De nouveaux outils pour les communes concernées par le recul du trait de côte

L’État continue à doter les communes d’instruments spécifiques pour faire face au recul du trait de côte, un phénomène naturel accentué par le changement climatique, qui menace d’inondation de nombreux biens situés sur le littoral.
Dans le cadre de la loi Climat et résilience (Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, JO du 24 août 2021), un nouveau droit de préemption pour les communes et les EPCI a été mis en place pour les collectivités publiques concernées par le recul du trait de côte. Ce droit permet d’acquérir des biens afin « d’en assurer la renaturation avant leur disparition, et de pouvoir éventuellement autoriser à titre temporaire un usage ou une activité compatible avec son niveau d’exposition ». Le décret n° 2024-638 du 27 juin 2024 relatif aux modalités d’application du droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte, JO du 29 juin 2024, est venu préciser les conditions d’application de ce droit de préemption.
La notion de trait de côte
Le trait de côte peut se définir comme la limite entre la terre et la mer. Sur une carte marine, il correspond à l’intersection de la terre et de la mer lors d’une marée haute dans des conditions météorologiques normales. Lorsqu’on étudie sa fluctuation, on prend en général en considération moins une ligne qu’une bande côtière de largeur variable, qui s’étend du domaine marin au domaine continental et permet de mieux rendre compte de la diversité des environnements littoraux (côtes sableuses, rocheuses, baies, estuaires, etc.). Dans ces conditions le trait de côte peut correspondre à la limite de la végétation, au pied ou au sommet d’une falaise, à un ouvrage de protection construit le long du littoral, etc.
Le recul du trait de côte
L’érosion des côtes est un phénomène naturel dû aux effets du vent, des courants ou des variations du niveau de la mer. Accentué par les activités humaines et le changement climatique (hausse du niveau des mers et intensité des phénomènes climatiques extrêmes comme les tempêtes), ce phénomène d’érosion fait reculer le trait de côte. Un cinquième du littoral français est soumis à l’érosion. D’ici 2100, au moins 50 000 logements seront concernés. Face à ce changement, les outils de protection comme les digues, longtemps utilisées, n’ont qu’une efficacité limitée. Le recul du trait de côte impose de penser l’urbanisation en anticipant la relocalisation progressive des habitations et des activités. Un défi d’autant plus difficile à relever pour les pouvoirs publics que la densité de population sur le littoral est 2,5 fois plus élevée que la moyenne nationale.
317 communes concernées
Le nouveau droit de préemption créé est d’autant plus précieux pour les communes concernées. Ces communes ont été listées dans un premier décret d’avril 2022 (décret n° 2022-750 du 29 avril 2022, JO du 30 avril 2022), complété par un nouveau décret publié en juin 2024 (décret n° 2024-531 du 10 juin 2024, JO du 12 juin 2024). Cette liste de communes doit être révisée au moins tous les neuf ans. Précisons qu’une commune peut demander à tout moment à être ajoutée à cette liste. Cette inscription est une démarche volontaire, soumise à une délibération du conseil municipal. Les 317 communes concernées doivent intégrer dans leurs documents d’urbanisme une carte locale d’exposition de leur territoire au recul du trait de côte, à 30 ans et à 100 ans et établir un plan de prévention des risques littoraux. Les communes disposent d’un certain nombre d’outils mis en œuvre par le Cerema pour évaluer leur vulnérabilité, dont l’indicateur national de l’érosion littorale. D’après cet indicateur, près de 20 % du trait de côte naturel est en recul et environ 30 km² de terre ont disparu au niveau des secteurs en recul sur une période de 50 ans, en métropole et dans les DROM (hors Guyane).
