faire l’objet d’un recours devant le tribunal de première instance des Communautés européennes, sans pour autant qu’on sache s’il s’agissait d’un recours en fait ou en droit16. Et il était possible de réexaminer les décisions devant la Cour de justice des Communautés européennes à la seule initiative du premier avocat général en raison d’un risque d’atteinte à l’unité du droit des brevets communautaires17. Si ce texte pouvait préfigurer le droit des brevets unitaires, il n’en était pas moins insuffisant et lacunaire18. Le projet prévoyait de développer des règles procédurales au regard des traditions existantes des États membres, alors même qu’une harmonisation de la procédure civile n’avait pas été possible19. L’Office européen des brevets, mis en place par la Convention de Munich, présenta alors l’European Patent Litigation Agreement20. Ce dernier prévoyait la création d’un système juridictionnel, composé d’un tribunal européen des brevets de première instance et d’un tribunal de deuxième instance ayant compétence exclusive en matière de validité et de contrefaçon des brevets21. À la suite de ce projet, la Commission européenne en présenta un nouveau prenant en compte les observations de l’Office européen des brevets22. Ce projet sera censuré par la Cour de justice de l’Union européenne, étant contraire aux traités européens23. La mise en place de la coopération renforcée a relancé cette question d’une juridiction spécifique. Un accord relatif à une juridiction unifiée du brevet a été conclu le 12 février 201324, ouvert à la ratification des États membres de l’Union européenne, y compris ceux qui n’étaient pas membres de la coopération renforcée. Pour entrer en vigueur, l’accord devait être ratifié par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Ce dernier ayant dénoncé l’accord à la suite du Brexit25, la ratification de l’Allemagne au 12 août 2021 lui permet d’entrer en vigueur au printemps 2023. Il est intéressant de remarquer qu’un protocole d’accord transitoire avait été signé le 1er octobre 2015, entré en vigueur le 19 janvier 2022, permettant la mise en œuvre de la juridiction unifiée du brevet et notamment la finalisation du règlement de procédure26. Il est toutefois possible de s’interroger sur la pertinence de la création de la juridiction unifiée du brevet. En effet, le droit des brevets ne semble pas présenter en lui-même une spécificité légitimant un tel développement27.

4. La juridiction unifiée du brevet. La composition. La juridiction unifiée du brevet se divise en un tribunal de première instance et une cour d’appel. Le premier aura son siège à Paris tandis que la seconde sera située à Luxembourg. L’organisation du tribunal de première instance a été complexifiée : il existait à l’origine trois sections centrales – Paris, Munich et Londres – ayant chacune la responsabilité de traiter les affaires selon le domaine du brevet en litige28. Depuis le Brexit, il n’y a plus de section centrale à Londres et les affaires n’ont pas été réattribuées29. À côté de ces deux sections centrales, un État membre peut demander la création d’une section locale30 : des sections locales se situent à Vienne, Bruxelles, Copenhague, Helsinki, Paris, Düsseldorf, Hambourg, Mannheim, Munich, Milan, La Haye, Lisbonne et Ljubljana. Les pays baltes – Estonie, Lettonie et Lituanie – et la Suède ont décidé de créer une section régionale « nordique-baltique ». La juridiction unifiée du brevet est échevinale. Effectivement sur les 85 juges qui sont appelés à siéger, 34 sont des juges qualifiés sur le plan juridique, c’est-à-dire des magistrats dans leur pays, et 51 sont des juges qualifiés sur le plan technique mais ayant des connaissances en droit civil et procédure civile. Ainsi, la cour d’appel sera présidée par un ancien juge de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, Klaus Grabinski, et la présidence du tribunal de première instance échoit à Florence Butin, ancienne juge à la 3e chambre du tribunal judiciaire de Paris31. Pour assurer l’indépendance et l’impartialité des magistrats, il est prévu que les juges qui exercent de manière permanente leur mandat ne peuvent exercer aucune autre activité sauf dérogation accordée par le comité administratif32.

5. La juridiction unifiée du brevet. La compétence. Selon l’accord, la juridiction unifiée du brevet aura une compétence exclusive pour statuer sur les litiges relatifs à la contrefaçon et à la validité des brevets unitaires33. Elle aura aussi une compétence partagée avec les États membres pendant une période transitoire de sept ans à compter de l’entrée en vigueur de l’accord pour les brevets européens délivrés par l’Office européen des brevets34. La période pourra être prolongée pour une durée similaire. En d’autres termes, le demandeur pourra faire échec à la compétence de la juridiction unifiée du brevet pour confier l’affaire à un tribunal national. Il s’agit de l’opt-out35. Selon le règlement de procédure de la juridiction unifiée du brevet, seul le titulaire du brevet européen ou le demandeur d’une demande de brevet européen publiée pourra le solliciter36. À la fin de la période transitoire, la juridiction unifiée du brevet aura ainsi une compétence exclusive pour l’ensemble des brevets. Il est permis de faire une première critique au sujet de cette compétence exclusive. En effet, le contentieux lié à la propriété industrielle du brevet qui peut être connexe ne pourra pas être examiné par la juridiction. Il s’agit notamment du contentieux de la concurrence déloyale, ce qui diminuera l’intérêt de la juridiction37. De plus, la juridiction unifiée du brevet, même si elle n’est pas une juridiction européenne, doit respecter le droit de l’Union européenne y compris les garanties procédurales prévues par la Charte des droits fondamentaux au risque d’un recours en manquement38. Par ailleurs, le requérant pourra agir en responsabilité contre l’État contractant dans lequel il a son domicile, conformément au droit de l’Union européenne en matière de responsabilité non contractuelle des États membres39. Aussi, la juridiction unifiée du brevet est assujettie à l’article 267 du TFUE sur la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour statuer sur les questions préjudicielles40. Enfin, il semble que le système de répartition des contentieux entre les divisions centrales et les divisions locales sera source de difficulté. Selon l’accord, la division centrale est compétente pour statuer sur les actions en constatation de non-contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de protection et les actions en nullité de brevets et de certificats complémentaires de protection, les autres actions relevant de la compétence des divisions locales ou régionales. Les parties peuvent cependant d’un commun accord décider de porter l’affaire devant la juridiction de leur choix41.

