Assurances Abonnés

Théorie et pratique de la détermination de la date de conclusion du contrat d’assurance

Publié le 06/09/2024
parapluie, immobilier, assurance, protection, garantie
naum/AdobeStock

Bien qu’il soit classiquement enseigné que le contrat d’assurance se forme lorsque l’assureur accepte l’offre émise par le souscripteur, l’analyse théorique et pratique de la conclusion des contrats d’assurance révèle des logiques bien plus diversifiées, fluctuant selon l’assurance considérée.

1. Spécial parmi les plus spéciaux, outre certes le contrat de travail, le contrat d’assurance demeure soumis au droit commun des contrats en raison de sa nature contractuelle, au demeurant prévue par le livre premier du Code des assurances. Il se forme, s’exécute et s’éteint à l’instar de tous les autres contrats, en dépit de la tendance prétorienne consistant à mettre à l’écart, fût-ce partiellement, le droit commun au profit du droit spécial des assurances1. Néanmoins, de multiples formalités précèdent la formation du contrat d’assurance2, de sorte qu’il devient parfois difficile de déterminer sa date exacte de conclusion. Nous allons donc tenter d’éclairer au mieux l’ensemble des praticiens de l’assurance dans cette détermination.

2. La doctrine majoritaire suggère aujourd’hui l’analyse suivante3 : la proposition d’assurance n’engageant pas l’assureur4, c’est le souscripteur qui formule une offre de contrat d’assurance en proposant à l’assureur de garantir un risque et ce dernier manifeste son acceptation en apposant sa signature sur la police, symbole de sa volition concordante avec celle du candidat à l’assurance. Quelques auteurs ont toutefois avancé un avis diamétralement opposé, soutenant que c’est l’assureur qui émet une offre de contrat d’assurance qu’accepte le souscripteur5. Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence a, semble-t-il, oint l’analyse majoritaire en jugeant que « l’apposition de la signature de l’assureur sur la police qu’il a établie conformément à la proposition de l’assuré marque son acceptation de l’offre de contracter et caractérise cette jonction de volontés »6 sauf si la police produite par l’assureur diffère de la proposition faite par l’assuré, ce dont il résulte qu’elle constitue une « autre pollicitation »7. La seule exception à ce schéma est la clause de signature qui subordonne la perfection du contrat à la signature de la police par le souscripteur, clause dont la validité est en toute vraisemblance8 admise par la Cour de cassation9. Cette exception sera écartée de l’analyse car elle ne pose pas de difficulté, la date de la conclusion du contrat étant à l’évidence celle de la signature de la police par le souscripteur. Néanmoins, le schéma selon lequel l’assureur accepte une offre émise par le souscripteur n’épuise, à n’en pas douter, guère toutes les situations concrètes soumises aux juges du fond et ne permet pas, en tout état de cause, de déceler avec certitude la date de conclusion du contrat d’assurance.

3. Or la détermination de cette date n’est pas dépourvue d’intérêt. En effet, il existe, en matière contractuelle10, un principe de survie de la loi ancienne en vertu duquel le contrat est régi par la loi en vigueur au jour de sa conclusion11, sauf exception12. Il s’ensuit que la date de conclusion du contrat comporte une incidence primordiale dans l’identification du droit applicable qui ne doit pas être éludée. Il existe d’ailleurs des contentieux où cette incidence appert sans difficulté, tels que celui de la renonciation au contrat d’assurance sur la vie où l’on remarque que l’article L. 132-5-1 du Code des assurances, fondement textuel de cette faculté de renonciation, a été modifié à maintes reprises. Hélas, on ne peut que constater que la détermination de la date de conclusion du contrat d’assurance ainsi que le droit qui lui est applicable ne sont pas toujours maîtrisés par les avocats, quelquefois à dessein suivant un raisonnement captieux, et les juridictions du fond.

4. À quel moment précis le contrat d’assurance est-il formé ? Qui formule l’offre d’assurance ? Qui l’accepte ? Quelle version des conditions générales et particulières est applicable lors de la survenance d’un sinistre ? Toutes ces questions et d’autres encore, un avocat et un magistrat spécialisés de l’assurance doivent se les poser pour chaque dossier car elles conditionnent la résolution du litige, la loi applicable ainsi que les conditions et exclusions de garantie pouvant varier au fur et à mesure de l’évolution du temps. Les réponses à ces questions diffèrent selon qu’on se situe en matière d’assurances de dommages (I) ou d’assurances de personnes (II), les logiques étant fort contrastées.

