Val-de-Marne (94)

Servitude de marchepied : le cas emblématique des bords de la Marne

Publié le 21/01/2022
Marne
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Dans le Val-de-Marne (94), la servitude grevant les bords de la Marne pose des difficultés d’application. Une situation qui est loin d’être isolée et qui a l’attention des pouvoirs publics.

L’Agence départementale d’information sur le logement du Val-de-Marne (ADIL Val-de-Marne) vient de faire le point sur la notion de servitude (Adil 94, Les servitudes, note juridique n° 61, juin 2021). Une servitude est une charge établie sur un immeuble, dit fonds servant et pour l’usage et l’utilité d’un autre immeuble, appartenant à un autre propriétaire dit fonds dominant (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2001). Un sujet qui a donné lieu à une polémique dans le Val-de-Marne, les riverains s’alarmant d’une privatisation des bords de la Marne, des terrains grevés d’une servitude de marchepied. Une situation qui n’est pas isolée. Depuis le début des années soixante-dix, les situations conflictuelles se sont multipliées. Elles ont été encore amplifiées à la suite de l’ouverture de l’usage de la servitude aux piétons. Elles surgissent sur les bords de la Marne, mais aussi les bords de l’Erdre, des lacs d’Annecy et du Léman. « Ces conflits ont généré une importante jurisprudence qui confirme l’application de cette servitude mais avec des délais parfois longs dans la mise en œuvre effective des jugements et avec un caractère chronophage pour les services », constate un rapport de 2017 consacré à cette servitude par le ministère de la Transition écologique (Ministère de la Transition écologique et Solidaire, Servitude de marchepied : situation générale, rapport, n° 010676-02, B. Arnould, J. Berthet et A. Delaunay, mai 2017). Le rapport préconise de « faciliter l’accès du public aux rives des cours d’eau et des lacs domaniaux en combinant les divers outils utilisables pour permettre le passage sur la servitude de marchepied, mais aussi la création d’accès transversaux ou de sentiers de liaison lorsque le passage au plus près de la rive pose problème, grâce à la passation de conventions, d’acquisitions amiables voire d’expropriations ».

Un droit réel immobilier

La servitude est un droit réel immobilier, rappelle l’ADIL 94. Elle ne pèse pas sur les propriétaires mais uniquement sur l’immeuble. Opposable aux tiers, elle doit à cette fin faire l’objet d’une publicité foncière. Accessoire indissociable du fonds dominant, elle ne peut donc être ni saisie ni cédée ou hypothéquée indépendamment de ce fonds. Si les servitudes sont, en principe, perpétuelles, il est possible de créer des servitudes temporaires, pour une durée déterminée. De plus, il existe un certain nombre de causes d’extinction des servitudes. Cette extinction peut se faire par suite de l’impossibilité d’en user ou de leur inutilité. Ainsi, une servitude de passage pour cause d’enclave s’éteint lorsque le terrain qui en bénéficie n’est plus enclavé. L’extinction des servitudes peut se faire par la confusion des fonds, c’est-à-dire découler de la réunion de la qualité de propriétaire des fonds dominants et servants. En cas de séparation ultérieure des fonds dominant et servant, la servitude n’est pas automatiquement rétablie et suppose un nouvel acte constitutif. La servitude est également éteinte par le non-usage pendant 30 ans. La prescription extinctive concerne toutes les servitudes du fait de l’homme. Elle ne s’applique pas, sauf exception, aux servitudes légales et naturelles. Enfin, les servitudes conventionnelles peuvent s’éteindre par renonciation du propriétaire du fonds dominant. La renonciation signifie l’abandon d’un droit. Le notaire établit alors un acte authentique constatant cette renonciation à servitude qu’il publie au service de la publicité foncière afin de le rendre opposable aux tiers. Le Code civil distingue plusieurs catégories de servitudes. Il s’agit notamment des servitudes qui dérivent de la situation naturelle des lieux (C. civ., art. 640 et suivants). Elles concernent l’écoulement des eaux et le bornage. Les servitudes de droit privé comprennent les servitudes de mitoyenneté, les servitudes de vue et les servitudes de droit de passage en cas d’enclave. Enfin, l’ADIL 94 rappelle l’existence des servitudes établies par le fait de l’homme. Les propriétaires peuvent en effet établir sur leurs propriétés les servitudes qui leur conviennent, à condition qu’elles ne soient pas contraires à l’ordre public.

