Sandrine Clavel : « On ne pourra vraiment diffuser la culture de l’amiable qu’en le faisant sortir des espaces où il est généralement cantonné »

Publié le 26/02/2024

Dévoilé par le garde des Sceaux il y a un an, « le plan d’action pour la justice » comporte 60 mesures afin d’améliorer le système judiciaire. Parmi celles-ci, le recours aux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) est notamment fortement encouragé en matière civile. Objectif affiché par le ministère : diviser par deux les délais de procédure à l’horizon 2027. Pour ce faire, un groupe de travail vient d’être créé pour favoriser la « diffusion de la culture de l’amiable dans les formations de l’enseignement supérieur ». Pour Sandrine Clavel, l’une des vice-présidentes du groupe et professeur à l’université Paris-Saclay, « L’université s’intéresse depuis longtemps à l’amiable, mais elle l’appréhende comme un objet d’étude en tant que tel, ce qui n’est pas la même chose que de reconsidérer l’ensemble de notre droit au prisme de l’amiable ». Entretien.

Actu-Juridique : Quels sont précisément les objectifs de votre groupe de travail ?

Sandrine Clavel : La lettre de mission qui nous a été remise par le ministre de la Justice et la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche assigne à notre groupe de travail trois objectifs principaux :

1) faire un état des lieux de l’enseignement et de l’approche de l’amiable au sein des établissements d’enseignements supérieurs ;

2) évaluer l’efficacité et l’impact des dispositifs existants et des moyens mis en œuvre dans le but de former les étudiants à l’amiable et de diffuser les modes amiables de règlement des différends ;

3) formuler des recommandations afin d’améliorer la diffusion de la culture de l’amiable dans les établissements d’enseignement supérieur.

En d’autres termes, avec comme perspective d’acculturer les futurs professionnels du droit à l’amiable dès l’université, il nous est demandé d’inventorier l’existant, et d’imaginer ce qui pourrait être déployé à l’avenir au sein de nos établissements pour y parvenir.

AJ : Qui sont les membres de ce groupe de travail ?

Sandrine Clavel : Le groupe de travail a un périmètre assez large. Y sont associés une bonne vingtaine de collègues universitaires déjà fortement impliqués dans le travail mené à l’université autour de l’amiable, les ambassadeurs de l’amiable par exemple ou encore des responsables de formations dédiées aux modes amiables de règlement des différends ou y faisant une place substantielle (IEJ, masters, DU…), ce partout en France. Un tel groupe de travail étant assez complexe à piloter, le président de la mission, le professeur Jean-Christophe Saint-Pau, également président de la Conférence des doyens de droit et science politique, a souhaité s’entourer d’un groupe de pilotage resserré, composé de trois vice-présidentes en les personnes des professeures Natalie Fricero, Aurélie Bergeaud-Wetterwald et moi-même.

AJ : La culture de l’amiable est-elle si peu présente, aujourd’hui, dans le cursus des étudiants de droit ? Pourquoi ?

Sandrine Clavel : Il faut reconnaître que le juriste universitaire a plutôt une culture du contentieux, ce qui s’explique de façon assez naturelle. La place de la jurisprudence dans notre enseignement est absolument centrale ; nous raisonnons, dans toutes les matières, à partir des décisions rendues par des juges, qu’ils soient civils, administratifs ou pénaux, nationaux ou supranationaux… Or que sont ces décisions de justice, si ce n’est le produit du contentieux ? Il est difficile de s’étonner dans ces conditions que le contentieux soit central dans notre travail : le contentieux, c’est bien souvent un « révélateur » du droit, c’est « le droit en action », et donc pour nous une matière première incontournable. Mais il y a sans doute aussi des raisons plus diffusées à la discrétion de l’amiable dans nos enseignements, tenant au sentiment – fondé ou non – que le « vrai droit » a moins sa place dans les modes de règlement amiable, où il serait plutôt question de négociation et de compromis. Cela étant, il ne faut pas forcer le trait. L’université s’intéresse depuis longtemps à l’amiable, mais elle l’appréhende comme un objet d’étude en tant que tel, ce qui n’est pas la même chose que de reconsidérer l’ensemble de notre droit au prisme de l’amiable.

