Une SCI non immatriculée au RCS doit être traitée comme une société en participation
Une société civile localisée en Nouvelle-Calédonie doit impérativement être immatriculée au RCS si elle veut jouir de la personnalité morale, au risque d’exposer ses associés à une requalification en société en participation dont la dissolution peut intervenir par suite de l’exercice d’une action oblique.
Cass. 3e civ., 4 mai 2016, no 14-28243, D. c/ M., FS–PB
L’âge d’or des sociétés civiles non immatriculées est révolu depuis que la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, dite loi NRE pour « nouvelles régulations économiques », a modifié les dispositions de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 en contraignant toutes les sociétés civiles à procéder à leur immatriculation. L’arrêt rapporté permet de mesurer les dangers auxquels s’exposent les associés des sociétés civiles demeurées clandestines jusqu’à aujourd’hui.
Dans cette affaire, un des associés d’une société civile créée en 1970 et propriétaire d’un immeuble localisé en Nouvelle-Calédonie fit l’objet de diverses procédures de recouvrement forcé qui se révélèrent infructueuses. De guerre lasse, le créancier initia de nouvelles actions directement contre l’ensemble des associés de la société civile, actions fondées sur les articles 1166 du Code civil (action oblique) et 815-7 du même code (partage forcé de l’indivision) aux fins de voir juger que, faute d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, la SCI était devenue une société en participation, que dès lors les biens sociaux étaient devenus la propriété indivise des associés prétendument impécunieux, de voir aussi prononcer la dissolution de la société et ordonner la liquidation puis le partage de l’indivision et enfin la licitation de l’immeuble indivis. L’ensemble de ces demandes furent accueillies favorablement tant par les juges du fond que par la Cour de cassation qui fournit dès lors de nombreux enseignements.
L’arrêt rapporté est d’abord l’occasion pour les hauts magistrats de faire une application ultramarine des dispositions de la loi du 4 janvier 1978 dont l’article 2 précise que les dispositions de cette dernière sont applicables dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et des Terres australes et antarctiques françaises ainsi que dans le département de Mayotte. L’immeuble appartenant à la société civile non immatriculée étant situé en Nouvelle-Calédonie, cette disposition relative à l’application spatiale (lex rei sitae) de la loi de 1978 permet d’appréhender la situation de fait dont ils avaient à connaître ; à défaut d’immatriculation le lieu de situation de l’immeuble permettait un rattachement aux dispositions susvisées relatives aux SCI.
Surtout, l’arrêt du 4 mai 2016 permet à la Cour régulatrice d’accueillir l’action oblique diligentée par le créancier d’un associé de la société au titre des causes potentielles de dissolution d’une société en participation.
Comme rappelé ci-dessus, avec la réforme intervenue en 2001, toutes les sociétés civiles devaient faire l’objet d’une immatriculation avant le 1er novembre 2002 (article 44 de la loi 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques).
Aussi, face à une société civile non encore immatriculée, qu’il s’agisse d’un oubli ou d’une situation délibérée, se pose naturellement la question du sort à lui réserver. Doivent-elles être annulées ou doivent-elles être appréhendées sous une autre qualification ? De nombreuses réponses ministérielles1 de même que des circulaires du ministère de la Justice2 ou encore des avis du Comité central du RCS3 ainsi que la doctrine4 ont, de manière concordante, conclu pour la perte de la personnalité juridique par ces sociétés et leur potentielle requalification en société en participation. Il convenait, en effet, de ne pas nier la volonté de créer une société mais seulement celle de na pas procéder à son immatriculation, ce que tolère au demeurant le droit français des sociétés. Autrement dit, la société civile non immatriculée au 1er novembre 2002 perd sa personnalité juridique5, la disposition d’une capacité juridique distincte de celle de ses associés et se trouve sous la menace d’une requalification en une société en participation. Telle est au demeurant la conclusion classique à laquelle sont parvenus les magistrats dans l’affaire rapportée.
La qualification de société en participation retenue, restait encore à préciser le régime juridique des biens qui, historiquement, figuraient à l’actif du bilan de la société non immatriculée.