I – Détermination dans les assurances de dommages

5. En matière d’assurances de dommages, les contrats d’assurance sont très fréquemment conclus pour une durée déterminée, avec possibilité de reconduction tacite13 conformément à l’article 1215 du Code civil, la jurisprudence antérieure à la réforme opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 l’admettant déjà au surplus14. L’effet singulier de la tacite reconduction, la distinguant de la prorogation du terme extinctif du contrat, est la création d’un nouveau contrat15, ce que l’article 1215 du Code civil consacre dès lors que la tacite reconduction, selon ce texte, « produit les mêmes effets que le renouvellement du contrat » et que le renouvellement donne « naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent »16.

6. Toutefois, le droit des assurances aménage quelque peu le régime de la tacite reconduction. D’une part, la police doit contenir une clause qui rappelle les conditions de la tacite reconduction17, ce que le droit commun n’exige pas. D’autre part, l’article L. 113-15, alinéa 2, du Code des assurances limite la durée de la tacite reconduction à une année alors qu’en vertu de l’alinéa 2 de l’article 1214 du Code civil, le contrat tacitement reconduit devient à durée indéterminée. Ces aménagements ne sont pas sans conséquence à l’égard de la détermination de la date de conclusion du contrat d’assurance, justifiant dès lors de distinguer la conclusion initiale (A) de la reconduction tacite (B).

A – Conclusion initiale du contrat d’assurance

7. Analyser la conclusion initiale du contrat d’assurance paraît, prima facie, assez simple. Le contrat d’assurance étant consensuel18, il suffit de rechercher lorsque le souscripteur et l’assureur se sont accordés sur les garanties et la prime, puisque l’offre doit contenir les « éléments essentiels du contrat envisagé »19 et que l’acceptation doit être conforme à l’offre20. Mais qui formule l’offre de contrat ? Le souscripteur, qui entre en contact avec l’assureur ou, plus concrètement, son agent général ? L’assureur, qui propose les garanties et prime ? La doctrine majoritaire, on l’a dit, estime que l’assureur accepte l’offre qu’émet le souscripteur.

8. Ce schéma de la formation du contrat d’assurance prête le flanc à la critique. Nul doute que « conformément au principe de sélection des risques, l’assureur n’est jamais en état d’offre permanente »21. Il n’est donc pas en situation d’offrant avant que le candidat à l’assurance se rapproche de lui. Mais peut-on estimer que le candidat à l’assurance est le pollicitant alors qu’il n’a connaissance ni du montant de la prime ni des garanties et franchises afférentes ? L’opposition doctrinale sur ce point nous paraît venir de cette contradiction : l’assureur n’est pas l’offrant en première intention, en raison de la sélection des risques opérée par lui ; le candidat à l’assurance n’est pas davantage l’offrant dès lors qu’il ne propose ni prime, ni garanties. Il nous semble qu’il faille considérer l’assureur en état de pré-offre permanente : il présente, à qui le souhaite, une pré-offre de contrat d’assurance, en ce qu’elle ne précise que le principe de l’assurance dont les modalités demeurent, à ce stade, indéterminées. Le candidat à l’assurance va par la suite soumettre sa situation personnalisée à l’assureur qui va, au moyen notamment de la déclaration de risque faite par le candidat22, formuler une offre contenant les éléments essentiels du contrat d’assurance projeté, à savoir les garanties et la prime. Le souscripteur peut ensuite soit accepter l’offre, en signant la police, soit la refuser, s’il estime par exemple que le montant de la prime est trop élevé. Le contrat d’assurance devant, nonobstant son caractère consensuel, nécessairement être établi par écrit ad probationem23, la détermination de sa date de conclusion est, par conséquent, assez aisée dans le schéma classique : c’est le jour où le souscripteur signe la police qu’il accepte l’offre et que, par voie de conséquence, le contrat d’assurance est formé. Cette date figure dans les conditions particulières, selon la célèbre formule « fait à (…), le (…) ».

