Les sociétés civiles non immatriculées au registre du commerce et des sociétés à l’épreuve de l’action oblique des créanciers
Une cour d’appel juge à bon droit qu’une société civile non immatriculée au registre du commerce et des sociétés était nécessairement une société en participation et que par suite un créancier était fondé à agir par la voie de l’action oblique en vue de demander la dissolution de la société, l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision et la licitation de l’immeuble.
Cass. 3e civ., 4 mai 2016, no 14-28243
1. Dans cette affaire, comme dans toutes celles qui intéressent le droit de l’indivision, il est peu de dire qu’en la matière l’articulation avec d’autres règles civiles n’est pas toujours aisée. Comme bien souvent1, l’affaire2 oppose des associés d’une SCI non immatriculée au créancier personnel de l’un d’entre eux. En l’espèce, la SCI « Le Vallon-Magenta » a été créée le 22 juin 1970. Un jugement du 15 novembre 1999 a condamné l’un des associés de la SCI à payer différentes sommes à son créancier. Malgré la mise en œuvre de procédures de recouvrement forcé engagées par celui-ci, ces procédures d’exécution sont demeurées infructueuses. Le créancier assigne l’associé récalcitrant sur le fondement des articles 1166 et 815-17 du Code civil. Les juges du fond admettent la recevabilité de l’action oblique permettant ainsi au créancier d’agir par le biais de cette action contre une SCI non immatriculée devenue une société en participation. L’associé récalcitrant se pourvoit en cassation. Il est donc permis d’admettre que la Cour de cassation en rejetant le pourvoi admet la recevabilité de l’action oblique du créancier (I) lui permettant ainsi de mettre en œuvre la licitation du bien indivis appartenant à la SCI non immatriculée au RCS (II).
I – Recevabilité de l’action oblique du créancier provoquant la licitation du bien indivis propriété de la SCI non immatriculée au RCS
2. Pour la Cour de cassation, une société civile qui n’est pas inscrite au RCS est soumise aux règles de la société en participation (A), ce qui n’empêche pas le créancier de l’un des associés d’agir sur le fondement de l’action oblique (B).
A – Application des règles de la société en participation
3. Il est généralement admis que les sociétés jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation (C. civ., art. 1842), selon la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 (JO 5 janv.)3. S’il est donc exact que la lutte contre les opérations de blanchiment d’argent réalisées par l’intermédiaire de sociétés civiles occultes, la loi estime que les sociétés créées avant le 1er juillet 1978 qui n’ont pas été immatriculées ont perdu de plein droit leur personnalité juridique4.
Schématiquement, deux courants doctrinaux sont apparus à la suite de cette loi votée par le législateur le 15 mai 20015. Le premier considère qu’en l’absence de disposition expresse du législateur, le défaut d’immatriculation de ces sociétés n’est pas une cause de dissolution6. Le second courant doctrinal reproche à cette position de reposer sur une vision dogmatique, et que la société doit conserver uniquement la personnalité morale pour les besoins de la liquidation.
4. Hormis une réponse ministérielle restée beaucoup plus sibylline sur cette question, suscitant ainsi les interrogations de la doctrine7, les juridictions du fond se sont partagées, au gré des espèces, entre les deux approches dont il vient d’être fait état, quant à la possibilité d’une immatriculation tardive. L’application des règles de la société en participation à la société civile non immatriculée est devenue ipso jure la propriété indivise des associés. Ce débat a longtemps été soustrait à l’examen de la Cour de cassation, qui est saisi, en l’espèce, de la question de savoir si un créancier de l’un des associés de la société en participation peut agir par la voie oblique pour obtenir la dissolution et la partage des biens de la société8.
B – L’action oblique au secours des créanciers d’une SCI non immatriculée au RCS
5. Il faut convenir que l’action oblique prévue par l’article 1166 du Code civil, permet aux créanciers d’« exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ». Ainsi, cette possibilité est conférée au créancier en vertu du droit de gage qu’il détient sur le patrimoine de son débiteur9. Ajoutons que l’action oblique n’est pas possible pour les droits et actions « qui sont exclusivement attachés à la personne du débiteur »10.
