TAE Paris : « Notre objectif : une procédure plus rapide et plus prévisible pour les justiciables »

Publié le 15/01/2025

Un vent de nouveautés souffle sur le tribunal de commerce de Paris, depuis le 1er janvier 2025 devenu un tribunal des activités économiques. En décembre, un partenariat exclusif a été signé avec Lextenso, permettant à tous les juges du tribunal d’avoir accès au Pack Entreprises en difficulté de cette base, une ressource incontournable pour accompagner leurs décisions. Ce partenariat a été salué par le président Patrick Sayer, qui estime que cette base documentaire « particulièrement riche en matière de droit des entreprises en difficulté », permettra de « nourrir leur réflexion et renforcer la qualité de leurs décisions ». Autre dispositif mis en place : le 19 décembre, le président du tribunal de commerce de Paris signait avec le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris, Pierre Hoffman, et Thomas Denfer, greffier associé du tribunal, un protocole portant réforme de la procédure devant le tribunal des activités économiques de Paris. Le vice-président Bertrand Kleinmann a répondu à nos questions concernant ces changements de procédure. Cette démarche, qui vise à améliorer « la rapidité et la prévisibilité » des décisions, sera sans doute encore renforcée par le partenariat exclusif que le tribunal de Paris a signé avec Lextenso. Entretien.

Actu-Juridique : En quoi consiste ce changement de protocole ?

Bertrand Kleinmann : Il s’agit d’un partenariat sur la procédure. Nous avons des protocoles avec le barreau de Paris depuis au moins 2009, dans le but d’optimiser la procédure contentieuse devant le tribunal de commerce, la mise en état, l’introduction des affaires, etc. En décembre dernier, nous avons acté l’introduction d’un nouveau protocole qui est vraiment en rupture avec le précédent. Notre objectif est que la procédure soit plus rapide et plus prévisible pour les justiciables.

Sur la rapidité, la procédure est assez rapide chez nous : la moyenne des affaires au fond (hors référés), est d’à peu près 12 mois, dont deux mois entre la plaidoirie et la mise à disposition du jugement, et dix mois de mise en état, période pendant laquelle les avocats échangent leurs écritures, etc. Quand il est décidé que l’affaire est en état d’être plaidée, elle est présentée devant un juge pour être plaidée. 10 mois, comparés aux délais moyens devant les tribunaux judiciaires ou la cour d’appel, c’est bien, mais pour nous, en tant que tribunal des activités économiques, la comparaison n’a pas de sens. Ce qui compte, c’est que les délais moyens de nos procédures soient bien en phase avec les besoins des acteurs économiques. Or les besoins des acteurs économiques peuvent être parfois très courts. Par exemple, dans le cas de la rupture très brutale d’une relation commerciale entre un donneur d’ordre et un sous-traitant, on ne peut pas attendre 12 mois pour savoir comment on peut éventuellement contraindre une partie à donner un préavis… Cela doit aller vite. L’idée est donc d’optimiser encore et toujours plus la procédure de traitement des litiges.

AJ : Et pourquoi améliorer encore la prévisibilité ?

