Gage de stocks : un régime plus libéral pour une meilleure attractivité

(À propos de l’Ord. n° 2016-56 du 29 janv. 2016 relative au gage de stocks)
Publié le 20/06/2016

L’ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 relative au gage de stocks laisse un choix aux parties qui peuvent soumettre leur sûreté aux règles spécifiques prévues par le Code de commerce ou préférer celles du Code civil, ce qu’avait refusé la Cour de cassation. Elle opère un rapprochement entre les régimes institués par ces deux codes afin d’offrir un régime plus libéral et donc plus attractif aux praticiens souhaitant recourir à cette sûreté.

Nombreuses sont les entreprises dont l’activité implique la détention de stocks. Si cette contrainte est une charge pour leur trésorerie, ces stocks ont une valeur qui peut favoriser l’obtention d’un crédit puisqu’en tant qu’objet d’une sûreté, ils présentent le double intérêt d’une évaluation et d’une commercialisation aisées. La constitution d’un gage les prenant pour objet, s’est toutefois longtemps heurtée à une contrainte majeure : celle de la dépossession qui ne rendait cette sûreté envisageable qu’à la condition que ces stocks aient été soumis à une faible vitesse de rotation et l’excluait dans les hypothèses où son activité imposait au constituant, de rester en possession de ses stocks pour les aliéner librement. Cette remarque avait déjà conduit le législateur à édicter quelques règles particulières en créant des warrants portant sur des stocks spécifiques, laissés en possession du constituant1. Pour autant, ces interventions restaient limitées et le système reposant sur un principe de dépossession des biens gagés, y compris lorsque ceux-ci constituaient des stocks, était dénoncé comme ayant un caractère anti-économique. Cette considération a contribué à la proposition du groupe de travail présidé par le professeur Michel Grimaldi, d’introduire dans notre droit positif, un gage sans dépossession. Celui-ci pouvant s’appliquer aux choses fongibles, les auteurs de la proposition avaient estimé que ce gage pouvait concerner les stocks sans qu’il soit besoin d’introduire des dispositions spéciales à leur propos2. Pour autant, alors même que l’un de ses objectifs était de simplifier le droit existant, la réforme du droit des sûretés réalisée par l’ordonnance du 23 mars 20063, a donné naissance à deux nouveaux types de gage, sans dépossession, susceptibles d’intéresser les stocks, sans par ailleurs faire disparaître ceux déjà existants. Le premier que l’on peut qualifier de gage de droit commun et dont le régime est organisé par le Code civil, a pour objet les biens mobiliers corporels, présents ou futurs sans que les stocks soient expressément écartés de son champ d’application ; le second visant spécifiquement ces stocks, est régi par le Code de commerce qui, sans affirmer le caractère exclusif de ses dispositions, le réservait à la garantie des concours consentis par un établissement de crédit, ou une société de financement, à un professionnel dans le cadre de son activité. Curieusement, alors même qu’il était uniquement destiné à des relations d’affaires, ce second type de gage était soumis à un régime plus protecteur des intérêts du constituant : sa validité était soumise à un formalisme plus rigoureux que celui prévu pour le gage sans dépossession de droit commun ; le pacte commissoire y était prohibé alors qu’il était possible dans le gage sans dépossession du Code civil. Ces différences de régimes avaient suscité une question importante : celle de savoir si un choix existait entre ces deux types de sûreté. L’assemblée plénière y avait répondu de manière négative en prononçant l’impossibilité de soumettre un gage aux dispositions de droit commun, prévues par le Code civil, dès lors que cette sûreté, conclue dans le cadre d’une opération de crédit dont l’une des parties était un établissement de crédit, portait sur des éléments prévus à l’article L. 527-3 du Code de commerce4. Une telle solution, conforme à l’adage specilia generalibus derogant, n’en risquait pas moins de dissuader les établissements de crédit de garantir leurs créances par un gage de stocks présentant pourtant un intérêt majeur pour les entreprises et l’économie en général. On comprend, dans ces conditions, tout l’intérêt de l’ordonnance 2016-56 du 29 janvier 2016 relative au gage de stocks5. Ce texte pris en application de l’article 240 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances6, autorise désormais un choix entre le gage de stocks du Code de commerce et celui régi par les articles 2333 et suivants du Code civil. Il précise que le gage de stocks peut être constitué avec ou sans dépossession et opère un rapprochement entre les différentes formules désormais possibles. On notera que ce texte n’est entré en vigueur que le premier jour du troisième mois suivant sa publication, c’est-à-dire le 1er avril 2016, et ne s’applique qu’aux contrats conclus à partir de cette date7. Deux points sont à retenir de cette réforme : l’option désormais laissée aux parties entre le régime du gage spécifique de stocks prévu par le Code de commerce et celui plus général du gage sans dépossession prévu par le Code civil (I) ; le rapprochement de ces deux régimes (II).

