CEDH : gestation pour autrui, rupture d’engagement et intérêt supérieur de l’enfant : la question de l’écoulement du temps

Publié le 26/04/2022

Une femme, qui avait accepté d’être fécondée par les gamètes du requérant, en concluant avec lui et son conjoint un contrat de gestation pour autrui. Elle confia l’enfant à sa naissance à un autre couple, contre un versement d’argent, prétendant que l’enfant était décédé.

Cet autre couple n’avait été informé ni de l’existence du couple formé par le requérant et son conjoint, ni de ce que l’enfant avait été conçu dans le cadre du contrat de gestation pour autrui.

La mère porteuse, à la suite de diverses plaintes et d’une enquête préliminaire, fut mise en examen des chefs d’escroquerie et de tentative d’escroquerie. Le requérant et son compagnon puis l’autre couple furent mis en examen pour provocation à l’abandon d’enfant.

Invoquant l’article 8, le requérant se plaint de ce que le rejet de sa demande tendant à établir sa paternité à l’égard de son fils biologique, né en France à l’issue d’une gestation pour autrui, constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée, dénuée de base légale et disproportionnée.

La Cour rappelle qu’une large marge d’appréciation est laissée à l’État défendeur dès lors notamment qu’il s’agit de mettre en balance des droits protégés par la Convention : d’un côté, le droit au respect de la vie privée du requérant, de l’autre côté, le droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, lequel implique le respect du principe de la primauté qui doit être conférée à l’intérêt de l’enfant.

S’agissant du raisonnement suivi par les juridictions internes, la Cour constate que, si la cour d’appel a déclaré les demandes du requérant irrecevables au motif qu’elles concernaient une situation résultant d’un contrat de gestation pour autrui entaché d’une nullité d’ordre public, elle s’est aussi attachée à mettre en balance les intérêts en présence. Ce faisant, elle a retenu qu’au regard de l’histoire de l’enfant, l’intérêt supérieur de ce dernier n’était pas nécessairement de voir modifier sa filiation actuelle et que soit établie sa filiation à l’égard de son père biologique, mais plutôt de continuer de vivre chez les époux auxquels il a été confié.

La Cour relève également que l’avocat général a invité la Cour de cassation à ne pas s’en tenir strictement à l’interdit pour apprécier la recevabilité de l’action du père biologique mais à considérer qu’il existe une exception à l’application des règles des articles 16 et suivants du code civil : leur contrariété avec l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour de cassation a suivi les préconisations de son avocat général en procédant à pareil contrôle pour en conclure qu’ayant mis en balance les intérêts en présence dont celui de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir, la cour d’appel n’a pas méconnu les exigences conventionnelles de l’article 8.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si la réalité biologique a indéniablement du poids dans les affaires telles que la présente espèce, cet élément s’efface devant l’intérêt supérieur de l’enfant lorsque l’une et l’autre ne concordent pas.

En l’espèce, la Cour note que la satisfaction des demandes du requérant aurait conduit non seulement à l’établissement de sa paternité à l’égard de l’enfant mais aussi à l’exercice par le requérant de l’autorité parentale. S’agissant de la situation de l’enfant, cela aurait mis fin à son lien juridique avec la structure familiale dans laquelle il évoluait de manière stable depuis sa naissance. La Cour rappelle à ce titre que la cour d’appel a statué dans le sens des conclusions de l’administrateur ad hoc qui représentait les intérêts de l’enfant devant.

Tout en précisant que son arrêt ne préjuge en rien de l’issue des démarches que l’enfant ou ses représentants légaux pourraient, le cas échéant, effectuer à l’avenir au regard de sa filiation, la Cour relève que la cour d’appel a indiqué que l’intérêt de l’enfant pouvait être que, le moment venu, il apprenne la vérité sur ses origines, et que soient envisagés d’éventuels contacts avec le requérant.

Les motifs retenus par le juge interne pour justifier l’ingérence litigieuse étaient en conséquence pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2.

Au demeurant, le choix des juridictions internes de placer au premier plan l’intérêt supérieur de l’enfant apprécié in concreto, est non seulement conforme aux exigences de sa jurisprudence, mais constitue aussi le seul moyen de régler la situation confuse et délicate dans laquelle se trouvait l’enfant, situation dont chacun des adultes protagonistes portait une part de responsabilité, la mère biologique de l’enfant, comme le requérant, son conjoint et les époux auxquels l’enfant avait été confié.

Il reste cependant que la procédure a duré six ans et environ un mois au total, ce qui n’est pas compatible avec le devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà souligné, lorsqu’est en jeu la relation d’une personne avec son enfant, le passage du temps est susceptible d’aboutir à ce que la question soit tranchée par un fait accompli. En l’espèce, l’enfant avait quatre ans quand le jugement a été rendu et lorsque la cour d’appel a statué, l’enfant avait presque cinq ans. Quant à la Cour de cassation, elle a rendu son arrêt lorsque l’enfant avait ainsi six ans et demi.

La Cour n’est pas convaincue par les explications du Gouvernement sur ce point. Elle ne voit pas en quoi la complexité de l’affaire justifiait cette durée. Par ailleurs, tout en prenant note des observations du Gouvernement en ce qui concerne les outils procéduraux dont le requérant aurait pu d’après lui faire usage pour accélérer la procédure, elle observe qu’il revient aux juges et conseillers de la mise en état de s’assurer du bon déroulement de la procédure.

La Cour constate ensuite que la cour d’appel a relevé que l’enfant vivait depuis son enfance avec les époux, ce qui indique qu’elle a pris en compte un état de fait dû au passage du temps.

Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du manquement de l’État défendeur au devoir de diligence exceptionnelle qui s’imposait à lui dans les circonstances de la cause.

Sources :
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