De nombreux biens concernés à cinq ans
En 2023, le Comité national du trait de côte (CNTC) a engagé des réflexions visant à améliorer les moyens d’action pour l’adaptation des territoires littoraux aux effets du changement climatique. Une mission interministérielle d’inspection IGEDD-IGA a été chargée de formuler des propositions sur un modèle de financement pour accompagner l’adaptation des territoires littoraux soumis au recul du trait de côte. Dans ce cadre, le Cerema a réalisé une série d’études pour mieux appréhender le recul du trait de côte d’ici la fin du siècle à l’échelle de l’hexagone et des DROM. Il a notamment produit un inventaire des biens exposés au recul du trait de côte dans les cinq prochaines années. Ces estimations ne concernent pas la Guyane et Mayotte, en raison des spécificités de ces territoires qui ne permettent pas le déploiement complet de la méthode. L’analyse de cet inventaire révèle qu’environ un millier de bâtiments, de diverses natures, pourraient être touchés par le recul du trait de côte à l’échelle nationale, dans les cinq prochaines années. La valeur vénale des bâtiments identifiés, principalement résidentiels et commerciaux, est estimée à environ 240 millions d’euros. À l’horizon 2050, 5 200 logements et 1 400 locaux d’activité pourraient être affectés par le recul du trait de côte, représentant une valeur totale de 1,2 milliard d’euros. Le scénario pour 2100 présente, quant à lui, une perspective nettement différente, basée sur des hypothèses très défavorables : disparition complète des structures de défense côtière et inondation progressive de toutes les zones topographiquement basses du littoral.
Le fonctionnement du droit de préemption
Le droit de préemption est institué dans les communes concernées par un risque identifié de recul du trait de côte. Il est institué dans les communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral (article L. 321-15 du Code de l’environnement). Ce droit de préemption est au bénéfice de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale dont elle est membre, dans la mesure où il est compétent en matière de plan local d’urbanisme ou de carte communale. Il peut également être délégué à des établissements publics comme les établissements publics fonciers (EPF) de l’État et locaux, dont les missions ont été renforcées par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite Climat et résilience et qui couvrent l’intégralité du littoral métropolitain et ultramarin. Ce droit de préemption s’applique de plein droit sans qu’il soit besoin d’une délibération dans les zones menacées à un horizon de 30 ans. En revanche, dans les zones menacées un horizon compris entre 30 et 100 ans, la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent peut également instaurer ce droit de préemption, par délibération.
Un bail spécifique
L’ordonnance du 6 avril 2022 a également créé un nouvel outil pour les communes concernées : le bail de longue durée pour l’adaptation à l’érosion du littoral. Dans le cadre de ce contrat, le bailleur est une personne publique (l’État, une commune ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation ou le concessionnaire d’une opération d’aménagement). Il consent au preneur des droits réels immobiliers, pour occuper lui-même ou louer, exploiter, réaliser des installations, des constructions ou des aménagements, dans les zones exposées au recul du trait de côte. Le preneur s’acquitte du paiement d’une redevance correspondant aux droits réels qui lui sont conférés. Il est aussi tenu aux travaux d’entretien et aux réparations nécessaires pour conserver le bien. Le bail est d’une durée comprise entre 12 et 99 ans. Le terme en est fixé en fonction de l’état des connaissances sur l’évolution prévisible du recul du trait de côte au moment de sa conclusion. Le bail peut être prorogé, si l’évolution du phénomène permet de maintenir la possibilité d’occuper le bien. En revanche, sa reconduction tacite n’est pas possible. En outre, le bail est résilié de plein droit lorsque l’état du recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne peut plus être assurée et que le maire, ou le préfet, prescrit par arrêté les mesures nécessaires. Toute clause, ayant pour effet de prévoir qu’une résiliation anticipée pour ce motif ne peut donner lieu à aucune indemnisation, est réputée non écrite. À l’échéance du bail, le terrain d’assiette fait l’objet d’une renaturation, qui peut comprendre le cas échéant la démolition des constructions et aménagements réalisés par le preneur et des opérations de dépollution nécessaires.
