CEDH : Relations entre l’enfant et l’ex-compagne de la mère biologique

Publié le 06/04/2022

L’arrêt porte sur deux affaires. La première affaire concerne le rejet par les juridictions internes de la demande visant à l’adoption plénière d’un enfant par l’ancienne compagne de sa mère biologique.

La seconde affaire concerne le refus des juridictions internes de délivrer un acte de notoriété établissant la filiation, par possession d’état, entre un enfant et l’ancienne compagne de sa mère biologique.

La Cour rappelle que la question de l’existence ou de l’absence d’une vie familiale est d’abord une question de fait, qui dépend de l’existence de liens personnels étroits. La notion de « famille » visée par l’article 8 concerne non seulement les relations fondées sur le mariage, mais aussi d’autres liens « familiaux » de facto, lorsque les parties cohabitent en dehors de tout lien marital ou lorsque d’autres facteurs démontrent qu’une relation a suffisamment de constance. La Cour accepte ainsi, dans certaines situations, l’existence d’une vie familiale de facto entre un adulte ou des adultes et un enfant en l’absence de liens biologiques ou d’un lien juridiquement reconnu, sous réserve qu’il y ait des liens personnels effectifs.

La Cour relève tout d’abord, ainsi que cela ressort des éléments fournis par le Gouvernement, qu’au moment où les requérants ont saisi les juridictions internes puis la Cour de leurs prétentions, le droit français ne permettait pas d’établir juridiquement un lien de filiation entre un enfant mineur et l’ancienne compagne de sa mère biologique sans que ne soit affectée la situation juridique de cette dernière. Quelle qu’ait été la relation que l’un et l’autre avaient développée, les intéressés ne pouvaient, pour ce faire, recourir ni à l’adoption plénière, ni à l’adoption simple, ni à l’action en possession d’état. Il convient de plus de noter que le Gouvernement ne prétend pas qu’une autre voie aurait été ouverte à cette fin.

Elle relève aussi que, dans les deux requêtes, le grief tiré de l’article 8 ne tend pas à dénoncer une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale qu’aurait portée une autorité publique à l’encontre des requérants mais porte sur des lacunes du droit français qui selon eux, ont conduit au rejet de leurs demandes respectives et que ceux-ci estiment préjudiciable au respect effectif de leur vie privée et familiale.

Pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation des États membres dans l’ingérence dans leur vie privée et familiale, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est restreinte. En revanche, la marge d’appréciation est plus large lorsqu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates. Elle est d’une façon générale également ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit.

La Cour relève que, dans les deux affaires, depuis la séparation des couples, malgré l’absence de reconnaissance juridique d’un lien de filiation entre les enfants concernés et l’ex-compagne de leur mère biologique, les intéressés ont mené une vie familiale comparable à celle de la plupart des familles après la séparation du couple parental. Droit de visite et d’hébergement d’une part, d’autre part, partage de l’autorité parentale, ainsi que le permet le droit interne, et mise en place d’un système de garde alternée.

Dans les deux affaires, les requérants ne font pas état de difficultés au quotidien dans le déroulement de leur vie familiale et l’État défendeur a mis en place des instruments juridiques permettant de protéger le lien entre eux. Le temps écoulé dans les deux cas entre la séparation du couple et l’engagement des actions en adoption tend à indiquer que la relation avec les enfants n’a pas été remise en cause durant cette période. Au demeurant, si de telles difficultés devaient se présenter, il pourrait y être remédié sur le fondement de l’article 371-4 du Code civil qui prévoit que si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.

Rien ne permet donc, au vu des circonstance propres à chacune des deux affaires, de considérer que l’État défendeur aurait manqué à son obligation de garantir aux requérants le respect effectif de leur vie familiale.

Concernant l’atteinte prétendue au droit à la vie privée, la Cour souligne en premier lieu que, dans des situations telles que celles des requérants, il existe, en France, des instruments juridiques permettant d’obtenir une reconnaissance de la relation existant entre un enfant et un adulte. Ainsi, la mère biologique de l’enfant peut obtenir du juge le partage de l’exercice de l’autorité parentale avec sa compagne ou son ex-compagne. Si une telle décision n’entraîne pas l’établissement d’un lien juridique de filiation entre celle-ci et l’enfant, elle a néanmoins pour effet de l’autoriser à exercer à son égard des droits et des devoirs qui se rattachent à la parentalité et aboutit ainsi, dans une certaine mesure, à une reconnaissance en droit de leur relation. Par ailleurs, en cas de séparation et de mésentente des anciennes conjointes, le juge aux affaire familiales peut, si tel est dans l’intérêt de l’enfant, fixer les modalités de ses relations avec l’ex-compagne de sa mère.

En deuxième lieu, la Cour relève que depuis la publication de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, les couples de femmes qui ont eu recours à une AMP à l’étranger avant le 4 août 2021 ont, pendant trois ans, la possibilité de reconnaitre conjointement l’enfant dont la filiation n’est établie qu’à l’égard de la femme qui a accouché, ce qui a pour effet d’établir la filiation à l’égard de l’autre femme également. La séparation postérieure du couple est sans incidence sur l’application de ce dispositif.

Dans ces conditions, et eu égard à la marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur, fusse-t-elle réduite lorsque les intérêts supérieurs d’enfants mineurs sont en cause, la Cour estime, s’agissant du droit au respect de la vie privée des enfants, qu’un juste équilibre entre les intérêts en présence a été préservé.

Sources :
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