Ne bis in idem : conséquence de l’infléchissement de jurisprudence

Publié le 14/06/2022

Les liens identifiés entre différentes procédures diligentées à la suite de contrôles douaniers ayant permis la découverte d’importantes sommes transportées en espèces dans des caches aménagées à l’intérieur de véhicules automobiles, plusieurs personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel pour avoir notamment participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de blanchiment aggravé et à des opérations de blanchiment en bande organisée.

Le tribunal, après avoir requalifié les faits de blanchiment aggravé en blanchiment présumé en bande organisée, les condamne pour les faits qui leur sont reprochés.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le principe ne bis in idem interdit le cumul du délit d’association de malfaiteurs et d’une infraction aggravée par la circonstance qu’elle a été commise en bande organisée lorsque les mêmes faits ou des faits indissociables ont été retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée (Cass. crim., 9 mai 2019, n° 18-82800, Cass. crim., 16 mai 2018, n° 17-81151).

Elle considère cependant que le principe ne bis in idem n’est pas méconnu lorsqu’est retenue au titre de l’association de malfaiteurs la préparation d’infractions distinctes de celles poursuivies en bande organisée (Cass. crim., 9 mai 2019, n° 18-82885), y compris lorsque les faits retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée sont identiques (Cass. crim., 22 avr. 2020, n° 19-84464).

La Cour de cassation, infléchissant son interprétation antérieure, a jugé qu’un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne, outre le cas où la caractérisation des éléments constitutifs d’une infraction exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs d’une autre, lorsque l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes : dans la première, l’une des qualifications, telle qu’elle résulte des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue. Dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale (Cass. crim., 15 déc. 2021, n° 21-81864).

L’interdiction du cumul de qualifications implique ainsi désormais que soient remplies deux conditions cumulatives, l’une tenant à l’identité des faits matériels caractérisant les infractions en concours, l’autre à leur définition légale. Le cumul est autorisé lorsqu’une seule de ces conditions n’est pas remplie.

Dès lors, se pose la question de savoir si ledit infléchissement de jurisprudence est de nature à modifier les conséquences du principe ne bis in idem.

Aux termes de l’article 450-1 du Code pénal, le délit d’association de malfaiteurs réprime la participation à un groupement ou à une entente établie en vue de la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

Il résulte de l’article 132-71 du même code, tel qu’interprété par la jurisprudence, que la bande organisée, caractérisée par l’existence d’un groupement ou d’une entente établie en vue de la préparation caractérisée par un ou plusieurs faits matériels d’une ou plusieurs infractions, suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l’association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres (Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-88329).

La Cour de cassation juge que la bande organisée est une circonstance aggravante réelle, qui a trait aux conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou préparée et n’implique pas que l’auteur de l’infraction aggravée y ait lui-même participé (Cass. crim., 15 sept. 2004, n° 04-84143).

Il s’en déduit qu’au regard des textes d’incriminations le délit d’association de malfaiteurs, qui implique un acte de participation à un groupement établi en vue de la commission d’infractions, ne correspond pas à la circonstance de bande organisée, qui aggrave l’infraction dès lors qu’elle a été commise ou préparée par un groupement structuré, sans exiger que son auteur y ait participé.

Par ailleurs, les éléments constitutifs du délit d’association de malfaiteurs et de l’infraction consommée poursuivie en bande organisée ne sont pas susceptibles d’être incompatibles et aucune de ces qualifications n’incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction.

En conséquence, l’infléchissement de la jurisprudence relative à l’interprétation du principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes doit conduire à considérer que ce principe ne s’oppose pas à ce qu’une même personne soit déclarée concomitamment coupable des chefs d’association de malfaiteurs et d’une infraction commise en bande organisée, y compris lorsque des faits identiques sont retenus pour caractériser l’association de malfaiteurs et la bande organisée et peu important que l’association de malfaiteurs ait visé la préparation de la seule infraction poursuivie en bande organisée.

En l’espèce, les demandeurs ne sauraient donc reprocher aux juges de les avoir déclarés coupables concomitamment des chefs d’association de malfaiteurs et de blanchiment aggravé par la circonstance de bande organisée.

Sources :
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