Tribunal de Paris : « Ce n’est pas rien, une expulsion, dans la vie d’un individu »

Publié le 20/05/2025 à 10h00

Chaque jour, des juges civils arbitrent des contentieux entre locataires et bailleurs, pour des histoires de loyers impayés. Bien que succinctes, ces audiences permettent d’entrevoir des situations humaines parfois difficiles.

Balance de la justice ©Renzo Piano
Balance de la Justice dessinée par Renzo Piano. Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©O. Dufour)

Dans un recoin du tribunal, tout au bout de l’aile nord, une juge seule contemple la salle spacieuse où justiciables et avocats ont pris place. Certains font la queue pour se signaler auprès de la commissaire de justice. D’autres attendent, assis, qu’on aborde leur affaire. « Je vais faire l’appel pour voir qui est là, puis j’appellerai votre dossier dans l’ordre du rôle », annonce la juge du tribunal de proximité, pôle civil.

Ce 29 avril, elle préside l’audience de référé « Juge des contentieux de la protection » (JCP). Chaque affaire oppose un bailleur à un locataire impécunieux ; ce jour-là, beaucoup de dossiers impliquent le bailleur social Paris-habitat et des locataires précaires qui n’ont pas réglé plusieurs loyers.

Le premier est très simple et se règle entre avocates : celle des propriétaires (privés) formule une demande de 4 862 euros, correspondant au loyer impayé et à la caution dues par Christelle M., qui ne conteste pas. Un avocat de la salle se lève : il représente la société d’assurance qui a indemnisé les bailleurs, et entend se subroger dans leurs droits pour obtenir le remboursement de la somme versée. L’avocate de Christelle détaille rapidement la situation de sa cliente : licenciée et sans ressource, elle n’a pas pu régler son loyer et a quitté son appartement. Elle a retrouvé un emploi, payé au SMIC, et demande un échelonnement de la dette sur 36 mois (la durée maximale), ce à quoi l’avocat de l’assurance s’oppose. Pas de longs arguments ni de joute verbale : le droit civil se règle à l’écrit, et la décision sera rendue le 5 août.

« L’autre partie est maintenue dans des lieux qui ne lui appartiennent pas »

Sur la gauche, un avocat fait des grands moulinets. L’avocate de son adversaire demande un nouveau renvoi. Il est ulcéré. « Je comprends, au vu du montant, que votre contradicteur soit agacé, ce n’est pas tous les jours qu’on voit une somme de 204 700 euros, déclare la magistrate.

— Ce n’est pas tant la somme, mais l’attitude complètement dilatoire de l’autre côté de la barre ! » rétorque le conseil.

L’avocate concernée semble gênée, mais elle vient d’être désignée et ne peut faire autrement que d’assumer l’héritage de la procédure. Son confrère ne décolère pas et refait l’historique : « Une première assignation datée du 16 février a fait l’objet d’un premier renvoi, avant d’être déclarée nulle. Second renvoi le 10 décembre 2024, et aujourd’hui 29 avril, après avoir reçu des conclusions à 13 h 43 pour une audience à 14 h, on vient me demander le renvoi ! Je rappelle que l’autre partie est maintenue dans des lieux qui ne lui appartiennent pas. Elle n’a payé aucun loyer depuis 2019 ! Je m’oppose catégoriquement au renvoi et demande à ce que le dossier soit retenu ! »

Un « bonjour » sonore lancé par une femme qui vient d’entrer ponctue comme un gong la tirade énervée de l’avocat en demande. La juge penche de son côté : « C’est vrai que c’est un peu léger d’arriver comme ça, sans justificatif. Donc, c’est dur, mais je vais retenir le dossier.

— Alors, je vais déposer, s’incline l’avocate. C’est-à-dire qu’elle dépose ses conclusions écrites, sans plaider.

— Parfait, répond la juge. (À l’autre avocat) Si vous pouviez être concis ? Puisqu’il y a tout dans le dossier. » Il demande le règlement de la somme due. Délibéré le 5 août.

« Aucun de vous n’est de mauvaise foi »

Dossier n°4 : Paris Habitat contre M. K. Un homme s’approche lentement : polo Fila, pantalon de jogging bleu Champion USA, tempes rasées et petit chignon stylisé, il lui est demandé le règlement de la somme de 2 966 euros, ainsi que de quitter les lieux. Il s’émeut : « Ce n’est pas rien, une expulsion, dans la vie d’un individu.

— Déjà, il y a une dette de loyer : est-ce que vous la reconnaissez ?

— Non.

— Vous pouvez vous en expliquer ?

— Je l’ai déjà fait longuement la dernière fois.

— Il y avait eu un renvoi pour que vous puissiez produire des justificatifs par rapport à une régularisation de charges. Vous avez des documents en mains, qu’est-ce que c’est ? »

Ce sont les preuves des virements faits à Paris Habitat, qui prétend n’avoir rien reçu. La présidente temporise : « Visiblement, vous avez fait des virements sur un compte qui n’est pas celui de votre bailleur, donc aucun de vous n’est de mauvaise foi. Ça ne sert à rien que je statue sur une demande d’expulsion qui est peut-être sans objet. » Elle renvoie le dossier au 12 juin. D’ici là, un règlement amiable aura probablement été trouvé.

Rabia G. arrive en claudiquant, fatiguée et sur une canne, dans un silence respectueux. Tunique blanche et bleue, fichu sur la tête, elle semble sereine lorsque l’avocat de son bailleur social formule une demande de 3 926,36 euros, puis ajoute : « Mais, Madame m’indique avoir reçu un chèque énergie d’un montant supérieur à la somme due, alors je ne demande qu’une indemnité minimum de 1 euro », complète-t-il.  La présidente se penche vers Rabia : « Il est important que je vous rappelle que vous devez continuer à régler le loyer résiduel (ce qui lui reste à payer après déduction des aides), sinon vous pourriez être expulsée à tout moment, sans audience. » Rabia opine lentement du chef et retourne s’asseoir. La décision, rendue le 5 août, lui sera envoyée par courrier.

« Elle n’arrivait plus à faire face à ses dépenses »

« Madame L. (dossier n°7) est une personne âgée de 71 ans avec laquelle c’est difficile d’échanger, cela n’a pas été aisé de communiquer », annonce son avocate. Sa cliente est absente. Elle a réussi à glaner les informations suivantes : retraite de 738,34 euros, loyer résiduel de 210 euros. « Elle n’arrivait plus à faire face à ses dépenses, c’est pourquoi elle a cessé de payer. J’ai insisté, et c’est la raison pour laquelle elle a réglé ce matin la dernière échéance. J’ai le mandat cash pour en attester », plaide l’avocate.

Le montant de la dette de madame L. est fixé à 10 554,16 euros. Madame L. demande un échéancier.

Les quatre dossiers restants ne sont pas en mesure d’être jugés et sont renvoyés. L’audience est levée. Elle a duré 40 minutes.

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