9. Mais ce ne sera pas toujours aussi limpide. Primo, il n’est pas rare que les conditions particulières ne soient, en fait, pas signées par le souscripteur. Outre que la date de prise d’effet ne donne aucun indice sur la date de conclusion du contrat24, ces deux dates pouvant en tous points être différentes, déterminer la date de conclusion du contrat d’assurance, si cette date est contestée en justice, devient un exercice plus délicat. Il faudra consulter les mails, appels téléphoniques ou tout autre échange entre le souscripteur et l’assureur pour essayer de se rapprocher au mieux du jour exact où le candidat a, nolens volens, accepté l’offre émise par l’assureur. Secundo, les conditions particulières s’accompagnent toujours, par définition, de conditions générales, voire de conventions spéciales ou d’annexes. Selon la formule classique, le souscripteur reconnaît, en signant les conditions particulières, « avoir connaissance des conditions générales n° [référence] dont il a reçu un exemplaire », conformément aux critères d’opposabilité posés par la jurisprudence25 et cristallisés au sein de l’alinéa 1er de l’article 1119 du Code civil26. Les conditions générales comportent, chez les assureurs les plus consciencieux, des références qui varient en fonction de leurs années d’édition. Prenons l’exemple des tristement célèbres conditions générales Multirisque professionnelle d’Axa, ayant donné lieu aux arrêts du 1er décembre 2022 en matière de Covid-1927, pour lesquelles il existe notamment les versions 690200 G 11 2009 et 690200R 09 202028. Il est vrai que, en règle générale, les nouvelles moutures se contentent d’actualiser ci ou là des indices. Mais l’assureur peut décider d’ajouter ou supprimer une condition ou exclusion de garantie. Dès lors, quelle est la version applicable au litige ? Faut-il mobiliser la version initiale ou bien la plus récente ? La réponse dépend de la rédaction des conditions particulières. Si ces dernières indiquent expressis verbis une version précise, avec des numéros particuliers, seules sont applicables ces conditions générales et nulles autres. Dans notre exemple, si les conditions particulières signées indiquent « conditions générales Multirisque professionnelle 690200 G 11 2009 », ne pourront pas s’appliquer les conditions générales 690200R 09 2020. La seule possibilité pour changer la version applicable reste d’obtenir l’accord du souscripteur par le biais d’un avenant qui viendrait modifier le contrat d’assurance, celui-ci ne pouvant être unilatéralement amendé par l’assureur. Si les conditions particulières signées n’indiquent pas une version précise des conditions générales mais seulement leur nom, alors il pourrait être possible d’appliquer au litige la version la plus récente avant le sinistre. Aucun obstacle ne paraît l’empêcher, le contrat d’assurance se reconduisant tacitement au surplus.

B – Reconduction tacite du contrat d’assurance

10. L’effet de la reconduction tacite est de donner naissance à un nouveau contrat, en l’occurrence chaque année en droit des assurances. La détermination de la date de conclusion initiale du contrat d’assurance est donc, en pratique, fréquemment occultée tant les sinistres se produisent plusieurs années après la souscription du contrat. Si un sinistre survient, c’est alors le contrat le plus récemment reconduit qui régira la relation entre les deux parties. La date de survenance du sinistre fournit ainsi le droit applicable à la situation contractuelle. Prenons l’exemple du contentieux des pertes d’exploitation en raison de l’épidémie de Covid-19. L’épidémie et les pertes d’exploitation subséquentes étant advenues à partir de 2019, soit bien après l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 qui l’a ratifiée, les juges du fond ne peuvent pas appliquer le droit antérieur à ces deux textes, tel l’article 1131 ancien du Code civil. C’est pourtant ce qu’a fait la cour d’appel de Besançon dans un arrêt rendu le 26 janvier 202229, arrêt au demeurant cassé pour un autre motif30. Ne simplifions pas abusivement les choses : on ne doit pas appliquer le droit positif au jour du sinistre, sauf à priver le principe de survie de la loi ancienne de toute portée. Le raisonnement doit se faire en trois étapes. Primo, le juge identifie la date de survenance du sinistre. Secundo, il regarde quel contrat était en vigueur à cette date. Tertio, il applique le droit en vigueur lors de la date de reconduction dudit contrat. Par exemple, si un contrat se reconduit tacitement chaque 1er mai et un sinistre survient le 24 mars 2017, alors, au moment de la survenance du sinistre, était en vigueur le contrat tacitement reconduit le 1er mai 2016, en sorte que s’applique le droit en vigueur à cette date, soit celui antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