Bertrand Kleinmann : Ce n’est pas le cas général, mais on observe que certains avocats, parfois, ont des attitudes dilatoires, notamment en défense, et qu’en jouant de la procédure telle qu’elle existait avant, on pouvait voir des affaires qui duraient deux ans avant leur mise en état, le tout en prenant comme prétexte l’oralité de la procédure, puisqu’il est dit que la procédure est orale devant le tribunal de commerce. Alors on peut accélérer et rendre prévisible la procédure, mais que ce soit clair : il n’est pas question de perdre ce que l’on considère comme extrêmement important, qui est l’oralité des débats ! Notre plaidoirie est interactive, tous les avocats je pense en sont satisfaits, c’est un moment auquel on se prépare, on a l’occasion de poser des questions, d’avoir des échanges. Cela est très précieux. En revanche, sur la partie plus « mécanique » de la mise en état, la loi a changé, depuis 2010 et en particulier en 2017, avec un Code de procédure civile qui a « corrigé » des éléments sur les procédures orales, et notamment avec les articles 446-1 à 4 qui déterminent notamment quand il s’agit d’affaires avec représentation obligatoire par avocat, c’est-à-dire plus de 90 % des 9 000 nouvelles affaires au fond à Paris. Dans le cas d’affaires avec représentation obligatoire par avocat, avec des conclusions échangées par écrit, dans ce cas), on peut dispenser les parties de se présenter et donc leur éviter de déposer les conclusions dans une bannette avec tampon encreur qui stipule la date. Cette démarche datée est terminée. L’article 446-2 du Code de procédure civile dit lui que dès qu’il y a renvoi à une audience ultérieure, le juge peut fixer des délais, autrement dit, un calendrier des échanges. Jusqu’en 2010, le juge devait avoir l’accord des parties, mais en 2017, la loi a changé et désormais, on demande l’avis des parties, mais c’est le juge qui impartit les délais.

Donc l’idée est de généraliser la mise en place de calendriers de procédures, c’est-à-dire pour les deux premiers allers-retours : assignation, première réponse du défendeur ; réplique du demandeur et 2e réponse du défendeur. Dans 70 % des cas, l’affaire doit être en état après ces échanges. D’entrée de jeu, un calendrier sera établi, mais nous nous adapterons à la complexité des affaires. Dans le cas d’une affaire simple, les échanges auront lieu sur 15 semaines, après quoi une chambre spécialisée vous enverra devant un juge pour la plaidoirie. Si l’affaire n’est pas en état, on vous enverra à trois semaines devant le juge pour convenir de la suite de la mise en état. Si l’affaire est plus compliquée, le délai sera fixé à 21 semaines. Si l’affaire n’est manifestement pas adaptée à ce genre de calendrier, on l’enverra directement dans la chambre de spécialité, pour solliciter un juge qui rendra un calendrier sur mesure.

Bien sûr, il existe un très grand nombre de subtilités : des interventions volontaires, involontaires, des incidents de procédures, des exceptions… Nous avons beaucoup discuté et échangé avec le barreau et les avocats mandataires, habituellement présents ici, pour prévoir un maximum de cas de figure. Nous avons une clause de rendez-vous d’ici un an, qui nous permettra de voir si ce nouveau protocole fonctionne bien. C’est assez révolutionnaire.

AJ: Cette démarche est-elle unique en France ?

Bertrand Kleinmann : À notre connaissance elle n’existe pas ailleurs en France sous cette forme, puisqu’il y a différentes interprétations de l’article 446 du Code de procédure civile. De notre côté, nous avons travaillé presque un an sur ce dossier, notre équipe de juges très expérimentés a fait une tournée à Marseille, Lyon, Nanterre, Bobigny, etc. pour aller voir comment leurs homologues d’autres tribunaux faisaient. Cela ne signifie pas que nous faisons mieux, car ce genre de dispositif est adapté à un tribunal qui traite des milliers d’affaires par an comme le nôtre, 9 000 affaires nouvelles au fond, 20 000 injonctions de payer et 5 000 référés annuels. Peut-être serait-il moins pertinent pour des tribunaux plus petits ? Tout est en quantité industrielle chez nous !

AJ : Concrètement, combien de temps aimeriez-vous gagner ?

Bertrand Kleinmann : Nous ne savons pas exactement, cependant nous estimons que nous devrions gagner en moyenne 25 % de temps. Mais ce que nous allons regarder, ce ne sont pas les moyennes, mais la distribution des affaires, entre les simples et les compliquées, puisque nous commençons à avoir une démarche différenciée par complexité d’affaires.

AJ : Votre mot d’ordre est la modernisation. Y a-t-il des réticences, des craintes devant la nouveauté ?