Puisque la société est dépourvue de toute personnalité juridique, elle ne saurait être propriétaire des biens qui sont affectés à l’exploitation de l’entreprise qu’elle accueille. Aussi, les biens qui lui sont apportés continuent d’appartenir à ses associés qui peuvent les appréhender selon divers modes juridiques ; ils peuvent notamment adjoindre une indivision à leur société. À suivre l’arrêt rapporté, la requalification d’une SCI non immatriculée en société en participation emporterait, par l’effet de la requalification, la propriété indivise des biens par les associés de la SCI déchue. Le régime de l’indivision comme mode de détention de droits réels sur des biens n’est pas méconnu de la société en participation6 ; c’est même, au contraire, l’un des modes de détention prévus par l’article 1872 du Code civil pour appréhendés les biens en nature apportés à la société. L’intérêt de l’arrêt sous examen est de conclure à l’existence d’une indivision par suite d’une requalification d’une société civile en société en participation. Ce n’est donc pas suite à l’emploi ou au remploi d’un bien indivis ou par apport d’un bien déjà soumis à indivision ou encore par suite de la volonté expresse des associés que les biens appartenant à la société civile non immatriculée se trouveraient appréhendés par le biais de l’indivision, hypothèses visées par l’article 1872 du Code civil, mais par l’effet opéré par la requalification de la société civile non immatriculée en société en participation. La solution n’est pas nouvelle. Comme cela a en effet déjà été jugé7, les associés d’une société civile non immatriculée requalifiée en société en participation deviennent propriétaires indivis des biens qui appartenaient jusqu’alors à la société. La solution se comprend. Dépourvue de toute personnalité juridique, la société ne peut plus détenir de patrimoine propre ; seuls ses associés peuvent procurer un patrimoine d’accueil à ces biens. La pluralité des associés et l’égalité de leurs positions, à l’instar d’héritiers et à défaut d’organisation contraire, postulent que les règles de l’indivision appréhendent cette nouvelle situation. C’est à cette conclusion logique que parvient aussi la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté.
Dès lors, il ne restait qu’à dérouler les règles classiques tant de l’effet des conventions à l’égard des tiers que celles de l’indivision : d’abord, celles issues des dispositions de l’article 1166 du Code civil qui permettent à un créancier d’exercer, en lieu et place de son débiteur inactif et/ou récalcitrant, les droits et actions de ce dernier ; sa créance reconnue, le débiteur ne pouvait être qu’accueilli dans ses prétentions à son recouvrement sur les biens appartenant à son débiteur fussent-ils indivis sur un immeuble. C’est alors qu’entrent en jeu les règles propres à l’indivision qui offrent au créancier d’un membre de cette institution de provoquer le partage au nom de ses débiteurs empêchant ainsi de faire de l’indivision une citadelle factice aux actions des créanciers de l’un des co-indivisaires. À cet égard, il a déjà été jugé que le créancier d’un co-indivisaire peut, par le moyen de l’action oblique, exercer l’action en partage d’une indivision dès lors qu’il se trouve face à un débiteur qui affiche une volonté délibérée de ne pas honorer sa dette8, condition remplie dans l’espèce sous examen.
La légitimité de l’action du créancier reconnue et la requalification de la société civile non immatriculée en société en participation acquise, il ne restait aux hauts magistrats qu’à vérifier si la déchéance de personnalité juridique de la société civile non immatriculée permettait bien de prononcer la dissolution puis le partage de la société en participation.
L’on sait que, normalement, les associés ne peuvent, tant que la société en participation n’est pas dissoute, demander et provoquer le partage des biens indivis sur le fondement de l’article 1872 du Code civil c’est-à-dire lorsque la société n’est pas encore dissoute9 ; il en va différemment cependant dans le champ de l’article 1872-2 du Code civil relatif à la dissolution de la société en participation.
