Sophie Fourmaux : « Entrepreneure, c’est un état d’esprit à avoir »
En 2020, quatre ans après avoir créé son entreprise de création et de restauration d’abat-jour, Sophie Fourmaux a postulé au concours Créatrices d’avenir, porté par la région et le réseau Initiatives Île-de-France pour favoriser l’entrepreneuriat au féminin. Lauréate dans la catégorie Artisanat, elle en est aujourd’hui l’ambassadrice dans les Yvelines. Elle nous présente son activité et son parcours. Rencontre.
Actu-Juridique : Vous êtes abat-jouriste. En quoi consiste ce métier ?
Sophie Fourmaux : C’est un métier rare, pratiqué par des artisans d’art qui créent ou rénovent tout type d’abat-jour, essentiellement pour des particuliers ou des professionnels architectes, décorateurs, restaurateurs ou hôteliers. La lampe est un objet d’affect qu’on reçoit à chaque étape de sa vie : en cadeau de mariage, de départ à la retraite, lorsque l’on emménage dans son premier appartement. C’est aussi un objet que l’on peut récupérer lors d’un héritage, plus facilement qu’un meuble. Même quand il vient d’une grande surface, un luminaire est un objet d’attachement. Des personnes viennent me voir avec un pied de lampe et me demandent de créer un abat-jour qui lui correspond, ou de refaire à neuf l’ancien.
AJ : Comment travaillez-vous ?
Sophie Fourmaux : Je fais mes abat-jour en utilisant la technique du contrecollé avec du papier japonais. Je m’inspire de l’Art déco, de l’Art nouveau, de la haute couture et de la décoration japonaise, dont j’aime les lignes épurées. J’ai une démarche RSE, qui m’a menée à produire avec les chutes de papiers des objets de décoration de la table – photophores, nœuds pour les serviettes – et des bijoux pour les plus petits morceaux. J’utilise la technique du paperolle, qui date du Moyen Âge et consiste à rouler du tissu autour d’une tige.
AJ : Comment avez-vous commencé cette activité ?
Sophie Fourmaux : C’est une reconversion. J’ai travaillé 15 ans dans l’événementiel : en agence, chez l’annonceur, dans des lieux de réception et chez des traiteurs, en France et à l’étranger, en salarié et en indépendant. J’avais exercé ce métier sous toutes ces formes et j’ai eu envie d’autre chose. Je suis très créative, je fais du dessin et du piano depuis longtemps, et j’ai toujours aimé chiner des pieds de lampe. L’abat-jour a donc été une évidence. En parallèle de ma dernière mission, je me suis formée. J’ai fait des modules à l’école Boule, l’atelier Cadra, qui forme les professionnels des abat-jour, puis un compagnonnage pendant un an.
AJ : Comment êtes-vous devenue maître d’art ?
Sophie Fourmaux : L’expression « artisan d’art » catégorise 281 métiers, parmi lesquels ébénistes, charpentiers, brodeurs, céramistes, vitraillistes. Au bout de 3 ans de pratique, on obtient le titre d’artisan d’art, qui permet de distinguer les professionnels qui tendent vers la création ou participent à la préservation du patrimoine. Au bout de 10 ans, on obtient le titre de maître d’art. Il s’agit de métiers d’excellence, très exigeants, proches de ceux du luxe. Des artisans d’art travaillent d’ailleurs souvent pour les marques de luxe. Pour les Jeux olympiques, la marque Louis Vuitton, partenaire de l’événement, a fait appel à des artisans d’art pour produire les malles des médailles. Il m’arrive à moi aussi parfois de travailler sur des projets collectifs, avec d’autres artisans d’art : en 2023, j’avais participé à l’élaboration de la table de la compétition des Bocuse d’or. Un maître verrier avait travaillé sur le plateau, une joaillière sur des éléments décoratifs, et moi sur la cloche qui recouvrait le plat gastronomique, qui avait aussi été travaillée par une brodeuse.
AJ : Ces métiers sont-ils en voie de disparition ?
