Transsexualisme : comment désigner un père biologique, juridiquement femme, sur l’acte de naissance de son enfant ?
Il est possible, depuis quelque temps, de changer de sexe à l’état civil sans intervention ou traitement médicaux. Un enfant peut être conçu avec « le spermatozoïde d’une femme » ou avec « l’ovule d’un homme ». Comment, alors, désigner ce parent sur l’état civil de l’enfant ? Le 16 septembre dernier, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel qui avait admis la possibilité d’utiliser la mention « neutre » : parent biologique.
Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, no 18-50080 et 19-11251
Le transsexualisme est un trouble de l’identité sexuelle, un syndrome, caractérisé par une opposition entre le sexe anatomique, chromosomique et hormonal, d’une part, et le sexe psychologique et psycho-social, d’autre part. Le droit, qui ne connaît que les hommes ou les femmes, et impose l’appartenance à l’une ou l’autre catégorie à partir de la naissance, a peiné à admettre un changement, en cours de vie. Si elle ne fait désormais plus de doute (I), la reconnaissance du transsexualisme connaît cependant des limites (II).
I – Le principe de la reconnaissance du transsexualisme
Pendant longtemps, la Cour de cassation a refusé aux transsexuels le droit de modifier leur état civil, qu’il s’agisse de la mention relative à leur sexe ou de celle concernant leur(s) prénom(s). Cependant, cette attitude a valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), pour violation de l’article 8 (respect de la vie privée) de la convention européenne des droits de l’Homme1. Afin d’éviter de nouvelles condamnations, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en 19922. Il a ensuite fallu attendre 2010, pour que le transsexualisme ne soit plus considéré comme une maladie mentale3.
Dans un premier temps, les juges du fond ont veillé à ce que les conditions posées par la Cour de cassation fussent remplies. La modification juridique du sexe supposait, en effet, la réalité du syndrome du transsexualisme, établie par une expertise, un traitement médico-chirurgical suivi dans un but thérapeutique, une perte du sexe anatomique d’origine, une apparence physique proche de l’autre sexe et, enfin, un comportement social correspondant à cette nouvelle apparence. Les tribunaux refusaient ainsi de modifier l’état civil lorsque la personne n’établissait pas la réalité du syndrome transsexuel dont elle était atteinte, ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence4. Ils pouvaient ordonner une expertise judiciaire pour fonder leur décision5.
La loi du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle, a allégé les conditions de changement de sexe. Désormais, l’article 61-5 dispose que « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :
1° qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;
2° qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;
3° qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ».
Les conditions médico-thérapeutiques ont été supprimées6. Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande de changement de sexe à l’état civil (C. civ., art. 61-6).
La demande est présentée devant le tribunal judiciaire lequel, s’il constate que le demandeur satisfait aux conditions fixées à l’article 61-5 du Code civil, ordonne la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l’état civil. Mention de cette décision est portée en marge de l’acte de naissance de l’intéressé, à la requête du procureur de la République, dans les 15 jours suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de chose jugée.
La reconnaissance du droit des transsexuels a soulevé plusieurs questions, auxquelles des réponses ont souvent été apportées par la jurisprudence, avec plus ou moins de difficultés.
D’abord, les tribunaux ont dû indiquer si la rectification de l’état civil du transsexuel entraîne la modification d’autres documents, tel son acte de mariage ou l’acte de naissance de ses enfants, établi avant le changement de sexe ? Dès les premières affaires, la jurisprudence a décidé que les jugements rendus en matière d’état des personnes sont constitutifs et non déclaratifs7. Ils n’ont d’effet que pour l’avenir. Les actes de naissance des enfants que le transsexuel a eus, avant de changer de sexe, ne sont pas modifiés8. Cette solution, largement approuvée, a été reprise à l’article 61-8 du Code civil, créé par la loi du 18 novembre 2016. Cela évite que l’enfant du transsexuel apparaisse comme né de deux femmes ou de deux hommes, ce qui peut porter atteinte à sa vie privée. Selon ce même raisonnement, l’article 61-7 du Code civil prévoit que les modifications de prénoms (la modification du sexe n’est pas visée) corrélatives à une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de l’état civil des conjoints et enfants qu’avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux.