I – L’option entre gage de stocks du Code de commerce et le gage sans dépossession du Code civil

Si la solution de l’assemblée plénière paraissait conforme à l’adage specilia generalibus derogant, elle n’en révélait pas moins l’un des « ratés » de la réforme de 20068 alors que la commission présidée par le professeur Michel Grimaldi proposait d’introduire dans notre droit, une formule unique suffisamment souple pour régir les règles relatives au gage de stocks, la soumission de ce dernier à des règles impératives, plus rigides que celles du droit commun pouvait avoir un caractère dissuasif, dommageable au financement des entreprises. L’ordonnance du 29 janvier 2016 modifie à ce titre, l’article L. 527-1 du Code de commerce qui prévoit désormais que les parties demeurent libres de recourir au gage prévu par le Code de commerce ou au gage de meubles corporels prévu aux articles 2333 et suivants du Code civil. Ce choix n’existe toutefois qu’à la condition que l’acte entre dans les prévisions de l’article L. 527-1 du Code de commerce c’est-à-dire : que le créancier gagiste soit un établissement de crédit, ou une société de financement ; que le débiteur agisse dans l’exercice d’une activité professionnelle et détienne les stocks objet de la sûreté.

On notera en outre, qu’en précisant à l’article L. 527-1 du Code de commerce que ce gage peut être constitué avec ou sans dépossession, l’ordonnance semble également autoriser un choix, lorsque le gage est constitué avec dépossession entre les dispositions du Code civil et celles du Code de commerce. Un problème majeur n’en reste pas moins posé : celui de savoir si les parties conservent un choix du régime applicable à la sûreté lorsque celle-ci est régie par d’autres dispositions que celles des articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce relatifs au gage de stocks en général. On pense évidemment aux warrants pétroliers régis par les articles L. 524-1 et suivants du Code de commerce ou aux warrants agricoles régis par le Code rural9. La réforme opérée par l’ordonnance du 29 janvier 2016 ne les vise à aucun endroit ce qui conduit à s’interroger sur l’application de l’adage specilia generalibus derogant à leur propos. On rappellera que cette application implique une volonté dérogatoire qui semble avoir été exprimée dans le rapport de présentation de l’ordonnance de 2006 remis au président de la République10. La présentation faite de l’article 2354 du Code civil invite sans doute à appliquer de manière impérative les règles prévues à propos de chaque sûreté réelle mobilière spéciale régie par le Code de commerce dès lors qu’aucun choix particulier n’est laissé aux parties. La solution dégagée par l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation semble à ce titre condamner le recours à un gage de stocks sans dépossession régi par les articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce ou un gage sans dépossession du Code civil. On remarquera pour autant, que l’article 2354 ne fait référence qu’aux dispositions spéciales prévues en matière commerciale et non à celles qui pourraient être intégrées dans d’autres codes, comme le Code rural : il n’est donc pas certain que les dispositions relatives aux warrants agricoles aient un caractère impératif. Si l’ordonnance n’apporte aucune précision sur ce point, elle opère un rapprochement entre le régime du gage de stocks des articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce et celui du gage sans dépossession du Code civil.

