Arnaud Legros : « Le modèle économique du logement social ne fonctionne plus de manière structurelle »

Publié le 27/02/2024

L’activité des bailleurs sociaux a été touchée de plein fouet par la crise liée au Covid et par l’inflation. Aujourd’hui, la crise de l’immobilier et les évolutions normatives dans le secteur poussent à une évolution du modèle du logement social. Le président du directoire des Résidences Yvelines-Essonne, Arnaud Legros, analyse et se livre sans détour sur la situation. Rencontre.

Actu-Juridique : Les Résidences Yvelines-Essonne ont été créées en 2017. Comment ce bailleur social a-t-il évolué depuis sa création ? 

Arnaud Legros : La création de ce bailleur social a été initiée par les deux principaux propriétaires : les collectivités départementales des Yvelines et de l’Essonne. En créant cette entreprise sociale de l’habitat (ESH) sur la base de logements récupérés à partir d’un ancien office public, l’objectif fixé était de remettre à niveau le parc immobilier de manière importante. L’idée était d’engager un plan de rénovation de nos résidences. Cette remise à niveau nous a permis d’améliorer fortement les étiquettes énergétiques de nos logements. Dans ce cadre-là, on réhabilite 1 500 logements par an. Entre ceux livrés et en cours de chantiers, nous sommes à 10 000 rénovations depuis 2017. Il nous reste entre 5 000 et 6 000 logements à réhabiliter selon le plan initial. Ces travaux permettent notamment d’améliorer l’isolation, de changer les fenêtres ou encore d’intervenir par rapport à la vétusté d’un appartement. Ensuite, le capital de l’ESH a évolué en 2020 avec l’arrivée de CDC Habitat social, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Ce nouvel actionnaire est lié au second objectif : se développer en construisant de nouveaux logements et se diversifier en proposant de nouveaux services avec nos filiales.

AJ : Par conséquent, combien de nouveaux projets avez-vous acquis depuis votre création ? 

Arnaud Legros : Depuis notre création, nous avons connu des crises successives. Le plan initial prévoyait environ 600 logements à construire par an. Nous avons commencé à lancer des projets en 2017. Les premiers logements sont sortis de terre en 2019 en atteignant l’objectif. En 2020, la crise sanitaire a ralenti les projets avec un impact sur 2021 où il y a eu une baisse. Mais nous n’étions pas très loin de notre objectif. Depuis 2022 avec l’inflation et la crise de l’immobilier qui a suivi en 2023, nous sommes quasiment à zéro nouveau logement. Il y a eu une chute importante ces deux dernières années.

AJ : En quoi l’inflation et la crise de l’immobilier ont-elles autant impacté votre activité concernant les nouveaux logements ?

Arnaud Legros : En réalité, les raisons sont multifactorielles. D’abord, cette crise immobilière est vraiment complexe. Je pense même que c’est plus qu’une crise. C’est une véritable évolution structurelle du secteur de l’immobilier. Elle vient essentiellement de l’augmentation des taux d’intérêt qui ont doublé ces dernières années. Les acheteurs se font rares pour la promotion immobilière. De notre côté, en tant qu’acheteur auprès des promoteurs, nous ne pouvons plus acheter à un coût raisonnable. Nos loyers sont fixés par la loi et nous ne pouvons pas les doubler pour compenser. Nous n’avons pas un modèle économique pour acheter à 4 % des nouveaux logements. C’est une crise de financement pour l’achat de logements.

« Nous devons réfléchir à travailler différemment et à faire évoluer ce modèle du logement social »

AJ : Vous parlez de la hausse des taux d’intérêts qui est un facteur conjoncturel. Pourtant vous croyez à une évolution structurelle. Pouvez-vous expliciter ce constat ? 

Arnaud Legros : En parallèle, des éléments structurels puissants ne permettront pas aux prix de l’immobilier de baisser. Le coût du foncier ne devrait pas baisser notamment avec la norme zéro artificialisation nette (ZAN) qui va rendre le foncier disponible rare. Avec les normes environnementales de plus en plus exigeantes, les coûts de construction devraient se stabiliser et même probablement augmenter. Je ne vois pas comment les prix peuvent baisser puisque le foncier et la construction sont les deux postes qui font le prix de l’immobilier. Le modèle du logement social ne fonctionne plus de manière structurelle. Nous devons réfléchir à travailler différemment et à faire évoluer ce modèle. C’est le gros enjeu du moment.

