L’injonction de rencontrer un médiateur : un instrument efficace de l’amiable à perfectionner

Publié le 30/01/2023

Dans le cadre de la politique de l’amiable lancée par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti le 13 janvier dernier, il est un outil mis en place en 2019 qui mériterait d’être perfectionné pour se développer : l’injonction de rencontrer un médiateur. Le professeur Valérie Lasserre et le magistrat Fabrice Vert dressent l’état de lieux d’une procédure pleine d’avenir. Au tribunal judiciaire de Paris, 1 200 injonctions ont été délivrées en un an dans des contentieux aussi variés que les baux commerciaux, la copropriété, les conflits entre associés, les successions ou les troubles anormaux de voisinage. Explications. 

L’injonction de rencontrer un médiateur : un instrument efficace de l’amiable à perfectionner
La balance de la justice dessinée par Renzo Piano pour le tribunal judiciaire de Paris supprime le glaive symbolisant la décision pour ne conserver que les plateaux. Une prémonition de la place grandissante de la médiation ? (Photo : ©P. Cabaret)

Par Valérie Lasserre, professeur agrégée de droit à l’Université du Mans, directrice du DU médiation de l’Université du Mans, et Fabrice Vert, premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris, vice-président de GEMME, section France et membre du syndicat Unité Magistrats

Le 13 janvier 2023, Place Vendôme, le ministre de la justice a lancé sa politique nationale de l’amiable annonçant la création de deux nouveaux outils, la césure et l’audience de règlement amiable, en mettant en évidence le rôle essentiel du juge comme prescripteur de l’amiable.

Lors des tables rondes organisées à cette occasion, l’efficacité du système de l’injonction de rencontrer un médiateur, généralisée par la loi du 23 mars 2019, a été saluée, après un premier accueil timide lors de sa création.

Ce nouveau dispositif, désormais codifié dans l’article 127-1 du Code de procédure civile, prévoit qu’ « à défaut d’avoir recueilli l’accord des parties prévu à l’article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer de l’objet et du déroulement d’une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d’administration judiciaire ».

C’est souvent la méconnaissance de la médiation, de son intérêt et de ses enjeux qui explique les hésitations des parties à y recourir. D’où l’intérêt pratique de leur permettre de rencontrer un médiateur dans le cadre d’une réunion d’information, apte à les sensibiliser quant à l’existence de la médiation et quant aux avantages que pourrait avoir pour elles leur engagement dans un tel processus.

Ce dispositif fait suite à la mise en œuvre décevante de la modification apportée à l’article 56 du Code de procédure civile par le décret du 11 mars 2015 imposant dans l’assignation une mention sur les diligences amiables entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. Aucune sanction n’ayant été attachée au défaut de cette mention dans l’assignation, l’échec de cette incitation à l’amiable avait été prédit avec une pointe d’humour par l’avocat Antoni Mazenq, dans un article publié le 28 mars 2015, au titre évocateur de « pétard mouillé ».

Dans notre société qui se définit davantage comme une société du conflit que du compromis, qui conçoit le prétoire comme un lieu d’affrontement et la proposition par une partie d’une voie amiable comme un aveu de faiblesse, il était prévisible que le recours volontaire à une voie amiable avant le procès ne rencontrerait que peu de succès.

Le pari du rôle proactif du juge

C’est donc en misant sur le rôle proactif du juge et son imperium, que le législateur a décidé en 2019 de permettre à tout juge, même en référé, d’enjoindre les parties de rencontrer un médiateur pour rendre effective la médiation dans les juridictions, alors que selon le rapport sur la justice du XXIe siècle, seulement 1 % des affaires devant le juge font l’objet d’une médiation tandis qu’au Québec, ce sont 9 affaires judiciaires sur 10 qui se terminent à l’amiable.

Faute d’une politique nationale de l’amiable, l’injonction a été utilisée, à ses débuts, par les juges selon leur degré d’investissement personnel dans l’amiable, étant observé que le régime juridique très succinct de cette injonction mériterait d’être amélioré.

Un instrument efficace de développement de l’amiable dans les juridictions

Le tribunal judiciaire de Paris, et en particulier le pôle de l’urgence civile qui traite plus de 8 500 affaires par an, s’est emparé du dispositif de l’injonction, dans le cadre d’une politique de l’amiable de juridiction décidée par le président du tribunal, Stéphane Noël, et après concertation avec le barreau.

