M. Cohen-Branche : « Nous sommes fiers d’avoir continué à exercer notre mission malgré la crise »
Le médiateur de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Marielle Cohen-Branche, a publié son rapport annuel pour 2020 le 19 mai dernier. La crise sanitaire n’a pas interrompu l’activité de médiation, mais ses effets transparaissent dans les dossiers. Explications.
Actu-Juridique : Le service de médiation de l’AMF est-il parvenu à poursuivre normalement son activité malgré la crise ?
Marielle Cohen-Branche : Lors des grèves de 2019, tous les collaborateurs avaient été équipés d’ordinateurs portables pour pouvoir travailler depuis chez eux, nous avions par ailleurs numérisé la procédure, ce qui a permis de passer sans difficultés au télétravail lors du premier confinement. On peut saisir le médiateur par Internet ou par courrier. Toutes les lettres qui arrivaient étaient scannées, lorsque leurs auteurs nous donnaient un téléphone ou un mail, on leur proposait de poursuivre les échanges de cette manière. Nous sommes assez fiers d’avoir continué à exercer notre mission malgré la crise.
Actu-Juridique : Depuis plusieurs années vous regrettez de recevoir un grand nombre de saisines ne relevant pas de votre compétence. Mais en 2020, cela a changé, pourquoi ?
MCB : Pour la première fois en effet l’an dernier j’ai brisé le plafond de verre. C’est la conséquence d’une utilisation désormais majoritaire de la saisine par Internet. Jusque-là, je recevais 1/3 de saisines par mail contre 2/3 par courrier. Avec la crise, la proportion s’est inversée. Or, quand on passe par Internet, il y a un système de filtrage qui permet de réorienter les demandes hors de mon champ de compétence. Ce système m’a permis de ramener à 25% au lieu de 50% les dossiers hors champ et c’est ce qui explique l’augmentation de 27% du nombre des saisines pour lesquelles je suis compétente.
Actu-Juridique : Comment s’explique ce taux élevé d’erreurs d’aiguillage ?
MCB : Je suis compétente pour tous les sujets relevant du champ d’intervention de l’AMF. Ce qui est compliqué, c’est que la frontière n’est pas toujours claire entre ce qui concerne la finance, la banque ou l’assurance. Le plus souvent, ce sont les mêmes établissements, voire les mêmes conseillers, qui proposent ces trois types de services différents. Le formulaire sur Internet permet de poser des questions très précises pour déterminer si je suis le bon interlocuteur. En outre, pour que je puisse accepter un dossier, il faut aussi que la personne me fournisse un écrit prouvant qu’elle a d’abord saisi le professionnel concerné de son mécontentement. Si au bout de deux mois, elle n’a pas obtenu de réponse, la demande de médiation est recevable. Cette règle permet d’éviter que le silence de l’établissement concerné paralyse le recours au médiateur. Enfin, la troisième condition pour me saisir, c’est que le dossier ne soit pas déjà entré dans une phase judiciaire.
Actu-Juridique : L’an dernier, la forte volatilité des marchés engendrée par la crise a attiré une importante population de nouveaux investisseurs. Avez-vous constaté dans vos dossiers l’apparition de ces nouveaux profils ?
MCB : Par définition, le médiateur ne voit que ce qui va mal, tous les apprentis investisseurs n’ont pas forcément rencontré de difficultés. Mais il y en a cinq fois plus que l’année précédente et j’ai constaté une très importante ignorance des règles de base en matière d’ordres de bourse. Si un investisseur veut être prioritaire, il donne un ordre au marché mais il faut qu’il accepte de ne pas maitriser le prix : il sera servi mais à un prix qu’il ignore. Celui qui opte pour un ordre « à la meilleure limite » obtiendra le prix le plus bas du jour mais ne se rend pas compte que ce prix bas peut être très haut. Avec les ordres à seuil de déclenchement, on ne maitrise pas non plus le prix une fois le seuil atteint : ils ont les mêmes effets qu’un ordre au marché. Certaines personnes qui croyaient gagner beaucoup d’argent en très peu de temps en raison de la forte volatilité ont eu des surprises désagréables en raison de leur ignorance des règles de base. J’ai vu aussi des gens qui se plaignaient qu’on vende sans leur demander leur avis. Or, ils avaient confié à leur professionnel un mandat de gestion ! C’est justement le principe : soit on décide d’acheter soi-même, soit on donne un mandat à un professionnel qui va gérer en fonction d’objectifs qu’on lui aura préalablement communiqués.
Actu-Juridique : Les néophytes ont-ils été les seuls à se faire piéger ?
MCB : Non, j’ai traité un dossier dans lequel un habitué des marchés a perdu 150 000 euros en une journée. Suite à l’annonce au marché par une société de biotechnologies qu’elle entrait en phase 3 de test de son produit, un investisseur décide d’acheter 15 000 titres, sans limite de prix. Le cours est alors à 2,39 euros. Face à un trop grand nombre d’ordres, il est suspendu par Euronext. Lors de la reprise de cotation, l’ordre est exécuté à 13,70 euros. Le client avait téléphoné à la table des marchés de sa banque et il savait qu’il courait ce risque. Il a néanmoins maintenu son ordre. Résultat ? L’opération a engendré un solde débiteur de 150 000 euros sur son PEA, ce qui a entrainé sa fermeture immédiate. La banque a vendu tous les titres pour se rembourser et l’investisseur reste débiteur de 30 000 euros.
