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L’assouplissement bienvenu des conditions de reprise d’un acte par une société en formation

Publié le 28/03/2024
Entreprise, contrat, signature
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La reprise des actes par une société en formation fait l’objet d’un contentieux abondant. Dans trois décisions récentes, la Cour de cassation assouplit les conditions de reprise des actes en question. Celle-ci n’est plus obligatoirement subordonnée à l’accomplissement de l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.

La vie des affaires impose souvent qu’un acte soit conclu au nom d’une société, par l’un de ses fondateurs, avant son immatriculation, et ce, que les statuts aient été signés ou non. Il peut en aller ainsi d’une promesse de vente d’un immeuble, de la conclusion d’un bail ou même d’un prêt bancaire. Bien évidemment, les sociétés ne jouissent de la personnalité morale qu’à compter de leur immatriculation (C. civ., art. 1842C. com., art. L. 210-6, al. 1er, applicable aux seules sociétés commerciales), laquelle n’est pas concomitante à la signature des statuts. Jusqu’à cette date, la société n’est donc qu’en formation. En toute logique, la question de la reprise des actes soulève des difficultés lorsqu’ils sont conclus avant la signature des statuts. En effet, depuis le 1er janvier 2023, les formalités inhérentes à toutes les entreprises doivent être accomplies par le biais d’un portail dématérialisé appelé guichet unique des entreprises, lequel est tenu par l’INPI. En pratique, les statuts sont ainsi déposés après leur signature auprès du registre national des entreprises (RNE)1, ce qui permet une immatriculation très rapide de la société au registre du commerce et des sociétés.

La société en formation est donc à distinguer de la société en participation pour laquelle les associés font le choix de ne pas l’immatriculer (C. civ., art. 1871). Pour cette raison, différents textes prévoient les modalités de reprises des engagements conclus. Ainsi l’article 1843 du Code civil dispose-t-il que : « Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci »2.

Malgré la clarté de ces règles, un contentieux foisonnant s’est développé autour de la validité des actes accomplis par une société en formation. Dans trois arrêts du 29 novembre 2023, la Cour de cassation assouplit clairement sa jurisprudence puisqu’elle ne subordonne plus la validité de l’acte en question à sa conclusion « au nom » ou « pour le compte » de la société. Il convient donc d’exposer les règles désormais applicables en la matière (I), puis de rappeler les modalités de la reprise des actes par la société (II) et les conséquences de celle-ci (III).

I – La possible reprise d’un acte non expressément conclu au nom ou pour le compte de la société en formation

Dans chacun de ces trois arrêts, les associés d’une société commerciale en formation ont conclu un acte sans que celui-ci indique qu’il l’a été pour son compte ou en son nom. Il s’agissait d’un bail commercial dans deux affaires (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-12865 – Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-18295) et d’une promesse de cession d’actions dans la troisième (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-21623). Dans le premier cas (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-12865), les associés avaient agi « en leur qualité de représentants de la société » désignée par sa dénomination sociale, ce qui n’a pas de sens sur le plan juridique puisqu’elle n’existait pas encore. Dans le deuxième cas (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-18295), les associés avaient agi « conjointement et solidairement entre eux », la société en formation étant partie à l’acte. Enfin, dans la troisième affaire (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-21623), l’acte avait été conclu par l’EURL représentée par son gérant et associé unique.

Jusqu’alors, la Cour de cassation admettait qu’un acte accompli par une société en formation ou par un de ses fondateurs la représentant n’était pas valable, dans la mesure où, à cette date, la société ne dispose pas de la personnalité morale3. Selon la haute juridiction, l’acte en question, même authentique, est nul dès lors qu’il a été conclu au nom de « la société elle-même »4. Cette nullité est absolue, de sorte que l’acte est insusceptible de confirmation (C. civ., art. 1180, al. 2). Par exemple, une SARL en formation représentée par ses fondateurs ne peut valablement conclure une promesse de bail commercial et une promesse de vente d’un immeuble5.

Dès lors, pour être valable, l’acte en question doit avoir été conclu « pour le compte » de la société en formation6. Certes, l’article 1843 du Code civil vise l’acte conclu « au nom » de cette société7. Toutefois, il est préférable, sur le plan juridique, de viser la mention « pour le compte » de la société, laquelle sera suivie de la dénomination, du siège social, du montant du capital et du lieu du RCS compétent8. Par conséquent, l’acte conclu au nom des fondateurs de la société prévoyant une faculté de substitution est nul9.