Cette injonction, qui est une mesure d’administration judiciaire, par sa souplesse et sa facilité de mise en œuvre, est un outil idéal en référés, dès lors qu’elle permet de mettre en place un processus de résolution amiable très rapidement avant même l’audience, (par exemple lors de l’autorisation d’assigner d’heure à heure), lors de l’audience si les parties sont comparantes, pendant la période d’un renvoi de l’affaire (en utilisant un temps mort de la procédure) ou de manière post-sentencielle (par exemple lorsque le juge ordonne une mesure d’expertise, il peut délivrer en parallèle une injonction de rencontrer un médiateur). Le juge peut l’acter par simple mention au dossier, sans aucune formalité, indiquant la date de renvoi de l’affaire avant laquelle les parties doivent rencontrer le médiateur pour recevoir une information sur la médiation. Il peut également, comme au service des référés de Paris, en délivrer une copie immédiatement à l’audience et inviter les parties à fixer le plus rapidement possible le rendez-vous d’information avec le médiateur de permanence à l’audience.

Cette injonction est délivrée lorsque l’affaire présente un critère d’éligibilité à une mesure de médiation, notamment lorsque les parties ont intérêt à maintenir un lien entre elles et à trouver des solutions répondant mutuellement à leurs besoins.

Pour que cette injonction ne connaisse pas le même sort que la mention des diligences amiables dans l’assignation (disposition abrogée), le service des référés a élaboré un modèle d’injonction précisant que « l’inexécution de cette injonction, sans motif légitime est susceptible de constituer un défaut de diligences justifiant une radiation de l’affaire du rôle ou pourra constituer un des critères de l’équité lors de l’appréciation par le juge des demandes formées du chef des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ».

La réussite de cette injonction suppose lors de son exécution la présence des parties en capacité de négocier, sachant qu’en cas de difficultés à les réunir en présentiel, la réunion d’information peut se réaliser par visioconférence.

L’information est délivrée gratuitement par le médiateur, étant observé que dans un souci de célérité, les parties peuvent choisir d’entrer en médiation conventionnelle (dans les conditions des articles 1530 et suivants du Code de procédure civile) avant, pendant ou à l’issue du rendez-vous, sans que le tribunal soit dessaisi, et que, dans l’hypothèse où les parties donneraient leur accord à une mesure de médiation conventionnelle, le médiateur pourra immédiatement commencer sa mission.

L’application concrète de l’injonction

Au service des référés du tribunal judiciaire de Paris, en une année, ce sont environ 1 200 injonctions qui ont été délivrées dans des contentieux aussi variés que les baux commerciaux, la copropriété, les conflits entre associés, les successions ou les troubles anormaux de voisinage. Elles ont pu concerner des affaires aux enjeux économiques et humains hors norme (une affaire de construction avec plus de 34 000 désordres, des ventes aux enchères à dimension internationale, une explosion, une médiation sectorielle entre une banque et une association de consommateurs concernant des milliers de personnes…).

De fait, les potentialités de l’injonction sont très importantes.

En effet, la réunion d’information se présente naturellement comme une occasion encadrée de discuter pour les parties et même pour les conseils qui ont toute leur place lors de cette réunion. Souvent, à l’issue de l’information proprement dite par le médiateur de l’objet et du déroulement de la médiation, les parties expriment quelque chose, que ce soit factuel, juridique, du domaine de leurs ressentis ou de leurs besoins. C’est bénéfique quand elles ne se sont plus parlées depuis le début du conflit, mais aussi lorsqu’une conciliation ou des négociations avaient pourtant commencé et qu’elles se sont arrêtées à cause de la procédure engagée. Dès lors, l’injonction est une occasion de se revoir et de s’exprimer sur leur situation, sur leur bonne foi et leur envie de sortir du conflit de façon constructive et même de s’échanger des propositions. Force est de constater que les modalités de la réunion d’information par visioconférences ne sont pas un frein à la discussion.

Dans la plupart des cas les parties s’expriment et posent des questions relativement à la médiation. C’est exceptionnel qu’elles se taisent.

Parfois, la réunion d’information est une occasion d’échanger des informations, par exemple sur la réalisation de travaux en copropriété, ou sur les diligences prises relativement à une expertise amiable ou sur la solvabilité d’une entreprise lors d’un conflit d’associés. Cet échange, qui montre que les parties sont aptes à coopérer, permet aussi d’envisager que le litige pourrait être résolu, au moins partiellement.

D’autres fois, il ressort de la réunion d’information qu’il y a matière à négocier, que les parties sont d’accord sur le principe de la discussion et que les avocats peuvent s’y atteler eux-mêmes par la voie de la négociation directe. C’est parfois le cas en matière de baux commerciaux à propos de la fixation d’un nouveau loyer ou en matière de copropriété, quand une assemblée générale est prévue et qu’il semble qu’une majorité pourrait être acquise à un vote permettant de résoudre le litige. Dans cette situation, la valeur ajoutée du médiateur est nulle dans la mesure où la communication est fluide entre les parties et entre leurs conseils ; mais sans la réunion d’information, la négociation directe entre avocats n’aurait probablement pas eu lieu.