11. La date de la tacite reconduction ne coïncide pas toujours avec la date de conclusion initiale du contrat. Un contrat peut être conclu le 3 mai et se reconduire tacitement chaque 1er janvier, cette date « anniversaire » étant volontiers retenue en pratique. Il est donc impossible de raisonner in globo et le juge doit scrupuleusement vérifier la date d’effet de la tacite reconduction, par une lecture attentive de la clause qui la prévoit. Ci-gît la méthode lui permettant de déterminer la date de conclusion du contrat reconduit d’année en année : s’applique le droit en vigueur au jour de la reconduction tacite du contrat valable lors de la survenance du sinistre. Cette méthode ne peut cependant valoir en matière d’assurances de personnes.

II – Détermination dans les assurances de personnes

12. Les choses ne sont pas tout à fait identiques en matière d’assurances de personnes, les contrats n’étant que très rarement conclus pour une durée déterminée mais plutôt pour une durée indéterminée, entraînant ipso facto la mise à l’écart de la tacite reconduction. De surcroît, la phase de conclusion diffère fondamentalement de celle présente dans les assurances de dommages. Toute la subtilité des assurances de personnes, pour déterminer la date de conclusion du contrat, siège dans la qualité du candidat à l’assurance : est-ce un souscripteur ou un adhérent ? En d’autres termes, s’opposent31 le contrat d’assurance individuelle (A) et le contrat d’assurance collective (B).

A – Hypothèse de l’assurance individuelle

13. Deux situations se dégagent. En premier lieu, il s’agit de l’assurance vie en cas de décès, plus communément appelée « assurance vie ». Le souscripteur conclut un contrat d’assurance afin que l’assureur verse à un tiers bénéficiaire un capital lors du décès de l’assuré. La conclusion du contrat s’opère en pratique de cette façon : le souscripteur rencontre l’assureur qui lui remet un imprimé préétabli sur lequel il doit remplir un questionnaire. À la suite de la réception du questionnaire, l’assureur élabore une police d’assurance s’il accepte de garantir le risque décès32. Serait-ce donc une application logique du schéma classique exposé par la doctrine majoritaire, selon lequel le souscripteur formule une offre que l’assureur accepte en signant la police d’assurance ? Cela fleure bon l’artifice. Pour rappel, constituent les éléments essentiels du contrat d’assurance les garanties dues par l’assureur et la prime à verser par le souscripteur. Toutefois, il faut nuancer étant donné que l’assurance sur la vie possède une particularité de régime qui l’isole des autres : le paiement de la prime est facultatif, en ce que « l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’a pas d’action pour exiger le paiement des primes »33. La prime ne fait donc, semble-t-il, pas partie des éléments essentiels pour la formation du contrat d’assurance vie en cas de décès, outre que les versements futurs sont inconnus, à tout le moins pour l’assureur, même si le candidat lui indique toujours, lorsqu’il remet son questionnaire, le montant du versement initial qu’il effectue. La connaissance de la prime par le candidat à l’assurance ne permet pas de déterminer l’auteur de l’offre en matière d’assurance sur la vie. En revanche, lors de la première rencontre entre l’assureur et le candidat, ce dernier ignore tout des garanties octroyées par l’autre. Il ne peut ainsi pas formuler une offre que l’assureur accepterait. Il semble, par conséquent, inexact d’affirmer que dans les assurances sur la vie en cas de décès, le souscripteur formule une offre que l’assureur accepte pour conclure le contrat. Au contraire, c’est l’assureur qui propose un contrat d’assurance au candidat qui l’approuve en signant la police. Il en résulte que la date de formation du contrat se détermine en regardant la date de signature de la police par le souscripteur.