II – Le rapprochement des régimes applicables aux différents gages de stocks

Plusieurs critères peuvent permettre de déterminer « une bonne » sûreté. En premier lieu, sa constitution doit être simple et peu onéreuse. Il doit également s’agir d’une sûreté qui ne gaspille pas la capacité de l’entreprise débitrice à obtenir du crédit et ne la gêne pas dans son activité. Du point de vue du créancier, la bonne sûreté est celle dont la valeur est maintenue jusqu’à complet paiement de ce qui lui est dû, en restant efficace malgré l’ouverture d’une procédure collective. Enfin, c’est une sûreté dont la réalisation doit être simple pour éviter frais et lenteurs. L’ordonnance du 29 janvier 2016 améliore de ce point de vue l’attractivité du gage de stocks régi par le Code de commerce.

S’agissant de la constitution de la sûreté, la réforme de 2006 a simplifié les formalités relatives au gage civil tout en maintenant, dans le cadre du droit commun, la simplicité du gage commercial : celui-ci est purement consensuel puisque l’article L. 521-1 du Code de commerce dispose qu’il se constate par tous moyens à l’égard des tiers et des parties contractantes, conformément à l’article L. 110-3 du Code de commerce. Curieusement, le gage de stocks institué dans ce code, bien que réservé à la garantie d’opérations professionnelles, était beaucoup plus formaliste. À ce titre, l’article L. 527-1 dudit code imposait la rédaction d’un acte sous seing privé qui, à peine de nullité, devait comporter sept mentions. Par ailleurs, cette sûreté était soumise à une publicité qui n’assurait pas simplement l’opposabilité du gage aux tiers, mais devait être réalisée dans les 15 jours de l’acte constitutif, sous peine de nullité. L’ordonnance du 29 janvier 2016 simplifie ce régime sur deux points.

En premier lieu, l’alinéa 3 de l’article L. 527-1 réduit le nombre des mentions devant figurer dans l’acte constitutif sous peine de nullité. Il s’agit désormais de déterminer uniquement la créance garantie, l’objet du gage, la durée de l’engagement et, le cas échéant, de préciser, en cas de dépossession, l’identité du tiers qui a pu être désigné comme gardien des stocks. Disparaissent de la liste des mentions obligatoires : la dénomination « acte de gage de stocks » ; la mention que celui-ci est soumis aux articles L. 527-1 à L. 527-10 du Code de commerce ; le nom de l’assureur garantissant contre l’incendie et la destruction. Par ailleurs, « la description permettant d’identifier les biens présents ou futurs engagés, en nature qualité, quantité et valeur ainsi que leur lieu de conservation » est remplacée par la précision de l’objet du gage. Cette évolution opère un rapprochement avec les exigences de l’article 2336 du Code civil qui impose à titre de validité d’un gage sans dépossession du Code civil, l’existence d’un écrit mentionnant la désignation de la dette, la quantité des biens donnés en gage, ainsi que leur espèce ou leur nature. On notera à ce dernier titre, une différence de rédaction entre les textes puisque le Code de commerce permet de ne mentionner que « l’objet » du gage. Cette formule plus souple autorise les parties à viser l’intégralité d’un stock défini sans autre précision. On rappellera toutefois la position prise par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans une affaire où le bordereau prévu pour la publicité d’un gage de stocks relevant du Code civil, ne mentionnait pas la nature, la qualité et quantité des biens objets de la sûreté, pourtant visées par l’article 2-4 du décret n° 2006-1804 du 26 décembre 2006 : pour la haute juridiction, le fait de mentionner « les boites fromagères et les matériaux nécessaires à leur production » suffisait à informer les tiers sur les trois éléments considérés11.

