Successions franco-suisses : le statu quo fiscal

Publié le 23/03/2023

Alors que la Suisse vient de modifier son droit successoral, la France annonce ne pas avoir l’intention de conclure une nouvelle convention d’élimination de la double imposition en matière de droits de mutation à titre gratuit.

À moyen terme, les relations fiscales franco-suisses ne vont pas évoluer en matière de droit des successions et donations. Tel est en substance, le contenu d’une réponse ministérielle de février 2023 (Rép. min. JOAN 7 févr. 2023, QE n° 2235).

Les situations de non-imposition et la dénonciation de la convention de 1953

En octobre 2022, le député de l’Oise, Alexandre Sabatou, a adressé une question écrite au ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sur la situation des contribuables domiciliés en France héritant d’un proche résidant en Suisse et ayant des biens meubles ou immeubles en France. Jusqu’en 2015, ce type de situation de succession transfrontalière était régi par la convention du 31 décembre 1953 entre la République française et la Confédération suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions. Selon Bercy, la convention de 1953 était incompatible avec la bonne application de la législation française actuelle en matière de droits de succession, « car elle créait des situations de non-imposition et d’optimisation au détriment des finances publiques françaises ». En effet, la convention reposait sur le principe de l’imposition de la succession dans le pays de domicile du défunt. Si les biens immobiliers étaient classiquement imposés dans le pays où ils se situent, les parts sociales de société civile immobilière (SCI) suivaient, quant à elles, le régime des valeurs mobilières imposables par l’État de domicile du défunt. La détention d’un immeuble situé en France par une SCI conduisait à écarter l’imposition en France et de privilégier l’imposition en Suisse, quasi inexistante.

Le clash diplomatique autour de la convention de 2013

La France a obtenu un nouvel accord le 11 juillet 2013 fondé sur le principe de l’imposition de l’ensemble du patrimoine selon le domicile de l’héritier. De son côté, la Suisse a considéré ses dispositions déséquilibrées, puisqu’elles auraient abouti à imposer en France près de 190 000 citoyens suisses résidants en France. Le Conseil national a donc rejeté le vote le 12 décembre 2013 et le Parlement suisse a refusé de ratifier la Convention. En réaction, par une note diplomatique du 17 juin 2014, la France a dénoncé la convention de 1953, événement qui ne s’était pas produit depuis le XIXe siècle. La convention de 1953 a donc cessé d’être applicable pour les successions de personnes décédées à partir du 1er janvier 2015.

Selon l’auteur de la question, depuis l’abrogation de la convention « les héritiers français sont soumis à une double imposition confiscatoire si le bien hérité d’un résident suisse est situé en France ». Or la France et la Suisse étant « des pays frontaliers amis, il est plus que temps de penser à créer une nouvelle convention entre les deux pays » !

Les règles de territorialité du droit interne français

Depuis le 1er janvier 2015, c’est désormais la législation interne française qui s’applique intégralement. Les règles de territorialité des droits de mutation à titre gratuit sont fixées à l’article 755 ter du CGI :

– lorsque le défunt a son domicile fiscal en France, le Code général des impôts prévoit l’imposition en France des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger ;

– lorsque le défunt n’avait pas son domicile fiscal en France, la France taxe les transmissions de meubles et d’immeubles situés en France et effectuées au profit d’un résident ou d’un non-résident ;

– lorsque l’héritier a son domicile fiscal en France au moment de la transmission et qui l’a eu pendant au moins six ans au cours des dix années précédant celle de la transmission, la loi française permet l’imposition des biens meubles et immeubles situés en France et à l’étranger reçus par lui.

Le risque de double imposition

Si les transmissions de biens situés en Suisse sont également soumises à une taxation en Suisse, l’élimination de la double imposition est effectuée selon le mécanisme de l’imputation prévu par l’article 784 A du Code général des impôts : « Le montant des droits de mutation à titre gratuit acquitté, le cas échéant, hors de France est imputable sur l’impôt exigible en France. Cette imputation est limitée à l’impôt acquitté sur les biens meubles et immeubles situés hors de France ». En revanche, un tel mécanisme n’existe pas s’agissant de successions relatives à des biens situés en France. Selon Bercy, « il ne serait ni justifié, ni légitime que la France renonce à imposer au profit d’un autre État ». Enfin, la France indique que le réseau conventionnel qu’elle a lié ne compte que 33 traités couvrant les successions. « Ceux-ci sont généralement anciens, car la France, comme de nombreux États, ne souhaite plus en conclure. Le contexte franco-suisse n’a par conséquent rien d’exceptionnel ».

La Suisse réforme son droit des successions

Adoptée fin 2020 par le Parlement suisse, la réforme du droit des successions est entrée en vigueur au 1er janvier 2023. Les nouvelles règles offrent une large place à la liberté de disposer.

Réserve héréditaire réduite pour les descendants et supprimée pour les parents

En l’absence de testament, la succession d’un résident suisse est répartie conformément aux dispositions légales qui n’ont pas été modifiées. En présence d’enfant, le conjoint survivant a droit à la moitié du patrimoine du défunt, l’autre moitié revenant à ses enfants. En revanche, la nouveauté réside dans le fait que par testament, il est possible de réduire la réserve héréditaire des descendants à 50 % de leur part légale. La réserve héréditaire du conjoint survivant (ou du partenaire enregistré) reste inchangée. Autrement dit, la moitié de la succession totale peut désormais être librement répartie par testament, contre 3/8 auparavant. En outre, la réserve héréditaire des parents est complètement supprimée à partir de 2023. En l’absence d’enfant, la totalité de l’héritage peut donc revenir au conjoint, partenaire survivant ou au concubin.

Par ailleurs, les couples engagés dans une procédure de divorce peuvent désormais priver d’héritage le partenaire avant le jugement. La protection instituée par la réserve héréditaire sera levée dès l’engagement d’une procédure de divorce. Jusqu’à présent, le droit à l’héritage et à la réserve héréditaire n’expirait qu’avec le jugement qui entérine le divorce.

Plan
X