L’étendue du gage général des créanciers en présence d’une clause d’attribution intégrale de la communauté

Publié le 05/04/2019

L’attribution intégrale de la communauté à l’époux survivant, et l’obligation subséquente d’en acquitter toutes les dettes, n’a pas pour effet de soustraire, de l’assiette du gage général des créanciers, les biens propres du défunt lorsque ce dernier s’est personnellement engagé.

Cass. 1re civ., 3 oct. 2018, no 17-21231

Les créanciers d’une dette d’emprunt commune peuvent-ils saisir les biens propres du défunt alors même que l’époux est attributaire de la totalité de la communauté ? Sans surprise, la Cour de cassation a répondu de manière positive.

En l’espèce, une banque avait accordé à un couple, marié sous la communauté de biens réduite aux acquêts, un prêt destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier. Au décès de l’époux, les échéances de l’emprunt immobilier demeurant impayées, l’établissement bancaire a prononcé la déchéance du terme et a inscrit des hypothèques judiciaires provisoires sur des biens appartenant en propre au défunt. Le fils du de cujus, ayant accepté la succession, a alors demandé la mainlevée des inscriptions prises sur les biens propres de son père.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 23 mars 20171, a fait droit à sa demande en se fondant sur l’article 1524, alinéa 1, du Code civil, selon lequel « l’attribution de la communauté entière ne peut être convenue que pour le cas de survie, soit au profit d’un époux désigné, soit au profit de celui qui survivra quel qu’il soit. L’époux qui retient ainsi la totalité de la communauté est obligé d’en acquitter toutes les dettes ». En effet, elle considère que l’épouse survivante bénéficie, en vertu d’une clause d’attribution intégrale de la communauté, de l’ensemble de l’actif et du passif de ladite communauté. L’enfant du défunt, quant à lui, ne recueille dans la succession de son père que les biens propres de ce dernier. Par conséquent, l’épouse survivante est la seule débitrice du solde du prêt litigieux qui constitue une dette de la communauté.

La banque a formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation devait s’interroger sur les conséquences d’une clause d’attribution intégrale de la communauté à l’épouse survivante quant à l’assiette du gage des créanciers du couple.

La haute juridiction a cassé et annulé, à juste titre, l’arrêt de la cour d’appel de Paris en considérant que les époux en souscrivant un contrat de prêt, avaient engagé, à l’égard du créancier, tant leurs biens communs que leurs biens propres. Elle a ainsi rappelé que la clause d’attribution intégrale de la communauté n’a pas pour effet de soustraire le patrimoine propre de l’époux prédécédé de l’assiette du droit de gage général prévu à l’article 2284 du Code civil.

La cour d’appel semble confondre ici l’obligation à la dette avec la contribution à la dette, c’est la raison pour laquelle elle est censurée par la Cour de cassation.

Il est alors utile de rappeler la situation du couple emprunteur pendant le mariage (I) puis nous verrons les conséquences du décès de l’un des époux relativement au remboursement de l’emprunt en particulier lorsque son conjoint recueille l’intégralité de la communauté (II).

I – Le remboursement de l’emprunt par les époux communs en biens

Concernant les dettes contractées par les époux mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts2, il faut distinguer l’obligation à la dette, c’est-à-dire les rapports des époux avec leurs créanciers (A) de la contribution à la dette qui concerne les rapports des époux entre eux (B).

A – L’obligation à la dette d’emprunt

L’emprunt est une opération particulièrement dangereuse pour les époux3. C’est la raison pour laquelle, dans un souci de protection de la communauté, l’article 1415 du Code civil vient limiter l’assiette du gage des créanciers en instaurant une limite à l’engagement des biens communs par un époux tel que prévu à l’article 1413 du Code civil4. En principe, lorsque l’un des époux souscrit une dette il engage non seulement ses biens propres mais également les biens communs.

Trois hypothèses peuvent se présenter lorsque les époux concluent un prêt.

La première hypothèse concerne celle où un des époux emprunte seul sans le consentement de l’autre. Grâce à l’article 1415, le droit de poursuite des créanciers est cantonné aux seuls biens propres et revenus de l’époux emprunteur5.

Dans la deuxième hypothèse, un seul époux contracte un emprunt mais avec l’accord exprès de son conjoint6. À ce moment-là, conformément à l’article 1415 in fine, les biens propres de l’époux débiteur ainsi que les biens communs sont engagés sauf les gains et salaires du conjoint de l’époux débiteur7. Le conjoint qui a seulement consenti à l’opération n’engage pas ses biens propres.

