Un dernier pas vers un libre accès au grand potentiel de l’arbitrage ?
Cet article met en perspective les barrages contre la clause compromissoire dans les contrats civils, la compare avec la clause compromissoire par référence et avec d’autres clauses plus contraignantes, invite à revoir son fondement et suggère une solution qui le remplace et qui en même temps protège le particulier.
Les nouveautés en matière d’arbitrage introduites par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui enregistrent un nouveau pas du législateur dans son chemin vers une plus large mise à disposition de l’arbitrage aux citoyens, invitent à quelques réflexions1.
Survol de l’historique
Les données relatives étant connues, un survol rapide des étapes de cette marche du législateur sera plus que suffisant.
La Révolution2 avait épargné l’arbitrage : « L’arbitrage étant le moyen plus raisonnable de terminer les contestations entre les citoyens, les législateurs ne pourront faire aucune disposition qui tiendrait à diminuer soit la faveur, soit l’efficacité des compromis ».
Le Code de procédure civile3 a également été en faveur des conventions d’arbitrage. Jusqu’en 1843 la clause compromissoire n’était donc pas bannie.
La jurisprudence n’a pas méconnu la liberté des conventions d’arbitrage, mais un revirement a eu lieu à la suite de l’arrêt Prunier4, qui a soutenu, en ligne avec l’article 1006, que, pour pouvoir compromettre il était nécessaire, sous peine de nullité, d’indiquer l’objet du litige, les clauses compromissoires étant par conséquence exclues.
La réforme du 31 décembre 1925 a repris la marche vers la liberté en affirmant que la clause compromissoire était valable pour les litiges qui rentraient dans la compétence du tribunal de commerce, tandis qu’elle restait exclue en matière civile.
La loi du 5 juillet 19725, d’un côté, a créé l’article 2059 en prévoyant que « toutes personnes peuvent compromettre sur les droits dont elles ont la libre disponibilité », mais de l’autre côté elle confirme que l’article 2061 comporte la nullité de la clause compromissoire.
Le législateur en 2001 a finalement considéré valable la clause compromissoire dans les contrats entre professionnels.
Un autre pas en avant et sa portée
En 2016, le législateur a fait – grâce à la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle – un autre pas en avant, en remplaçant l’article 2061 par la rédaction suivante : « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait pas succédé aux droits et aux obligations de la partie qui l’a initialement acceptée. Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ».
Un grand progrès de cette nouvelle discipline consiste dans l’abolition de la nullité de principe de la clause.
La nouvelle règle qu’elle a introduite tourne autour de l’acceptation.
L’application de cette règle semble affirmer que la clause est valable, lorsqu’elle est invoquée par le non-professionnel ; et lorsqu’elle est invoquée par le professionnel, elle est valable seulement si le non-professionnel l’accepte (ce qui constitue donc une acceptation « une seconde fois » du moment qu’il l’avait déjà acceptée lorsqu’il a passé le contrat qui la contenait).
Ce langage d’un côté enregistre un progrès ultérieur et de l’autre pourrait apparaître un peu tortueux.
La clarté à laquelle les citoyens et leurs conseils ont droit n’est pas en effet la qualité principale de cette règle.
Le législateur a ainsi voulu garder le principe que la partie non-professionnelle, même si elle a convenu et signé une clause compromissoire, n’est pas soumise à cette clause si elle ne le souhaite plus une fois le litige né. L’application de cette norme pourra donner lieu à des batailles interprétatives.
Quel futur ?
Malgré les différentes avancées en direction d’une libéralisation, le cadre ci-dessus dessiné par le législateur reste fondé sur une distinction de fond, riche d’effets, entre professionnels et non-professionnels, qui apparaît tranchante.
Il est donc naturel de s’interroger sur le futur de ces limites à l’arbitrabilité ratione materiæ, donc objective, et de se demander si par cette dernière démarche le législateur a épuisé sa volonté de mettre l’arbitrage à disposition de tous les citoyens, ou si un ultérieur (dernier) pas est possible et souhaitable.