6. La juridiction unifiée du brevet. La procédure. L’accord relatif à la juridiction unifiée du brevet prévoit en ses articles 40 et suivants les règles quant à la procédure à suivre devant cette juridiction : s’y trouvent ainsi les règles relatives aux parties, aux représentants, à la langue de procédure, à la procédure dématérialisée pour communiquer les mémoires, les conclusions et les preuves42, aux pouvoirs de la juridiction, aux frais ou aux voies de recours. Cet accord a été complété par un règlement de procédure adopté par une décision du Comité administratif du 31 août 2022 et entrée en vigueur le 1er septembre 2022. Ce règlement ne sera modifiable que par le comité administratif sur la base d’une proposition de la juridiction unifiée du brevet et après consultation de la Commission européenne. Les États membres perdent donc leur faculté de proposer une modification alors qu’ils le peuvent toujours en ce qui concerne les statuts de la juridiction43. La juridiction unifiée du brevet aura une autonomie dans l’élaboration des règles de procédure, détachée de la volonté des États, à l’instar de l’arbitrage international. Une convergence des procédures civiles étatiques pourrait dès lors se concrétiser dans le dessein de développer un due process of law – une égalité procédurale – en matière de brevet unitaire. Dès lors, les différences des systèmes nationaux sont transcendées afin d’assurer un véritable procès équitable.

7. Plan. La réflexion ici menée s’axera sur le règlement de procédure pour en faire une analyse critique. Il s’agira d’envisager devant la juridiction unifiée du brevet tout d’abord le droit d’agir (I), puis le déroulement de la procédure tant en première instance (II) qu’en appel (III).

I – Le droit d’agir devant la juridiction unifiée du brevet

8. Le titulaire du droit d’agir. Il est à relever que ni l’accord ni le règlement de procédure de la juridiction unifiée du brevet ne prévoient des dispositions concernant l’intérêt à agir. Seule la qualité est évoquée44. Pourront ainsi agir devant la juridiction unifiée du brevet : le titulaire du brevet, le titulaire d’une licence exclusive sur un brevet, à condition que le titulaire du brevet soit informé au préalable et que la licence n’en dispose pas autrement, le titulaire d’une licence non-exclusive sur un brevet, à condition que le titulaire du brevet soit informé au préalable et que la licence ait expressément autorisé cette action, toute personne concernée par un brevet et toute personne affectée par une décision prise par l’Office européen des brevets. Ces dispositions appellent des observations. En ce qui concerne le titulaire d’une licence, l’accord apparaît à la fois conforme et contraire au droit français45. En effet, l’article L. 615-2 du Code de la propriété intellectuelle offre la possibilité au bénéficiaire d’un droit exclusif d’agir en justice sauf stipulation contraire du contrat de licence et après avoir mis en demeure le propriétaire du brevet d’agir en justice ; cependant, le droit français n’accorde pas le droit d’agir – plus précisément la qualité pour agir – au licencié ordinaire. De plus, ni l’accord ni le règlement de procédure ne précisent ce qu’il convient d’entendre par toute personne concernée par un brevet. La condition de qualité pour agir ne semble plus être, dans cette hypothèse, nécessaire. Seul l’intérêt à agir semblerait suffire. Mais quel est l’intérêt à agir ? Faut-il utiliser l’appréciation des juridictions françaises ou bien celle des autres États membres ? Il semble difficile de faire primer une conception étatique sur une autre46 de cet intérêt à agir, ce qui n’est d’ailleurs pas le dessein de la juridiction unifiée du brevet. Il faut attendre sa jurisprudence pour pouvoir déterminer la notion d’intérêt à agir, même s’il est possible de supposer qu’il s’agirait du profit, de l’avantage, qu’en retirera le plaideur dès lors que l’action est susceptible de mettre un terme au litige en matière de brevet.

9. Sanction du défaut du droit d’agir. Le règlement de procédure de la juridiction unifiée du brevet prévoit en sa règle 362 que « la juridiction peut, à tout moment, à la demande d’une partie ou de sa propre initiative, après avoir donné aux parties la possibilité d’être entendues, relever l’interdiction absolue d’engager une action, par exemple, en raison de l’application du principe de la chose jugée ». Cette règle ne semble pas limitée à la seule autorité de chose jugée, et pourrait admettre en son sein d’autres causes, à l’instar du droit d’agir. Le texte en lui-même est sujet à critique. Ainsi, la sanction n’est pas explicitement prévue. Si l’on se réfère à l’intitulé du chapitre de cette règle : « Affaires dont les demandes sont vouées au rejet ou manifestement irrecevables », la sanction semblerait être l’irrecevabilité ou le rejet de la demande. En l’absence de précision des textes, il convient de discuter du choix de la sanction eu égard à l’utilisation de la conjonction de coordination ou. De prime abord, le terme rejeter serait plutôt employé dans le cadre d’une défense au fond, soit l’étude du bien-fondé de la prétention ; alors que le terme irrecevabilité reviendrait à déclarer la partie adverse irrecevable en sa demande sans examen du fond47. Pour faire un parallèle, le droit français n’est pas non plus aussi strict dans l’usage de ces termes, une demande peut ainsi être rejetée si elle apparaît manifestement non fondée ou irrecevable48. Le règlement de procédure de la juridiction unifiée du brevet procède de cet abus de langage. La règle 361 intitulée : « Affaire dont les demandes sont manifestement vouées au rejet » énonce « (…) lorsque les demandes ou moyens des parties sont, en tout ou partie, manifestement irrecevables ou dépourvus de tout fondement juridique (…) ». La juridiction va statuer sur cette question par voie d’ordonnance sans que l’on puisse qualifier ce moyen de défense : est-ce une défense au fond ou une fin de non-recevoir ? Cette question pourra être soulevée en tout état de cause par les parties ou d’office par le juge sous réserve de respecter le principe du contradictoire. Sur le rôle du juge, au travers du verbe pouvoir, il s’agira d’une faculté. Si l’interdiction absolue d’engager une action peut être soulevée en tout état de cause, aucune sanction n’est prévue en cas de manœuvre dilatoire. Sur ce point, les règles devraient être approfondies. D’ailleurs, une interrogation demeure. Est-il possible de régulariser le défaut du droit d’agir ? S’il est permis de faire un détour par la procédure civile française, il semblerait possible d’y répondre par la positive49. Ni l’accord ni le règlement de procédure n’envisagent la régularisation. En conséquence, la juridiction unifiée du brevet développe sa propre procédure.