Enfin, dans la troisième hypothèse, les époux consentent l’un et l’autre à un même prêt bancaire. Le prêteur a alors naturellement la possibilité d’agir en paiement sur n’importe quel bien du ménage car les époux se trouvent en position de co-emprunteurs8. Il s’agit de la situation la plus courante car elle permet au créancier d’élargir l’assiette de son gage et a donc ses faveurs. Le verrou protecteur de l’article 1415 du Code civil n’est plus applicable.

De plus, dans la plupart des cas, le créancier exigera l’engagement solidaire des deux époux. Rappelons qu’en dehors des emprunts portant sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante9, la solidarité ne se présume pas et qu’elle doit donc être expressément stipulée10.

Nous nous trouvions dans ce cas précis puisque les deux époux avaient contracté ensemble un prêt en vue de l’achat d’un bien immobilier. L’assiette des créanciers du couple est constituée des biens communs ainsi que des biens propres de chacun des époux11.

Qu’en est-il dans les rapports des époux entre eux ?

B – La contribution à la dette d’emprunt

Comme nous venons de le voir, les époux ont la possibilité de souscrire un emprunt soit individuellement, soit à deux. Si cette possibilité n’est pas expressément énoncée dans le Code civil, elle peut être déduite au regard de l’article 223 du Code civil qui indique que chacun des époux peut disposer comme il l’entend de ses gains et salaires. En effet, dans la grande majorité des cas, l’emprunt est remboursé par le produit de l’industrie personnelle de la personne qui y souscrit. Cependant, il faut distinguer le pouvoir de gestion de chacun des époux et la nature des biens gérés.

Si la qualification des gains et salaires dans le régime de la communauté légale a été sujette à controverse12, il ne fait aujourd’hui plus de doute que ces derniers constituent des biens communs13.

Par conséquent, l’emprunt même conclu par un seul des époux sera remboursé par des sommes communes. La difficulté est alors de savoir quelle masse de biens doit subir définitivement le poids de la dette puisque l’article 1415 du Code civil ne fait que déterminer le passif provisoire de la communauté.

Lorsqu’il s’agit de déterminer le passif définitif de la communauté, l’article 1409 a vocation à s’appliquer. Celui-ci prévoit que la communauté se compose passivement des dettes nées pendant la communauté.

Ainsi, si l’emprunt est contracté par un des époux sans l’autorisation de l’autre, la dette est qualifiée de personnelle quant à son obligation puisqu’elle n’engage pas les biens communs du couple, à part les gains et salaires de l’époux débiteur.

En revanche, cette dette est commune quant à la contribution, c’est-à-dire dans les rapports des époux entre eux.

L’emprunt, souscrit par un seul époux, intègre le passif commun définitif alors même qu’il n’est pas exécutoire sur les biens communs sauf dans le cas où il a été souscrit dans son intérêt personnel.

Cette solution a été clairement énoncée par un arrêt du 19 septembre 200714.

Si la dette d’emprunt contracté par un seul époux figure au passif définitif de la communauté, c’est encore plus vrai lorsque le prêt est contracté, comme dans l’affaire qui nous intéresse, par les deux époux.

Ici, la dette était commune tant au niveau de l’obligation que de la contribution à la dette.

La cour d’appel de Paris s’appuie sur cette analyse afin d’accorder la mainlevée des hypothèques judiciaires provisoires sur les biens propres du défunt. Or la Cour de cassation ne va pas adopter le même raisonnement.

II – Le remboursement de l’emprunt après le décès de l’époux commun en biens

La spécificité de l’arrêt étudié tient à ce que l’épouse survivante est bénéficiaire de l’intégralité de la communauté. La Cour de cassation fait fi de celle-ci en considérant qu’elle ne remet pas en cause l’assiette des créanciers qui comprend les biens communs comme les biens propres du défunt malgré la nature commune de la dette (A). Il n’est alors pas possible pour le fils du défunt de s’opposer à l’inscription d’hypothèques judiciaires provisoires sur un bien propre de son père (B).

A – L’indifférence de la clause d’attribution intégrale de la communauté à l’égard des créanciers

La Cour de cassation reproche à la cour d’appel la violation des articles 1524, alinéa 1, et 2284 du Code civil. En effet, la cour d’appel, pour accueillir la demande du fils du de cujus, relativement à la mainlevée des inscriptions hypothécaires, retient qu’au décès de ce dernier, son épouse a bénéficié de l’attribution intégrale de l’actif et du passif de la communauté en vertu de l’alinéa 1 de l’article 1524. Par conséquent, la conjointe survivante est la seule débitrice du solde du prêt litigieux.

