Les leçons du colloque du 31 mai « Oser la médiation en matière sociale »
La cour d’appel de Paris a organisé le 31 mai dernier un colloque intitulé « Oser la médiation en matière sociale ». Nous publions ci-dessous les propos conclusifs de Valérie Lasserre, Professeur agrégée des facultés de droit, Université du Mans.
« Oser la médiation en matière sociale » est le titre du colloque de la cour d’appel de Paris qui est depuis longtemps l’une des cours d’appel les plus dynamiques en matière d’amiable. Il y a à la chambre sociale une véritable « politique de chambre » en ce domaine depuis 2004 au sein d’une politique de Cour, qui est connue, réputée, aujourd’hui complètement intégrée et admise comme modèle. En « osant parler de ce qui fâche et osant être imaginatif », « en osant échanger pour aller plus loin », la cour d’appel de Paris a permis des débats riches d’enseignements qui renforcent un certain nombre de convictions.
Premièrement, le colloque a démontré que l’amiable ne sera effectivement ancré que s’il devient un véritable réflexe et à condition qu’il ne soit pas considéré comme une justice mineure, mais comme un droit subjectif des justiciables.
Dans ce sens, Madame la présidente Sophie GUENIER LEFEVRE a expliqué que le pôle social a la volonté ferme de garantir « le droit d’avoir recours à ce mode alternatif des différends qu’est la médiation ». De même le président Christophe Baconnier a souligné qu’il est contreproductif de présenter l’amiable comme un dispositif de désengorgement de la justice et même que « cela dénature la médiation ».
Deuxièmement, ce colloque a mis en valeur que l’amiable ne peut être développé si l’on n’est convaincu de son intérêt ; or quel est son intérêt, il est triple : Accompagner les personnes dans la gestion de leur conflit ; leur permettre de trouver une solution mieux adaptée à leurs besoins ; leur donner l’avantage de la maîtrise (maîtrise des solutions, maîtrise du temps).
Une solution particulièrement adaptée à la matière sociale
Plusieurs intervenants ont expliqué en quoi l’amiable était particulièrement adapté en matière sociale.
La présidente Anne HARTMANN, a particulièrement souligné que la médiation permettait une « solution qualitative », une « démarche qualitative », le rapprochement des parties en vue d’une solution apaisée, la réappropriation du conflit et la possibilité de le surmonter. En effet, la matière sociale est une matière où il y a beaucoup d’affect et l’application du pur droit n’est pas toujours la meilleure solution, avec des conséquences graves pour la vie des gens. Dans ce sens, Maître Rachel Spire a montré que la médiation était précisément intéressante dans les cas où « l’on pouvait rechercher une alternative à la solution judiciaire, des solutions différentes », comme une mutation, un changement d’équipe, des excuses. On retrouve ici l’intérêt de la médiation dans la construction d’une solution originale, sur-mesure. Pour abonder dans ce sens, l’exemple des conflits d’associés est instructif. Quand on fait des médiations pour résoudre des conflits d’associés, on fait des médiations en matière sociale, sans être désigné par le pôle social. Si dans les conflits d’associés il y a souvent un volet de droit du travail (présent ou avenir), la solution la plus juste et adaptée pour les associés est en général la cession de parts. Par conséquent, sans méconnaître totalement le volet social, ce volet n’est quasiment jamais traité, puisque la solution juste se trouve dans le divorce des associés et, à cette fin, la juste valorisation des parts sociales. Dans cette ligne enfin, Philippe Mandon a souligné les enjeux humanistes de la médiation qui est avant tout une «œuvre sociétale ».
Des difficultés objectives et subjectives à surmonter
Troisièmement, le colloque a souligné que les professionnels jouent un rôle fondamental. Si le ministre de la justice a nommé des ambassadeurs de l’amiable qui ont pour rôle de faire des visites dans toutes les cour d’appel de France afin d’organiser des débats entre tous les acteurs de l’amiable, c’est parce que c’est au premier chef sur les épaules des professionnels que repose la culture de l’amiable. Si les avocats, les magistrats, les notaires, les commissaires de justice et les greffes ne sont pas convaincus de l’intérêt de l’amiable, cela ne peut pas marcher.
Mais le chemin de l’amiable n’est pas facile et la première table ronde a pris le risque de parler des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l’amiable. Ce parti pris de parler sans ambages est courageux.
Ont été évoquées tant les difficultés objectives que les difficultés subjectives.
Les difficultés objectives sont au nombre de trois. La première est la temporalité de la médiation (quelle est la juste durée de la médiation ? quel est le bon moment pour la proposer ?). La deuxième porte sur le coût de la médiation (l’amiable n’est pas toujours bien rémunéré, ni pour le médiateur, ni pour l’avocat, tout en étant un surcoût pour le justiciable).
La troisième difficulté objective a été présentée par la présidente Anne HARTMANN, qui a évoqué les difficultés statistiques pour mesurer les résultats des efforts déployés (sauf de façon artisanale et manuelle). Améliorer ce point est une promesse du ministère de la Justice.
