« Il faut penser un dispositif de catastrophe exceptionnelle »
Malgré les mesures d’aide aux entreprises prises par le gouvernement, de nombreuses défaillances d’entreprises sont attendues dans les mois qui viennent. Les assureurs doivent-ils venir en aide aux dirigeants ayant subi de fortes pertes de chiffre d’affaires du fait de la crise sanitaire ? Philippe Wagner, cofondateur de la plateforme de services juridiques Captain Contrat, fait le point sur la « garantie perte d’exploitation », souscrite par la moitié des TPE et PME.
LPA : Qu’est-ce que la garantie perte d’exploitation ?
Philippe Wagner : Cette garantie est souvent incluse dans une assurance responsabilité civile ou multirisques professionnelle. Elle vise à compenser les effets de la diminution du chiffre d’affaires et à permettre au dirigeant de couvrir les frais généraux permanents. Une indemnité est versée au titre de cette garantie. Le problème est que cette garantie couvre généralement les dommages matériels indemnisables : des accidents sur des appareils électriques, la destruction d’un local après un dégât des eaux, des dommages provoqués par un incendie ou une explosion. Toute la question est de savoir si la Covid-19 peut être considéré comme un dommage matériel indemnisable.
LPA : Quel est votre rôle ?
P.W. : Notre rôle premier est de favoriser l’accès au droit en donnant aux dirigeants d’entreprise le maximum d’informations, afin qu’ils puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause. Nous avons pu voir, dans ce domaine, certains cabinets d’avocats proposer leur aide en vendant des pré-audit de contrat d’assurance pour les TPE-PME. Ces derniers, voyant là un moyen de se faire indemniser, ont foncé tête baissée. C’est dommage, car s’il y avait dans leur contrat une exclusion de garantie pour les épidémies ou lorsque la perte d’exploitation est expressément limitée aux dégâts matériels, cela ne servait à rien de payer un tel service. Notre deuxième mission concerne ceux qui sont dans une démarche litigieuse avec leur assureur, dont ils contestent le refus de les indemniser. Nous leur proposons une mise en relation avec des avocats spécialistes.
La situation que nous traversons met en lumière ces contrats d’assurance, qu’en réalité plus personne ne lisait. Cela renforce le rôle d’agent général d’assurances, de courtier, professionnels dont le rôle est de détailler le contenu d’un contrat, ce que n’a pas le temps de faire le chef d’entreprise très pris par son activité.
LPA : Que conseillez-vous aux entreprises ?
P.W. : Les entreprises qui sont couvertes par une perte d’exploitation doivent regarder de près leur contrat. Il peut être précisé que la garantie perte d’exploitation ne couvre que les dommages matériels, auquel cas il sera impossible de faire valoir quoi que ce soit. La garantie perte d’exploitation peut couvrir les fermetures administratives imposées. Celles-ci ont concerné un certain nombre de secteurs d’activité, à commencer par celui de la restauration. L’entreprise, dans ce cas, doit être couverte, à condition que le contrat ne stipule pas une exclusion de garantie pour les épidémies. Si c’est le cas, l’assurance va faire jouer l’exclusion. Enfin, dans certains contrats, la garantie perte d’exploitation couvre les dommages quels qu’ils soient, et pas seulement matériels. Là encore, il faut vérifier qu’il n’y a pas d’exclusion de garantie liée aux épidémies. Si ce n’est pas le cas il y aura une indemnisation. Celle-ci peut être forfaitaire ou indemnitaire, c’est-à-dire proportionnelle aux pertes subies. Il existe une dernière possibilité d’intervention, dans le cas où la clause d’exclusion concernant les épidémies aurait été mal rédigée. Le droit des assurances est aujourd’hui bien encadré. Pour qu’une clause d’exclusion soit valable, elle doit remplir trois conditions : être limitée, clairement apparente dans le contrat, et le périmètre de l’activité couverte ou exclue doit être clairement défini. Les assureurs le savent et soignent généralement les contrats. Nous avons néanmoins vu des cas de contrats litigieux. Les entrepreneurs ayant subi une grosse perte de chiffres d’affaires ont alors pu tenter leur chance et obtenir gain de cause sur l’annulation de l’exclusion de garantie.
LPA: Pourquoi si peu d’entreprises sont-elles couvertes ?
P.W. : La garantie perte d’exploitation n’est pas obligatoire. Seule la moitié des TPE-PME en bénéficient, d’après les chiffres de la Fédération française de l’assurance. Parmi celles qui ont souscrit une telle garantie, peu peuvent s’en prévaloir, car il n’y a pas, dans les pertes d’exploitation liée au Covid-19, de dommage matériel. La deuxième difficulté est qu’il y a, dans beaucoup de contrats, une exclusion de garantie concernant les épidémies. Au final, 93 % des entreprises ne sont pas couvertes par cette garantie perte d’exploitation. Seules 5 % des TPE-PME ont une chance d’obtenir gain de cause. Ce n’est pas très démocratique.
LPA : Les assureurs sont-ils trop frileux ?
P.W. : Il est dommage de voir d’un côté, des assureurs solides, et de l’autre, des TPE-PME qui ne peuvent pas se faire indemniser. Cela dit, les entreprises n’ont pas les capacités financières d’assurer 100 % des sinistres liés au Covid-19. L’assiette de sinistre a augmenté de manière exponentielle avec cette crise sanitaire et il n’est pas envisageable que 100 % des TPE-PME soient assurés avec leur contrat d’assurance classique. Pour que les entreprises soient couvertes, la seule solution viable consisterait à imaginer un dispositif exceptionnel calqué sur celui de la catastrophe naturelle, qui ferait intervenir l’État.
LPA : Quelle forme prendrait ce dispositif exceptionnel ?
P.W. : En cas de catastrophe naturelle, d’inondation par exemple, les dégâts sont tellement importants que les assurances ne peuvent pas intervenir seules sans se mettre elles-mêmes en danger. L’État aide alors les commerces et la population en souffrance. Il y a une réflexion à mener aujourd’hui sur le régime de catastrophe sanitaire liée au Covid-19. Le gouvernement réfléchit avec la Fédération française de l’assurance à une manière de couvrir plus largement les entreprises. On évoque une situation de « catastrophe exceptionnelle », qui pourrait recouvrir des actes terroristes, des pandémies, des émeutes. Cette disposition pourrait être ajoutée à des contrats d’assurance existants, soit dans des garanties contre les incendies : 100 % des entreprises seraient couvertes car elles ont toutes un contrat de protection de locaux. Elle pourrait également être intégrée dans les garanties de perte d’exploitation. Cela ferait déjà 50 % des entreprises couvertes, et on peut imaginer que si le champ d’indemnisation était plus important, un plus grand nombre d’entreprises voudrait prendre cette garantie. Il faut repenser ce système. En attendant l’amélioration de la garantie perte d’exploitation, les entreprises doivent demander les aides qui ont été mises en place pour leur permettre d’encaisser le choc.