Dans les trois décisions commentées, la Cour de cassation tempère à juste titre sa jurisprudence dans des termes identiques :

« 6. Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du Code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société.

7. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d’être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits “au nom” (…) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés “par” la société, même s’il ressort des mentions de l’acte ou des circonstances que l’intention des parties était que l’acte soit accompli en son nom ou pour son compte (…).

8. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d’une mention expresse selon laquelle l’acte est accompli “au nom” ou “pour le compte” d’une société en formation protège, d’un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l’avenir, d’une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l’autre, la personne qui accomplit l’acte “au nom” ou “pour le compte” de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.

9. Cette solution a pour conséquence que l’acte non expressément souscrit “au nom” ou “pour le compte” d’une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n’auront à répondre de son exécution, à la différence d’un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi “au nom” ou “pour son compte”. Elle s’avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d’annulation de l’acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.

10. L’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé “au nom” ou “pour le compte” de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits ».

En adoptant ce raisonnement, la Cour de cassation casse deux arrêts d’appel (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-12865 – Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-18295) et rejette le pourvoi dans la troisième affaire (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 22-21623).

Le raisonnement poursuivi par la haute juridiction est le bienvenu. La construction jurisprudentielle poursuivait l’objectif légitime d’assurer une certaine sécurité juridique puisque le recours aux mentions « au nom » ou « pour le compte » permettait à chaque partie de bien comprendre la teneur de ses engagements. Même si cette condition de forme n’est pas visée explicitement par la loi, la récurrence des arrêts rendus est à l’origine d’une pratique professionnelle courante. En effet, les avocats, notaires et experts-comptables ont depuis de nombreuses années l’habitude d’insérer de telles stipulations dans le paragraphe relatif à la comparution des parties.

Toutefois, cette exigence pouvait aussi porter préjudice à une partie de bonne foi, puisqu’il suffisait à son cocontractant d’invoquer un manquement à cette règle de forme pour se soustraire à son engagement10, l’acte étant nul puisqu’accompli par une société sans existence juridique. Pour cette raison, la Cour de cassation considère désormais que le défaut des mentions « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation n’emporte pas nécessairement la nullité de l’acte conclu. Il appartient alors aux juges du fond d’apprécier souverainement si les circonstances inhérentes au contrat, tant intrinsèques qu’extrinsèques, justifient qu’il ait bien été conclu pour le compte de la société en formation. Dans l’affirmative, il pourra être repris par celle-ci.

Ces décisions sont donc les bienvenues. Toutefois, par prudence, il convient encore en pratique de mentionner expressément que l’acte est conclu « pour le compte » de la société en formation11, afin d’éviter tout contentieux quant à l’interprétation de la volonté des parties.

II – Les modalités de la reprise des actes par la société en formation

Les décisions n’ont aucune incidence sur les modalités de reprise des actes conclus pour le compte de la société en formation. Cette reprise peut résulter de l’immatriculation de la société ou lui être postérieure12.

La reprise des engagements peut avoir lieu par l’immatriculation de deux manières.

D’une, elle prend généralement la forme d’un état des actes annexé aux statuts13. De la sorte, la signature des statuts par tous les associés vaut également reprise des engagements. En pratique, il s’agit du procédé le plus simple lorsque les statuts n’ont pas encore été signés14. Néanmoins, une clause des statuts prévoyant une reprise automatique des actes accomplis pour le compte de la société est inefficace15.

D’autre part, la reprise des engagements peut résulter d’un mandat donné par les associés16, les conditions d’application de ce texte étant strictes :

• le mandat doit être confié à un ou plusieurs associés, disposant ou non d’un mandat social17, ou à un mandataire social non associé ;

• les associés doivent consentir unanimement au mandat, dans les statuts ou par acte séparés, raison pour laquelle ce procédé est utilisé lorsque les statuts ont déjà été signés18 ;

• le mandat doit être spécial et non général19. Il doit ainsi définir la nature de l’opération en cause et ses modalités.

Après l’immatriculation de la société, il est toujours permis aux associés de reprendre les engagements par décision collective20. Cette décision collective doit être prise à la majorité des associés. En revanche, la reprise des engagements par la société ne peut être tacite21. Par exemple, elle ne peut résulter de l’approbation des comptes du premier exercice social22.