Il arrive aussi que les parties décident d’entrer en médiation à l’issue de la réunion d’information. Cela signifie que le médiateur a su diriger la réunion d’information de sorte que les parties comprennent que les conditions objectives et subjectives de la médiation sont réunies, que le périmètre de la médiation permettra de résoudre l’ensemble des problèmes et que des leviers de négociation sont présents. Cela suppose également qu’une relation de confiance a pu s’établir entre les parties, les conseils et le médiateur à l’occasion de cette réunion de médiation.

Parfois les parties ne souhaitent pas entrer en médiation à l’issue de cette réunion, ce qui est leur droit. Le médiateur aura assumé sa mission d’information à l’issue de laquelle les parties sont libres de commencer ou non un processus de médiation. Les raisons peuvent être subjectives. Très souvent la relation de confiance est tellement endommagée et les relations tellement délétères qu’un processus loyal ne semble pas envisageable à l’une des parties. Elles peuvent être objectives, lorsque par exemple l’une des parties est sûre de ses droits et de l’issue juridique du litige (par exemple en matière de troubles anormaux du voisinage, de concurrence déloyale ou de contrefaçon).

Un statut juridique à perfectionner 

Pour conforter le développement de ce dispositif, il serait utile de le perfectionner. Très pragmatiquement, le rapport de la cour d’appel de Paris sur « la promotion et l’encadrement des modes amiables de règlement des différends » publié en 2021 a recommandé d’inciter, par circulaire, les juridictions à mettre à disposition, en tant que de besoin, un bureau pour les médiateurs ou conciliateurs, leur permettant de tenir des réunions d’information, s’agissant d’une mission non rémunérée confiée par l’autorité judiciaire.

Ce même rapport a également proposé de permettre aux juges de faire une injonction de rencontrer également un conciliateur de justice, ce qui peut être utile lorsque les parties n’ont pas les moyens de rémunérer un médiateur.

L’une des questions les plus sensibles concerne la sanction du refus de déférer à l’injonction, le magistrat ne disposant d’aucun moyen de sanctionner la ou les parties refusant de se rendre à la réunion d’information, ce qui rend sujette à caution l’efficacité de la mesure de l’injonction. Le rapport de la cour d’appel a proposé que la partie à l’instance qui ne déférera pas à cette injonction puisse être privée par le juge du bénéfice de l’article 700 du Code de procédure civile et que si c’est le demandeur à l’instance qui ne défère pas à cette injonction, l’instance puisse être radiée administrativement par le magistrat si le défendeur ou l’un des défendeurs ne s’y oppose pas. L’intérêt de l’ajout d’une sanction avait déjà été évoqué dans le rapport Magendie en 2008. Il a été de nouveau rappelé dans le rapport « Chantiers de la justice » : « Le refus de rencontrer ensemble le médiateur ou le conciliateur de justice pourrait être sanctionné par une caducité de la demande lorsque le refus émane du demandeur, ou une modulation de l’indemnité prévue au titre des frais non compris dans les dépens par l’article 700 du Code de procédure civile ».

Dans la pratique, le demandeur se rend presque toujours à l’injonction de peur que le magistrat ne renvoie l’affaire en cas de non-respect de celle-ci. Parfois le défendeur cherche à s’y soustraire, faisant perdre du temps à la partie en demande. Dans ce cas une sanction serait utile.

Quelle justice, quelle société pour demain ? 

Après quelques années de timide intérêt, l’outil de l’injonction de rencontrer un médiateur connaît un succès croissant dans les juridictions. Il n’est désormais plus rare de voir des avocats solliciter une injonction dans certaines affaires. Mais c’est dans le cadre d’une politique nationale annoncée par le ministre de la justice (objectifs, moyens, évaluation) qu’elle pourra trouver son plein essor. La médiation n’est pas un substitutif de la réponse judiciaire, mais un moyen supplémentaire offert au justiciable, à l’ombre du juge, de régler efficacement, rapidement et aux mieux de ses intérêts, de régler un litige. On comprend ainsi que le rôle du juge, mais aussi de l’avocat comme prescripteur d’amiable, soit essentiel.

Selon l’expression de la professeure Michèle Guillaume-Hofnung, une pionnière de la médiation en France, le dépassement grâce au passage au ternaire est à la base du concept philosophique de la médiation, qui va bien au-delà de la seule résolution des litiges, et qui sous-tend une volonté de mieux vivre ensemble, un objectif louable dans une société de plus en plus fracturée.

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