Ceci précisé, l’ordonnance du 29 janvier 2016 ne se contente pas de réduire les mentions obligatoires à la constitution du gage de stocks régi par le Code de commerce, elle modifie également l’article L. 527-4 de ce dernier qui soumettait la validité de cette sûreté à une publicité obligatoire. Cette publicité est désormais prévue à peine d’opposabilité aux tiers et non plus à peine de nullité ce qui aligne le régime du gage du Code de commerce sur celui, sans dépossession, du Code civil. Ce rapprochement invite toutefois à certaines remarques. La première tient au rappel de la solution dégagée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 17 février 201512. Il s’agissait pour la haute juridiction de se prononcer sur la validité d’un gage de stocks qui n’entrait pas dans les prévisions du Code de commerce puisque le créancier n’était pas un établissement de crédit et que le constituant garantissait la dette d’autrui. En l’espèce la question se posait de l’application à un gage commercial, des dispositions précitées de l’article 2336 du Code civil qui n’avaient pas été respectées en l’espèce. Il convenait en effet de combiner ce texte avec celui de l’article L. 521-1 du Code de commerce qui dispose que le gage constitué soit par un commerçant, soit par un non-commerçant pour un acte de commerce, se constate à l’égard des tiers, comme à l’égard des parties contractantes, conformément aux dispositions de l’article L. 110-3 du même code, c’est-à-dire par tous moyens. La Cour de cassation y a répondu en décidant que l’article 2336 n’était pas applicable au gage commercial13. Cette solution a évidemment vocation à désormais s’appliquer aux gages de stocks volontairement soumis au droit commun ce qui permet aux parties de conclure un gage tacite qui n’aurait pas expressément été formulé au préalable. Elle ne peut en revanche être envisagée à propos des gages de stocks soumis au Code de commerce puisque l’écrit est expressément exigé à peine de nullité par un article L. 527-1 qui, propre à cette sûreté, ne distingue pas selon la nature civile ou commerciale du gage. L’ordonnance laisse subsister à ce propos une différence difficile à justifier. Une autre critique peut également être formulée puisque le gage de droit commun et celui spécifiquement prévu pour les stocks dans le Code de commerce, font l’objet de publicités sur des registres différents14 : il conviendra de créer un registre unique pour tenir compte du choix pouvant être opéré entre les différents régimes, si l’on veut éviter une double consultation aux créanciers. Pour l’heure, l’alinéa 2 de l’article L. 527-4 du Code de commerce qui déterminait le rang des bénéficiaires d’un gage de stocks du Code de commerce est supprimé, l’article L. 527-1 de ce code renvoie expressément à l’article 2340 du Code civil qui précise le rang des créanciers gagistes entre eux sans distinguer le régime choisi pour la sûreté : cette disposition permettra d’éviter les conflits qui, relatifs au classement des créanciers, pourraient naître de l’existence des différents registres.

S’agissant du gage avec dépossession, le gage est également opposable aux tiers dès lors que ces derniers sont informés de la dépossession du bien entre les mains du créancier, ou celles d’un tiers convenu. Dans la pratique, cette dépossession peut prendre la forme d’un bail consenti par le constituant au profit du créancier, ou du tiers désigné par les parties. Il suffira alors que des signes suffisants rendent publique la dépossession : notamment l’apposition d’affiches indiquant la mise en gage.

Au-delà de sa constitution, il convient de noter qu’une bonne sûreté doit éviter de gaspiller la capacité de crédit de l’entreprise débitrice. L’ordonnance du 29 janvier 2016 modifie à ce propos l’article L. 527-5 du Code de commerce pour une lecture présentée comme plus lisible des articles L. 527-5 et L. 527-8 actuels15, même si cette évolution se réalise à droit constant. On notera à ce titre, le maintien de la possibilité de faire du gage de stocks, une « garantie glissante » en prévoyant que la part des biens engagés peut diminuer à proportion du désintéressement du créancier. Cette solution reste soumise à une clause particulière qui peut aussi être convenue dans le gage sans dépossession du Code civil16.