Sophie Fourmaux : Tendanciellement oui. Néanmoins, on observe un regain d’intérêt dernièrement, depuis la Covid. Une nouvelle génération aspire à faire un métier créatif en plus d’un métier salarié. Nous voyons aussi arriver de jeunes retraités, ou des personnes de plus de 55 ans à qui une entreprise en restructuration a proposé de partir. Ils se dirigent vers ce type de métier pour obtenir un complément de revenu. Enfin, le ministère de l’Artisanat et celui de la Culture ont élaboré ensemble un plan pour inciter les jeunes à faire ces métiers-là.
AJ : Y a-t-il une demande importante ?
Sophie Fourmaux : Oui, car des personnes ont envie d’autre chose que ce qu’ils trouvent dans les grandes surfaces. Cette demande vient surtout des personnes retraitées, qui ont le temps de rénover une maison, d’ouvrir une chambre d’hôte. Ils forment l’essentiel de notre clientèle. Les actifs peuvent aussi avoir besoin d’un projet sur-mesure mais ils mettent en moyenne 7 ans à passer de l’idée à la venue chez l’artisan d’art ! J’ai la chance d’exercer dans un très beau département, qui offre une grande connexion à la nature, et dans lequel le patrimoine est très présent. Ses habitants sont à l’affût de l’artisanat, aiment les choses uniques et personnalisables, ont une culture artistique. Ils ont aussi un certain pouvoir d’achat. Saint-Quentin-en-Yvelines est le deuxième pôle économique français, et le 5e en Europe. Il y a dans les Yvelines un potentiel de clients que je n’aurais pas trouvé ailleurs.
AJ : Pourquoi avez-vous postulé au concours Créatrices d’avenir ?
Sophie Fourmaux : J’avais une boutique-atelier qui arrivait à une taille critique : soit je restais à ce niveau, soit je passais à l’étape supérieure. J’avais besoin de visibilité, d’employer du monde. Ce concours m’a apporté tout ça. J’ai gagné le trophée « artisanat », qui s’appelle aujourd’hui « savoir-faire ». Le concours m’a donné une bonne visibilité dans la presse locale et amené de nouveaux clients. J’ai doublé mon chiffre d’affaires. Cette publicité a suscité des vocations : des gens ont voulu travailler avec moi en CDD ou stage d’immersion.
AJ : Qu’est-ce qui, dans votre projet, avait fait la différence ?
Sophie Fourmaux : C’est un concours qui promeut l’ambition. Il y a d’abord une partie écrite, pour laquelle j’avais produit un dossier solide, avec un plan de stratégie précis, les facteurs-clés du succès, une analyse sectorielle, un plan de financement à 3 ans validé par un comptable. Cela m’a permis d’être sélectionnée pour l’oral que passent les finalistes. Avant cet oral, on a une formation pour faire un pitch. Je n’en avais jamais fait et j’ai beaucoup travaillé à partir des conseils donnés. La consigne était de créer à la fois de l’émotion et du factuel, en suivant une méthodologie donnée. Je l’ai suivie à la lettre en travaillant comme si c’était un concours de grande école, 8 heures par jour.
AJ : En quoi consiste aujourd’hui votre rôle d’ambassadrice du concours ?
Sophie Fourmaux : Je fais de la promotion sur Linkedin, j’interviens avec le réseau Initiative dans des réseaux de femmes entrepreneurs, et auprès de groupes de femmes artisanes. J’explique l’intérêt du concours. Si on est en création d’entreprise et qu’on n’a pas bouclé son budget, la dotation peut permettre de le faire. Passer l’écrit permet de restructurer sa pensée, de savoir ce qu’on a envie de faire de son entreprise.
AJ : Est-ce encore difficile pour une femme d’être cheffe d’entreprise ?
Sophie Fourmaux : Je pense que pour beaucoup d’entre elles, oui. Pour moi, qui viens d’une famille de chefs d’entreprise, cela n’a pas été réellement un sujet. Entrepreneure, c’est un état d’esprit à avoir. Il faut penser autrement que lorsque l’on était salarié, déconstruire les croyances limitantes. En ce qui concerne le monde extérieur, il faut avoir une posture de cheffe d’entreprise, s’imposer comme femme d’affaires, ne pas se recroqueviller.
Référence : AJU015n2