Ensuite, s’est posée la question de savoir si le conjoint d’une personne qui change de sexe doit supporter d’être marié avec une personne du même sexe que lui, même si le mariage homosexuel est désormais autorisé en France ? Peut-on exiger, pour pouvoir changer de sexe, que le demandeur ne soit pas marié et, le cas échéant, qu’il divorce avant l’opération ? Lorsqu’une personne mariée change de sexe, ni l’annulation (car toutes les conditions de formation étaient remplies au moment de l’union), ni la caducité (car celle-ci n’est pas prévue pour le mariage) ne peuvent être invoquées. Il semble que la seule voie possible soit le divorce, mais sur quel fondement ? Si le transsexuel ne veut pas divorcer, son conjoint doit soit le quitter et attendre 2 ans pour demander le divorce pour altération définitive du lien conjugal, soit demander le divorce pour faute. Cette dernière solution, plus rapide, suppose, si le transsexuel est un conjoint « irréprochable », que le transsexualisme soit considéré comme une faute, au sens de l’article 242 du Code civil.
Au début des années 2000, des magistrats ont décidé que le changement de sexe d’un mari constituait « une violation grave des obligations et devoirs du mariage rendu impossible du fait de son apparence et de son état physique ». Ils ont considéré qu’il fallait « un responsable à l’obligatoire séparation qui ne [pouvait] être que le transsexuel, quand bien même sa volonté n’y serait pour rien » et ont décidé que le changement de sexe « oblige[ait] au prononcé du divorce puisque le mariage (…) ne [pouvait] être contracté entre personnes de même sexe »9. Le divorce a donc été prononcé aux torts exclusifs du transsexuel. Dans une autre affaire, les juges ont considéré que la modification de l’état civil n’était pas constitutive d’une faute. Toutefois, ne pouvant en pratique, à l’époque, maintenir un tel mariage, ils ont relevé que l’absence de prise en compte des implications conjugales générées par le nouveau statut et l’éloignement volontaire, depuis plusieurs années, constituaient une violation grave et renouvelée des obligations du mariage10. En 2009, un tribunal a carrément énoncé que « le mariage ne se limite pas à l’acte de célébration, mais constitue une institution sociale soumise à des règles, obligations et devoirs, mais aussi conditions dont celle de l’hétérosexualité ». Il a refusé de modifier l’état civil d’une personne qui avait changé de sexe, après 37 ans de mariage, et ne souhaitait pas divorcer, au motif que cela contreviendrait au principe de l’interdiction des mariages entre personnes de même sexe11.
L’ouverture du mariage aux couples homosexuels a remis en cause cette solution. L’union de personnes de même sexe étant désormais admise, le conjoint d’une personne qui change de sexe et qui n’est pas d’accord pour divorcer doit, pour rompre le mariage, engager un divorce pour faute ou pour altération du lien conjugal.
Enfin, il a fallu indiquer si un transsexuel peut se marier avec une personne de son sexe d’origine. Appliquant rigoureusement les conséquences du changement d’état civil, la CEDH l’a admis12. Si la réponse pouvait être négative, lorsque le mariage homosexuel était interdit en France, il semble désormais que rien n’empêche une telle union.
Alors que certaines questions ont trouvé réponses, même sans faire l’unanimité, d’autres sont encore en suspens. Il en est ainsi de la question de savoir si et comment un transsexuel peut être parent. Il s’agit de la principale limite à la reconnaissance du transsexualisme.
II – Les limites de la reconnaissance du transsexualisme
Avant la loi du 18 novembre 2016, lorsque le changement de sexe supposait une opération chirurgicale irréversible, seule l’adoption, la reconnaissance et le recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) pouvaient être envisagés pour qu’un transsexuel devienne parent. Or la CEDH13 et la Cour de cassation14 n’admettaient pas qu’un transsexuel pût reconnaître un enfant né d’une AMP, au motif que cela était contraire à la vérité biologique. La décision pouvait toutefois être critiquée dès lors que, en cas d’AMP avec donneur, la reconnaissance du mari ou du concubin de la mère est toujours contraire à la vérité biologique ! La question de l’adoption par un transsexuel ou d’une demande d’AMP par un couple dont l’un des membres est transsexuel n’a pas encore été clairement tranchée. À la suite d’un avis du défenseur des droits15, concernant la demande des personnes transsexuelles souhaitant procéder à une autoconservation de leurs gamètes, pour pouvoir éventuellement les réutiliser après leur transition, dans un projet de parentalité de couple, l’Académie nationale de médecine a insisté sur l’importance d’informer les personnes transsexuelles des conséquences des traitements qu’elles reçoivent et de favoriser des traitements compatibles avec une réversibilité de la gamétogenèse, en cas de projet parental. Elle a également demandé une clarification des conditions dans lesquelles peut être entreprise une conservation de gamètes, tenant compte de leur utilisation future16.
