Le private equity, nouvel eldorado fiscal et patrimonial des chefs d’entreprise cédants
En ouvrant le mécanisme du report d’imposition de l’article 150-O B ter du CGI au private equity, le législateur permet au chef d’entreprise d’optimiser le coût fiscal de la cession de son entreprise tout en bénéficiant d’un champ de réinvestissement du produit de cession attractif.
Les chefs d’entreprise qui ont un projet de cession peuvent s’intéresser de près au mécanisme prévu à l’article 150-O B ter du Code général des impôts (CGI) qui permet d’optimiser fiscalement la plus-value dégagée lors de l’opération. Cette plus-value peut en effet bénéficier d’un report d’imposition, à condition que les titres de la société soient, non pas cédés, mais apportés à une structure holding qui cédera, par la suite, la société apportée.
La plus-value de cession réalisée par la holding devra être réinvestie au capital de sociétés opérationnelles, en direct ou, depuis 2019, via des fonds de private equity. Ce mécanisme permet donc de maximiser le produit de cession, tout en favorisant l’activité économique. Le point sur cette opportunité fiscale et patrimoniale émergente avec Agathe Laurent et Marion Capèle, respectivement responsable de l’offre private equity et directrice du pôle solutions patrimoniales chez Natixis Wealth Management.
Les Petites Affiches : Comment fonctionne le report d’imposition pour apport-cession ?
Marion Capèle : Lorsqu’un entrepreneur a le projet de céder son entreprise, plusieurs voies s’offrent à lui. Il peut tout d’abord céder les titres de son entreprise directement, sa plus-value sera alors taxée immédiatement à l’impôt sur le revenu. Ce schéma peut répondre à un besoin d’appréhender sans délai ni interposition le produit de la cession. De nombreux entrepreneurs, en amont de la cession de leur entreprise, font le choix d’apporter les titres de leur entreprise à une structure holding soumise à l’impôt sur les sociétés et contrôlée par eux-mêmes. Cette opération présente plusieurs atouts, dont celui de placer la plus-value d’apport en report d’imposition. Elle cristallise les modalités d’imposition et le taux en vigueur l’année de l’apport. La plus-value est figée et sa taxation différée.
LPA : Quelles sont les conditions posées au report d’imposition ?
M.C. : Le report d’imposition de la plus-value d’apport-cession est conditionné par des contraintes fortes relatives à la conservation des titres de la holding et de la société apportée. Ainsi, le report tombe en cas de cession à titre onéreux, du rachat, du remboursement ou de l’annulation des titres reçus en rémunération de l’apport, c’est-à-dire des titres de la holding. Si ce sont les titres de la société apportée – les titres de la société opérationnelle – qui sont cédés, rachetés, annulés ou remboursés par la holding, cette opération ne met pas automatiquement fin au report d’imposition. Il convient de distinguer deux situations, selon le timing des opérations.
Si cet événement intervient plus de trois ans après l’apport des titres, le report d’imposition est maintenu. La holding a donc toute liberté dans le remploi du produit de cession. En revanche, si cet événement intervient dans ce délai de trois ans, il met fin au report d’imposition, à moins que la holding prenne l’engagement d’investir le produit de la cession dans un délai de deux ans à compter de la date de la cession et à hauteur d’au moins 60 % du montant de ce produit dans certains investissements.
LPA : Les titres sont-ils totalement immobilisés pendant ce délai de 3 ans ?
M.C. : Non, fort heureusement, le délai de trois ans ne prive pas le chef d’entreprise de la possibilité de donner les titres de la société holding, auquel cas, le report est transféré sur les épaules du donataire. Depuis le 1er janvier 2020, le donataire doit conserver les titres pendant 5 ans (voire 10 ans pour un réinvestissement dans une structure de capital investissement). Par ailleurs, le chef d’entreprise peut également échanger ses titres, et ce, de façon illimitée depuis 2016.
LPA : Quels sont les investissements qui maintiennent le report d’imposition ?
M.C. : Le champ du réinvestissement du produit de la cession a été considérablement élargi au gré des lois de finances pour le faire correspondre au mieux aux réalités et aux besoins économiques des opérateurs. Dans sa version initiale applicable à compter du 14 novembre 2012, les fonds devaient être investis au capital des sociétés opérationnelles. En pratique, le chef d’entreprise cédant était amené à rester dans son vivier de connaissances et généralement dans son secteur d’activité.
Puis la loi de finances rectificative pour 2016 (L. fin. 2016, n° 2016-1918, 29 déc. 2016) a, parmi les évolutions apportées, ramené la durée de conservation nécessaire du réinvestissement à 12 mois. Surtout, la loi de finances pour 2019 (L. fin. 2019, n° 2018-1317, 28 déc. 2018) a résolu la principale difficulté du remploi en élargissant le champ du réinvestissement au private equity, mais en contrepartie de quoi, elle a fait passer le quota de réinvestissement de 50 à 60 %.