Bertrand Kleinmann : Avec Patrick Sayer, le président du tribunal, nous sommes résolument tournés vers la modernisation du tribunal. Il se trouve que le bâtonnier Pierre Hoffman est d’accord avec cette vision, nous partageons la même philosophie. Mais la modernisation, le changement peuvent faire peur. Cela met les gens en déséquilibre, notamment les avocats habituellement présents, les mandataires, dont certains ont pu exprimer leur inquiétude, leur peur de devenir inutiles ou de disparaître. Mais le bâtonnier l’a rappelé : on disait la même chose des avoués de la cour d’appel, que l’on n’appelle plus ainsi, et pourtant les avocats habitués de la cour d’appel restent indispensables. Je pense qu’il se passera la même chose ici : toutes les subtilités de notre procédure, de notre environnement, la manière dont cela s’articule avec l’amiable, cela ne s’invente pas. Je pense qu’un avocat dit « plaidant » a tout intérêt à avoir un correspondant dit « mandataire », afin de travailler ensemble. Nous comprenons ces inquiétudes, mais nous travaillons étroitement avec les avocats pour ajuster, améliorer le dispositif. Pour autant, nous ne comptons pas rester au statu quo.

AJ : Sur quels points principaux le statu quoi vous dérangeait-il ?

Bertrand Kleinmann : Sur les affaires qui s’éternisaient, nous avons en réalité commencé à introduire des calendriers il y a trois ou quatre ans. Cela a fait baisser le stock des affaires « incontrôlables ». Nous souhaitons aussi que désormais tous les échanges se fassent par voie électronique. Car jusqu’à peu, tout était papier. Il y aura tout de même le dossier de plaidoirie, avec les contrats, les documents, etc. mais toute la mise en état se fera de manière numérique. Ceux qui le souhaitent pourront cependant continuer à le déposer en papier. Puisque le RPVA n’est pas énormément utilisé par les avocats, il reste le Tribunal Digital. Visiblement les avocats souhaiteraient l’utiliser, mais un arrêté de 2016 les en a exclus. Des négociations ont eu lieu, tout est fait et a été peaufiné, nous attendons juste une signature de la Chancellerie pour qu’ils puissent s’y connecter. Cela a du sens, d’autant plus que les avocats échangent déjà les pièces entre eux en numérique. Côté juges, les plus récents ont été biberonnés au numérique, pour eux, le papier, c’est d’un autre temps.

AJ : Gagner en rapidité, cela est-il d’autant plus important vu le difficile contexte économique ?

Bertrand Kleinmann : Nous observons une augmentation des affaires en procédures collectives, amiable, mais aussi en contentieux. Concernant le contentieux, l’augmentation est de + 15 % par rapport au pré-Covid (2017-2019) sans parler des injonctions de payer, qui ont augmenté de 25 %. Concernant les procédures collectives : l’augmentation est d’environ + 60 %. Est-ce un rattrapage par rapport à la période Covid ou lié aux remboursements des PGE ? Je suis désormais convaincu que cela va rester haut et ne pas redescendre au niveau d’avant. Les liquidations judiciaires sont, elles, en augmentation de 60 % sur les 24 derniers mois. La politique de l’amiable contentieux (MARL) augmente aussi, de 70 %, pour atteindre plus de 850 conciliations ou médiations ouvertes (notre objectif est de 1 000 l’année prochaine). Tous nos chiffres augmentent.

AJ : Le début de l’expérimentation du Tribunal des activités économiques rajoute-t-il un certain stress ?

Bertrand Kleinmann : Non, nous sommes sereins. D’abord, le TAE ne concerne pas le contentieux. Sur les procédures collectives, suite à nos échanges avec le tribunal judiciaire, nous estimons que cela concernera moins de 10 % d’augmentation des affaires, donc cela est complètement gérable. Elles concerneront plutôt des associations et des professions libérales et pas ou très peu d’affaires agricoles : nous avons un seul assesseur agricole sur 190 juges en 2024 !

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