Ce solde représentant une dette de la communauté, comme expliqué précédemment, les juges du fond en déduisent que l’inscription d’hypothèques ne peut concerner que les biens communs et non les biens propres du mari.

Autrement dit, selon la cour d’appel, l’épouse hérite entièrement de la communauté, elle est donc la seule débitrice des dettes de la communauté. Les biens propres de l’époux décédé, dont le fils a hérité, échappent au gage général des créanciers prévu à l’article 2284 du Code civil.

En réalité, la cour d’appel confond l’obligation à la dette et la contribution à la dette. Elle considère, à tort, que la dette étant commune, seuls les biens communs peuvent être concernés par une action des créanciers du couple.

Or la dette étant entrée en communauté du chef des deux époux, chacun d’entre eux peut être poursuivi15.

L’époux s’est obligé personnellement et il est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir, comme l’indique l’article 2284 du Code civil.

Son décès est sans incidence sur l’étendue de l’assiette du gage des créanciers et la clause de partage inégal stipulée dans le contrat de mariage n’a pas pour effet de limiter ce gage aux seuls biens communs. La solution est certes conforme aux intérêts des créanciers, mais elle place le fils du défunt dans une position plus inconfortable.

B – L’indifférence de la clause d’attribution intégrale de la communauté à l’égard de l’héritier

Le plus souvent, la clause d’attribution intégrale de la communauté est insérée dans les contrats de mariage instaurant le régime de la communauté universelle, ce qui permet au conjoint survivant d’hériter de l’intégralité du patrimoine conjugal. Les enfants du défunt sont privés, dans un premier temps, de l’héritage de leur parent décédé. Ils n’héritent qu’au décès du deuxième de leur parent16 et ne sont débiteurs d’aucune dette du premier défunt.

En l’espèce, le fils du défunt hérite, mais seulement des biens propres de son père puisque ses parents sont mariés sous la communauté réduite aux acquêts avec attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant. Il estime qu’il n’est redevable que des dettes propres de celui-ci et non des dettes communes. Selon ce raisonnement, les créanciers ne peuvent saisir que les biens communs.

La Cour de cassation rejette logiquement cette analyse et considère que la clause d’attribution intégrale de la communauté n’est pas de nature à diminuer cette assiette.

Il convient d’admettre que les créanciers peuvent, comme du vivant des époux, saisir la totalité des biens de ces derniers, les biens propres de défunt étant engagés au même titre que les biens communs. Le fait que ces biens se retrouvent dans le patrimoine du fils du défunt n’a pas d’incidence.

Certes, en théorie, l’épouse survivante est bien la seule débitrice des dettes de la communauté puisqu’elle est la seule héritière des biens communs.