14. En second lieu, l’assurance individuelle de personnes peut désigner l’assurance non-vie, telle que l’assurance contre les accidents corporels. La prime constitue en cette matière un élément essentiel du contrat d’assurance, l’article L. 132-20 du Code des assurances n’étant pas applicable aux assurances contre les accidents corporels34 et plus largement, peut-on dire, aux assurances en cas de vie. Le candidat à l’assurance va, au moment de ses premiers échanges avec l’assureur, lui exposer sa situation personnelle en répondant à un questionnaire de santé qui, en pratique, ne comporte qu’une dizaine de questions générales au maximum. Mais si le souscripteur ne peut répondre par la positive à l’ensemble des questions, alors l’assureur exige de lui qu’il remplisse une « fiche de santé » détaillée à souhait, avec de multiples questions plus précises les unes que les autres35. L’assureur est derechef en position d’offrant, même si le paiement des primes est obligatoire. Le candidat lui expose sa situation et l’assureur proposera, au vu du questionnaire rempli, de garantir ou non le risque déclaré aux conditions de garanties et prime que le candidat acceptera ou non. Le contrat est, dans ces conditions, parachevé à la même date que celle qui vaut pour l’assurance en cas de décès : le jour de signature de la police par le souscripteur. En conclusion, quelle que soit l’assurance individuelle de la personne considérée, le contrat est conclu selon un procédé identique, donc à une date qui se détermine d’une égale façon. Reste que l’assurance de personnes peut aussi être collective.

B – Hypothèse de l’assurance collective

15. L’assurance collective, ou « de groupe »36, se forme d’une manière bien différente, en raison de sa nature particulière consistant à réunir, sous les mêmes conditions de garantie, des personnes exposées aux mêmes risques. Dans cette hypothèse, le souscripteur est, à l’instar du souscripteur en matière d’assurances de dommages, celui qui conclut le contrat d’assurance avec l’assureur et qui est de facto le débiteur de l’obligation de régler la prime37. Mais une couche supplémentaire s’ajoute avec l’adhérent38, à savoir le candidat à l’assurance de groupe qui, faisant précisément partie du groupe, sollicite le bénéfice des garanties en formulant une demande d’adhésion comprenant un questionnaire de santé. En fait, l’assurance collective de personnes est, la plupart du temps, souscrite par des employeurs pour en faire profiter leurs salariés adhérents39 ou bien par les banques afin que leurs clients disposent d’une assurance emprunteur40. On retrouve le même système que celui jadis évoqué à propos de l’assurance individuelle de personnes : le candidat doit répondre à quelques questions générales et, en cas d’une ou plusieurs réponses négatives, il doit remplir une fiche de santé détaillée à l’extrême sur sa situation. Tout le système de détermination de la date de conclusion du contrat d’assurance tourne autour de cette demande d’adhésion.

16. On ne peut utilement transposer le schéma doctrinal de la conclusion du contrat exposée au début de l’étude en matière d’assurance collective de personnes sans que le raisonnement achoppe sur une erreur, car les garanties et primes ont d’ores et déjà été déterminées entre l’assureur et le souscripteur. Le contrat d’assurance de groupe a été conclu en amont et le candidat à l’assurance souhaite y adhérer, c’est-à-dire devenir une partie à ce contrat41 afin de bénéficier de l’indemnité d’assurance en cas de réalisation du risque assuré. En conséquence, le candidat est en position d’offrant : il propose sa situation personnalisée à l’assureur qui peut soit accepter l’adhésion soit la refuser en raison d’un questionnaire de santé insatisfaisant voire absent. Le contrat d’assurance est formé entre l’adhérent et l’assureur au jour où celui-ci a accepté l’adhésion42 et non au jour de la rédaction du bulletin comme l’ont parfois décidé certaines juridictions du fond43. C’est alors le certificat d’adhésion qui manifeste le consentement de l’assureur à l’adhésion demandée par l’adhérent, la simple réception du bulletin d’adhésion ne constituant en rien une volition de l’assureur d’assurer le risque. Par exemple, dans un arrêt naguère rendu par la cour d’appel de Paris44, le bulletin d’adhésion avait été rempli le 3 août 2000 et le certificat émis le 22 septembre 2000, en sorte que le contrat d’assurance de groupe avait été formé entre l’adhérent et l’assureur à cette dernière date, bien que le moment de la rencontre des volontés ne fût nullement contesté en l’espèce. Ainsi que l’a jugé la cour d’appel de Versailles, « l’envoi par le salarié du bulletin d’adhésion ne marque que sa volonté d’adhérer »45. Cela ne dénie pas pour autant toute valeur contractuelle au bulletin46 ; seulement, le contrat n’est pas formé au jour de sa signature, ni même de son envoi, mais au jour où l’assureur accepte l’adhésion. Toute la difficulté réside dans la manifestation tacite de l’acceptation qui peut, suivant un arrêt rendu par la Cour de cassation47, résulter de la perception des primes en l’absence de bulletin d’adhésion et de questionnaire. Cette décision nous paraît tout de même excessive parce que reposant sur une compréhension de la volonté de l’assureur assez aventurée : sans bulletin d’adhésion ni questionnaire, comment l’assureur aurait-il pu se forger une opinion sur le risque à assurer ? On peut raisonnablement estimer que si l’assureur encaisse une prime sans mot dire après avoir reçu le bulletin signé, alors le contrat d’assurance a été formé entre lui et l’adhérent au jour de la perception de la prime. Mais la condition sine qua none nous paraît être au minimum l’envoi du bulletin et du questionnaire de santé afférent, sans quoi l’assureur est dans l’impossibilité d’avoir quelconque opinion du risque. La date de conclusion du contrat d’assurance se situe finalement au jour où l’assureur accepte l’offre émise par le souscripteur, par l’émission d’un certificat d’assurance ou par toute volition tacite indiquant son acceptation.