III – Les conséquences de la reprise des actes

La reprise des actes par la société a pour effet de libérer l’associé s’étant engagé pour son compte23, la société étant réputée être une partie à l’acte dès l’origine (C. civ., art. 1843). Par conséquent, l’associé ne peut être considéré comme solidairement responsable, avec la société, de l’engagement conclu24.

En revanche, lorsque les engagements conclus pour le compte de la société en formation ne sont pas repris par celle-ci25, les associés contractants sont tenus personnellement par l’acte indéfiniment et solidairement en présence d’une société commerciale et sans solidarité dans les autres cas (C. civ., art. 1843 – C. com., art. L. 210-6, al. 2)26. Dans le cas où un mandat avait été donné par les associés, ces derniers sont tenus en qualité de mandants par l’acte en l’absence de reprise des engagements.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lequel remplace l’ensemble des CFE.
  • 2.
    C. com., art. L. 210-6, al. 2, reprend un principe analogue pour les sociétés commerciales.
  • 3.
    A.-S. Lucas-Puget, « La reprise des actes de la société en formation », Defrénois 30 oct. 2012, n° 40629, p. 1009.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12073 et 10-15079 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12072 et 10-15076 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12071 et 10-15078 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12070 et 10-15071 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12069 et 10-15073 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12067 et 10-15072 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 10-12064 et 10-15074 – Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 09-70571 et 09-72855.
  • 5.
    Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-22428 : Dr. sociétés 2025, comm. 23, obs. R. Mortier.
  • 6.
    Il s’agit de l’expression consacrée par la jurisprudence (v. par ex., Cass. com., 10 févr. 2021, n° 19-10006 : JCP E 2021, 1329, note. R. Mortier).
  • 7.
    Pour des arrêts validant l’usage de la mention « au nom » : Cass. com., 22 mai 2001, n° 98-19742 – Cass. com., 13 nov. 2013, n° 12-26158.
  • 8.
    Coll., Mémento pratique Sociétés civiles, 2023, Francis Lefebvre, n° 2572.
  • 9.
    Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-16069.
  • 10.
    P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 10e éd., 2023, Lextenso, nos 348 et s, EAN : 9782275130644.
  • 11.
    Et non « par la société en formation ». Si tel est le cas, l’acte est nul (Cass. com., 10 févr. 2021, n° 19-10006 : JCP E 2021, 1329, note. R. Mortier – Cass. com., 19 janv. 2022, n° 20-13719).
  • 12.
    P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 10e éd., 2023, Lextenso, n° 351, EAN : 9782275130644.
  • 13.
    D. n° 78-704, 3 juill. 1978, art. 6, al. 1 et 2, pour les sociétés civiles, les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple – C. com., art. R. 210-5, al. 1 et 2, pour les SARL –C. com., art. R. 210-6, al. 1 et 2 pour les SAS.
  • 14.
    Il s’agit aussi du procédé le plus fréquent en pratique.
  • 15.
    Cass. 3e civ., 23 mai 2019, n° 17-31463 : Dr. sociétés 2019, comm. 146, obs. H. Hovasse.
  • 16.
    D. n° 78-704, 3 juill. 1978, art. 6, al. 3, pour les sociétés civiles, les SNC et les SCS – C. com., art. R. 210-5, al. 3, pour les SARL – C. com., art. R. 210-6, al. 3 pour les SAS.
  • 17.
    Cass. com., 4 juill. 2001, n° 99-20667.
  • 18.
    Coll., Mémento pratique Sociétés civiles, 2023, Francis Lefebvre, n° 2587.
  • 19.
    Cass. com., 24 mars 1998, n° 96-11366.
  • 20.
    D. n° 78-707, 3 juill. 1978, art. 6, al. 4, pour les sociétés civiles, les SNC et les SCS. Pour les SARL et SAS, ce principe résulte de la jurisprudence (v. Cass. com., 24 mars 1998, n° 96-11366).
  • 21.
    Cass. com., 20 févr. 2019, n° 17-14242 – Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-25920 : JCP N 2023, 1144, spéc. n° 3, obs. M. Storck.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n° 98-10917.
  • 23.
    Coll., Mémento pratique Sociétés civiles, 2023, Francis Lefebvre, n° 2595.
  • 24.
    P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 10e éd., 2023, Lextenso, n° 356, EAN : 9782275130644.
  • 25.
    Cela résulte d’un défaut d’immatriculation, d’une absence ou d’un refus de reprise.
  • 26.
    Ceux qui n’ont pas conclu le contrat ou n’ont pas donné mandat ne sont pas tenus.
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