10. La représentation. Suivant l’article 48 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, la représentation ad litem est obligatoire devant la juridiction. Il existe toutefois des exceptions prévues par le règlement de procédure permettant au plaideur d’agir seul50. Le représentant peut être soit un avocat autorisé à exercer devant une juridiction d’un État membre contractant – ce qui vient exclure les avocats du Royaume-Uni à la suite de son retrait – soit un mandataire en brevets européens qui est habilité à agir en tant que représentant professionnel devant l’Office européen des brevets et qui possède les qualifications appropriées. Une liste de mandataires est tenue par le greffe de la juridiction. Les représentants jouissent de droits et garanties, à l’instar de la confidentialité des communications officielles avec le client51 ou de l’immunité pour les paroles prononcées et les écrits produits dans le cadre de l’affaire52. En ce qui concerne plus précisément les avocats, ils devront respecter le code de déontologie des avocats européens qui a été révisé le 19 mai 2006.

11. Transition. Après avoir envisagé le droit d’agir devant la juridiction unifiée du brevet, il convient à présent d’étudier la procédure à mettre en œuvre en première instance.

II – Le déroulement de la procédure de première instance devant la juridiction unifiée du brevet

12. La demande introductive. Pour saisir la juridiction unifiée du brevet, le demandeur devra déposer un mémoire en demande au greffe de la juridiction et ce dernier le signifiera au défendeur. Une ressemblance se constate avec la requête française. Deux hypothèses doivent être envisagées : premièrement, ce dépôt pourra être unilatéral et le demandeur saisira la juridiction sans que le défendeur soit au courant, à charge pour le greffe de procéder aux formalités ; ensuite, le dépôt pourra faire mention d’un accord avec le défendeur pour confier l’affaire à la division de leur choix, à charge ensuite pour le greffe de procéder aux formalités53. Cet acte introductif doit comporter diverses mentions pour être valable. Certaines sont communes54 tandis que d’autres sont spécifiques aux différentes actions. Le greffe procédera à un examen formel de ce mémoire en demande : si des mentions sont manquantes, il en avise le demandeur pour qu’il puisse y remédier. En l’absence de modification, le greffe en informera le juge qui pourra déclarer l’action irrecevable par une décision par défaut. En faisant usage du terme « irrecevable », cela semble renvoyer à la recevabilité de la procédure. Il est possible de se questionner sur la pertinence d’un tel terme. En effet, n’est-ce pas plutôt la régularité qui est ici en cause lorsqu’une mention d’un acte est manquante ? À titre d’exemple, il est opportun de faire mention du droit français, où la plupart des mentions des actes introductifs d’instance sont requises à peine de nullité. Le moyen de défense à invoquer est alors une exception de procédure visant à déclarer la procédure irrégulière. Cependant, les autres États membres peuvent ne pas connaître d’un tel moyen de défense : il serait alors inopportun de faire primer la conception du droit français pour créer une juridiction transnationale. À l’inverse, si le mémoire en demande est conforme aux exigences, le greffe distribuera l’affaire à une chambre de la division et son président désignera un juge rapporteur. Selon l’article 52, alinéa 1, de l’accord relatif à la juridiction unifiée du brevet, la procédure « comprend une procédure écrite, une procédure de mise en état et une procédure orale ». Le règlement de procédure met en place une procédure complexe en trois étapes : en premier lieu, une phase écrite, ensuite, une phase de mise en état, et enfin, une phase orale. Reprenons successivement ces étapes tout en faisant un détour par le régime probatoire et la procédure particulière liée aux frais.

13. La phase écrite de la procédure. À partir du dépôt du mémoire en demande, la procédure sera écrite devant la juridiction unifiée du brevet. Le défendeur sera avisé par signification du mémoire par le greffe. À compter de la signification, le défendeur aura deux délais à respecter : premièrement, il aura un mois pour déposer une objection préliminaire sur la compétence de la juridiction, la compétence de la division indiquée par le demandeur ou la langue de procédure. Le greffe avisera le demandeur du dépôt de cette objection préliminaire. Le demandeur pourra y remédier dans un délai de 14 jours à compter de la notification ou déposer des conclusions visant à contester l’objection. Si le demandeur ne remédie pas aux insuffisances, le juge rapporteur statue sur l’objection « dès que possible »55. Il est intéressant d’indiquer qu’il n’y a aucun délai prévu : que faut-il entendre par dès que possible ? La décision du juge qui fait droit à l’objection préliminaire peut faire l’objet d’un appel dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ; à l’inverse, la décision du juge qui ne fait pas droit à l’objection préliminaire ne peut faire l’objet d’un appel56. Le dépôt d’une objection préliminaire ne suspend toutefois pas l’autre délai que doit respecter le défendeur pour déposer son mémoire en défense. Il faut distinguer l’action en contrefaçon des actions en nullité et en constatation de non-contrefaçon. Dans le premier cas, ce délai est de trois mois à compter de la signification du mémoire en demande57 ; dans les deux dernières hypothèses, le délai est de deux mois à compter de la signification du mémoire en demande58. Une demande reconventionnelle peut figurer dans le mémoire en défense. Toutefois, il ne peut s’agir que d’une demande reconventionnelle en nullité pour les actions en contrefaçon et d’une demande reconventionnelle en contrefaçon pour les actions en nullité59. Le spectre des demandes reconventionnelles est limité. Si le défendeur ne respecte pas les délais prescrits, la juridiction pourra rendre une décision par défaut60. Une fois le mémoire en défense déposé, le greffe examinera dès que possible – le délai n’est pas précisé – si les exigences sont respectées. Si ce n’est pas le cas, il avise le défendeur qu’il dispose d’un délai de 14 jours pour y remédier à peine d’une décision rendue par défaut61. Par la suite, le juge rapporteur peut fixer dès que possible une date et une heure pour la conférence de mise en état, fixe une date de clôture de la procédure écrite et fixe une date pour l’audience62. La procédure peut toutefois se complexifier avec les mémoires en réplique et duplique63.

