Audience de règlement amiable : le renouveau de la conciliation judiciaire
La Chancellerie devrait présenter très prochainement le dispositif de la nouvelle audience de règlement amiable. Fabrice Vert estime que la conciliation fait partie intégrante du rôle du juge et qu’elle peut contribuer à la réhumanisation de la justice.
Déjà 48 ans ! C’est en 1975 qu’a été introduit dans le nouveau Code de procédure civile le principe directeur du procès selon lequel il entre dans la mission du juge de concilier (article 21). Le doyen Cornu, l’un des pères fondateurs de ce code, avait prévu, de fortes réticences à ce nouvel office conciliatoire du juge dans les prétoires français où l’affrontement l’emporte sur la négociation, où la culture du conflit prédomine sur la culture du compromis, où le légicentrisme fait figure de religion. Le doyen évoquait à ce sujet une bouteille à la mer lancée aux juges, et une acculturation compliquée pour une « justice engoncée et technocratique » .
Il est vrai que cette mission, qui s’insère dans un office pluriel du juge et vient enrichir, et non concurrencer, la fonction juridictionnelle du juge, a connu peu de succès dans les juridictions pour plusieurs raisons.
Tout d’abord en raison d’une formation insuffisante des acteurs judiciaires sur les techniques et le droit de l’amiable et de l’absence d’une politique nationale de l’amiable.
Le rôle du juge n’est pas seulement de trancher mais aussi de tenter de concilier
Lors de mon premier poste de juge en 1990 au tribunal d’instance de La Châtre, j’ignorais l’existence même de cette mission du juge, n’en ayant été informé ni à l’université, ni à l’ENM ni durant mon stage en juridiction. La première fois que j’ai compris que le rôle du juge ne se réduisait pas à trancher un litige avec le glaive du droit, mais aussi à tenter de concilier les parties, je le dois à un avocat qui m’a saisi exceptionnellement par une demande aux fins de tentative préalable de conciliation d’un contentieux entre deux agriculteurs. Dans ce tribunal à dimension humaine, en raison du nombre raisonnable d’affaires à traiter (rayé depuis de la carte judiciaire), désormais convaincu par cette expérience inattendue de l’utilité de la conciliation, remettant au centre de son procès le justiciable, j’organisais régulièrement lors d’affaires de bornages, de trouble anormal de voisinage, ou dans le cadre du tribunal paritaire des baux ruraux, des transports sur les lieux en présence des parties qui se concluaient dans plus de 70 % des cas par un accord après une tentative de conciliation.
Hélas, dans mes autres fonctions, je connus ces audiences pléthoriques à plus de 90 dossiers parfois, m’empêchant, faute de temps d’assumer cette mission conciliatrice, pouvant néanmoins heureusement, dans certains cas, la déléguer aux conciliateurs de justice, ces faiseurs de paix, injustement méconnus.
À la fin des années 1990, la juge Béatrice Brenneur, fondatrice du groupement européen des magistrats pour la médiation, formée à la conciliation par La juge Québécoise Louise Otis, (la juge qui est l’origine de la création des conférences de règlement amiable au Québec), envisagea, à la cour d’appel de Grenoble, d’organiser des audiences de règlement amiable et se heurta à de nombreux freins, dont le véto de la Chancellerie.
Les temps ont désormais changé et sont à l’amiable, puisque lors du lancement solennel, place Vendôme, de la politique nationale de l’amiable le 13 janvier 2023, le ministre de la justice, qui a pu assister à une conférence de règlement amiable présidée par l’honorable juge québécoise Suzanne Gagné, a décidé de proposer deux nouveaux instruments dans la boîte à outils de l’amiable du juge : la césure et l’audience de règlement amiable.
Un taux de réussite entre 80 et 85 % au Québec
La table ronde organisée lors de cette journée du 13 janvier 2023 sur la conférence de règlement amiable, avec notamment la juge Suzanne Gagné, a permis de comprendre toute l’importance du rôle essentiel du juge dans l’amiable, combinant sa mission conciliatrice avec l’imperium lié à sa fonction. Elle a également permis de cerner tout l’intérêt d’un tel processus qui outre sa rapidité, évitant des procès lents et coûteux, est de permettre aux justiciables de se réapproprier le procès en évitant l’aléa judiciaire, d’en devenir des acteurs responsables, de leur permettre de porter eux-mêmes leur parole et d’écouter celle de l’autre, de se comprendre mutuellement, d’aborder l’entièreté du conflit aussi bien dans ses aspects économiques, relationnels, psychologiques, sociaux au-delà du litige strictement juridique qui bien souvent ne traduit pas la véritable origine du conflit, de trouver des solutions originales, équitables, permettant de préserver l’avenir.
La Conférence de Règlement à l’Amiable (CRA) qui existe depuis environ 25 ans au Québec, que le ministre de la justice souhaite voir transposer en France sous le vocable d’audience de règlement amiable a un taux de réussite oscillant entre 80 % et 85 %, en première instance. Si la CRA, qui est une construction prétorienne, a connu des freins et un manque d’enthousiasme à ses débuts, son succès fait désormais qu’elle est très utilisée. Ces conférences sont présidées par des juges en fonction ou des juges retraités. Pierre Béliveau, juge retraité de la Cour supérieure du Québec qui a présidé près de cent CRA, dont plus de cinquante avec Mme la médiatrice Gabrielle Planès comme co-médiatrice a fait une étude très intéressante sur cette problématique, et la possibilité de transposer la CRA dans le système judiciaire français.
Le ministre de la justice a annoncé que l’audience de règlement amiable pourra être confiée soit à un magistrat honoraire soit à un magistrat à titre temporaire. La Chancellerie devrait présenter très prochainement le dispositif de l’audience de règlement amiable.
Compléter les dispositifs de l’amiable
Cette audience de règlement amiable doit être regardée comme un moyen supplémentaire donné au juge d’assurer sa mission conciliatrice, qui complétera les autres dispositifs de l’amiable : la conciliation déléguée aux conciliateurs de justice, la médiation, la procédure participative.
Il serait judicieux de prévoir que cette audience puisse être demandée par les parties ou décidée d’office par le juge si celui-ci considère que l’affaire présente des critères d’éligibilité à une mesure de conciliation, le rôle du juge prescripteur d’amiable ayant déjà fait ses preuves dans le cadre du système de l’injonction de rencontrer un médiateur prévu notamment par l’article 127-1 du Code de procédure civile.
Il est également indispensable d’assurer une formation des magistrats aux techniques de conciliation qui tiendront ces audiences de règlement amiable et la logistique nécessaire à l’accompagnement de ce dispositif.
Il est temps de réhumaniser un système judiciaire devenu, au fil du temps et avec une accélération certaine depuis la loi organique relative aux lois de finances, gestionnaire de flux avec une vision comptable, ne répondant plus de manière satisfaisante au sentiment de justice de nos concitoyens. La conciliation, qui est un moment d’humanité, remettant au cœur du procès le justiciable, participe indéniablement de cette réhumanisation même si ce n’est pas la panacée qui sortira l’institution judiciaire de la crise de moyens et de sens qu’elle traverse. Bon vent à l’audience de règlement amiable !
Référence : AJU345892