Avec les nouvelles dispositions créées par la loi du 18 novembre 2016, et déjà dans certains cas auparavant, la question de la paternité ou de la maternité du transsexuel est devenue très épineuse. Le fait que le juge ne puisse pas exiger la conversion sexuelle médicale et chirurgicale du demandeur, dont découle en principe une stérilisation, a d’importantes conséquences. Une femme devenue homme, du point de vue de l’état civil, peut concevoir, porter et mettre au monde un enfant. L’accouchement étant en France le critère de la maternité, comment cette situation est-elle traduite sur l’acte de naissance de l’enfant ? De même, comment un homme qui, devenu femme à l’état civil, conçoit un enfant, peut être mentionné à l’état civil ?
La justice a récemment eu à connaître, par exemple, d’une affaire où un homme s’est marié en 1999, a eu deux enfants, est devenu femme à l’état civil en 2011, en ayant conservé ses capacités reproductives masculines qui lui ont permis de concevoir un troisième enfant avec son épouse, en 2014. Ce père biologique, désormais femme sur son état civil, avait effectué une reconnaissance de maternité anténatale, devant notaire, et l’enfant a été déclaré à la mairie comme étant né de la seule mère biologique.
L’officier d’état civil et le tribunal de grande instance ont refusé de transcrire la reconnaissance de maternité sur l’acte de naissance de l’enfant, au motif qu’il est « impossible que deux personnes du même sexe soient les parents biologiques d’un enfant ».
Saisie de la question de la transcription de cette reconnaissance prénatale, et donc de la qualification – masculine ou féminine – d’une telle filiation, la cour d’appel a également rejeté la demande de transcription, sur les registres de l’état civil, aux motifs qu’une telle filiation « aurait pour effet de nier à l’enfant la filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle ».
Afin que soit mentionné, néanmoins, le lien entre l’enfant et le transsexuel, la cour d’appel a imaginé une nouvelle hypothèse et une nouvelle mention, en plus des filiations biologiques maternelle et paternelle. Il s’agit d’une filiation « neutre », avec la mention « parent biologique » à l’état civil17. Selon ces magistrats, seule cette mention était de nature à concilier, d’une part, l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique et, d’autre part, le droit du transsexuel de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l’enfant et le droit au respect de sa vie privée, le terme de « parent », neutre, pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère et la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre le transsexuel et son enfant.
Sur pourvoi du parent transsexuel et du procureur près la cour d’appel, la Cour de cassation a eu à connaître de cette affaire, le 16 septembre dernier18. La question a paru si importante que deux associations sont intervenues : l’association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) et l’association commune trans et homo pour l’égalité (ACTHE).
À l’appui de son pourvoi, le transsexuel, Mme X, avançait, notamment :
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qu’il est de l’intérêt supérieur de l’enfant de voir reconnaître la réalité de sa filiation biologique, mais qu’être désignée en tant que père porterait atteinte à sa vie privée. La seule solution est, alors, d’indiquer à l’état civil la mention « mère biologique » ;
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que, dès lors qu’elle est de sexe féminin à l’état civil et que le lien de filiation biologique n’est pas contesté, il y a lieu de faire produire effet à sa reconnaissance prénatale de maternité. À défaut, la cour d’appel crée entre les femmes ayant accouché de l’enfant et les autres mères génétiques une différence de traitement qui ne peut être considérée comme justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis, peu important à cet égard que cela conduise à l’établissement d’un double lien de filiation maternelle biologique ;
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que le conjoint de même sexe que le parent biologique d’un enfant est autorisé à adopter l’enfant dans le cadre d’une adoption plénière, de sorte qu’un enfant peut se voir reconnaître un lien de filiation avec deux personnes de même sexe. Mme X en conclut que si le législateur a estimé qu’une double filiation maternelle ne pouvait être établie que par la voie de l’adoption, c’est pour ne pas porter atteinte à la vérité biologique. Dès lors, selon elle, l’établissement d’une double filiation maternelle par la voie de l’accouchement et de la reconnaissance prénatale doit être admise lorsqu’elle n’est pas contraire à la vérité biologique ;
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qu’en refusant de reconnaître l’existence d’un lien de filiation maternelle entre elle et l’enfant, aux motifs qu’une déclaration de maternité non gestatrice aurait « pour effet de nier à [l’enfant] toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », alors que la réalité du lien biologique unissant l’enfant tant à Mme Y, l’épouse, qu’à Mme X n’était pas contestée et que les deux filiations maternelles ainsi établies, l’une par la reconnaissance prénatale et l’autre par la mention du nom de Mme Y sur l’acte de naissance après l’accouchement, n’étaient pas concurrentes et ne se contredisaient pas, la cour d’appel a en réalité refusé de faire droit à la demande de Mme X en raison de sa transidentité.