La raison d’être de ce barrage
La prohibition de la clause compromissoire dans les affaires civiles semble trouver sa raison d’être d’un côté dans la prémisse qu’il s’agit d’une clause inusuelle, de l’autre dans l’opinion exprimée dans un attendu de l’arrêt Premier qu’il n’y a pas d’assurance que les arbitres possèdent les qualités que l’on trouverait dans les juges étatiques (qui auraient été identifiées dans la probité et la délicatesse de sentiments) et finalement dans le souci de ne pas réduire le pouvoir de l’État6.
Le cumul de ces convictions parvient à la conclusion que c’est dans l’intérêt public de ne pas permettre aux particuliers de conclure entre eux une clause compromissoire, en présumant qu’ils la stipuleraient sans connaissance de cause.
Présomption qui ne vaudrait quand même pas – pour des raisons qui ne sont pas évidentes – pour un particulier, lorsqu’il conclut un contrat avec un commerçant ou un professionnel.
Il apparaît légitime de s’interroger si les développements de la société, déjà dans le XXe siècle et encore plus dans le IIIe millénaire, rendent cette approche toujours actuelle.
Comparaison avec la clause compromissoire « par référence »
La recherche d’une réponse peut tirer avantage de la comparaison entre le traitement de la clause compromissoire et des situations analogues.
Tout d’abord, avec la clause compromissoire « par référence » (contenue seulement dans un document séparé du contrat de base, dans lequel la clause compromissoire est insérée), qui a été traitée d’une manière magistrale par Bruno Oppetit 7.
L’article 1443 du CPC8, en prévoyant que la convention d’arbitrage « peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale », a consacré la jurisprudence qui admettait la validité de la clause compromissoire par référence (à des conditions générales ou à un contrat type, séparés du contrat de base), aucune référence spécifique (relatio perfecta) étant exigée, donc un renvoi général (relatio imperfecta) à un document séparé est valable.
Cette référence générale, et non spécifique, est donc permise même pour les contrats civils conclus entre particuliers.
Lors de la conclusion d’un contrat (qui ne mentionne donc pas l’arbitrage, mais se borne à faire référence « en bloc » à un autre document qui – entre autres – prévoit l’arbitrage), il n’existe pas d’exigence formelle de protection des particuliers même en matière civile.
Une comparaison de cette disposition avec la discipline de la clause compromissoire simple entre particuliers invite à une réflexion.
Si le particulier n’est pas protégé lorsqu’il passe avec un autre particulier un contrat (qui ne mentionne pas même l’arbitrage), mais fait une simple référence « en bloc » à un autre document pas titré « arbitrage », pourquoi interdire aux particuliers de passer un contrat entre eux qui contienne une clause compromissoire qui présente l’avantage considérable de mentionner clairement la volonté des contractants de soumettre leurs futurs différends à l’arbitrage ?
Comparaison avec d’autres clauses encore plus contraignantes
Les clauses qui limitent la responsabilité ou qui contiennent des garanties, exposent le particulier à un risque qui n’est franchement pas inférieur à celui qui peut dériver de la conclusion d’une clause compromissoire et probablement même bien supérieur.
Malgré cela, ces clauses ne sont pas soumises à une forme plus rigoureuse que leur simple passation par écrit.
Est-on en présence d’une harmonie ou de discordance ?
Il a été suggéré qu’il n’est pas facile de trouver harmonieux le résultat de la comparaison entre ces trois situations.
Disparition de la sus-évoquée raison d’être du barrage ?
Une appréciation de l’opportunité de garder ce barrage ne pourra pas ignorer que la conception que l’arbitrage serait inusuel, a été largement dépassée grâce aux progrès de la société et de la globalisation. Également, les jalousies de certains juges ont disparu grâce à la quantité de procédures à leur charge (qu’ils trouvent souvent excessive). À son tour la vision du pouvoir du juge étatique, comme monopole exclusif du pouvoir public, a été remplacée par le souci que la quantité du contentieux met la justice étatique en difficulté et doit être réduite.
Y a-t-il d’autres démarches possibles et souhaitables ?
Il est bien connu qu’une approche moderne de l’arbitrage le voit comme un moyen alternatif de résolution des différends à mettre à disposition de tous les citoyens (dans les limites de l’arbitrabilité subjective et objective) qui permette à ceux qui le souhaitent de faire un autre choix que la justice étatique.