14. La phase de mise en état. L’audience de mise en état ne sera tenue qu’à l’issue de la phase écrite. Cette procédure de mise en état ne peut excéder trois mois à compter de la clôture de la phase écrite64. L’objectif de cette conférence de mise en état est avant tout de permettre au juge rapporteur d’identifier le problème, d’établir un calendrier pour le déroulement de la procédure, d’essayer de résoudre amiablement le litige, de régler la production de preuves, décider de la valeur du litige, etc.65 Au regard de ces éléments, il semblerait que le juge rapporteur n’aurait qu’un seul pouvoir juridictionnel, celui de rejeter sommairement toutes les demandes si elles n’ont aucune chance d’aboutir66. Les décisions du juge rapporteur sont des ordonnances qui peuvent être revues par la chambre sur demande motivée d’une des parties dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance. Immédiatement, cette procédure apparaît similaire avec le déféré devant la cour d’appel sur les ordonnances du conseiller de la mise en état67. Cependant, devant la juridiction unifiée du brevet, le déféré des ordonnances du juge rapporteur a lieu en première instance, et la décision pourra faire l’objet d’un appel en même temps que la décision du tribunal de première instance ou dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance en cause sur autorisation du tribunal de première instance68. En cas de refus, il est quand même possible de solliciter une demande de révision discrétionnaire à la cour d’appel : un juge de permanence sera désigné et il pourra soit rejeter discrétionnairement la demande sans motiver, soit faire droit à la demande après avoir entendu l’autre partie. Dans ce cas, la cour d’appel sera saisie. La procédure semble complexe concernant ces ordonnances du juge rapporteur. Une fois qu’il estime que la préparation du dossier est adéquate, le juge rapporteur clôturera la phase de mise en état. Si les plaideurs ne respectent pas les prescriptions, la sanction est la possibilité que le juge rende une décision par défaut. Cette phase de mise en état semble limitée. Par exemple, l’objection préliminaire sur la compétence de la juridiction doit être formulée au sein de la phase écrite. Il est d’ailleurs difficile de déterminer si cette phase est facultative ou obligatoire pour le tribunal de première instance. La procédure deviendra ensuite orale et sera à la charge du président de la chambre.

15. La phase orale de la procédure. En fait de procédure orale, il ne s’agit que d’une audience où le président de la chambre entend les explications des parties, les témoins et experts, pose des questions aux parties, experts et représentant, et autorise les parties à faire de même pour les témoins et experts69. Cette audience devra en principe se faire en une journée70 et ne pourra être ajournée qu’exceptionnellement71. En temps utile, une partie, voire les deux, peut informer le greffe qu’elle ne sera pas représentée à l’audience72. En ce cas, la juridiction considérera que les écrits auront pleine valeur, ce qui est similaire à la procédure civile française en procédure orale. La sanction en cas de non-respect de l’obligation d’informer le greffe en temps utile est le fait de rendre une décision par défaut73. Il apparaît que faire une distinction entre procédure écrite et procédure orale semble peu pertinent car la juridiction pourra se référer aux écrits des parties qui l’informent en temps utile de leur absence. Deux remarques peuvent être faites. Premièrement, que faut-il entendre par temps utile ? La juridiction unifiée du brevet devra le préciser. Cette expression peut se trouver en procédure civile française sur le dépôt de conclusions tardives74. La question qui doit être posée est de savoir si la juridiction unifiée du brevet reprendra à son compte cette interprétation : rien n’est moins sûr. L’objectif est de réaliser une unification de la procédure et non de faire primer une conception sur une autre. Deuxièmement, la procédure écrite sera sans doute plébiscitée par les plaideurs et leurs représentants qui s’en remettront aux écrits. Si les parties sont d’accord, la juridiction peut renoncer à l’audience75. L’audience clôturée, la juridiction rendra sa décision sur le fond dès que possible – terme qui n’est pas défini. La juridiction peut indiquer sa décision immédiatement et fournir ses motifs à une date ultérieure qui ne saurait excéder six semaines à compter de l’audience76. La décision sur le fond sera prise à la majorité des membres de la chambre et, en cas d’égalité, la voix du président est prépondérante77.

16. Le régime probatoire. À l’instar du droit français, c’est au demandeur de prouver les faits qu’il allègue78. Les moyens de preuve sont divers et variés : audition de parties et de témoins, test comparatif, expérience, expertise, etc.79 Les mesures d’instruction sont ordonnées par la juridiction unifiée du brevet après un débat contradictoire, sauf si l’information de l’adversaire entraînait une inefficacité de la mesure80. Il est intéressant d’indiquer qu’un plaideur ne pourra solliciter une mesure d’instruction que dans le cadre de la phase écrite ou de mise en état. Seule la juridiction pourra demander une preuve supplémentaire au sein de la phase orale81. De plus, les ordonnances de production de preuve ne peuvent suppléer à la carence du plaideur, car les preuves entre les mains d’un tiers doivent être raisonnablement accessibles et plausibles82. Contrairement au droit français, le principe des mesures d’instruction in futurum est prohibé. Il n’existe qu’une seule exception avec l’ordonnance de conservation de preuves ou saisie dans le cadre d’une éventuelle action en contrefaçon83. En principe, le défendeur sera entendu – ce qui est similaire au référé de l’article 145 du Code de procédure civile – sauf s’il y a une raison de redouter une destruction de la preuve – ce qui est similaire à la requête de l’article 145 du Code de procédure civile84. Le défendeur pourra s’opposer à la mesure dans un délai de 30 jours après l’exécution de l’ordonnance85. Le règlement nomme cette procédure demande en révision. Pourtant, un recours en révision est prévu pour remettre en cause une décision qui a force de chose jugée lorsqu’est constaté après la décision un vice concernant un droit fondamental ou une qualification pénale86. Ce recours apparaît plus comme une voie de rétractation car la juridiction saisie pourra modifier, rétracter ou confirmer l’ordonnance. Par ailleurs, dans le cadre d’une descente sur les lieux, le requérant ne pourra être présent, il sera représenté par un professionnel indépendant désigné par la juridiction87.