Cependant, l’époux défunt était débiteur pendant le mariage de cette dette d’emprunt et a engagé ses biens propres. Les créanciers avaient donc toute latitude pour inscrire des hypothèques sur cette masse de biens. En tant qu’héritier des biens propres, le fils du défunt est dès lors tenu de répondre aux dettes de son père. Quoique rigoureuse, cette solution est néanmoins conforme au principe selon lequel l’héritier qui accepte purement et simplement la succession répond indéfiniment des dettes et charges qui en dépendent17. L’héritier l’aura ici appris à ses dépens.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 4-8, 23 mars 2017, n° 16/12897.
  • 2.
    Dans l’arrêt commenté, les époux ont expressément fait le choix de ce régime matrimonial dans un contrat de mariage ; ils y ont inséré une clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant. Les dispositions relatives à ce régime, qui est celui des époux n’ayant pas conclu de contrat de mariage, prévues aux articles 1400 et suivants, sont donc applicables ici.
  • 3.
    V. Cabrillac R., « L’emprunt et le cautionnement dans le passif de la communauté légale », Dr. & patr. mensuel 2003, n° 115, p. 72 ; Pasqualini F., « L’emprunt et le régime matrimonial », Defrénois 30 avr. 1991, n° 35013, p. 449 ; Abry B., « L’emprunt et le cautionnement en régime de communauté », JCP N 1989, n° 12,p.926 ; D’Hoir-Lauprêtre C., « Le crédit des couples », in Études offertes à J. Rubellin-Devichi, 2002, Litec.
  • 4.
    Concernant la difficulté de mise en œuvre de cette disposition, v. Simler P., « Les emprunts et cautionnements des époux. Le désordre généré par l’article 1415 du Code civil », JCP N 2009, n°22, p. 1188.
  • 5.
    Sauf dans le cas où l’achat est modeste et nécessaire aux besoins de la vie courante en vertu de l’article 220 du Code civil. Tous les biens des époux sont alors engagés car la dette est solidaire.
  • 6.
    Sur le consentement exprès des époux, v. not. Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-21083 ; Cass. 1re civ., 9 mars 1999, n° 97-12357 : JCP G 1999, I 156, obs. Simler P. ; RTD civ. 2000, p. 393, obs. Vareille B. – Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n° 00-13527 : D. 2002, p. 1780, note Barberot C.
  • 7.
    C. civ., art. 1414. V. Raby S., « Cautionnement et emprunt : le sort des gains et salaires d’un époux commun en biens », JCP N 2004, n° 49, p.1586.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 96-19126 : JCP G 2000, II 10307, note Casey J. ; Leveneur L., Contrats, conc. consom. 2000, comm. 20 ; RTD civ. 2000, p. 393, note Vareille B.
  • 9.
    C. civ., art. 220, al. 3, dispose que « [La solidarité] n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante ». L’article 50 de la loi n° 2014-334 du 17 mars 2014 relative à la consommation a rajouté « que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».
  • 10.
    C. civ., art. 1310. Pour une application jurisprudentielle, v. not. Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-23062 : JCP G 2013, I 323, obs. Wiederkehr S. – Cass. 1re civ., 28 nov. 2006, n° 05-14827 : JCP G 2007, I 142, obs. Wiederkehr S.
  • 11.
    V. note sous cet arrêt : J. D., « Gage du créancier d’un époux marié avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint : les propres dévolus par succession aussi ! », RJPF 2018/11.
  • 12.
    En faveur de la nature propre des gains et salaires, v. par ex. Mazeaud H., « La communauté réduite au bon vouloir des époux », D. 1965, Chron., p. 92 ; « Un régime de communauté réduite à zéro », JCP G 1963, I 1778 ; Savatier R., « La finance et la gloire… », D. 1965, Chron., p. 139 ; Hébraud A., « La femme mariée et le droit des régimes matrimoniaux », t. 4, fasc. 2, 1966, Ann. Université sciences sociales Toulouse, p. 113. Inversement, en faveur de la nature commune des gains et salaires, v. not. Cornu G., « La réforme des régimes matrimoniaux », JCP G 1967, I 2128 ; Colomer A., « La suppression du droit de jouissance de la communauté sur les biens propres des époux, ou le danger d’innover », D. 1966, Chron., p.23 ; Voirin P., « La vocation d’acquêts dans le droit nouveau des régimes matrimoniaux », D. 1966, Chron., p. 129 ; Roughol J., « Du sort des gains et salaires des époux soumis au régime de communauté légale, JCP N 1982, n° 162, 30.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 8 févr. 1978, n° 75-15731 : Bull. civ. I, n° 53 ; D. 1978, IR, p. 238, obs. Martin D. ; Gaz. Pal 1978, n°2, p. 361, note Viatte J. ; JCP G 1981, II 114, note Thuiller H. ; RTD civ. 1979, p. 592, obs. Nerson R. et Rubellin-Devichi J. – Cass. 1re civ., 23 oct. 1990, n° 89-14448 : Bull. civ. I, n° 218 ; JCP G 1991, II 61, obs. Simler P. – Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-16343 : Bull. civ. I, n° 95 ; JCP G 1992, I 3614, obs. Simler P. ; RTD civ. 1992, p.632, obs. Lucet F. et Vareille B. ; RTD civ. 1995, p. 171, obs. Vareille B. ; JCP G 1993, II 22059, obs. Abry B.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 19 sept. 2007, n° 05-15940 : Bull. civ. I, n° 278 ; Defrénois 15 nov. 2008, n° 38854, p. 2207, note Champenois G. ; D. 2007, p. 3112, note Barabé-Bouchard V. ; AJ fam. 2007, p. 438, obs. Hilt P.
  • 15.
    C. civ., art. 1482 : « Chacun des époux peut être poursuivi pour la totalité des dettes existantes, au jour de la dissolution, qui étaient entrées en communauté de son chef ».
  • 16.
    Si les enfants ne sont pas communs au couple, ces derniers auront le droit d’engager une action en retranchement. V. C. civ., art. 1527.
  • 17.
    C. civ., art. 785.