L’un des intérêts majeurs du gage de stocks est en outre, de permettre de disposer des biens qui en sont l’objet. Encore faut-il pour protéger le créancier préserver l’existence des stocks et maintenir une proportion suffisante entre les valeurs gagées et le montant de ses droits. À ce titre, l’ordonnance du 23 mars 2006 avait introduit deux séries de dispositions. La première imposée par l’article L. 527-6, alinéa 2 obligeait le débiteur à contracter une assurance contre le risque d’incendie et de destruction des biens gagés, alors qu’aucune disposition du même type ne s’imposait en matière de gage sans dépossession du Code civil. La seconde était prévue par l’article L. 527-7, alinéa 3 du Code de commerce qui permettait au créancier, en cas de diminution de 20 % de la valeur du stock, de mettre en demeure le débiteur de reconstituer la garantie, ou de rembourser les sommes prêtées en proportion de la baisse constatée17. Pour autant, cette mesure manquait de souplesse puisqu’elle ne pouvait être mise en œuvre que si ce chiffre était atteint ce qui obligeait le créancier à accepter cette marge. Pourquoi 20 % et non pas 10 % comme en matière de warrant pétrolier18 ? Sans doute, la différence s’expliquait-elle par la particularité du stock de pétrole, mais retenir cette analyse conduisait à penser que laisser la négociation de cette marge aux parties, comme l’autorisait le gage sans dépossession du Code civil, aurait permis de s’adapter à chaque type de situation19. L’ordonnance du 29 janvier 2016 réunit les actuels articles L. 527-6 et L. 527-7 du Code de commerce dans un nouvel article L. 527-6. Celui-ci rappelle l’obligation faite au constituant de conserver les stocks en l’absence de dépossession, mais laisse désormais une plus grande place à la liberté des parties optant pour le régime prévu par le Code de commerce. Tout d’abord, à l’instar du gage sans dépossession du Code civil, il rend facultative l’assurance contre les risques d’incendie et de destruction. Ensuite, Le mécanisme de l’« arrosage », anciennement prévu par l’article L. 527-7, est modifié. À ce titre, le texte nouveau prévoit deux paliers au lieu d’un seul comme jusqu’alors. Le premier est prévu par le nouvel alinéa 3 de l’article L. 527-6. Selon ce texte, lorsque l’état des stocks fait apparaître une diminution d’au moins 10 % de leur valeur, telle que mentionnée dans l’acte constitutif, le créancier peut exiger, après mise en demeure du débiteur, le rétablissement de la garantie, ou le remboursement d’une partie des sommes prêtées à proportion de la diminution constatée. Le second est prévu par le nouvel alinéa 4 de ce même article qui permet au créancier d’exiger le remboursement total de son crédit, si après mise en demeure, la diminution reste de 20 %. L’ordonnance du 29 janvier 2016 apporte une certaine souplesse au créancier désormais protégé dès lors que la diminution atteint 10 % de la valeur mentionnée dans l’acte constitutif. On notera d’ailleurs que la convention régie par le Code de commerce peut prévoir des taux supérieurs à ceux visés à l’article L. 527-6 de ce dernier. Des taux inférieurs sont en revanche prohibés : l’objectif est d’éviter que les créanciers imposent des seuils de variation trop faibles aux débiteurs pour reconstituer leurs stocks, au point de les gêner dans l’exploitation de leur entreprise. Une différence demeure avec le gage sans dépossession de droit commun. Lorsque cette sûreté porte sur des choses fongibles, l’article 2342 du Code civil se contente d’affirmer que le constituant peut les aliéner si la convention le prévoit, à charge de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes. La possibilité de substitution doit ici être prévue par les parties qui ont toute liberté pour déterminer le seuil à partir duquel le stock doit être reconstitué.