Pour rappel, le private equity peut être défini comme l’acquisition des titres d’une société non cotée qui recherche des fonds propres. Selon la maturité de l’entreprise cible, le private equity permet de financer la création, le lancement d’une société en participant à la constitution du capital social, ou son développement, voire son redressement financier en prenant part à une augmentation de capital. La dernière réforme incite donc les cédants à flécher les fonds vers l’économe réelle.
LPA : Concrètement, quels sont ces nouveaux investissements ?
M.C. : Depuis 2019 donc, il s’agit de la souscription de parts ou actions dans des fonds communs de placements à risques (FCPR), des fonds professionnels de capital investissement (FCPI), des sociétés de libre partenariat (SLP), des sociétés de capital-risque (SCR) et des organismes similaires aux entités ci-dessus établis dans un autre État membre de l’EEE. Ces nouvelles perspectives de réinvestissement dans des parts de FPCI et de FCPR répondent à l’intérêt accru des investisseurs privés pour le private equity.
LPA : Quels sont les quotas d’investissement auxquels sont soumis les fonds ?
Agathe Laurent : Les supports d’investissement sont consacrés au financement d’une activité commerciale. Le fonds va devoir réinvestir en respectant deux quotas : 75 % de ses actifs doivent être des prises de participations au capital de sociétés opérationnelles. Il faut effectivement une activité économique à la clé. Et ses actifs doivent être à hauteur de 50 % au moins des participations dans des sociétés non cotées. Cette condition n’est plus spécifiquement prévue par l’article 150-O B ter du CGI, mais elle relève de la règlementation des fonds.
LPA : Quel est le calendrier des opérations ?
A.L. : Le contribuable dispose d’une marge de temps confortable puisque la holding va souscrire les parts du fonds et pour ceux-ci, signer un engagement suffit dans les deux ans de l’apport. Le fonds va ensuite s’engager à appeler les capitaux dans le délai de 5 ans, le temps pour lui d’investir dans le sous-jacent. Au terme de ce délai de 5 ans, le fonds devra avoir respecté les quotas de 75 et 50 %. Au total, le contribuable dispose donc de 7 ans pour libérer les capitaux, alors qu’en cas de réinvestissement en direct dans une société opérationnelle, il ne dispose que de deux ans.
LPA : Et sur le plan financier ?
A.L. : Un fonds en private equity constitue son portefeuille de sociétés en croissance sur 4 ou 5 ans, puis il revend ses participations pour générer une plus-value, le principe étant de doubler la valeur de la société cible sur une période moyenne de 5 ans. Il s’agit donc d’un investissement à long terme car entre l’engagement et la récupération des fonds – lors de la distribution de la dernière cession –, il peut s’écouler de 8 à 12 ans. Ce temps long peut déconcerter le nouvel investisseur.
LPA : Quelles précautions doit prendre l’investisseur ?
A.L. : Elles sont nombreuses compte tenu du risque de perte en capital induit par cet investissement. L’investisseur doit sélectionner très soigneusement la société de gestion sur la base de son expertise, ses performances passées, son équipe de gérants. Mais aussi sur le ou les fonds dans lesquels le fruit de son travail va être placé : fonds généraliste ou sectoriel, nombre d’investissements prévu par le fonds et maîtrise du risque, valeurs des entreprises, implication du gérant et part majoritaire ou non dans le capital, rythme de valorisation des fonds (mois, trimestre, semestre), les frais et la notion de carried interest. Dans l’ensemble, la sensibilité des dirigeants est, par nature, assez compatible avec l’activité du private equity qui constitue une classe d’actifs attrayante. Ses performances s’avèrent plus élevées que celles de l’immobilier et de l’investissement coté. Certains, parmi les fonds, ont réalisé deux à trois fois le capital investi. Cependant, il existe d’importants écarts de performance entre les meilleurs fonds et les moins bons.
LPA : Comment a évolué ce marché en 2020 ?
A.L. : L’année 2020 n’a pas démenti l’intérêt des investisseurs pour cette classe d’actifs. Malgré le confinement, l’année 2020 a enregistré 4 200 transactions dans l’Union européenne, pour 450 Md€. Les fonds ont levé 190 Md€, à peine moins qu’en 2019, selon les chiffres du 2020 Annual PE european breakdown pitchbook.
LPA : Existe-t-il une garantie contre le risque fiscal ?
M.C. : Il n’existe pas de garantie contractuelle proprement dite contre le risque de perte. En revanche, il est certain que l’assurance du montage fiscal repose sur la sélection d’une société de gestion solide, sérieuse, et s’appuie sur une collaboration étroite avec des avocats fiscalistes qui valident la composition des fonds.