17. Les frais. Si la décision sur le fond de la juridiction unifiée du brevet n’a pas statué sur les frais, une procédure séparée existe88. Il convient de définir la notion de frais : il peut s’agir des frais liés au paiement des experts ou encore au remboursement des frais engagés par la partie gagnante s’ils sont raisonnables et proportionnés89. Pour faire un parallèle avec le droit français, une corrélation peut se faire avec les dépens de l’article 695 du Code de procédure civile qui sont indispensables à la poursuite du procès et les frais irrépétibles de l’article 700 du Code de procédure civile qui sont les frais non indispensables à la poursuite du procès. Lorsque celui qui a obtenu gain de cause n’a pas demandé le paiement des frais lors de la décision sur le fond, il doit agir dans le mois qui suit la signification de la décision90. Le juge rapporteur peut demander des justificatifs au demandeur à la procédure et autoriser la partie qui succombe à formuler des observations par écrit91. Il n’est toutefois pas indiqué, ni dans le règlement, ni dans l’accord, le délai dans lequel le juge rapporteur doit statuer. Étrangement, les auteurs du règlement n’ont pas repris leur formule dès que possible ! La décision obtenue ne peut faire l’objet d’un appel que sur autorisation d’un juge de permanence de la cour d’appel dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision de la juridiction92. Il est possible d’obtenir une aide juridictionnelle pour tout ou partie des frais de justice et de procédure mais seulement si le requérant est dans une situation financière précaire, dont le seuil sera fixé par le comité administratif, s’il a le droit d’engager une action et si elle a une chance raisonnable de succès. Ce sont des conditions cumulatives93. La demande est portée devant la juridiction sans que le requérant ait besoin d’être représenté par un avocat et le juge de permanence ou le juge rapporteur, si l’action est engagée, invitera l’autre partie à soumettre des observations écrites94. Il est intéressant de mentionner que la juridiction peut de sa propre initiative, c’est-à-dire d’office, retirer le bénéfice de l’aide juridictionnelle à la partie en raison d’un changement de sa situation économique. Les ordonnances statuant sur cette aide juridictionnelle, qu’elles soient de rejet ou d’acceptation, peuvent faire l’objet d’un appel dans un délai d’un mois à compter de la réception de l’ordonnance. La partie qui sollicite cette aide juridictionnelle peut en même temps présenter une demande motivée à la juridiction pour suspendre les délais, notamment pour conclure, jusqu’à la signification de l’ordonnance de la décision de l’aide juridictionnelle. Une différence avec le droit français doit être relevée. Si la demande d’aide juridictionnelle a des effets procéduraux95, une distinction est faite en appel entre l’appelant et l’intimé. En effet, l’appelant qui sollicite l’aide juridictionnelle bénéficie d’un effet interruptif du délai d’appel tandis que l’intimé bénéficie d’un effet interruptif du délai pour conclure96. Il n’y a pas cette différence devant la juridiction unifiée du brevet : que ce soit en appel ou en première instance et que cela émane du demandeur ou du défendeur, il est possible de solliciter une suspension des délais97, ce qui peut sembler plus pertinent que la conception française.

18. Transition. Après avoir envisagé la procédure en première instance, il convient d’étudier la procédure à mettre en œuvre devant la cour d’appel.

III – Le déroulement de la procédure d’appel devant la juridiction unifiée du brevet

19. Les décisions susceptibles d’appel. Il est opportun d’indiquer que l’appel des décisions du tribunal de première instance de la juridiction unifiée du brevet est largement ouvert. Il convient toutefois de faire une distinction entre les décisions dont le délai d’appel est de deux mois ou de 15 jours et les décisions dont l’appel n’est possible que sur autorisation du tribunal de première instance dans un délai de 15 jours98. Dans les deux cas, le délai court à compter de la signification de la décision de première instance. Il est possible de trouver en droit français des hypothèses où une autorisation est nécessaire pour faire appel, à l’instar de l’expertise, mais cette autorisation est donnée par le premier président de la cour d’appel, et non par la juridiction de première instance comme c’est le cas devant la juridiction unifiée du brevet. En cas de non-respect de ce délai d’appel, celui-ci sera déclaré irrecevable99 ; mais quelle est la nature du moyen de défense ? Peut-on qualifier de fin de non-recevoir pour forclusion comme en droit français ?

20. Une procédure non suspensive d’exécution. À l’inverse du droit français, l’appel devant la cour d’appel de la juridiction unifiée du brevet n’aura pas d’effet suspensif. En d’autres termes, la décision de première instance est exécutoire de plein droit. Il existe toutefois une exception pour les décisions rendues sur des actions en nullité ou sur des demandes reconventionnelles en nullité100. Bien qu’en principe la décision de première instance soit exécutoire, une partie pourra solliciter auprès de la cour d’appel une suspension de l’exécution. Encore une fois, il est énoncé que la cour d’appel se prononce sans délai, mais que faut-il entendre par ce terme ? En cas d’extrême urgence, il est possible, sans formalité, de demander cet effet suspensif au juge de permanence : de même, que faut-il entendre par extrême urgence ? Ni l’accord ni le règlement de procédure ne procèdent à une définition101 !

