Importante mise au point très logique sur le point de départ de la prescription
Une justiciable, conjoint survivant au décès de son mari désignée légataire de la quotité disponible entre époux, en présence de trois enfants, et héritière du quart des biens en pleine propriété selon un acte de notoriété établi par un notaire, une convention sous seing privé prévoyant les bases d’un partage amiable entre les héritiers, sous le contrôle des avocats des parties, assigne le notaire en responsabilité en faisant valoir que celui-ci avait manqué à son devoir d’information et de conseil quant à la possibilité de cumuler les droits légaux avec la libéralité testamentaire.
Le notaire est condamné au paiement des dommages et intérêts au titre de pertes de chance de pouvoir valablement opter pour un tel cumul et d’éviter les frais de procédure et, plusieurs années plus tard, le notaire et ses assureurs assignent l’avocate de la légataire aux fins de voir dire que celle-ci avait concouru, à hauteur des deux tiers, à la constitution du dommage et de la voir condamner à leur verser les deux tiers du montant de la condamnation prononcée à l’encontre du notaire.
Aux termes de l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il s’en déduit que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d’une procédure contentieuse l’opposant à un tiers, la Cour de cassation retient qu’il ne se manifeste qu’au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée (Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 18-26390) ou devenue irrévocable (Cass. 2e civ., 3 mai 2018, n° 17-17527) et que, son droit n’étant pas né avant cette date, la prescription de son action ne court qu’à compter de cette décision.
Ainsi, en matière fiscale, il est jugé que le préjudice n’est pas réalisé et que la prescription n’a pas couru tant que le sort des réclamations contentieuses n’est pas définitivement connu ou que le dommage résultant d’un redressement n’est réalisé qu’à la date à laquelle le recours est rejeté par le juge de l’impôt (Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-19259, Cass. 1re civ., 29 juin 2022, n° 21-10720).
En revanche, en matière d’action récursoire, il est jugé que la prescription applicable au recours d’une personne assignée en responsabilité contre un tiers qu’il estime coauteur du même dommage a pour point de départ l’assignation qui lui a été délivrée, même en référé, si elle est accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit. Tel est le cas du recours d’un constructeur, assigné en responsabilité par le maître de l’ouvrage, contre un autre constructeur ou son sous-traitant (Cass. 3e civ., 14 déc. 2022, n° 21-21305). De même, la prescription biennale de l’action récursoire en garantie des vices cachés court à compter de l’assignation (Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 20-10763).
Cette différence s’explique par la nature respective des actions.
Les premières sont des actions principales en responsabilité tendant à l’indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d’un droit contesté au profit d’un tiers. Seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l’intéressé en mesure d’exercer l’action en réparation du préjudice qui en résulte. Il s’en déduit que cette décision constitue le point de départ de la prescription.
Les secondes sont des actions récursoires tendant à obtenir la garantie d’une condamnation prononcée ou susceptible de l’être en faveur d’un tiers victime. De telles actions sont fondées sur un préjudice unique causé à ce tiers par une pluralité de faits générateurs susceptibles d’être imputés à différents coresponsables. Or, une personne assignée en responsabilité civile a connaissance, dès l’assignation, des faits lui permettant d’agir contre celui qu’elle estime responsable en tout ou partie de ce même dommage, sauf si elle établit qu’elle n’était pas, à cette date, en mesure d’identifier ce responsable.
Ces solutions, ainsi précisées, assurent un juste équilibre entre les intérêts respectifs des parties et contribuent à une bonne administration de la justice, en limitant, pour la première, des procédures prématurées ou injustifiées et en favorisant, pour la seconde, la possibilité d’un traitement procédural dans une même instance du contentieux engagé par la victime.
C’est donc à bon droit que, après avoir relevé que le notaire ne pouvait ignorer, dès la délivrance de l’assignation le concernant, ni l’erreur commune à tous les professionnels du droit intervenus, commise lors de l’établissement de l’acte de notoriété, ni le fait que l’épouse survivante n’avait pu obtenir la validation de l’option qu’elle avait entendu régulariser sur ses conseils, ni les conséquences préjudiciables qu’en tirait le conjoint survivant à son endroit, la cour d’appel retient que la prescription de l’action récursoire engagée par le notaire contre l’avocate avait commencé à courir au jour où la cliente l’avait assigné en responsabilité civile.
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