Tous ces arguments ont conduit Mme X à reprocher à la cour d’appel d’avoir violé les articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, 8 et 14 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et les articles 3-1 et 7 de la convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant.
À l’ensemble de ces développements, la Cour de cassation a répondu qu’aucun texte ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants nés après le changement de sexe de l’un de leurs parents biologiques et qu’il convient de se référer aux dispositions du Code civil relatives à l’établissement de la filiation.
D’une part, il n’est pas possible, hors adoption, d’avoir un double lien de filiation maternel ou paternel. Cela ressort de l’article 320 du Code civil. Un homme, devenu femme à l’état civil, qui procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privé du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père.
D’autre part, l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dispose que : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (…) ». Les dispositions du droit national poursuivent un but légitime, au sens de ce texte, en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation. Elles sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance et, d’autre part, en ce qu’elles confèrent à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et sœur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiqués. En permettant, par la reconnaissance de paternité, l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l’enfant et la personne transgenre qui l’a conçu, ces dispositions concilient l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale du transsexuel, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors la personne en question n’est pas contrainte de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue.
Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes, selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché.
Au regard de ces arguments, la haute juridiction estime que la cour d’appel pouvait conclure à l’impossibilité d’établir une double filiation de nature maternelle, en présence d’un refus de l’adoption intraconjugale, et rejeter la demande de transcription, sur les registres de l’état civil, de la reconnaissance prénatale de maternité.
Le procureur près la cour d’appel, de son côté, reprochait à l’arrêt d’appel la création de la mention « parent biologique ». Il avançait, à l’appui de son pourvoi, « que selon les dispositions de l’article 57 du Code civil, l’acte de naissance d’un enfant mentionne ses seuls “père et mère”, qu’en créant par voie prétorienne, une nouvelle catégorie non sexuée de “parent biologique”, la cour d’appel de Montpellier, même en faisant appel à des principes supérieurs reconnus au niveau international, a violé les dispositions de l’article 57 du Code civil ».
En réponse, la Cour de cassation a énoncé, visant effectivement l’article 57 du Code civil et l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, que la loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ». En statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et que, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
En définitive, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de transcription sur les registres de l’état civil de la reconnaissance de maternité de Mme X, à l’égard de l’enfant. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Toulouse.
Lors de la conception, et d’un point de vue biologique, le transsexuel a utilisé ses gamètes masculins, qu’il avait gardés, malgré le changement de sexe à l’état civil. L’enfant a été conçu grâce à la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule, issus respectivement d’un père biologique et d’une mère biologique, comme le reste de sa fratrie avant le changement de sexe à l’état civil. Il n’a pas deux pères biologiques ou deux mères biologiques, mais un père biologique et une mère biologique. Cependant, dans son quotidien, et d’un point de vue juridique, l’enfant vit avec deux personnes qui apparaissent à l’état civil comme de sexe féminin et qui se présentent comme deux mères. Et il n’existe pas – ou peut-être pas encore mais il n’appartient pas au juge de la créer – la mention « parent neutre » à l’état civil.
