Le bilan des appels à projets d’innovation urbaine mitigé, sauf en Seine-Saint-Denis
Censés revitaliser les espaces urbains et inventer de nouvelles façons ‒ plus durables ‒ d’aménager le territoire, les appels à projets « Réinventer Paris » et « Inventons la métropole du Grand Paris » n’ont pas eu les résultats escomptés, quelques années après leur lancement. Seule la Seine-Saint-Denis (93) avec 13 projets retenus sur 27, est la grande gagnante de cette 3e édition du concours. Une étude de l’Institut Paris Région, « faire la ville par appels à projet » offre un bilan et perspective de cette nouvelle façon de penser le territoire.
Porté par LSRE, le projet transformera l’ancien dispensaire municipal dit Goutte de lait à Pantin, en bureaux, centre de formation, cuisines et studio d’enregistrement.
LSRE
Le 2 mars 2022, Patrick Ollier, le président de la Métropole du Grand Paris, lançait le troisième appel à concours « Inventons la Métropole du Grand Paris », qu’il a qualifié de « plus grand concours d’architecture d’Europe, qui fait coïncider les recherches des promoteurs, l’imagination des architectes et les besoins des maires pour des zones foncières particulières ». Sur les 27 sites retenus par cet appel à projet urbain innovant (APUI), 13 se situaient en Seine-Saint-Denis, une bonne manière pour les promoteurs de faire coup double sur ce département très touché par la désindustrialisation en bénéficiant aussi du « fond friche », doté de 40 millions d’euros en Île-de-France. Les lauréats de l’appel à projet bénéficient de prêts bonifiés de la Banque des territoires ainsi que de subventions liées à l’innovation. La Métropole prend, quant à elle, en charge les frais d’organisation des consultations publiques.
À Pantin, 3 sites retenus
Sur la commune de Pantin, le quartier Goutte de Lait ou le 9-15 rue Méhul, où poussent les herbes hautes, pourraient être restructurés grâce à ce système. Tout comme l’ancien cinéma Météor qui deviendra peut-être, par le miracle de la truelle, une future école de cinéma. « Cela prouve que l’unique objectif n’est pas de valoriser le foncier, puisque Pantin n’a aucune difficulté à trouver seule des partenaires d’aménagement », a expliqué à nos collègues des Échos Séverine Romme, directrice générale des services à Est Ensemble. « La ville participe au concours pour laisser place à l’imagination des groupes privés. Nous n’avons pas besoin d’IMGP pour faire construire des logements, un énième fablab ou encore un rooftop », explique-t-elle.
En pratique, la méthode consiste d’abord à sélectionner le meilleur projet pour un terrain à céder, d’organiser une consultation d’opérateurs, qui se retrouvent en concurrence, puis d’établir des critères de sélection portant sur la qualité des projets et sur l’innovation en jeu. Le plus haut immeuble en bois de France en plein cœur du XVe arrondissement, un immeuble de bureau avec potager vertical dans le XVIIe, une ferme avec un projet d’insertion dans le XIXe, une serre et des cultures hors sol rue Ordener… et puis « 1 000 arbres », ce village-forêt en forme de pont au-dessus du périphérique entre Paris et Neuilly, promettant par exemple des initiations à l’apiculture pour les tout-petits. Les projets lauréats donnent envie.
Un bilan des APUI franciliens mitigé sauf en Seine-Saint-Denis
Et pourtant : le bilan des APUI franciliens, « Réinventer Paris », « Inventons la Métropole du Grand Paris » et leurs dérivés, lancés en grande pompe depuis 2014 par Paris et la Métropole du Grand Paris, serait très mitigé. Un tiers des projets aurait été abandonné (comme le projet « 1 000 arbres », annulé par le tribunal administratif en 2021 et définitivement enterré par le plan local d’urbanisme voté en 2023 pour rendre la capitale plus verte), six sur dix seraient toujours à l’étude et à peine 11 % seraient livrés ou encore en chantier. Voilà les conclusions d’une étude de l’Institut Paris Région (IPR), qui a passé au crible les 133 sites et 3,5 millions de mètres carrés des six appels à projets urbains innovants franciliens (APUI) sur lesquels ont planché des dizaines d’architectes, paysagistes, promoteurs et investisseurs.
Seule la Seine-Saint-Denis semble être la grande gagnante de la 3e édition du concours « Inventons la Métropole du Grand Paris ». Ainsi les villes de Bagnolet, Les Lilas, Livry-Gargan, Montfermeil, Neuilly-sur-Marne, Noisy-le-Grand, Pantin, Saint-Denis, Tremblay-en-France et Villepinte ont vu des projets retenus.
Actu-Juridique a rencontré Aliénor Heil Selimanovski,architecte urbaniste, spécialiste de l’économie de l’aménagement au département urbanisme aménagement territoire de l’IPR, elle répond à nos questions quant à l’échec de certains programmes et la réussite d’autres.
Actu-Juridique : Pourquoi l’Institut a-t-il lancé cette étude ?
