Gage des stocks et gage de droit commun : caractère impératif du gage des stocks
En raison des défauts du gage des stocks du Code de commerce et principalement de l’interdiction du pacte commissoire, les professionnels préfèrent souvent recourir au gage de droit commun lorsqu’il s’agit de grever des marchandises. Ce choix ne leur est cependant pas offert, le gage des stocks ayant un caractère impératif.
Cass. ass. plén., 7 déc. 2015, no 14-18435, Sté MJA et a. c/ Sté Bank of London and The Middle East PLC, PBRI
Depuis la réforme du gage de droit commun par l’ordonnance du 23 mars 20061 qui a également consacré au sein du Code de commerce un gage spécial sur les stocks, la coordination des deux dispositifs légaux est incertaine, particulièrement quant au caractère impératif ou seulement supplétif du gage des stocks. L’incertitude est définitivement levée par cet arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, rendu le 7 décembre 2015.
En l’espèce, une banque avait consenti un prêt à une société garanti par un gage de droit commun sans dépossession portant sur un stock de marchandises. La convention de gage était assortie d’un pacte commissoire permettant l’attribution en paiement des biens grevés sans intervention judiciaire. Là résidait d’ailleurs la raison de l’éviction par les parties du gage des stocks du Code de commerce qui, à la différence du droit commun, interdit encore le pacte commissoire. Avant que le constituant ne fasse finalement l’objet d’un redressement judiciaire, puis d’une liquidation judiciaire, le créancier gagiste a réalisé sa sûreté suite à la défaillance du constituant et, par suite, a revendiqué l’assiette de son gage conformément aux effets du pacte commissoire.
Le juge-commissaire, intervenant dans le cadre de la procédure collective postérieurement ouverte, a reçu la demande du gagiste et a ordonné la restitution en sa faveur des marchandises grevées. Cette décision a été contestée par le constituant devant le tribunal puis devant la cour d’appel, les deux juridictions ayant rejeté le recours. Le constituant a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui, par un arrêt de la chambre commerciale en date du 19 février 20132, a contredit les juges du fond en retenant le caractère impératif du gage des stocks. Saisie de l’affaire sur renvoi, la cour d’appel de Paris3 a toutefois résisté en recevant de nouveau la possibilité pour les parties d’écarter le gage spécial en faveur de celui de droit commun, ce qui a motivé un nouveau pourvoi.
Pour justifier le rejet du recours du constituant et considérer que la banque en qualité de gagiste était valablement devenue propriétaire des biens grevés par l’effet du pacte commissoire, la juridiction de renvoi a retenu que la loi ne conférait pas un caractère impératif au gage des stocks du Code de commerce. Plus précisément, les juges du fond ont considéré que l’examen du dispositif légal « ne permet pas d’affirmer la volonté du législateur d’exclure les banques prêtant sur stocks du bénéfice du gage sans dépossession de droit commun ». À l’inverse, on comprend que le constituant invoquait le caractère impératif du gage des stocks ce dont il devait résulter la censure du pacte commissoire puisque l’article L. 527-2 du Code de commerce répute « non écrite toute clause prévoyant que le créancier deviendra propriétaire des stocks en cas de non-paiement de la dette exigible par le débiteur ».
Finalement, les arguments en opposition ne faisaient que mettre en lumière l’incertitude persistante quant à la coordination entre le gage de droit commun et le gage des stocks du Code de commerce. Plus précisément, la Cour de cassation était confrontée à une question simple mais épineuse : le gage des stocks du Code de commerce est-il impératif dès lors que les parties entrent dans son champ d’application ?
L’assemblée plénière de la Cour de cassation, reprenant à l’identique – ou presque – la motivation de l’arrêt rendu dans la même affaire par la chambre commerciale, répond par l’affirmative à la question soulevée et casse l’arrêt d’appel au double visa des articles 2333 du Code civil et L. 527-1 du Code de commerce. Elle retient la violation de ces textes, le premier par fausse application et le second par refus d’application, dès lors que « s’agissant d’un gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du Code de commerce et conclu dans le cadre d’une opération de crédit, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession ».
L’assemblée plénière confirme donc sans ambages le caractère impératif du gage des stocks (I), solution dont l’opportunité doit être discutée (II).
I – La confirmation du caractère impératif du gage des stocks
Le caractère impératif du gage des stocks ne s’exprime qu’en présence d’une concurrence textuelle. Autrement dit, il faut que la situation des parties permette tout à la fois l’application du droit commun du gage mais également celle du dispositif spécial qu’est le gage des stocks du Code de commerce.