Avec la mention « père biologique », le risque est de porter atteinte à la vie privée du transsexuel. Avec la mention « mère biologique », le risque est de porter atteinte à la vie privée de l’enfant… question de risque donc, dans l’avenir… Avenir, d’ailleurs, dans lequel Mme X pourra peut-être revenir sur son choix de changement de sexe et redevenir homme, comme il est parfois permis de reprendre son prénom d’origine après changement, et d’autant plus qu’elle a gardé ses attributs masculins, mais où elle ne pourra pas revenir sur la conception de l’enfant. Mme X ne veut pas être indiquée à l’état civil comme le père biologique de l’enfant, pour une question de cohérence, et cela peut s’entendre. Cependant, elle l’est et le sera toujours, comme pour ses autres enfants, quel que soit le terme indiqué à l’état civil, parce qu’elle a fait le choix de concevoir un enfant avec ses gamètes masculins, alors même qu’elle était désignée à l’état civil comme femme. Là se trouve, indubitablement, le point de départ de l’incohérence, qu’il est à présent demandé au droit de gommer !
Il va revenir à la cour d’appel de Toulouse de se pencher à nouveau sur l’affaire… de déterminer comment peut être désigné sur l’acte de naissance d’un enfant, l’homme qui l’a conçu avec ses gamètes, après être devenu femme à l’état civil ; de déterminer s’il faut faire prévaloir la fonction sociale du parent, laquelle peut évoluer, ou la fonction de reproduction, laquelle est définitive19. Les magistrats savent, désormais, que les mentions « mère biologique », « père biologique » et « parent biologique » ne font pas l’affaire… que reste-t-il ? « Parent d’intention », peut-être, maintenant que cela est admis en cas de maternité de substitution…
Notes de bas de pages
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1.
CEDH, 25 mars 1992 : D. 1993, Jur., p. 101.
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2.
Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-11900 : Bull. civ. ass. plén., n° 13.
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3.
D. n° 2010-125, 8 févr. 2010, portant modification de l’annexe figurant à l’article D. 322-1 du Code de la sécurité sociale relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l’affection de longue durée « affections psychiatriques de longue durée ».
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4.
Deux arrêts, Cass. 1re civ., 13 févr. 2013, n° 11-14515 et Cass. 1re civ., 13 févr. 2013, n° 12-11949 : Bull. civ. I, nos 13 et 14. V., pour une décision acceptant la modification après vérification, CA Nancy, 10 avr. 2015, n° 15/0854.
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5.
Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 10-26947 et Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 11-22490 : Bull. civ. I, nos 123 et 124.
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6.
La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs condamné la France sur ce point en estimant que l’obligation de subir une opération stérilisante ou un traitement entraînant une très forte probabilité de stérilité pour changer la mention du sexe à l’état civil violait le droit au respect de la vie privée (CEDH, 6 avr. 2017, n° 79885/12).
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7.
CA Paris, 2 juill. 1998 : JCP G 1999, II 10005 ; JurisData : 1998-993270.
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8.
CA Rennes, 16 oct. 2012, n° 11/08743.
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9.
CA Nîmes, 7 juin 2000 : Dr. famille 2001, comm. 4 ; Juris-Data n° 123736.
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10.
TGI Caen, 28 mai 2001 : Dr. famille 2002, comm. 42.
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11.
TGI Besançon, 19 mars 2009 : JurisData n° 2009-024072.
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12.
CEDH, 11 juill. 2002 : D. 2003, Jur., p. 2032 – CEDH, 7 janv. 2004 : Dr. famille 2004, comm. 42.
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13.
CEDH, 7 avr. 1997 : JCP G 1998, I 107.
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14.
Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n° 02-16336 : Bull. civ. I 2005, n° 211.
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15.
Défenseur des droits, avis n° MSP/2015-009.
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16.
Académie nationale de médecine, 1er déc. 2015, Communiqué de presse, La conservation de gamètes des personnes transsexuelles avant un parcours de transition, À propos de l’avis du Défenseur des droits n° MSP/2015-009.
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17.
CA Montpellier, 14 nov. 2018, n° 16/06059.
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18.
Cass. 1re civ., 16 oct. 2020, nos 18-50080 et 19-11251.
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19.
À titre de comparaison, la Cour fédérale allemande a jugé que « l’Allemagne n’a pas outrepassé la marge d’appréciation laissée aux États en assignant à un enfant né ou conçu par une personne transsexuelle après le changement de sexe légal soit comme “père” soit comme “mère”, le sexe correspondant à la fonction de reproduction et non le sexe attribué au parent », décision du 6 septembre 2017 (XII ZB 660/14) : avis Caron-Deglise A., avocat général près la Cour de cassation, relatif à l’arrêt du 16 septembre 2020, commenté.