Une servitude légale

Conformément à l’article L. 2131-2 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP, art. L.2131-2) « les propriétaires riverains d’un cours d’eau ou d’un lac domanial ne peuvent planter d’arbres ni se clore par haies ou autrement qu’à une distance de 3, 25 mètres. Leurs propriétés sont grevées sur chaque rive de cette dernière servitude de 3,25 mètres, dite servitude de marchepied ». Et tout propriétaire, locataire, fermier ou titulaire d’un droit réel, riverain d’un cours d’eau ou d’un lac domanial est tenu de laisser les terrains grevés de cette servitude de marchepied à l’usage du gestionnaire de ce cours d’eau ou de ce lac, des pêcheurs et des piétons. La servitude de marchepied qui a donné lieu à l’offensive des riverains des bords de Marne est une servitude légale. Lorsque la servitude a pour objet l’intérêt général on parle de servitude d’urbanisme ou d’utilité publique. Elles ont pour objet l’utilité publique ou communale. Les servitudes d’urbanisme trouvent leur fondement dans le Code de l’urbanisme. Elles imposent souvent des servitudes passives (interdiction de dépasser une certaine hauteur), ou actives (obligation de réaliser des plantations). Les servitudes d’utilité publique sont, quant à elles, issues de législations indépendantes du droit de l’urbanisme et instituées par des lois et règlements particuliers (Code de l’environnement, Code rural, Code de la santé publique…). Elles sont susceptibles d’avoir une incidence sur la constructibilité et plus largement sur l’occupation des sols. En principe, afin de préserver les finances locales, les servitudes d’urbanismes n’ouvrent droit à aucune indemnité, sauf « s’il résulte de ces servitudes, une atteinte à des droits acquis ou une modification de l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain. Cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui tient compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du PLU approuvé ». En revanche, les servitudes d’utilité publique peuvent donner lieu à indemnisation en cas de dépossession et préjudice anormal et spécial.

Des évolutions législatives

La servitude de marchepied qui grève les propriétés riveraines d’un cours d’eau ou d’un lac domanial a valeur de servitude d’utilité publique. Cette servitude était à l’origine liée à l’entretien du domaine public fluvial (DPF) et à l’usage de la batellerie. « La servitude a évolué vers la reconnaissance d’un droit au cheminement et ainsi a été élargie aux pêcheurs, puis aux piétons, répondant à une demande croissante de permettre l’accès du plus grand nombre aux espaces naturels », rappelle le rapport de 2017. En effet, le législateur, dans le cadre de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a modifié les articles L. 2131-2 et L. 2132-4 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP, art. L. 2131-2 et CGPPP, art. L. 2132-4) concernant la servitude de marchepied le long du domaine public fluvial, afin d’imposer explicitement la notion de continuité de cheminement tout en tenant compte de la nécessité de respecter les espaces naturels et le patrimoine. Cette loi a, en outre, introduit la notion de détournement de la limite de la servitude en présence d’obstacle naturel ou patrimonial, avec pour contrainte de demeurer dans la même propriété. Cette extension a généré des conflits d’usages. Et « l’action de l’État, qui tente de faire respecter le corpus législatif en combinant continuité de cheminement piétonnier, sites classés, préservation de la biodiversité et respect de la propriété privée, conduit parfois à des situations délicates », constatent les rapporteurs.

La situation des bords de Marne

Autrefois lieux de détente, de pêche et de promenade dominicale en banlieue parisienne, les bords de Marne sont désormais, du fait de l’extension et de la densification périurbaines, jalonnés par des constructions à usage dominant d’habitation. Seules les îles, des zones naturelles préservées, y échappent. La majorité des communes du Val-de-Marne ont favorisé la constitution d’espaces dévolus aux promeneurs, sous forme de sentiers ou de voies vertes, en réponse aux souhaits de la population. Certaines parties du territoire dévolues à des activités particulières, par exemple le port de Bonneuil ou le pôle autour de la capitainerie de Nogent n’offrent pas cette possibilité, ainsi que les berges à Chennevières-sur-Marne, dont le parcours entrecoupé d’obstacles est discontinu et difficile. Ce site de méandres avec des îles riches en biodiversité, dans une zone périurbaine, au bâti dense, serré et proche de la rivière a vu s’opposer des riverains réclamant, d’une part des aménagements en promenade sur les bords de la rivière, d’autre part l’ouverture d’espaces précisément identifiés et clos illégalement et des propriétaires de biens situés en bord de rivière, « soucieux de préserver leur intimité et leur sécurité (face aux cambriolages, dépôts de toutes sortes, actes d’incivilité), et de ce fait d’éviter des aménagements attractifs pour les promeneurs », résume le rapport du ministère de la Transition écologique de 2017. Des difficultés ont été également été rapportées à Nogent-sur-Marne, sur la situation du chemin de l’île de Beauté où certaines propriétés s’étendent jusqu’à la rivière. Ces positions divergentes ont été relayées par les voix associative et médiatique. La fermeture de la servitude de marchepied s’est accompagnée parfois de travaux d’aménagement de piscine ou de terrasse privative sur l’emprise de la servitude de marchepied, sans demande d’autorisation. L’organisme qui assure la surveillance des berges et de la servitude de marchepied, Voies navigables de France (VNF), relève les infractions et dresse, lorsque le dialogue se révèle infructueux et en l’absence d’exécution de ses demandes, des procès-verbaux de contravention de grande voirie. « Cependant, ces moyens apparaissent chronophages pour le service public et ne peuvent porter effet, lorsqu’ils aboutissent, qu’à très long terme », souligne les rapporteurs.