17. En définitive, la détermination de la date de conclusion du contrat met à l’épreuve toute la sagacité des praticiens de l’assurance. Elle impose de vérifier à quel moment précis le candidat à l’assurance ou l’assureur a manifesté son acceptation relative aux garanties et prime proposées par l’autre, outre que la tacite reconduction, par la succession ininterrompue de contrats qu’elle engendre, bouleverse l’identification du droit applicable, utilité principale de cette détermination. Nul n’ignore que celle-ci est, en théorie comme en pratique, indispensable pour la résolution de tout litige, fût-il assurantiel.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour une illustration de cette tendance, v. Cass. 2e civ., 12 oct. 2023, n° 22-13759, B : JCP G 2023, 1330, obs. A. Pimbert ; GPL 9 janv. 2024, n° GPL457r8, obs. D. Houtcieff ; GPL 12 mars 2024, n° GPL460k4, obs. P. Giraudel ; RTD civ. 2023, p. 859, obs. H. Barbier ; RGDA nov. 2023, n° RGA201p4, note J. Kullmann ; BJDA 2023, n° 89, comm. 5, note A. Nivert ; Resp. civ. et assur. 2023, comm. 297, note V. Tournaire ; LEDC déc. 2023, n° DCO201w7, obs. L. Molina ; LEDA déc. 2023, n° DAS201q2, obs. P.-G. Marly ; RD bancaire et fin. 2024, comm. 9, note N. Leblond.
  • 2.
    L’assureur doit notamment fournir au souscripteur une fiche d’information (C. assur., art. L. 112-2, al. 1er) ainsi qu’un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information (C. assur., art. L. 112-2, al. 2).
  • 3.
    En ce sens : S. Bertolaso, JCl. Responsabilité civile et assurance, fasc. 505-40, nos 41 et s. ; H. Groutel, Droit des assurances, 14e éd., 2018, Dalloz, p. 76-77 ; Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., 2017, Dalloz, n° 257, p. 214-215. V., plus nuancé et distinguant plusieurs hypothèses, P.-G. Marly, Droit des assurances, 2013, Dalloz, n° 80, p. 71-72.
  • 4.
    C. assur., art. L. 112-2, al. 6.
  • 5.
    B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 4e éd., 2021, LGDJ, n° 290, EAN : 9782275090337.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 19 mars 1996, n° 94-14635, D : RGDA 1996, p. 590, note F. Vincent ; Resp. civ. et assur. 1996, comm. 235.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 15 juill. 1975, n° 74-11020 : Bull. civ. I, n° 234, p. 197.
  • 8.
    D’aucuns contestent cette validité (J. Kullmann, Le Lamy Assurances 2023, n° 529).
  • 9.
    Cass. 1re civ., 28 févr. 1989, n° 87-12005 : Bull. civ. I, n° 93, p. 60 ; D. 1989, IR, p. 94.
  • 10.
    En matière extracontractuelle, on doit appliquer, conformément à l’article 2 du Code civil, la loi en vigueur au jour du fait dommageable (Cass. crim., 18 juin 1975, n° 74-92880 : Bull. crim., n° 159, p. 441 ; D. 1975, IR, p. 171 ; RTD civ. 1976, p. 133, obs. G. Durry).
  • 11.
    Cass. civ., 27 mai 1861 : S. 1861, 1, p. 507 : « les contrats passés sous l’empire d’une loi ne peuvent recevoir aucune atteinte par l’effet d’une loi postérieure ».Pour une décision plus récente, Cass. 1re civ., 12 juin 2013, n° 12-15688 : Bull. civ. I, n° 125, p. 127 ; D. 2013, Jur., p. 1873, note A. Marais et D. Noguéro ; D. 2013, Pan., p. 2196, obs. J.-J. Lemouland et J.-M. Plazy ; RTD civ. 2013, p. 577, obs. J. Hauser ; AJ fam. 2013, p. 507, obs. G. Raoul-Cormeil ; Dr. famille 2013, comm. 27, note I. Maria ; LEFP sept. 2013, n° 119, p. 5, obs. G. Raoul-Cormeil.
