Engagements de l’assureur dommages-ouvrage et invocation d’un manquement contractuel par un tiers au contrat

Dans un arrêt du 30 janvier 2025, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que l’assureur dommages-ouvrage est tenu de mettre en œuvre des travaux efficaces afin de mettre un terme au désordre affectant un appartement, à défaut de quoi il sera condamné à verser des dommages et intérêts. Elle rappelle également qu’un tiers au contrat d’assurance subissant un dommage peut invoquer un manquement contractuel pour être indemnisé sur le fondement de la responsabilité délictuelle dès lors qu’un lien de causalité est caractérisé.
Le 30 janvier 2025, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation concernant les implications d’une assurance dommages-ouvrage et la possibilité pour un tiers au contrat d’invoquer un manquement contractuel.
En l’espèce, un immeuble à usage d’habitation, ayant été placé sous le statut de copropriété, a été édifié par une société. Pour permettre sa construction, un maître d’ouvrage et une société de peinture sont notamment intervenus. En outre, une police dommages-ouvrage a été souscrite auprès d’un assureur.
Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble s’est plaint de désordres, affectant les parties communes et un appartement, et a assigné le maître d’ouvrage et l’assureur dommages-ouvrage. En sus, les autres intervenants à l’opération de construction et leurs assureurs ont été appelés en garantie.
Le 10 mars 2022, la cour d’appel de Saint-Denis a condamné le maître d’ouvrage, solidairement avec les différents assureurs, à payer une somme aux propriétaires de l’appartement jusqu’à la réalisation des travaux de réparation des désordres constatés et permettant de rendre le logement de nouveau salubre et louable. En conséquence de cette solution, un pourvoi en cassation a été formé, en particulier par le maître d’ouvrage et l’assureur dommages-ouvrage, pour contester la position des juges du fond.
Le premier moyen de la société d’assurance dommages-ouvrage, en sa seconde branche, présente un intérêt particulier en considérant que la cour d’appel a violé l’article 1240 du Code civil, anciennement 1382, pour condamner solidairement l’assureur à payer une somme déterminée par la seule volonté des créanciers.
Ainsi, la haute juridiction devait se positionner sur la sanction encourue par le débiteur, ici l’assureur dommages-ouvrage, dans le cadre de l’exécution de son obligation résultant du contrat d’assurance et sur la possibilité pour un tiers à ce contrat de l’invoquer lorsqu’il subit un dommage résultant d’un manquement contractuel pour engager la responsabilité délictuelle de l’assureur.
Pour fonder sa solution, la troisième chambre civile de la Cour de cassation se fonde sur les articles 1147, 1165, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240 du Code civil. D’une part, elle retient que l’assureur dommages-ouvrage ne respectant pas ses engagements contractuels est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts (I). D’autre part, elle rappelle que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel à la condition que ce manquement ait causé un dommage (II). Ainsi, elle estime que la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
I – Le paiement de dommages-intérêts par l’assureur dommages-ouvrage
Dans ses motifs, la Cour de cassation reprend la lettre de l’article 1147 ancien du Code civil en vigueur jusqu’au 1er octobre 2016, à savoir que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
En s’appuyant sur ce principe, il est rappelé que le débiteur encourt pour sanction le paiement de dommages et intérêts dans deux situations : soit quand il n’exécute pas son obligation ; soit quand il l’exécute en retard. Pour y échapper, le débiteur devait justifier que son inexécution était liée à une cause étrangère ne pouvant lui être imputée, ainsi que de l’absence de toute mauvaise foi de sa part. Soulignons que, depuis l’ordonnance de 2016, l’article 1231-1 du Code civil propose une rédaction pour partie similaire, à l’exception de la règle d’exclusion, en disposant que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure »1.
La Cour de cassation s’appuie également sur un arrêt de la troisième chambre civile, en date du 11 février 2009, où il a été retenu que l’assureur dommages-ouvrage manque à ses obligations contractuelles en ne préfinançant pas une réparation efficace et pérenne de nature à mettre fin aux désordres. Dans cette espèce, des époux étaient assurés en police dommages-ouvrage et ont déclaré à l’assureur des sinistres à la suite de l’apparition de désordres après la construction de leur villa. L’assureur a procédé à des travaux mais les désordres ont perduré, conduisant les assurés à assigner l’assureur en indemnisation de leurs préjudices2.
Sur ces considérations, la solution de l’arrêt du 30 janvier 2025 n’est donc en rien nouvelle. Elle s’inscrit dans une jurisprudence constante imposant à l’assureur dommages-ouvrage de mettre en œuvre des travaux efficaces afin de mettre un terme au désordre3 et de « préfinancer à nouveau des travaux tant que ceux réalisés ne donnent pleinement satisfaction »4. À défaut d’exécution de ces travaux, ou en cas d’exécution insatisfaisante de ces travaux, l’assureur dommages-ouvrage est redevable de dommages et intérêts.
II – L’invocation d’un manquement contractuel par le tiers au contrat d’assurance
Eu égard à l’effet relatif du contrat, il était légitime de s’interroger en l’espèce sur la possibilité pour les copropriétaires de se prévaloir d’un manquement contractuel à un contrat auxquels ils sont tiers pour être indemnisés.