On notera un dernier point majeur : celui de la réalisation de la sûreté. Cette dernière sera d’autant plus appréciée du créancier que sa réalisation est simple et rapide. Pour répondre à cette préoccupation, l’ordonnance du 23 mars 2006 a consacré le pacte commissoire à l’article 2348 du Code civil ce qui permet au créancier de devenir propriétaire du bien gagé sans intervention judiciaire. Elle l’a en revanche, prohibé en matière de gage de stocks ce qui était d’ailleurs, au cœur de l’affaire jugée par l’assemblée plénière dans l’arrêt précité. Sans doute, pouvait-on faire remarquer qu’en vertu de l’article L. 622-7 du Code de commerce, le jugement d’ouverture d’une procédure collective empêche la réalisation du pacte et que celle-ci reste incertaine en période suspecte20, pour autant on pouvait s’étonner que le législateur eût apporté au professionnel gageant ses stocks, une protection supérieure à celle prévue par le Code civil alors que le constituant d’un gage sans dépossession de droit commun, n’a pas nécessairement cette qualité21. Cette faiblesse du gage de stocks du Code de commerce est corrigée par l’ordonnance du 29 janvier 2016 qui aligne les régimes en la matière : l’article L. 527-8 du Code de commerce tel qu’il résulte de ce texte renvoie désormais à l’article 2348 du Code civil qui autorise le pacte commissoire.

