La faculté de blocage des assurances-vie : une mesure disproportionnée

Publié le 10/02/2017

L’article 49 de la loi dite Sapin II a donné au Haut conseil de stabilité financière la faculté de procéder au « blocage » des contrats d’assurance-vie si cela s’avérait nécessaire à la préservation de la stabilité financière. Cette disposition, déférée au Conseil constitutionnel, n’a pas été censurée par lui. L’objectif poursuivi est louable, eu égard à l’importance de la préservation de la stabilité financière et à l’insuffisance des outils existants. Néanmoins il aurait pu être atteint par des moyens plus respectueux des droits et libertés en cantonnant la mesure aux fonds à capital garanti, avec des exceptions calquées sur les cas de déblocages anticipés de l’épargne salariale.

L’article 491 de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ou loi Sapin II a donné au Haut conseil de stabilité financière la faculté de procéder au « blocage » des contrats d’assurance-vie si cela s’avérait nécessaire à la préservation de la stabilité financière. Cette disposition, déférée au Conseil constitutionnel, n’a pas été censurée par lui2.

Pourtant, si l’objectif poursuivi est louable (I), il apparaît néanmoins que l’atteinte aux droits et libertés est disproportionnée (II).

I – Un objectif louable

A – La préservation de la stabilité financière

À la suite de la crise financière de 2008, les banques centrales ont diminué leurs taux directeurs. Elles en attendaient la mise en place d’un cercle vertueux susceptible de relancer la croissance économique. La baisse du coût de refinancement des banques auprès de la Banque centrale devait rendre le crédit meilleur marché, stimuler la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. Les résultats de cette politique monétaire conventionnelle ont été jugés insuffisants. C’est pourquoi les banques centrales ont injecté directement des liquidités dans l’économie en intervenant par le biais de rachats massifs de titres, principalement d’obligations souveraines, sur les marchés financiers. L’objectif était d’orienter les capitaux vers des placements plus risqués, tels que les actions, mais aussi potentiellement plus créateurs de croissance. La demande des banques centrales, principalement pour les obligations souveraines, a entraîné une hausse de leur prix et donc une baisse de leur rendement. Les émetteurs ont alors pu se refinancer à des taux d’intérêt très faibles, voire négatifs. Cette politique n’a pas été sans incidence sur le secteur de l’assurance, et notamment sur l’assurance-vie3. En effet, l’essentiel de l’encours et de la collecte de l’assurance-vie en France concerne les fonds en euros, dans lesquels le capital versé est garanti par l’assureur. Au 31 décembre 2014, les fonds en euros représentaient 73 % des encours4. Les fonds en euros sont souvent investis, pour leur plus grande part, en obligations souveraines, considérées comme les moins risquées ainsi que plus généralement en obligations présentant un risque de défaut peu élevé (« investment grade »). La politique des banques centrales a d’abord eu pour effet de générer des plus-values latentes sur les portefeuilles obligataires. Mais le réinvestissement résultant des obligations arrivées à échéance et des fonds collectés, à niveau de risque équivalent, ne peut générer que des rendements beaucoup plus faibles. Cela explique que le gouverneur de la Banque de France ait pu exhorter les assureurs à diminuer les rendements servis par les contrats d’assurance-vie. En cas de remontée des taux d’intérêts, les épargnants pourraient être tentés d’effectuer des rachats, voire de clôturer leurs contrats d’assurance-vie, pour investir sur des obligations nouvelles, plus rémunératrices. Dans le même temps les portefeuilles des assureurs se trouveraient globalement en moins-values latentes. Si les demandes de rachat sur les fonds à capital garanti étaient trop nombreuses cela pourrait enclencher une spirale baissière que les assureurs ne pourraient pas répercuter sur leurs clients. La moins-value finale demeurerait à leur charge.

B – L’insuffisance des outils existants

La préservation de la stabilité financière en cas de réalisation du scénario ci-dessus exposé serait difficile à atteindre avec les outils juridiques antérieurs à la loi Sapin. L’Autorité de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR) peut prendre des mesures microprudentielles. Ainsi, l’article L. 612-33 du Code monétaire et financier, relatif aux mesures conservatoires que peut prendre le superviseur, dispose notamment que : « 7° [l’ACPR peut] ordonner à une personne mentionnée aux 1° (entreprises d’assurance), 3° (mutuelles) et 5° (institutions de prévoyance) du B du I de l’article L. 612-2 de suspendre ou limiter le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages, le versement d’avances sur contrat ou la faculté de renonciation (…) ». La mise en œuvre de cette disposition suppose de viser un assureur en particulier, ce qui présente plusieurs inconvénients. Si les difficultés touchent l’ensemble du secteur, c’est plutôt une mesure macroprudentielle qui serait nécessaire. Viser un assureur en particulier, c’est « officialiser » la fragilité de cette situation et l’entourer d’une défiance destructrice. Enfin les mesures de police administrative que peut prendre l’ACPR supposent de respecter une procédure contradictoire (art. L. 612-35). Or le respect de ce formalisme n’est pas toujours compatible avec l’urgence économique. Il est vrai que dans ce cas l’urgence permet de le différer. Il n’en demeure pas moins que la procédure contradictoire devra être suivie. S’il faut en ouvrir pour l’ensemble du marché, il est possible d’en conclure que ces mesures microprudentielles n’apparaissent pas très adaptées à la situation redoutée.