Dans ses motifs, la Cour de cassation se fonde sur les fondements des articles 1165, dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats et 1382, devenu 1240 du Code civil pour retenir que le « tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
L’article 1165 ancien du Code civil, ayant trait à l’effet des conventions à l’égard des tiers, disposait ainsi que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 »5, tandis que l’article 1382, désormais numéroté 1240, prévoyait que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer ».
La solution de la Cour de cassation perpétue celle établie par l’assemblée plénière dans un arrêt du 6 octobre 20066, reprise le 13 janvier 20207, retenant que : « Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Dans cette espèce, les juges du fond ont caractérisé le dommage causé par les manquements du bailleur au locataire-gérant d’un fonds de commerce exploité dans les locaux loués étant donné que les accès à l’immeuble loué n’étaient pas entretenus, que le portail d’entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionne pas, et que les locaux ne pouvaient pas être utilisés normalement.
En revanche, elle désapprouve la solution de la cour d’appel de condamner l’assureur dommages-ouvrage à indemniser les copropriétaires de leurs pertes locatives jusqu’à la réalisation des travaux de réparation. Les juges du fond ont relevé que les travaux préconisés par l’expert désigné par l’assureur « n’avaient pas permis de remédier efficacement aux remontées humides ayant rendu insalubre l’appartement de ces derniers et que ce manquement contractuel était en lien avec leur préjudice consistant en la perte de loyers jusqu’à la cessation de ces désordres ». En effet, le lien de causalité entre la perte locative subie par les copropriétaires jusqu’à la réalisation effective des travaux de reprise des désordres matériels affectant les parties communes à raison desquels le syndicat des copropriétaires, seul à pouvoir les entreprendre, n’a pas été caractérisé. Il en résulte que le tiers à un contrat peut engager la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 (1382 ancien) du Code civil d’un contractant qui a manqué à une obligation contractuelle (ce qui correspond à la faute), en cas de dommage subi et de lien de causalité caractérisé entre la faute et ce dommage.
Notes de bas de pages
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1.
Sur les règles régissant la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat, v. C. civ., art. 1231 à C. civ., art. 1231-7.
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2.
Cass. 3e civ., 11 févr. 2009, n° 07-21.761 : RCA 2009, n° 111, note H. Groutel ; RDI 2009, p. 258, note G. Leguay ; D. 2009, p. 629 ; D. 2009, p. 1237 ; D. 2010, p. 1740, obs. H. Groutel ; JCP G 2009, 121, obs. S. Abravanel-Jolly ; Gaz. Pal. 30 avr. 2009, n°H3779, p. 23, note J. Brau-Vanot et P. Polère ; Gaz Pal. 13 févr. 2010, n° l0447, p. 33, note M. Périer.
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3.
Par ex. Cass. 1re civ., 18 févr. 2003, n° 99-12.203.
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4.
G. Leguay, « Travaux inefficaces et préjudices consécutifs : responsabilité des assureurs et des experts », obs. sous Cass. 3e civ., 11 févr. 2009, n° 07-21.761 : RDI 2009, p. 629.
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5.
Pour mémoire, l’article 1121ancien du Code civil disposait que : « On peut pareillement stipuler au profit d’un tiers lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut plus la révoquer si le tiers a déclaré vouloir en profiter ».
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6.
Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 : D. 2006, p. 2825, note G. Viney ; D. 2006, p. 2484, obs. I. Gallmeister ; D. 2007, p. 2900, obs. P. Jourdain et D. 2007, p. 2976, obs. B. Fauvarque-Cosson ; JCP G 2006, II 10181, concl. A. Gariazzo, note M. Billiau ; JCP G 2007, I 115, n° 4, obs. P. Stoffel-Munck ; JCP E 2007, 1523, nos 15 et s., obs. H. Kenfack ; Contrats conc. consom. 2007, n° 63, note L. Leveneur ; AJDI 2007, p. 295, obs. N. Damas ; LPA 22 janv. 2007, p. 16, note C. Lacroix ; LPA 16 mai 2007, p. 16, note V. Depadt-Sebag ; RCA 2006, étude 17, par L. Bloch ; RLDC 2007/34, n° 2346, note P. Brun ; RDI 2006, p. 504, obs. P. Malinvaud ; RDC 2007, p. 269, obs. D. Mazeaud ; RDC 2007, p. 279, obs. S. Carval, et RDC 2007, p. 379, obs. J.-B. Seube ; RTD civ. 2007, p. 61, obs. P. Deumier ; RTD civ. 2007, p. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD civ. 2007, p. 123, obs. P. Jourdain.
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7.
Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963 : D. 2020, p. 416, note J.-S. Borghetti ; D. 2020, p. 353, obs. M. Mekki ; D. 2020, p. 394, obs. M. Bacache ; AJ contrat 2020, p. 80, obs. M. Latina ; RTD civ. 2020, p. 96, obs. H. Barbier ; JCP G 2020, n° 92, avis Jean Richard de la Tour ; JCP G 2020, n° 93, note M. Mekki ; RCA 2020, étude 4, note L. Bloch ; RDC 2020, p. 40, note G. Viney ; RDC 2020, p. 11, note F. Dournaux ; DEF 5 mars 2020, n° DEF157m6, note N. Balat.
Référence : AJU017b6