Actu-Juridique : Durant cette crise, les professionnels ont-ils bien réagi ?
MCB : J’ai deux reproches à leur faire, au vu des dossiers que je reçois. Le premier concerne la vente de parts d’OPCVM. Le client se fonde sur la dernière valeur liquidative connue en pensant qu’il va effectivement vendre à ce prix. Or, ce n’est jamais le cas. C’est un problème récurrent mais qui a pris une ampleur particulière en raison de la volatilité. Il faut donc que les professionnels soient clairs sur ce point avec leurs clients. J’ai obtenu, en cas de défaut d’information, et parce que les variations de prix étaient importantes, quelques remboursements sur le fondement de la perte de chance. Le second reproche porte sur les cas où le client donne un ordre incomplet ou ambigu. La banque doit rappeler son client et lui faire préciser sa demande, au lieu d’attendre. Dans les périodes normales, ce n’est pas trop grave mais quand un cours dévisse de 40% c’est un problème. Là encore, j’ai obtenu des remboursements des pertes subies.
Actu-Juridique : L’un des principaux motifs de saisine du médiateur porte sur l’épargne salariale. Mais 2020 est une année atypique…
MCB : En effet, pour la première fois en neuf ans, le nombre de saisines pour ce motif est en baisse. Par ailleurs, j’interviens de plus en plus en équité et ça aussi c’est une bonne nouvelle. Nous avons eu par exemple le cas d’un travailleur indépendant contraint de cesser son activité professionnelle parce qu’il avait été atteint de la COVID sans pouvoir ensuite re-travailler à temps plein. Il réclamait la possibilité de procéder à un rachat dérogatoire exceptionnel et temporaire à hauteur de 8 000 euros comme le prévoit la loi du 31 juillet 2020. Malheureusement, le texte ne concernait pas le PERCO. Compte-tenu de la situation exceptionnelle, le teneur de compte a accepté cependant de procéder au déblocage. Ce qui est nouveau en matière d’épargne salariale, c’est que je constate que, parfois, des employeurs ne délèguent plus leur gestion à un teneur de compte, peut-être pour des raisons d’économie. Or cela sort de mon champ de compétence, car on demeure exclusivement dans le droit du travail.
Actu-Juridique : les transferts de PEA soulèvent aussi beaucoup de difficultés, qu’en est-il en 2020 ?
MCB : Le principal problème porte sur les délais de transfert. Or ceux-ci se sont accrus en raison de la désorganisation des services opérationnels engendrés par la crise. Quand les délais sont vraiment trop longs et imputables à l’établissement, j’obtiens généralement une remise des frais. Mais le client invoque également le fait que ces délais l’ont empêché de procéder à des arbitrages. Ce qui renvoie à la perte de chance, particulièrement en période de forte volatilité. Toutefois, faute d’indices le prouvant, il est quasiment impossible de pouvoir le justifier. Il reste qu’il faudra continuer à creuser cette question. Certes, les établissements sont obligés de bloquer à un moment donné le PEA pour opérer le transfert, mais j’ai des dossiers où cela dure 6 ou 9 mois. Les clients parfois préféreraient pouvoir intervenir quitte à bloquer ou différer le transfert : il faudra mieux clarifier cela à l’avenir.
Actu-Juridique : Qu’en est-il des escroqueries, généralement les périodes de crise y sont propices ?
MCB. : Les arnaques continuent d’augmenter et surtout elles se diversifient. Les victimes n’ont pas de profil particulier, leurs pertes s’échelonnent de 300 euros à plus de 266 000 euros. Nous avons eu un litige de masse qui a représenté 60 dossiers sur les 95 susceptibles de relever d’une escroquerie reçus l’an dernier. Un soi-disant expert en trading vendait ses conseils et engageait les épargnants à ouvrir un livret de trading. Presque tous ont perdu l’intégralité de leur mise. Le dossier a été transmis au parquet par l’AMF. Le plus souvent les gens pensent faire une bonne affaire. Il arrive même qu’ils méprisent les alertes de leur banquier en pensant que celui-ci veut les empêcher de réaliser des profits. Ce qui est nouveau et nécessite une vigilance particulière, c’est que les escrocs usurpent maintenant l’identité de professionnels bénéficiant d’un agrément.
Un taux d’adhésion aux propositions du médiateur de…95% !
Sur 809 dossiers traités et 580 médiations engagées en 2020, 505 dossiers ont débouché sur une recommandation. Ces propositions ont été favorables au demandeur dans 266 dossiers (soit 53 %) et défavorables dans 239 dossiers ( 47 %). 95 % des propositions, lorsqu’elles sont favorables aux épargnants, sont suivies par les deux parties ; d’autre part, seulement 4 % des propositions défavorables aux épargnants sont contestées par ces derniers. Il en résulte un taux d’adhésion global de 96 %. « Ces taux restent forts, comme chaque année. Ils traduisent que, pour l’essentiel des dossiers soumis, l’épargnant a trouvé dans la médiation une voie d’apaisement extra-judiciaire de son litige » précise le médiateur dans son rapport. En cas de désaccord persistant, l’épargnant a toujours la possibilité de porter son litige devant les tribunaux. Pendant toute la durée de la médiation, la prescription est suspendue.
Référence : AJU222042