  • 12.
    Une disposition législative peut être immédiatement applicable aux contrats en cours. Tantôt, c’est le législateur qui le prévoira expressément. Tantôt, c’est le juge qui l’effectuera, en raison du caractère d’ordre public du texte (v. par ex. Cass. soc., 12 juill. 2000, n° 98-43541 : Bull. civ. V, n° 278, p. 219) ou de son objet qui a trait à un effet légal du contrat (v. par ex. Cass. 3e civ., 3 juill. 2013, n° 12-21541 : Bull. civ. III, n° 89, p. 94 ; D. 2013, Somm., p. 1742, obs. Y. Rouquet ; D. 2014, Pan., p. 1659, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; GPL 3 août 2013, n° GPL141m7, obs. J.-D. Barbier ; AJDI 2014, p. 34, note J.-P. Blatter ; Loyers et copr. 2013, comm. 275, note E. Chavance).
  • 13.
    Sur la tacite reconduction du contrat d’assurance, v. l’analyse originale de F. Leduc, « La formation tacite du contrat d’assurance », in Mélanges offerts à Jean-Luc Aubert. Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit, 2005, Dalloz, p. 193 et s.
  • 14.
    V. par ex. Cass. 1re civ., 6 oct. 1969, n° 67-14297 : Bull. civ. I, n° 286 ; JCP G 1970, II 16205, note A. Besson ; RGAT 1970, p. 35, note A. Besson.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 2 déc. 2003, n° 00-19561, D : RGDA 2004, p. 143, note L. Mayaux ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 159, note H. Groutel.
  • 16.
    C. civ., art. 1214, al. 2.
  • 17.
    C. assur., art. R. 112-1.
  • 18.
    La jurisprudence est constante depuis Cass. req., 1er juill. 1941 : D. 1943, p. 57, note A. Besson. V. par ex. Cass. 1re civ., 15 févr. 1978, n° 76-13154 : Bull. civ. I, n° 62, p. 52.
  • 19.
    C. civ., art. 1114. Avant la réforme de 2016, v. par ex. Cass. 3e civ., 28 oct. 2009, n° 08-20224 : Bull. civ. III, n° 237.
  • 20.
    C. civ., art. 1118, al. 1er. Avant la réforme de 2016, v. par ex Cass. com., 17 juill. 1967 : Bull. civ. III, n° 299.
  • 21.
    CA Paris, 4-2, 24 avr. 2024, n° 21/11067.
  • 22.
    Sur cette obligation de déclaration du risque, v. C. assur., art. L. 113-2, 2°.
  • 23.
    En ce sens, C. assur., art. L. 112-3, al. 1er.
  • 24.
    En ce sens, Cass. 1re civ., 13 janv. 2004, n° 02-14604, D : RGDA 2004, p. 375, note L. Mayaux.
  • 25.
    Pour que les conditions générales soient opposables au souscripteur, il faut qu’elles aient été mises à disposition avant la signature des conditions particulières et que celles-ci y fassent expressément référence (Cass. 1re civ., 19 juill. 1989, n° 88-10289, D).
  • 26.
    « Les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »
  • 27.
    Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15392, B – Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-19341, B – Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-19342, B – Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-19343, B : GPL 28 mars 2023, n° GPL447q5, note P. Giraudel ; GPL 9 mai 2023, n° GPL448u5, note D. Houtcieff ; D. 2023, Chron. C. cass., p. 915, obs. S. Ittah ; D. 2023, Pan., p. 1142, obs. R. Bigot ; JCP G 2023, act. 160, note A. Pimbert ; JCP E 2023, 1020, note A. Touzain ; RDC juin 2023, n° RDC201k8, note F. Leduc ; BJDA 2022, n° 84, comm. 5, obs. P.-G. Marly ; RD bancaire et fin. 2023, comm. 11, note N. Leblond.