Afin d’établir l’existence de la concurrence textuelle, la Cour de cassation prend le soin de rappeler que les conditions d’application du gage des stocks étaient réunies en l’espèce. Aussi précise-t-elle que le gage était constitué par un professionnel en faveur d’un établissement de crédit et qu’il portait sur des stocks tels que décrits par l’article L. 527-3 du Code de commerce. C’est qu’en effet, le gage des stocks est une sûreté spéciale au domaine restreint : quant aux personnes, il ne peut garantir que les crédits consentis par les établissements de crédit aux professionnels4 ; quant aux biens, ce gage ne peut grever que les stocks de matières premières, les approvisionnements, les marchandises et les produits intermédiaires, résiduels ou finis5. En somme, cette sûreté vise uniquement et spécifiquement les meubles corporels du professionnel détruits, incorporés ou encore aliénés dans le cadre de son cycle d’activité, ensemble que l’on regroupe dans la catégorie des « stocks », notion bien plus comptable que juridique6.
Une fois la concurrence textuelle entre le gage des stocks et celui de droit commun établie, la Cour de cassation la solutionne en faveur du régime spécial. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’adage specialia generalibus derogant, règle d’interprétation non impérative mais le plus souvent appliquée selon laquelle les prévisions spéciales priment celles générales, lorsque les deux viennent en concurrence. Procédant de façon classique, l’assemblée se fonde sur cette règle sans le dire expressément. Plus précisément, l’application de l’adage résulte de la conjonction du visa et de la formulation de la solution. En visant les articles 2333 du Code civil et L. 527-1 du Code de commerce, la Cour de cassation précise qu’il s’agit de coordonner gage de droit commun et gage des stocks. La formulation de la solution précise ensuite les termes de cette coordination : dès lors que les conditions du régime spécial sont réunies, les parties « ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession », ce qui n’est rien d’autre qu’une application de la règle selon laquelle le droit spécial déroge au général. Le gage des stocks s’impose donc aux parties entrant dans son domaine d’application et la faculté contractuelle de l’écarter, qui semblait pourtant permise par l’article L. 527-1 du Code de commerce7, est rejetée par l’assemblée plénière.
À la lecture de cet arrêt, le caractère impératif du gage des stocks en cas de concurrence avec le gage de droit commun n’est plus douteux ; il n’est pas certain qu’il en soit de même concernant l’opportunité de ce caractère.
II – L’opportunité du caractère impératif du gage des stocks
La confirmation par l’assemblée plénière du caractère impératif du gage des stocks du Code de commerce est ambivalente. Si elle permet le maintien de la cohérence du dispositif légal, elle est aussi de nature à amoindrir son attractivité.
En retenant le caractère impératif du gage des stocks, la Cour de cassation ménage, du moins en apparence, la cohérence du droit des sûretés réelles mobilières. Le gage de droit commun issu de la réforme de 2006, particulièrement lorsque l’assiette est composée de choses fongibles et qu’il est prévu une convention d’aliénation des biens grevés8, aboutit à un régime extrêmement proche de celui prévu pour le gage des stocks. Certes, le gage des stocks présente quelques spécificités9. Cependant, il fait principalement double emploi avec le gage de droit commun puisque dans les deux cas, les meubles initialement grevés peuvent être subrogés par d’autres équivalents. Plus encore, le gage des stocks est même moins attractif puisqu’il prohibe le pacte commissoire alors que le Code civil le reçoit comme valable pour le gage de droit commun. Voilà qui encourage les parties entrant dans le champ d’application du gage des stocks à recourir préférentiellement au gage de droit commun. Néanmoins, valider ce choix mettrait en péril la cohérence du dispositif légal relatif aux sûretés réelles mobilières : d’abord, parce que la prévalence du gage de droit commun sur le gage des stocks est de nature à faire tomber ce dernier en désuétude et ainsi montrer son inopportunité ; ensuite, parce que la prévalence du droit commun sur le droit spécial remet en cause la légitimité même de dispositions spéciales qui sont réputées affiner le droit commun pour satisfaire les situations particulières.
Le caractère impératif du gage des stocks permet d’éviter ces écueils. Conformément à la position traditionnelle en présence d’une concurrence textuelle, le droit commun du gage s’efface devant le régime spécial réputé plus efficient, et spécifiquement devant le gage des stocks qui est ainsi sauvé de la désuétude, du moins en théorie. Reste que ce maintien de la cohérence du dispositif légal se fait au prix de son attractivité.
Le gage des stocks a un défaut majeur par rapport au gage de droit commun : il ne permet pas de prévoir un pacte commissoire10. Cette prohibition est inopportune à différents égards. D’abord, on comprend mal que cette possibilité réputée dangereuse pour le constituant soit reçue pour le gage de droit commun11, qui s’adresse aux non-professionnels, et soit écartée concernant le gage des stocks alors qu’il ne concerne que des professionnels. C’est donc que les non-professionnels devraient être moins protégés que les professionnels pourtant rompus à la vie des affaires. La logique suivie a de quoi surprendre ! Ensuite, le pacte commissoire est très utile pour les professionnels et notamment les établissements de crédit. Il facilite la réalisation du gage qui, en raison de l’absence d’intervention judiciaire, est plus rapide et moins coûteuse. En somme, ce pacte est écarté là où il est le plus utile et sa prohibition en matière de gage des stocks conduit les établissements de crédit à se détourner de cette sûreté.