En matière de société en participation, le contrat, le pacte social recouvre tout son empire. Aussi, deux situations peuvent se présenter : soit le contrat de société en participation est à durée déterminée, soit il est à durée indéterminée. Le caractère déterminé d’une société en participation n’est pas de droit ni ne se présume ; il doit, au contraire, ressortir des termes même du pacte social soit que celui-ci vise une date butoir, une période de temps ou encore la survenance d’un événement pour que soit mis un terme à l’épisode sociétaire. À défaut de telles précisions, le contrat de société en participation doit être qualifié à durée indéterminée. C’est ce qui ressort de l’arrêt sous examen. Pour la Cour régulatrice, en effet, « n’ayant pas été organisée par un pacte conforme à celui d’une société en participation à durée déterminée, la société en cause était nécessairement à durée indéterminé ». Le caractère indéterminé de la société en participation est donc le principe et l’aménagement déterminé du temps l’exception.
Il n’en reste pas moins que l’incidence de cette qualification rejaillit au stade de la dissolution de la société en participation. En présence d’une société en participation à durée déterminée, en effet, la dissolution de la société ne peut intervenir qu’au terme prévu du contrat10 ; les parties au contrat de société sont liées par leurs prévisions et doivent en respecter scrupuleusement les termes. En présence d’une société en participation à durée indéterminée, en revanche, la dissolution de la société peut intervenir à tout moment soit à la demande d’un associé dès lors, exige la loi, que cette demande soit de bonne foi et non faite à contretemps11 ; c’est une disposition d’ordre public contre laquelle ne saurait stipuler des statuts12. Mais ces causes spécifiques de dissolution d’une société en participation n’épuisent pas les hypothèses plus générales où la dissolution d’une société peut être prononcée. Et la solution apportée par l’arrêt rapportée permet de ranger à côté des différentes causes de dissolution visées par l’article 1844-7 du Code civil, la dissolution par l’action oblique exercée par le créancier d’un des associés sur le bien qui permettait l’exploitation économique de la société.
La dissolution acquise, le partage des biens indivis peut être opéré13. Dans l’hypothèse d’une action oblique diligentée par un créancier, elle conduira à la licitation du bien soumis à indivision afin de permettre au créancier dont les droits ont été reconnus de recouvrer le montant de sa créance contre l’associé indélicat. L’articulation entre le droit des biens et celui des sociétés en participation n’est jamais aisé ; l’apport de l’arrêt est donc ici salutaire.
Notes de bas de pages
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1.
Rép. min. n° 1074 : JOAN, 21 oct. 2002, p. 3759 ; Rép. min. n° 9579 : JOAN, Q. 3 mars 2003, p. 1644 ; Rép. min. n° 10150 : JOAN, Q., 2 juin 2003, p. 4271.
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2.
Circ., 26 déc. 2002 : BOMJ n° 88.
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3.
CCRCS, avis n° 03-29 : Bull. RCS 2003/21-22, p. 49 ; BRDA 18/03, inf. 5.
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4.
V., Baranger G., « Immatriculation des sociétés civiles : l’échéance », BJS juill. 2002, p. 849.
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5.
Cass. com., 26 févr. 2008, n° 06-16406 : Rev. sociétés 2008, p. 142, note Barbièri J.-F. ; Dr. sociétés 2008, comm. 120, note Mortier R. ; Banque et droit mars 2008, p. 48, obs. Storck M.
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6.
Sur cette question, v. Dekeuwer-Défossez F., « L’indivision dans les sociétés en participation », JCP G 1980, I 2970.
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7.
Cass. com., 7 janv. 2014, n° 11-25635 et 11-26918 : Rev. sociétés 2014, p. 234, note Saintourens B. ; BJS avr. 2014, n° 111r8, p. 252, note Barbiéri J.-F.
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8.
Cass. 1re civ., 23 mai 2006, n° 05-18065 : Bull. civ. I, n° 263.
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9.
Cass. com., 1er oct. 1996, n° 94-15660 : Dr. sociétés 1996, comm. 227, note Bonneau T. ; D. 1997, Somm., p. 230, obs. Hallouin J.-C.
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10.
Cass. com., 23 oct. 2007, n° 05-19092 : BJS févr. 2008, p. 110, note Saintourens B.
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11.
C. civ., art. 1872-2 ; pour une illustration, v. Cass. com., 15 févr. 1994, n° 92-13325 : Rev. sociétés 1995, p. 521, note Libchaber R.
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12.
V., Cass. req., 29 avr. 1897 : S. 1899, 1, p. 481, note Lyon-Caen C.
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13.
Cass. com., 1er oct. 1996, préc.