6. Voici en l’espèce un cas inusité : la SCI se prolongeant au travers d’une société en participation, cette forme de société fait-elle obstacle à une éventuelle dissolution et une licitation du bien immobilier détenu par cette dernière11 ? On discerne mieux les enjeux de la présente espèce à la lumière de l’arrêt rendu par les juges du Quai de l’Horloge le 4 mai 2016. Dans cette affaire, il était reproché à l’associé de la SCI de ne pas répondre aux procédures d’exécution en vertu d’un jugement le reconnaissant débiteur d’une créance s’élevant à la somme de 30 200 000 F CFP (soit 250 000 €).
7. De façon générale, il est clair que cette action n’est ouverte qu’aux créanciers12, ce qui n’est aucunement contesté en l’espèce. En outre, la jurisprudence exige que le créancier agissant justifie d’un intérêt personnel, sérieux et légitime à agir13. Cela suppose d’une part, de prouver l’inaction du débiteur et, d’autre part, de démontrer le préjudice qui en découle pour le créancier dont le droit se trouve compromis14. En l’espèce, la Cour de cassation précise que le créancier a un intérêt sérieux et légitime à agir sans délai par la voie de l’action oblique pour la sauvegarde de ses droits.
8. Conçoit-on qu’il puisse exister d’autres conditions ? La jurisprudence considère : « que l’action oblique appartient de plein droit à tous les créanciers sans distinction, (…) et que la créance du demandeur soit certaine exigible et liquide »15. Or, en l’espèce, cette créance résulte d’une décision définitive rendue le 15 novembre 199916. On se déclarera sans aucun doute bien davantage convaincu par l’arrêt d’espèce qui n’évoque pas la question qui ne posait pas de difficulté.
II – Mise en œuvre de la licitation du bien indivis propriété de la SCI non immatriculée au RCS
9. Afin d’éviter la licitation le débiteur évoquait plusieurs arguments écartés par la Cour de cassation. Les magistrats de la haute juridiction retiennent la licitation de bien indivis (A) tout en écartant l’attribution préférentielle (B).
A – Action oblique et licitation
10. Pour échapper à la licitation de l’immeuble, l’associé évoquait plusieurs arguments dont le fait que le partage en nature du lot était possible et qu’en conséquence on pouvait rejeter la demande en licitation. On sait que pour la jurisprudence si le bien est impossible à partager en nature, il ordonne la vente du bien sur mise à prix17. Conformément à l’article 1377 du Code de procédure civile, si les biens ne peuvent être facilement partagés ou attribués, le tribunal ordonne dans les conditions qu’il détermine leur vente par adjudication18. Le juge doit tenir compte de plusieurs éléments de fait et de droit pour apprécier si l’immeuble est ou non aisément partageable, ce qui conduit naturellement à la licitation19. C’est ainsi que le juge va tenir compte d’éléments matériels mais également économiques pour savoir si l’immeuble est aisément partageable. En d’autres termes, la licitation étant une exception au principe du partage, elle doit s’interpréter strictement20. À en croire l’arrêt d’appel, les juges du fond ne disent pas expressément que le bien n’est pas facilement partageable en nature, ils n’en constatent pas moins implicitement ce caractère21.
11. Est-ce à dire que la seule considération juridique permet d’éviter la licitation ? On peut aisément réfuter cette hypothèse. On retiendra un arrêt de la Cour de cassation qui considère : « Attendu que pour ordonner la licitation de la nue-propriété d’un immeuble indivis, l’arrêt attaqué retient que, s’agissant de la vente d’un immeuble en nue-propriété, un partage en nature, qui y ferait obstacle, n’est pas possible ; Attendu qu’en statuant, ainsi, par des motifs inopérants desquels il ne résultait pas que la nue-propriété, en indivision, de l’immeuble ne pouvait être commodément partagée en nature, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »22.