Aliénor Heil Selimanovski : Dans le cadre de ses missions, l’Institut Paris Région étudie les nouveaux modes de faire la ville et la recomposition de la chaîne des valeurs de l’aménagement, avec l’extension des rapports de négociation entre public et privé à toutes les étapes de la fabrique urbaine. À la suite de la publication d’une note rapide sur les premiers appels à projets urbains innovants en 2018, l’Institut a souhaité approfondir les apports de cette nouvelle manière de faire. Son positionnement extérieur lui permet de dresser un bilan global des APUI franciliens. Il a également semblé important de mettre l’accent sur le processus, de souligner l’intérêt pour les collectivités : de s’impliquer dans les projets urbains et immobiliers sur leur territoire, depuis leurs prémices et au moins jusqu’à la livraison, de s’outiller à travers ce type d’initiative, ou de s’appuyer sur des experts outillés pour engager un dialogue constructif visant à mener à bien les projets relevant du droit privé, de s’approprier un savoir-faire jusque-là réservé aux aménageurs et de bénéficier d’un accompagnement en ingénierie, notamment les villes qui n’ont pas toujours les services adaptés pour négocier avec les opérateurs privés et pour préparer et construire des projets au montage et à la programmation complexes. Il y a un bénéfice à mutualiser les expériences, les expertises et des solutions permises par la dimension multisites et multi-acteurs de ces consultations, ainsi que par l’apport en ingénierie technique, juridique et opérationnelle déployée pour accompagner les projets.
Actu-Juridique : Les plans « Réinventer Paris » et « Inventons la Métropole du Grand Paris » (IMGP) ont eu un bilan mitigé (Un tiers des projets ne verra jamais le jour. Six sur dix sont à l’étude. Et à peine 11 % sont livrés ou en chantier). Pourquoi cela ?
Aliénor Heil Selimanovski : Le dispositif d’APUI, déployé trop rapidement lors des premières éditions, a évolué jusqu’aux éditions en cours pour laisser de côté les sites hors de l’échelle immobilière, et fait place à une thématisation, avec une réorientation de la demande d’innovation vers celle d’excellence. Le fort taux d’abandon des projets, bien qu’il soit multifactoriel (changements politiques, complexité foncière, aléas techniques, travaux de dépollutions exponentiels…), dénote un manque de préparation de chaque site et l’absence de plan stratégique dans lequel ces sites pourraient s’inscrire. Les sites sur lesquels les projets aboutissent sont plus souvent inscrits dans des stratégies de développement local.
Le caractère expérimental de la démarche peut aussi expliquer ce bilan, ainsi que le fort taux d’aléa auquel est systématiquement soumis tout projet immobilier ou d’aménagement. Les APUI ont ainsi permis sur certains sites, d’engager une réflexion ou de débloquer une situation dans un temps court et cadré. Cependant, l’accélération de la fabrique de la ville, qui ne peut s’exempter des procédures de l’urbanisme, des études préalables et d’un dialogue itératif avec la société civile, n’est pas tenable.
Actu-Juridique : Comment les APUI devraient-ils être repensés selon vous ?
Aliénor Heil Selimanovski : Un détour par quelques APUI hors de l’Île-de-France met en lumière les points d’intérêt d’un tel dispositif et les manques dans sa mise en œuvre francilienne : « Devenir Tours », « Réinventer Rural » et « Réinventons nos Cœurs de Ville » présentent des atouts, par exemple, de s’intéresser à des secteurs moins dynamiques.
Un des points d’évolution souhaitables majeurs concerne le foncier. Trop peu de projets ont mis en œuvre des alternatives à la cession foncière, dans un contexte de tension des prix ou le foncier public représente un véritable trésor. A minima, et parce que la cession foncière a aussi permis de débloquer des projets sur certains sites complexes, l’instauration de prix fixes permettrait de concentrer les négociations uniquement sur les aspects de qualité du projet et de la programmation. En termes de programmation, la mixité à l’échelle des opérations, qui suppose des montages complexes et un accompagnement juridique et technique conséquent, nécessitera un retour sur expérience avec plus de recul, après plusieurs années de mise en service et de gestion. Un meilleur ancrage territorial des propositions programmatiques pourrait également être recherché.
Actu-Juridique : Peut-on parler de « green washing » dans ce type de politique (étant donné la vertu écologique avancée par les décideurs lors du lancement des plans il y a quelques années) ?
Aliénor Heil Selimanovski : Il est difficile de répondre car n’avons pas étudié en détail les réponses architecturales et techniques d’un point de vue environnemental. L’objectif de construction bas carbone est aujourd’hui incontournable ; les opérateurs immobiliers doivent aussi embarquer pour cela. Il en est de même pour la « réparation » de la ville existante.
Les APUI permettent aux collectivités de porter une ambition pour des sites d’échelle immobilière à vocation principalement privée y compris hors opération d’aménagement. Ils invitent les opérateurs immobiliers à produire des projets plus innovants et de meilleure qualité. Passée l’annonce d’un lauréat, les collectivités doivent poursuivre et renforcer leur implication dans la fabrique urbaine au contact des opérateurs privé : les projets réussis montrent une forte implication de toutes les parties prenantes dans la durée alors que les projets qui n’ont pas été accompagnés ne se différencient pas de la fabrique urbaine privée « ordinaire » hors APUI.
Référence : AJU009x6