21. La phase écrite de la procédure d’appel. À l’image de la procédure de première instance, il y aura en premier lieu une phase écrite. Comme en droit français, elle commence par le dépôt d’une déclaration d’appel. Cette déclaration doit comporter des mentions obligatoires102. En cas de mentions manquantes, la cour d’appel pourra rendre une décision d’irrecevabilité de l’appel, par défaut. La sanction n’apparaît pas adaptée à l’exigence violée, car c’est la régularité de la procédure qui est en cause et non sa recevabilité. Une exception de nullité pour vice de forme de la déclaration d’appel aurait été plus pertinente. Si la déclaration d’appel est recevable, un juge rapporteur qualifié sur le plan juridique sera désigné. À compter de la signification de la décision contestée, l’appelant aura un délai de quatre mois pour remettre au greffe son mémoire contenant les raisons et les preuves destinées à infirmer la décision de première instance ; tant le point de départ du délai que le délai lui-même diffèrent de ce qui est prévu par le Code de procédure civile103. Si ce mémoire ne respecte pas les exigences du règlement, le juge rapporteur invite l’appelant à le modifier dans le délai qu’il décide. Si l’appelant s’abstient de faire la modification, le juge rapporteur rendra une décision d’irrecevabilité de l’appel après avoir entendu l’appelant104. Ici encore, la sanction n’apparaît pas adaptée à l’exigence violée : est en cause la régularité de la procédure. La décision d’irrecevabilité pourra être contestée dans le mois de sa signification105. L’intimé, qui a été une partie devant le tribunal de première instance, déposera son mémoire en défense à compter de la signification du mémoire de l’appelant dans un délai de trois mois ou de 15 jours, en fonction de la décision contestée. Un appel incident est possible, même si l’intimé est forclos pour former un appel principal, dans le délai pour déposer le mémoire en défense106.

22. La phase de mise en état de la procédure d’appel. Devant la cour d’appel, les règles de la procédure de mise en état devant le tribunal de première instance s’appliquent107. Il est permis de se questionner, puisqu’il est mentionné que les articles s’appliquent mutatis mutandis. En conséquence, la phase de mise en état ne peut excéder trois mois après la fin de la procédure écrite mais la date d’audience ne peut intervenir avant deux mois après la fin de la phase écrite. De même, une incohérence apparaît, car le juge en première instance ne semblerait pas tenu à une conférence de mise en état. Il est pourtant indiqué que le juge rapporteur « prépare tout ce qui est nécessaire pour l’audience », ce qui laisse sous-entendre que la procédure de mise en état à une portée obligatoire en appel108.

23. La phase orale de la procédure d’appel. Devant la cour d’appel, les règles de la procédure orale devant le tribunal de première instance s’appliquent109. Une particularité en appel doit être soulevée, le juge n’est pas tenu de mettre un terme à l’audience en un jour110. Il n’y a aucun délai imposé pour la phase orale : il est difficile de comprendre cette différence. Une fois la phase orale terminée, la cour d’appel peut soit rejeter l’appel soit infirmer la décision de première instance. La décision est définitive et, en principe, la cour d’appel statuera sans renvoi, sauf en cas de circonstances exceptionnelles – expression qui devra être précisée par la pratique de la Cour111. Un renvoi « exceptionnel » pourra être effectué devant la même chambre ou une autre chambre, mais les juges de renvoi seront liés par les motifs et le dispositif de la décision d’appel112. Cette procédure semble faire écho à l’hypothèse d’un second pourvoi en cassation où la juridiction de renvoi est liée par la décision de la Cour de cassation. Il n’existe pas au sein de la juridiction unifiée de brevet de recours contre la décision de la cour d’appel. À ce titre, il n’y a aucun pourvoi en cassation qui serait seulement juge du droit – la cour d’appel étant juge du fait et juge du droit – ni aucun recours devant la Cour de justice de l’Union européenne – ce qui avait été rejeté dans les premiers projets. Par ailleurs, les décisions rendues sont exécutoires dans les États contractants selon les procédures d’exécution et sous les conditions prévues par l’État dans lequel l’exécution a lieu113. En France, ces décisions seront considérées comme des titres exécutoires114. Une procédure d’exéquatur ne semble pas nécessaire. Toutefois, il apparaît possible qu’un débiteur s’oppose à une demande d’exécution d’une décision de la juridiction unifiée du brevet par la saisine des juridictions de l’État contractant dans lequel les mesures doivent être exécutées. Il pourra ainsi invoquer une violation de l’ordre public de cet état, ordre public qui peut être procédural ou substantiel.