B – Action oblique et attribution préférentielle
12. Les demandeurs au pourvoi en cassation font grief à l’arrêt de rejeter la demande d’attribution préférentielle du bien formée par Mme X. La Cour de cassation répond dans les termes suivants :
« Mais attendu que, le jugement ayant relevé que Mme X ne précisait nullement les modalités de paiement de la soulte dont elle était redevable, la cour d’appel a pu, sans violation du principe de la contradiction, rejeter la demande d’attribution préférentielle pour les mêmes motifs ». Pour autant, on a lieu de s’interroger sur la fait de savoir si une demande d’attribution préférentielle peut être opposée à l’action en partage formée par les créanciers d’un indivisaire ? Il a ainsi déjà été jugé qu’une demande d’attribution préférentielle peut être opposée à l’action en partage formée par les créanciers d’un indivisaire23.
13. On aura soin de préciser que l’article 831 du Code civil prévoit l’éventuelle soulte mise à la charge de l’attributaire du bien indivis. En l’espèce, la Cour de cassation estime que l’attributaire ne précisait pas les modalités de paiement de la soulte mise à sa charge. En effet, la demande l’attribution préférentielle de l’immeuble moyennant une soulte payable dans le délai prévu par le Code civil. En somme l’attribution préférentielle est de droit dans les conditions prévues par le Code civil. C’est ainsi que le conjoint peut bénéficier de l’attribution préférentielle24.
14. On l’a compris, l’action oblique confère au créancier un droit de gage qu’il détient sur le patrimoine de son débiteur. Son utilisation éclairée et équilibrée peut rendre de grands services.
Notes de bas de pages
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1.
V. en ce sens Pezzella V., « L’action en licitation-partage provoquée par le créancier d’un indivisaire », http://bacaly.univ-lyon3.fr/.
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2.
Defrénois flash 16 mai 2016, n° 134c5, p. 1 et s.
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3.
Le Lamy Droit Immobilier, 2015, Partie 4, La gestion de l'immeuble, Titre 3, Les sociétés civiles immobilières de gestion, chap. 1, La société civile immobilière : régime juridique et fiscal, sect. 2, Constitution d’une société civile immobilière, 6160, Sociétés civiles constituées avant le 1er juillet 1978.
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4.
Ibid.
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5.
L. n° 2001-420, 15 mai 2001 : JO, 16 mai 2001.
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6.
Le Lamy Droit Immobilier, 2015, 6160, Sociétés civiles constituées avant le 1er juillet 1978, op. cit.
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7.
Rép. min. à QE n° 33566 : JOAN Q, 30 mars 2004, p. 2688.
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8.
Defrénois flash 16 mai 2016, n° 134c5, p. 1 et s.
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9.
Daudet V., Les droits et actions attachés à la personne, thèse, 2010, université de Montpellier 1, n° 50, p. 47.
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10.
Ibid.
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11.
Defrénois flash 16 mai 2016, n° 134c5, p. 1 et s.
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12.
Corgas-Bernard C., « Recours avant paiement de la caution et action oblique : une combinaison délicate », RLDC 2006/25, p. 24 et s.
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13.
Ibid.
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14.
Ibid.
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15.
Cass. 1re civ., 22 juin 1977, n° 74-14644.
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16.
Ibid.
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17.
CA Lyon, 13 juill. 2011, n° 10/08706.
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18.
Le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, 274-115, En cas de licitation.
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19.
Ibid.
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20.
Ibid.
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21.
Defrénois flash 16 mai 2016, n° 134c5, p. 1 et s.
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22.
Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-02249, D ; Le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, successions et libéralités, 274-115, en cas de licitation, op. cit.
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23.
Vauvillé F., Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16246 : « Comment bloquer la demande en partage d’un créancier », Revue Juridique Personnes et Famille, 2013-1, p. 26.
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24.
Ibid.