En rendant le gage des stocks impératif, la Cour de cassation n’en gomme pas les défauts. Les professionnels, face à cette sûreté non conforme à leurs attentes, renoncent au gage et se tournent vers d’autres garanties alors même que l’application du gage de droit commun est à même de les satisfaire. En somme, cette décision conduit à amoindrir l’attractivité du dispositif légal régissant les sûretés réelles mobilières. Reste que ce résultat est surtout imputable au législateur qui, de façon maladroite, a consacré le gage des stocks en sus du gage de droit commun sans donner à cette sûreté spéciale un régime suffisamment attractif.
Finalement, la solution retenue par la Cour de cassation est juridiquement rigoureuse mais contraire à l’attractivité du gage comme instrument de garantie des crédits professionnels. Retenir une solution inverse aurait évité ce résultat mais il est bien difficile d’écarter le principe specialia generalibus derogant sur lequel repose la légitimité même du droit spécial. L’assemblée plénière de la Cour de cassation ne pouvait donc, quelle que soit sa position, retenir une solution pleinement satisfaisante. L’impasse était inévitable puisque la clé permettant de dépasser la difficulté se trouve ailleurs ; elle réside entre les mains du législateur qui doit réformer l’édifice en vigueur. Cet impératif semble avoir été entendu puisque l’article 240 de la loi du 6 août 201512 autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures pour rapprocher le régime du droit commun du gage et celui du gage des stocks en autorisant notamment le pacte commissoire. En substance, cela devrait aboutir à aligner le régime du gage des stocks sur celui du droit commun du gage. Si l’intervention du législateur en la matière doit être saluée, le sens choisi est contestable. On peine à comprendre l’utilité d’un régime spécial peu ou prou identique à celui du droit commun. Bien plus opportune aurait été la décision d’autoriser l’abrogation du gage des stocks ainsi que de l’ensemble des sûretés réelles mobilières spéciales qui font désormais doublon avec le droit commun des sûretés réelles mobilières issu de la réforme de 2006.
Notes de bas de pages
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1.
Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006 relative aux sûretés.
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2.
Cass. com., 19 févr. 2013, n° 11-21763 : JCP G 2013, 539, note Martial-Braz N. ; RD bancaire et fin. mars-avr. 2013, comm. 59, note D. Legeais ; RTD com. 2013, p. 328, obs. Bouloc B. ; RTD civ. 2013, p. 418, obs. Crocq P. ; D. 2013, p. 1363, obs. Bourassin M.
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3.
CA Paris, 5-9, 27 févr. 2014, n° 13/03840 : JCP E 2014, n° 21-22, 1078 et s., spéc. 1083, n° 19, obs. Simler P. et Delebecque P. ; D. 2014, p. 924, obs. Gijsbers C.
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4.
C. com., art. L. 527-1, al. 1er : « Tout crédit consenti par un établissement de crédit ou une société de financement à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l’exercice de son activité professionnelle peut être garanti par un gage sans dépossession des stocks détenus par cette personne ».
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5.
C. com., art. L. 527-3 : « Peuvent être donnés en gage, à l’exclusion des biens soumis à une clause de réserve de propriété, les stocks de matières premières et approvisionnements, les produits intermédiaires, résiduels et finis ainsi que les marchandises appartenant au débiteur et estimés en nature et en valeur à la date du dernier inventaire ».
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6.
Sur la notion de stock, entité que l’on retrouve au sein de la catégorie comptable des actifs circulants, v. Blandin Y., Sûretés et bien circulant, contribution à la réception d’une sûreté réelle globale, thèse, Ghozi A. (préf.), LGDJ, à paraître, p. 17 et s., nos 15 et s.
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7.
C. com., art. L. 527-1 : « Tout crédit consenti par un établissement de crédit ou une société de financement à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l’exercice de son activité professionnelle peut être garanti par un gage sans dépossession des stocks détenus par cette personne ». Le texte précise que le crédit « peut » être garanti par un gage des stocks, ce qui peut être interpréter comme la possibilité de l’écarter en faveur du droit commun.
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8.
C. civ., art. 2342 : « Lorsque le gage sans dépossession a pour objet des choses fongibles, le constituant peut les aliéner si la convention le prévoit à charge de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes ».
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9.
Par exemple, le mécanisme prévu par l’article L. 527-7, alinéa 3, du Code de commerce qui permet au créancier d’obtenir le rétablissement de la garantie ou un paiement partiel anticipé si l’état des stocks fait apparaître une diminution de plus de 20 % de la valeur des biens grevés par rapport à la valeur mentionnée dans l’acte constitutif.
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10.
C. com., art. L. 527-2 : « Est réputée non écrite toute clause prévoyant que le créancier deviendra propriétaire des stocks en cas de non-paiement de la dette exigible par le débiteur ».
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11.
C. civ., art. 2348, al. 1er : « Il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé ».
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12.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.