24. Éléments conclusifs. Aux termes de cette étude sur la procédure à mettre en œuvre devant la juridiction unifiée, un sentiment d’incertitude demeure. Il est vrai que l’accord et le règlement de procédure ont vocation à mettre en place une procédure la plus complète possible. Toutefois, ces règles sont lacunaires et certaines incohérences procédurales peuvent être soulevées. Par exemple, la question du droit d’agir n’est envisagée que sous l’angle de la qualité. De même, l’omission ou l’inexactitude d’une mention peut entraîner l’irrecevabilité de la demande, alors que la sanction de l’irrecevabilité en toute rigueur sanctionne le défaut du droit d’agir et non la régularité de la demande. Pourtant, il apparaît que c’est ce second élément qui est mis en exergue. De fait, la qualification procédurale retenue pour les divers mécanismes de la juridiction unifiée ne semble pas adaptée. Aussi, il est possible de trouver à plusieurs endroits les termes dès que possible sans que l’expression ne soit davantage précisée ou encore la question d’une demande en révision, qui est à la fois une voie de recours exceptionnelle, une procédure destinée à remettre en cause une décision de la juridiction de première instance ayant refusé un appel ou une procédure permettant de contester une ordonnance de conservation de preuve. De plus, même si le Royaume-Uni a dénoncé l’accord sur la juridiction unifiée du brevet, il est très difficile d’obtenir un consensus sur une procédure civile. Toutefois, la création de cette juridiction montre qu’une harmonisation semble possible, mais la réflexion sur la procédure à suivre doit se poursuivre en adjoignant des processualistes des États concernés. Mais, « les institutions sont comparables aux êtres humains et aux œuvres littéraires ou musicales : une fois qu’elles sont nées, elles échappent à leur créateur et mènent une vie propre qui dépend des époques qu’elles traversent ou des personnes qui les animent »115. Tel sera aussi le cas de la juridiction unifiée du brevet.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale deux, 1973, Plon, p. 418.
  • 2.
    J. Schmidt-Szalewski, C. Rodà et C. Le Goffic, Rép. eur. Dalloz, v° Brevet, 2019, spéc. n° 118.
  • 3.
    J.-M. Mousseron, Traité des brevets, 1984, Librairies techniques.
  • 4.
    J. Schmidt-Szalewski, C. Rodà et C. Le Goffic, Rép. eur. Dalloz, v° Brevet, 2019, spéc. n° 118.
  • 5.
    Décision n° 2011/167/UE du Conseil du 10 mars 2011, autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire : JOUE L 76/53, 22 mars 2011.
  • 6.
    CJUE, 16 avr. 2013, nos C-274/11 et C-295/11, Espagne et Italie C/ Conseil.
  • 7.
    J. Schmidt-Szalewski, C. Rodà et C. Le Goffic, Rép. eur. Dalloz, v° Brevet, 2019, spéc. n° 121.
  • 8.
    PE et Cons. UE, règl. n° 1257/2012, 17 déc. 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet : JOUE L 361/1, 31 déc. 2012 – Cons. UE, règl. n° 1260/2012, 17 déc. 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction : JOUE L 361/89, 31 déc. 2012.
  • 9.
    J.-C. Galloux, « Le brevet européen à l’effet unitaire : un volapük juridique intégré ? », D. 2013, p. 520 ; J. Raynard, « Droit des brevets et du savoir-faire industriel », D. 2013, p. 1374.
  • 10.
    Règl. (UE) n° 1257/2012, 17 déc. 2012, art. 9, 1, g.
  • 11.
    Règl. (UE) n° 1257/2012, 17 déc. 2012, art. 3, 1.
  • 12.
    Règl. (UE) n° 1257/2012, 17 déc. 2012, art. 3, 1.
  • 13.
    M. Lartigue, « Dernière ligne droite pour la future juridiction unifiée du brevet », Dalloz actualité, 23 nov. 2022. Pour un aperçu historique de la mise en place de la juridiction, v. J.-C. Galloux, « Les relations du droit de l’Union et du droit européen des brevets », in Mélanges en l’honneur du professeur Gilbert Parleani, 2021, IRJS Éditions, p. 175 et s.
  • 14.
    J.-C. Galloux, « Brevet communautaire : Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil », RTD com. 2007, p. 516.
  • 15.
    J.-C. Galloux, « La proposition de Règlement instituant un brevet communautaire », RTD com. 2000, p. 639.
  • 16.
    J.-C. Galloux, « Brevet communautaire : Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil », RTD com. 2007, p. 516.
  • 17.
    J.-C. Galloux, « Brevet communautaire : Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil », RTD com. 2007, p. 516.
  • 18.
    J.-C. Galloux, « La proposition de règlement sur le brevet communautaire », RTD com. 2003, p. 722.
  • 19.
    M. Storme, Rapprochement du droit judiciaire de l’Union européenne – Approximation of judiciary law in the European Union, 1994, Kluwer-Matinus Nijhoff Publishers.
  • 20.
    A. Casalonga, « Le contentieux futur du brevet européen. Enfin une solution ? », PI 2006, n° 20, p. 253.
  • 21.
    J.-C. Galloux, « Le projet de système juridictionnel européen en matière de brevet », RTD com. 2006, p. 333.
  • 22.
    Document de travail n° 14970/08, PI 78, COUR 52, du Conseil du 4 novembre 2008, révisé par document de travail n° 7928/09, PI 23, COUR 29, du Conseil du 23 mars 2009.
  • 23.
    CJUE, ass. plén., 8 mars 2011, avis n° 1/09.
  • 24.
    Actes législatifs et autres instruments n° 16351/1/12, PI 148, COUR 77, du 12 février 2013 sur l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB). Adde L. Coutron, « La fin de l’attente : la création d’une juridiction unifiée du brevet », RTD eur. 2014, p. 478-XI.
  • 25.
    Sur les difficultés liées à cette dénonciation, J.-C. Galloux, « La mise en place de l’application provisoire de l’accord sur la juridiction unifiée du brevet (PAP), 19 janvier 2022 », RTD com. 2022, p. 47.
  • 26.
    M. Dhenne, « La Juridiction unifiée des brevets : l’avenir du droit des brevets en Europe ? », D. 2022, p. 344.