Les mesures ainsi créées par la loi Sapin répondent donc bien à un but d’intérêt général, que les outils existants ne permettaient pas de satisfaire pleinement.

II – Une atteinte disproportionnée aux droits et libertés garantis par le bloc de constitutionnalité

Les dispositions créées par l’article 49 de la loi Sapin heurtent de plein fouet le droit de propriété et la liberté contractuelle. Cette atteinte aurait pu être justifiée s’il n’avait pas existé d’autres moyens de parvenir au but recherché. Le cantonnement des dispositions aux fonds à capital garanti par l’assureur (A) et la création de cas de déblocages anticipés, calqués sur ceux existants dans le cadre de l’épargne salariale (B) auraient permis d’atteindre un équilibre plus respectueux des droits et libertés garantis par le bloc de constitutionnalité.

A – Le cantonnement aux supports à capital garanti

Si les supports à capital garanti, ou « fonds en euros », représentent la majorité des encours de l’assurance-vie en France, ils n’en constituent pas pour autant la totalité. Or il existe des supports pour lesquels le risque de perte en capital n’est pas porté par l’assureur mais par le bénéficiaire. Ils sont généralement investis sur des actifs plus risqués tels que des actions. S’il est cohérent de permettre un blocage des « fonds en euros » pour prévenir une spirale baissière dangereuse pour les assureurs, cela l’est moins pour les « unités de comptes ». La moins-value résultant des pertes sur ces dernières préjudiciera aux seuls bénéficiaires et non pas à l’assureur. Avoir un régime différencié pour les fonds en euros et les unités de compte aurait été souhaitable. La sécurité du capital garanti a pour contrepartie la possibilité d’un blocage. A contrario son absence permet de conserver sa liquidité à l’unité de comptes. Le cumul de la garantie du capital et de la liquidité permanente est en effet une promesse de moins en moins réaliste. Ce choix entre sécurité et liquidité aurait pu constituer un nouvel argument pour les unités de comptes, qui participent davantage au financement des entreprises et donc de l’économie que les fonds en euros principalement investis en obligations souveraines.

Il semble que cette distinction n’ait pas totalement échappé au législateur en permettant que les mesures puissent porter sur « tout ou partie du portefeuille ». Le HCSF pourrait donc décider de ne bloquer que les opérations portant sur les fonds en euros. Malheureusement l’épée de Damoclès pèse également sur les unités de compte, alors même que cela ne se justifie pas. Alors qu’il était possible de sanctuariser la liquidité des unités de comptes et donc d’orienter la collecte et les arbitrages vers elle, le législateur a jeté le doute sur la liquidité de l’assurance-vie dans son ensemble. Cela risque de détourner davantage l’épargne nationale du financement de l’économie, au profit de l’épargne réglementée, des dépôts à vue et des « bas de laine ».

B – La création de cas de déblocage anticipés

Le blocage de l’assurance-vie aurait pu être assoupli sans compromettre la préservation de la stabilité financière. Le député Charles de Courson avait proposé de s’inspirer des hypothèses de déblocage anticipé de l’épargne salariale5. La naissance d’un enfant, le décès d’un proche, l’achat de la résidence principale ou la perte de son emploi sont des événements peu fréquents. Mais ce sont les principales circonstances, avec la retraite, qui justifient un effort d’épargne. Le blocage d’un placement dans ces circonstances, alors qu’il avait été présenté comme parfaitement liquide, peut avoir de lourdes conséquences. Le rejet de l’amendement de Charles de Courson rigidifie donc considérablement l’assurance-vie. La méfiance des Français à l’égard des produits financiers, fortement ancrée dans l’inconscient collectif depuis la faillite de Law et le scandale de Panama, risque donc de s’en trouver renforcée, au détriment de la prospérité collective.

Notes de bas de pages

  • 1.
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=7CF9A75EB4A63CA4BB149856E65BD8F8.tpdila14v_1?idArticle=JORFARTI000033558565&cidTexte=JORFTEXT000033558528&dateTexte=29990101&categorieLien=id.
  • 2.
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriConst.do?oldAction=rechJuriConst&idTexte=CONSTEXT000033609260&fastReqId=1238856675&fastPos=1.
  • 3.
    http://www.lesechos.fr/23/05/2016/lesechos.fr/021956236116_les-taux-bas-----un-poison---pour-les-assureurs.htm.
  • 4.
    https://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/analyses-syntheses/201605-AS65-differentes-composantes-assurance-vie-evolution.pdf.
  • 5.
    http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/4045/AN/113.asp.
LPA 10 Fév. 2017, n° 124b8, p.12

Référence : LPA 10 Fév. 2017, n° 124b8, p.12

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