Ainsi, l’ordonnance du 29 janvier 2016 rend-elle plus attractif le recours au gage de stocks du Code de commerce tout en laissant aux parties le choix de soumettre leur convention aux dispositions de droit commun prévues par le Code civil. Cette réforme toute importante qu’elle soit soulève la question de son application aux gages spéciaux sans dépossession que sont les warrants pétroliers ou agricoles. Il conviendrait par ailleurs d’unifier les régimes de publicité aujourd’hui différents selon que la sûreté relève du Code civil ou du Code de commerce. Sans doute aurait-on pu davantage s’inspirer du security interest institué aux États-Unis par l’article 9 de l’Uniform Commercial Code (UCC)22. Selon une approche « fonctionnelle », ce texte a remplacé toutes les sûretés existantes indépendamment de leur forme. Il régit toutes les opérations qui portant sur des meubles ou des immeubles par destination, produisent l’effet d’une sûreté. Réunissant ainsi sous un terme générique, toutes les sûretés avec ou sans dépossession, l’article 9 de l’UCC a poursuivi un objectif de modernisation, d’uniformisation et de cohérence qui pourrait servir d’exemple au droit français. La création de la sûreté est soumise à des règles simples en particulier l’existence d’un contrat qui peut être oral, en cas de dépossession du bien qui en est l’objet, ou d’un écrit dont les mentions sont identiques quelle que soit l’opération produisant l’effet de la sûreté. Une grande liberté est laissée aux parties : ces dernières peuvent continuer à utiliser les formes de sûretés préexistantes au security interest, à condition de respecter les règles de constitution et de réalisation imposées par l’UCC ; elles peuvent aussi adapter leur convention en considération de leurs besoins particuliers. M. Riffart a notamment fait état dans sa thèse, de la pratique de la clause sur avance future23 qui permet d’intégrer dans l’assiette de la sûreté, les biens pouvant être acquis pendant la durée de celle-ci. Il a également fait état de la clause sur les acquisitions ultérieures24 qui permet de garantir dans un même acte, outre la dette d’origine, celles qui naîtraient des relations à venir entre les parties. L’opposabilité de la sûreté est, quant à elle, assurée par une déclaration des financements qui doit être réalisée sur un registre de publicité unique. Ne faudrait-il pas en droit français, s’inspirer d’un tel système, pour réunir l’ensemble des sûretés réelles au sein d’un régime uniforme ? Le security interest a déjà servi d’exemple à l’élaboration de nombreux droits nationaux25, conventions ou projets internationaux26. Ne pourrait-on pas au moins soumettre les différents gages portant sur des stocks à un régime unique de validité et de publicité ? L’article 2333 du Code civil paraît en tous cas rédigé dans des termes suffisamment larges pour autoriser une telle solution puisqu’il définit le gage comme « la convention par laquelle, le constituant accorde à un créancier, le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs… ». Ne pourrait-on pas d’ailleurs, en profiter pour créer une sûreté unique réunissant gages et nantissements actuels ? La désaffection de la pratique pour certaines sûretés comme le nantissement de fonds de commerce dont l’absence des stocks dans l’assiette est un inconvénient majeur, invite en tout cas à soulever la question.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cabrillac M., Mouly C., Cabrillac S. et Pétel P., Droit des sûretés, 9e éd., 2010, Litec, p. 568, n° 758.
  • 2.
    Rapp. p. 11.
  • 3.
    Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006, relative aux sûretés : JO, 24 mars. 2006, p. 4475. V. pour commentaires relatifs au gage : Legeais D., « Le gage des meubles corporels », JCP suppl. au n° 20 mai 2006 ; Aynès L., « Le nouveau droit du gage », Dr. et patr. juill.-août 2007, p. 48.
  • 4.
    Cass. ass. plén., 7 déc. 2015, n° 14-18435 : D. 2015, p. 2556 ; JCP E 2015, 1633, note Brignon B. ; JCP G 2016, 57, note Ansault J.-J. et Gisbers C. – Cassation de CA Paris, 5-9, 27 févr. 2014, n° 13-03840 : D. 2014, p. 924, obs. Gisbers C., rendu après cassation prononcée par Cass. com., 19 févr. 2013 : RD bancaire et fin. 2013, comm. 59, obs. Legeais D. ; RLDC 2013, p. 26, note Gisbers C. et p. 35, obs. Marraud des Grottes G. ; Gaz. Pal. 20 mars 2013, n° 122y9, p. 22, obs. Dumont-Lefrand M.-P. ; JCP E 2013, 1173, note Legeais D. et JCP E 2013, 1314, spéc. n° 6, obs. Delebecque P. ; D. 2013, p. 493 note Dammann R. et Podeur G. ; D. 2013, p. 1713, obs. Crocq P. ; RTD com 2013, p. 574, obs. Legeais D. ; Dr. et patr. juill. 2013, p. 94, obs. Aynès L. et Dupichot P. – Cassation de CA Paris, 5-9, 3 mai 2011, n° 10-13656 : RTD com. 2011, p. 785, obs. Crocq P. ; Gaz. Pal. 22 déc. 2011, n° 356, p. 13, obs. Dumont-Lefrand M.-P. ; JCP G 2012, 626, spéc. n° 23, obs. Delebecque P.