  • 28.
    On peut retrouver assez aisément ces versions sur internet.
  • 29.
    CA Besançon, 26 janv. 2022, n° 21/01449.
  • 30.
    Cass. 2e civ., 12 oct. 2023, n° 22-13759, B.
  • 31.
    Cette distinction semble propre aux assurances de personnes dès lors que, dans l’assurance de groupe, « les risques qu’elle couvre sont essentiellement liés à la vie et à l’intégrité physique de l’adhérent » (G. Courtieu, JCl. Responsabilité civile et Assurances, fasc. 518, n° 12).
  • 32.
    V., exposant la situation ainsi, N. Eymard-Gauclin et P. Lavielle, Le Lamy Assurances 2023, n° 3817.
  • 33.
    C. assur., art. L. 132-20, al. 1er.
  • 34.
    La position est constante depuis l’arrêt Cass. civ., 16 mai 1934 : RGAT 1934, p. 865.
  • 35.
    Les fiches de santé peuvent être longues d’au moins quatre pages de questions.
  • 36.
    C. assur., art. L. 141-1.
  • 37.
    En ce sens, Cass. 1re civ., 13 nov. 1996, n° 94-18731 : Bull. civ. I, n° 390, p. 272 ; Gaz. Pal. Rec. 1997, 1, som. p. 91, note A. Favre Rochex ; RGDA 1997, p. 221, note L. Mayaux ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. 109, note G. Courtieu.
  • 38.
    Si l’adhérent bénéficie des prestations, il doit alors verser au souscripteur sa part de la prime d’assurance (v. C. assur., art. L. 141-2). Tout défaut de paiement de prime peut, à la suite d’une procédure régie à l’article L. 141-3 du Code des assurances, entraîner l’exclusion de l’adhérent.
  • 39.
    La retraite supplémentaire, dite de troisième niveau, constitue l’application la plus connue d’assurance collective (v. Loi n° 2003-775, 21 août 2003).
  • 40.
    En ce sens, A. Touzain, JCl. Responsabilité civile et Assurances, fasc. 518-10, nos 16 et s.
  • 41.
    « L’adhésion à un contrat d’assurance groupe crée un lien direct entre l’adhérent et l’assureur, le souscripteur étant un tiers par rapport au contrat d’assurance liant l’assureur à l’adhérent assuré » (Cass. 2e civ., 12 déc. 2013, n° 12-29665, D : RGDA févr. 2014, n° RGA110f6, obs. L. Mayaux ; LEDB févr. 2014, n° 13, p. 7, obs. M. Mignot).
  • 42.
    En ce sens, G. Courtieu, JCl. Responsabilité civile et Assurances, fasc. 518, nos 100 et 109. V. également CA Paris, 4-8, 16 nov. 2021, n° 19/10932 : « M. K. a rempli et signé le formulaire d’adhésion qui a été accepté par ERISA le 7 février 2006 à hauteur de 40 % ; dès lors le contrat était parfait ».
  • 43.
    V. par ex. CA Rennes, 5e ch., 29 mars 2023, n° 19/08082 : « Mme [C] a souscrit une assurance de groupe en signant le bulletin d’adhésion au contrat de prévoyance PH Services le 3 décembre 2014 ».
  • 44.
    V. CA Paris, 4-8, 20 mars 2024, n° 21/13728.
  • 45.
    CA Versailles, 17e ch., 25 oct. 2023, n° 21/02933.
  • 46.
    Cette valeur contractuelle est souvent rappelée par les polices d’assurance (v. par ex. CA Paris, 4-8, 21 déc. 2022, n° 20/02454).
  • 47.
    Cass. 1re civ., 29 nov. 1977, n° 76-10805 : Bull. civ. I, n° 444, p. 351 ; RGAT 1978, p. 378, note J. Bigot.
Plan