AJ : Pourquoi l’amiable représente-t-elle une alternative intéressante au contentieux classique ?

Sandrine Clavel : Je n’ai pas de réponse très originale à vous faire sur ce point. Les arguments en faveur de l’amiable sont bien connus. Plus que la réduction des délais ou des coûts, qui sont bien sûr des facteurs importants, je suis pour ma part sensible à des raisons psychologiques. Le contentieux comporte une charge émotionnelle très forte ; peu de personnes ayant vécu un contentieux, y compris parmi les professionnels du droit, en conservent un sentiment de sérénité ou de « victoire ». La vérité est que le contentieux est toujours difficile à vivre, que l’on soit du bon ou du mauvais côté de la barre. Cela étant, pour le juriste universitaire, un enjeu intellectuel majeur consiste à déterminer précisément, sur la base de critères objectifs, dans quels cas privilégier l’amiable, et dans quel cas choisir d’aller au contentieux.

AJ : Comment allez-vous travailler concrètement pour l’élaboration de votre rapport final ?

Sandrine Clavel : Nous avons immédiatement défini notre méthodologie, qui est essentielle pour être efficace. Le comité de pilotage a élaboré un questionnaire assez détaillé, comportant une partie bilan et une partie prospective, et couvrant les champs de l’enseignement comme de la recherche. Ce questionnaire a été adressé à l’ensemble des membres du groupe de travail, qui sont chargés de réunir toutes les informations pertinentes auprès de leur entourage au sens large. Nous espérons ainsi couvrir un vaste périmètre d’établissements et de formations. Sur la partie bilan, les données de ce questionnaire seront croisées avec, et complétées par, les informations recueillies auprès du réseau de la Conférence des doyens. Par ailleurs, le comité de pilotage réalisera un certain nombre d’auditions, de personnalités françaises mais aussi étrangères car la dimension comparatiste est fondamentale, sélectionnées en raison de leur expérience et de leur légitimité sur le sujet.

Le comité de pilotage dépouillera toutes ces données, qui constitueront le matériau de base pour la rédaction de notre rapport. Nous serons réceptifs à toutes les idées et suggestions formulées par nos interlocuteurs, mais nous ne nous interdisons évidemment pas d’y ajouter nos propres analyses et propositions. Le projet de rapport que nous préparerons sera discuté au sein du groupe de travail plénier ainsi qu’avec la Conférence des doyens avant d’être finalisé.

AJ : Avez-vous déjà réfléchi, avec les autres membres, à des pistes de réflexion pour mieux diffuser la culture de l’amiable au sein de l’enseignement supérieur ?

Sandrine Clavel : Naturellement, nous sommes déjà au travail et nous avons donc commencé à échanger des idées. Mais nous voulons garder l’esprit ouvert et que nos interlocuteurs se sentent libres dans leurs observations et propositions. Je préfère donc ne pas d’ores et déjà resserrer le débat en évoquant des pistes spécifiques. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que nous avons deux convictions importantes. La première, c’est que la spécificité de l’université, à savoir le lien entre formation et recherche, ne doit pas être oubliée de sorte qu’en pensant « amiable à l’université », nous devons penser à la place de l’amiable à la fois dans l’enseignement et dans la recherche. La seconde, c’est qu’on ne pourra vraiment diffuser la culture de l’amiable qu’en le faisant sortir des espaces où il est généralement cantonné, à savoir les cours et les formations dédiés aux modes de règlement des différends.

AJ : Quand devrez-vous rendre vos travaux ?

Sandrine Clavel : Nous allons travailler vite, puisque nous rendrons notre rapport avec nos recommandations aux ministres dès le mois de juillet de cette année.

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