  • 5.
    JO, 30 janv. 2016, texte n° 19. Dondero B., « Gage des stocks, nouvel arrivage ! », JCP G 2016, 154 ; Borga N., « Réforme du gage des stocks : l’art législatif au plus mal ! », BJE mars 2016, n° 113d4, p. 128.
  • 6.
    Roussel Galle P., « Brèves observations sur la loi Macron et le droit des entreprises en difficulté », Rev. sociétés 2015, p. 541.
  • 7.
    Art. 3.
  • 8.
    Legeais D., « La réforme des garanties ou l’art de mal légiférer », in Études offertes au doyen Philippe Simler, 2006, Litec-Dalloz, p. 367.
  • 9.
    C. rur., art. L.342-1 et s.
  • 10.
    L’article 2354 du Code civil a été présenté comme réservant l’application des règles particulières prévues en matière commerciale (JO, 24 mars 2006, p. 4467, nos 71 et 68).
  • 11.
    Cass. com., 17 févr. 2015, n° 13-27080 : JCP G 2015, 604, spéc. n° 16, obs. Delebecque P. ; D. 2015, p. 787, note Borga N. ; RTD com. 2015, p. 342, obs. Legeais D. ; RTD com. 2015, p. 350, obs. Bouloc B. ; RTD civ. 2015, p. 437, obs. Crocq P. ; AJCA 2015, p. 176, obs. Albigès C. ; Rev. sociétés 2015, p. 663, obs. Ansault J.-J. (in « Le gage de stocks dans l’œil du cyclone ! »).
  • 12.
    N° 13-27080, préc.
  • 13.
    Cette solution a été critiquée par certains auteurs qui ont soutenu que les articles L. 521-1 du Code de commerce et 2336 du Code civil, ne se situent pas au même plan juridique puisque le premier, relatif à l’opposabilité et à la preuve du gage commercial, ne pouvait faire échec à l’application du second qui vise, quant à lui, expressément la validité même du gage sans tenir compte de sa nature. En ce sens Crocq P. et Delebecque P., obs. préc. de cet arrêt.
  • 14.
    Legeais D., « Publicité du gage sans dépossession », RTD com. 2007, p. 215.
  • 15.
    Rapport au président de la République de l’ordonnance.
  • 16.
    de Ravel d’Esclapon T., « Le gage de stocks : aménagements conventionnels », AJCA 2015, p. 462.
  • 17.
    C. com, art. L. 527-7.
  • 18.
    C. com, art. L. 524-16.
  • 19.
    V. notre article : « Le choix d’une sûreté en droit français : à propos du gage de stocks », in Attard J., Dupuis M., Laugier M., Sagaert V. et Voinot D. (dir.), Un recouvrement de créances sans frontières ?, 2013, éd. Larcier, p. 173.
  • 20.
    Aynès L., « Sûretés réelles et droit des entreprises en difficulté », Le Lamy Droit des Sûretés, n° 284-95. Contra. : Saint-Alary-Houin C., « Redressement et liquidation judiciaire : nullités de droit, régime des paiements », JCl. Commercial, fasc. 2505, n° 185. On notera que la CA Paris, 3 mai 2001 et 27 févr. 2014 dans les arrêts précités, avait refusé de voir dans cette réalisation une dation en paiement qui aurait conduit à l’annulation prévue à l’art. L. 632-1 du Code de commerce.
  • 21.
    Notre article préc. On notera que pour certains auteurs, la prohibition du pacte commissoire aux gages de stocks pouvait être justifiée par la nature de certains biens. Ainsi Bazin-Beust M. D. soutenait-il le caractère inadapté du pacte aux marchandises dont la détention ou l’aliénation est réglementée (médicaments par exemple) ou limitée par l’existence d’une clause d’étanchéité comprise dans un contrat de distribution sélective. In « Un analyse du pacte commissoire… ou prudence est mère de sûreté chez les financeurs ? » : LPA 19 mai 2011, p. 50.
  • 22.
    Riffard J. F., Le security interest ou l’approche fonctionnelle et unitaire des sûretés mobilières, Stoufflet J. (préf.), Rouhette G. (avant-propos), 1997, LGDJ-PU de la faculté de droit de droit de Clermont-Ferrand.
  • 23.
    Future advance clause, Thèse préc. n° 379, p. 135.
  • 24.
    After acquired property clause, ibid.
  • 25.
    Canada, Nouvelle-Zélande notamment.
  • 26.
    Loi modèle sur la sécurité des transactions de la BERD (Banque européenne pour la construction et le développement) 1994 ; Guide législatif de la CNUDCI sur les opérations garanties par des sûretés réelles mobilières (2000) ; Convention UNIDROIT relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipements mobiles (Le Cap, 2001) ; Livre IX des Cadres communs de références (lequel traite toutefois de manière spécifique les sûretés fondées sur la réserve de propriété).
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