Une approche moderne impose également de revisiter la profonde distinction, voulue jusqu’à présent par le législateur, d’un côté entre commerçants et professionnels et de l’autre côté entre particuliers dans leurs contrats civils.
Que la première catégorie soit toujours parfaitement informée (même par une simple référence générale à un document différent de celui qu’elle a signé) et la seconde catégorie toujours sans connaissance de cause ne semble pas évident.
Qu’en présence d’autres limites importantes aux droits substantiels d’un contractant (constituées par exemple par une exclusion ou réduction de la responsabilité et par l’exclusion ou limitation d’une garantie légale) soient considérés connues par la population entière, tandis que le choix de soumettre ses propres futurs différends à l’arbitrage ne serait pas connu par le particulier et exigerait (seulement dans cette seconde hypothèse) une protection, semble constituer une disharmonie difficilement acceptable.
Un arbitrage bien conduit est normalement en mesure de rendre service au justiciable, par exemple grâce à une souhaitable approche aux différends par l’arbitre moins froide et distante que celle que l’on trouve – peu fréquemment – dans des décisions de la justice étatique.
Le formalisme, antagoniste éternel du consentement même dans l’arbitrage, est souvent vu comme une valeur absolue en soi-même. Quand même, il prive le citoyen du droit d’obtenir justice, en rendant seulement apparent le tant proclamé droit d’accès à la justice et risque de triompher même quant à la convention d’arbitrage.
L’exigence que la volonté de soumettre ses futurs différends à l’arbitrage (et donc le consentement des parties) soit assurée sous peine de nullité par la condition de sa rédaction par écrit, requise ad validitatem, permet de présumer que les contractants ont voulu choisir l’arbitrage.
L’arbitrage n’est plus, dans le troisième millénaire, un inconnu (dont il faut se méfier). La justice étatique (cour d’appel de Paris en tête), a montré n’être pas favorable à intervenir au fond, comme juge de l’annulation d’une sentence arbitrale, sauf en présence de violations importantes, qui sont rarement reconnues. On devrait pouvoir en déduire que normalement la justice étatique ne trouve pas souvent que la sentence arbitrale a besoin d’être corrigée. Que la justice étatique, jadis jalouse et contraire à l’arbitrage – comme on l’a évoqué – ne répète plus les commentaires négatifs qui l’avaient caractérisée au XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle, montre à son tour que le vent a tourné.
Conclusions
Les raisons qui avaient empêché de passer une clause compromissoire dans les contrats civils ne semblant désormais exister, ce droit ne devrait plus être nié.
Plutôt que de garder le barrage actuel à la passation de la clause compromissoire entre particuliers, il apparaît nécessaire de protéger tous les citoyens (particuliers ainsi que commerçants ou professionnels) du risque que leur acceptation de toute clause onéreuse (y compris le choix de l’arbitrage, si on le considère encore onéreux) soit effectuée sans assez de prudence ou sans connaissance de cause.
Protection qui pourra être recherchée dans la prévision d’une condition que les parties, à la fin du contrat et après sa signature, signent une ultérieure déclaration écrite (ou l’écrivent à la main comme dans les cautionnements) qui accepte expressément chacune de ces clauses onéreuses, convention d’arbitrage comprise.
Un possible nouveau pas dans la recherche de la meilleure solution pour les citoyens semble donc possible.
Notes de bas de pages
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1.
Clay T., « L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi, Justice du XXI siècle », JCP G 2016, 1295.
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2.
D. 24 août 1790, sur l’organisation judiciaire, art. 1.
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3.
L. 16 avr. 1806, art. 1020.
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4.
Cass. civ., 10 juill. 1843 (Prunier) : D. 1843, I, p. 340.
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5.
L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
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6.
Attendu de l’arrêt de la Cour de cassation évoqué par de Boisseson M., Le droit français de l’arbitrage, 1983, Joly éditions.
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7.
Oppetit B., « La clause arbitrale par référence », Rev. arb. 1990, p. 551.
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8.
Dans la version modifiée par le D. n° 2011-48, 13 janv. 2011.