Informer propriétaire et locataires
D’après une étude publiée en février 2022 par la start-up française spécialisée dans l’évaluation des risques climatiques Callendar, environ 15 000 transactions conclues entre mi-2016 et mi-2021 deviendront inondables avant le milieu du siècle, c’est-à-dire avant la fin de la durée moyenne de détention. Pour parvenir à cette conclusion, Callendar a analysé 16 millions de transactions immobilières conclues entre mi-2016 et mi-2021. Embouchure de la Seine, côte atlantique, côte méditerranéenne : la position et l’altitude des biens vendus ont été croisées avec des projections locales sur l’élévation du niveau de la mer dans six scénarios différents. Les propriétaires et les locataires d’un bien situé en bord de mer comme les porteurs d’un projet immobilier sur le littoral doivent dès maintenant anticiper ce risque. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a renforcé l’information dans les zones exposées au recul du trait de côte pour les acquéreurs et les locataires. Depuis le 1er janvier 2023, les annonces immobilières doivent préciser sur leurs annonces si logement se situe dans une zone exposée au recul du trait de côte et mentionner le site www.georisques.gouv.fr, où les locataires et les acheteurs peuvent se renseigner sur les risques auquel les logements qui les intéressent sont exposés (décret n° 2022-1289 du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques, JORF n° 0231 du 5 octobre 2022).
L’état des risques intègre le recul du trait de côte…
L’article L. 125-5 du Code de l’environnement inclut désormais dans l’état des risques naturels et technologiques l’information sur les zones concernées par le risque de recul du trait de côte. Cette mesure est entrée en application au 1er janvier 2023. L’état des risques doit être remis au futur acquéreur ou au futur locataire dès la première visite du bien. L’état des risques doit également être intégré au dossier de diagnostic technique (DDT). Lorsque la vente porte sur un immeuble non bâti, il doit être annexé à la promesse ou, à défaut de promesse, à l’acte authentique de vente. Il doit aussi être annexé à l’acte authentique de vente ou au contrat préliminaire en cas de vente en l’état futur d’achèvement. À défaut de remise de l’état des risques à l’acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente ou du contrat préliminaire, le délai de rétractation de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) ne court qu’à compter du lendemain de la communication de ce document à l’acquéreur. Et le délai de réflexion de l’article L. 271-1 du CCH ne court qu’à compter du lendemain de la communication de ce document à l’acquéreur si l’acte authentique n’a pas été précédé d’une promesse de vente ou d’un contrat préliminaire et que l’état des risques n’est pas joint à l’acte authentique de vente.
Mais n’exonère pas le vendeur de toute responsabilité
Attention cependant à ne pas se fonder uniquement sur cet état des risques et ne pas communiquer toutes les informations utiles au futur acquéreur. Le juge d’appel vient de préciser que le caractère inondable d’une propriété à partir d’un certain seuil de gravité doit être tenu pour une caractéristique déterminante du consentement de celui ou de ceux qui en font l’acquisition et à ce titre mérite d’être signalé aux acquéreurs (CA Amiens, 8 octobre 2024, n° 23/02681). Le vendeur ne peut se contenter de l’état des risques et pollutions (ERP) même si celui-ci mentionne la présence d’un atlas des zones inondables (AZI) et d’un programme d’actions de prévention des inondations (PAPI) sans plus d’informations sur l’exposition du bien et des « zones potentiellement sujettes aux inondations de caves fiabilité moyenne (dans un rayon de 500 mètres) ». Ces expressions techniques sont totalement obscures pour un acquéreur profane, précise la cour d’appel. Elles ne peuvent remplacer une mention ou un propos explicite. En outre, le document est inséré dans un bloc d’une centaine de pages comportant 12 documents techniques (DPE, diagnostic électricité, etc.) et rien ne vient attirer l’attention des acquéreurs sur sa portée concrète. Si cette affaire concerne le risque d’inondation par ruissellement, le raisonnement du juge pourrait s’appliquer au trait de côte. L’omission intentionnelle de cette information est une réticence dolosive qui entraîne l’annulation de la promesse synallagmatique de vente, conclut le juge.
Référence : AJU016v1