Les difficultés subjectives sont doubles. La première est la réticence des protagonistes (Quels efforts doivent déployer les juges et les avocats pour intégrer l’amiable dans leur métier ? Comment faire comprendre aux parties leur réel intérêt d’avancer dans la voie de l’amiable ? Comment ne pas surcharger le greffe, sachant que la médiation augmente le nombre de diligence et exige un suivi ? comme l’a justement expliqué Fanny Mourges ; Comment créer le lien de confiance entre les acteurs notamment les avocats et le médiateur ? comme l’a évoqué Isabelle Aoustin). La deuxième difficulté subjective est la qualité des professionnels (avec parmi les questions clés : le choix des dossiers par les juges, l’accompagnement par l’avocat et la déontologie du médiateur, notamment sa neutralité).
Développer un véritable système de l’amiable
Quatrièmement, le colloque nous rappelle que c’est un système complet de l’amiable qui doit être développé. Pour que l’amiable soit ancré dans les pratiques, il faut un environnement institutionnel et théorique favorable, un véritable système de l’amiable.
Dès la première table ronde, l’importance de la formation des professionnels a été soulignée, mais aussi la nécessité d’avoir une dynamique collective (notamment que les magistrats connaissent les médiateurs, que chacun ait conscience de la nécessité de travailler ensemble) et de disposer sur les listes de médiateurs d’informations plus précises sur les compétences et les spécialisations de ces derniers.
Quant à la deuxième table ronde, elle a montré l’énorme travail accompli pour insérer, instiller l’amiable dans les juridictions, dans les réflexes et dans l’esprit de justice, grâce aux questions dynamiques de Monsieur François Ballouhey soulignant à chaque fois comment chacun ouvre des perspectives et ne se laisse pas enfermer dans les carcans.
Du côté des avocats, la bâtonnière Marie-Aimée PEYRON a confirmé que « pour la profession la médiation est une priorité », qu’il y a une vraie volonté d’« inscrire l’avocat comme un acteur incontournable de la procédure amiable ». Selon elle, « les avocats ont à cœur de replacer le justiciable au centre de la justice et le rendre acteur de son propre procès » et de lui « permettre de passer à autre chose ». De même, Maître Charlotte HAMMELRATH a insisté sur trois points : le coût, qui est un faux problème par rapport au coût du procès ou du conflit ; la temporalité (avec l’idée qu’il est intéressant de commencer la médiation après avoir rédigé les conclusions) et la confiance (rappelant notamment la liberté du choix du médiateur).
Communication est le maître-mot
Du côté des magistrats : comment les magistrats vivent la médiation ?
En appel, la présidente Christine DA LUZ a montré l’efficacité des ordonnances 2 en 1 ou 3 en 1. On retient de son intervention que le maître-mot est la communication et que les magistrats attendent des avocats et des médiateurs des informations sur les opérations de médiations. Quant à la présidente Catherine BRUNET, elle a rappelé également plusieurs points avec pragmatisme : qu’il n’est jamais trop tôt pour demander une médiation, ni jamais trop tard et que les avocats peuvent être acteurs de leur propre procédure ; qu’aucun critère n’exclut a priori la médiation ; que les dossiers sont sélectionnés (lorsque la solution judiciaire ne semble pas pouvoir résoudre le problème des parties) ; que les parties peuvent choisir leur médiateur et que le coût ne doit pas nécessairement être réparti à parts égales.
Pour la première instance, Madame Caroline CONDEMINE a présenté un système qui marche au conseil des prud’hommes avec des objectifs qualitatifs : l’envoi avec la convocation à l’audience de départage d’une injonction enjoignant aux parties de rencontrer un médiateur avec le contrôle que les parties défèrent effectivement à l’injonction au risque d’être renvoyées à une autre audience. Pour aller plus loin, elle appelle de ses vœux de convaincre les conseillers prud’hommes de l’intérêt de la médiation avant le départage et également réconcilier la conciliation et la médiation.
Enfin, Monsieur Philippe LE BLON a exprimé qu’il faut beaucoup de pédagogie pour faire comprendre que l’intérêt de la médiation est de « créer un espace extra-juridique » qui n’offre pas l’espace contentieux et juridique.
Pour conclure, l’amiable c’est trois choses : premièrement un état d’esprit, la conviction que c’est une opportunité intéressante pour les justiciables et même un droit subjectif de pouvoir accéder à l’amiable ; c’est deuxièmement des outils efficaces ; c’est troisièmement du travail pour mettre en œuvre et utiliser ces outils. C’est précisément ce que fait la chambre sociale de la cour d’appel de Paris de longue date et aujourd’hui encore en osant poursuivre sa mission de réconcilier « le savoir décider » et « le savoir écouter » pour reprendre la formule du président Christophe Baconnier.
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Référence : AJU444442