  • 27.
    J.-C. Galloux, « Le projet de système juridictionnel européen en matière de brevet », RTD com. 2006, p. 333.
  • 28.
    E. Sergheraert, « La juridiction unifiée du brevet : quelles nouvelles stratégies pour les laboratoires pharmaceutiques ? », RGDM 2018, n° 5, spéc. p. 46.
  • 29.
    M. Lartigue, « Dernière ligne droite pour la future juridiction unifiée du brevet », Dalloz actualité, 23 nov. 2022. Adde J.-C. Galloux, « La mise en place de l’application provisoire de l’accord sur la juridiction unifiée du brevet (PAP), 19 janvier 2022 », RTD com. 2022, p. 47.
  • 30.
    AJUB, art. 7, § 3.
  • 31.
    M. Lartigue, « Dernière ligne droite pour la future juridiction unifiée du brevet », Dalloz actualité, 23 nov. 2022.
  • 32.
    AJUB, art. 17, § 2.
  • 33.
    AJUB, art. 32.
  • 34.
    AJUB, art. 83.
  • 35.
    Ce qui pourrait favoriser le forum shopping, v. M. Vivant, « Régime international », JCl. Brevets, fasc. 4900, 15 déc. 2022, spéc. n° 111.
  • 36.
    Art. 5 du règlement de procédure de la Juridiction unifiée du brevet adopté par décision du Comité administratif du 31 août 2022 et entrée en vigueur le 1er septembre 2022 (RPJUB).
  • 37.
    J.-C. Galloux, « Brevet communautaire : Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil », RTD com. 2007, p. 516 ; G. Triet et M. Vivant, « Juridiction européenne : une nouvelle donne pour le brevet ? », Cahiers de droit de l’entreprise 2012, n° 1, dossier 4.
  • 38.
    Sur cette procédure, v F. Martucci, Droit de l’Union européenne, 3e éd., 2021, Dalloz, spéc. p. 788 et s., nos 975 et s.
  • 39.
    AJUB, art. 22.
  • 40.
    L. Coutron, « La fin de l’attente : la création d’une juridiction unifiée du brevet », RTD eur. 2014, p. 478-XI. Adde AJUB, art. 21 ; RPJUB, règle 266.
  • 41.
    AJUB, art. 33.
  • 42.
    AJUB, art. 44 ; RPJUB, règle 4.
  • 43.
    AJUB, art. 40/41. Adde L. Coutron, « La fin de l’attente : la création d’une juridiction unifiée du brevet », RTD eur. 2014, p. 478-XI.
  • 44.
    AJUB, art. 47.
  • 45.
    J. Schmidt-Szalewski, C. Rodà et C. Le Goffic, Rép. eur. Dalloz, v° Brevet, 2019, spéc. n° 216.
  • 46.
    Au risque de créer un « impérialisme d’une (…) puissance amie », S. Guinchard, « La procédure mondiale modélisée », D. 2003, p. 2183.
  • 47.
    E. Umberto Goût, « La délicate utilisation des termes “rejeter” et “débouter” », LPA 24 janv. 2019, n° LPA141x6.
  • 48.
    CPC, art. 1385.
  • 49.
    CPC, art. 126.
  • 50.
    Par ex. RPJUB, règles 5 ; 88, § 4 et 378, § 5.
  • 51.
    RPJUB, règle 287.
  • 52.
    RPJUB, règle 289.
  • 53.
    RPJUB, règles 13 (action en contrefaçon) ; 44 (action en nullité) ; 63 (action en contestation de non-contrefaçon).
  • 54.
    RPJUB, règle 13, a)-d), g) et h) ; puis renvoi par les règles 44, a) et 63, a).
  • 55.
    RPJUB, règles 19 et 20 ; puis renvoi par les règles 48 et 66.
  • 56.
    RPJUB, règle 21, 1) ; puis renvoi par les règles 48 et 66.
  • 57.
    RPJUB, règle 23.
  • 58.
    RPJUB, règles 49 et 67.
  • 59.
    RPJUB, règles 25 et 50.
  • 60.
    RPJUB, règle 355.
  • 61.
    RPJUB, règle 27 ; puis renvoi par les règles 54 et 71.
  • 62.
    RPJUB, règles 28 et 35 ; puis renvoi par les règles 54, 58, 71 et 73.
  • 63.
    RPJUB, règles 29, 51, 52, 56, 67 et 69.
  • 64.
    RPJUB, règle 101.
  • 65.
    RPJUB, règle 104.
  • 66.
    RPJUB, règle 334.
  • 67.
    RPJUB, règle 333.
  • 68.
    RPJUB, règle 220, 2).
  • 69.
    RPJUB, règle 112.
  • 70.
    RPJUB, règle 113.
  • 71.
    RPJUB, règles 114 et 116, 4).
  • 72.
    RPJUB, règles 116 et 117.
  • 73.
    RPJUB, règle 355.
  • 74.
    Cass. 3e civ., 8 mars 2018, n° 17-11411.
  • 75.
    AJUB, art. 52, § 3.
  • 76.
    RPJUB, règle 118.
  • 77.
    AJUB, art. 78.
  • 78.
    AJUB, art. 54.
  • 79.
    AJUB, art. 53 ; RPJUB, règles 175 et s.
  • 80.
    AJUB, art. 56.
  • 81.
    Ex. RPJUB, règle 190.
  • 82.
    RPJUB, règle 190.
  • 83.
    RPJUB, règle 192.
  • 84.
    RPJUB, règle 197.
  • 85.
    RPJUB, règle 197, 3.
  • 86.
    RPJUB, règles 245 et s.
  • 87.
    AJUB, art. 60, § 4. Approche qui est validée en droit français, v. Cass. com., 8 juill. 2008, n° 07-15075 : PI 2010, n° 5, comm. 27, comm. P. Vigand ; JCP E 2008, 2134, n° 38.
  • 88.
    RPJUB, règles 150 et s. ; AJUB, art. 69.
  • 89.
    RPJUB, règle 150.
  • 90.
    RPJUB, règle 151.
  • 91.
    RPJUB, règle 156.
  • 92.
    RPJUB, règle 221.
  • 93.
    RPJUB, règles 377 et 377A.
  • 94.
    RPJUB, règle 379.
  • 95.
    E. Jeuland et L. Cadiet, Droit judiciaire privé, 11e éd., 2020, LexisNexis, spéc. p. 72-73, n° 57 ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 36e éd., 2022, Dalloz, spéc. p. 247, n° 294.
  • 96.
    D. n° 2020-1717, 28 déc. 2020, art. 43, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles.
  • 97.
    RPJUB, règle 378 ; puis renvoi par la règle 381.
  • 98.
    RPJUB, règle 382.
  • 99.
    RPJUB, règle 229.
  • 100.
    AJUB, art. 74.
  • 101.
    RPJUB, règle 223.
  • 102.
    RPJUB, règle 225.
  • 103.
    RPJUB, règle 224.
  • 104.
    RPJUB, règle 233.
  • 105.
    RPJUB, règle 234.
  • 106.
    RPJUB, règle 237.
  • 107.
    Supra n° 14.
  • 108.
    RPJUB, règle 239. V. pourtant en première instance RPJUB, règle 101.
  • 109.
    Supra n° 15.
  • 110.
    RPJUB, règle 240.
  • 111.
    AJUB, art. 75.
  • 112.
    RPJUB, règles 242 et 243 ; AJUB, art. 75, § 2.
  • 113.
    AJUB, art. 82 ; RPJUB, règle 354.
  • 114.
    CPCE, art. L. 111-3.
  • 115.
    J. Bore, « La Cour de cassation de l’an 2000 », D. 1995, p. 133.
Plan
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