AJ : La crise de l’immobilier impacte-t-elle votre activité concernant l’accession sociale à la propriété ? 

Arnaud Legros : Nous constatons le phénomène suivant : les personnes avec un niveau de vie modeste qui accédaient à la propriété il y a deux ans ont disparu. De nouveaux accédants apparaissent avec un niveau de vie un peu plus élevé mais qui ne peuvent plus acheter sur le marché privé. Ils se rabattent sur nos solutions de logement. Il y a un changement du profil sociologique des publics que nous touchons. Ensuite, nous avons une baisse des volumes de vente mais nous continuons à avoir un filet d’acquéreurs. Concernant le logement intermédiaire, nous arrivons à faire du développement et à acheter car les loyers sont un peu plus élevés par rapport au logement social classique. Nous réussissons à trouver un équilibre.

AJ : Quelles ont été les conséquences de l’inflation de l’énergie pour vos locataires ? 

Arnaud Legros : Avant la hausse brutale des coûts de l’énergie, nous étions à des niveaux historiquement bas sur les prix du gaz et de l’électricité pour nos locataires. L’inflation spontanée est apparue d’autant plus forte à cause de ce phénomène. Avant cet épisode inflationniste, nous achetions le mégawattheure de gaz 20 euros. Au pic de la crise, nous avions un prix fixé à plus de 300 euros. Le prix moyen normal du gaz est entre 40 et 50 euros. Nous sommes aujourd’hui à ce niveau-là. 2022 et 2023 ont été deux années assez virulentes mais largement minimisées par le bouclier tarifaire de l’État qui a plafonné à 65 euros le mégawattheure. Sur le parc en moyenne, nous avons enregistré une hausse de 300 euros pour nos locataires. Sachant que c’est le gaz qui a connu l’augmentation la plus forte, les situations sont différentes en fonction de l’énergie utilisée par nos locataires. Pour ceux qui étaient en grande difficulté et qui basculaient en dessous du seuil de pauvreté, nous avons prévu des aides et des étalements de paiement. Cependant, ces accompagnements ont été marginaux.

« Ma conviction est de favoriser la sortie du logement social »

AJ : Quel regard portez-vous sur la prise en compte de la mixité sociale dans l’attribution des logements sociaux ? 

Arnaud Legros : Quand on est dans le logement social, on entend beaucoup parler de la mixité sociale. Mais la vérité c’est que la mixité sociale est un sujet impossible à manier. Je prends un exemple assez caricatural : une famille de profession libérale acceptera-t-elle de vivre dans un logement social dans un quartier classé en politique de la ville ? C’est un véritable engagement de la part des familles pour venir vivre dans un logement social. Mais les catégories sociales supérieures vont privilégier le marché privé car elles en ont la possibilité. Ensuite, l’objet même du logement social est de proposer une habitation sous conditions de ressources. Par définition, vous éliminez la mixité sociale. Tout concourt dans le système pour ne pas aller vers de la mixité sociale. Sur le terrain, c’est donc extrêmement compliqué de la mettre en œuvre.

AJ : Quelles solutions alternatives pourriez-vous privilégier pour éviter le phénomène de ghettoïsation de personnes qui concentrent des difficultés sociales ? 

Arnaud Legros : La mixité sociale pose la question de l’attribution des logements. Mais nous devrions plutôt nous poser la question de la sortie du logement social. Le vrai sujet est là ! Le logement social représente une aide pour des personnes qui ont des difficultés à se loger, à un instant T. En passant par ce type d’habitation, ils peuvent régler leurs difficultés et améliorer leur situation pour aspirer à sortir du logement social. Ce ne doit pas être une fin en soi. La création de nos deux filiales permet justement de créer des parcours résidentiels. Ainsi, nos locataires peuvent trouver des solutions pour devenir propriétaire à des coûts moins onéreux par rapport au marché privé. En devenant propriétaire, vous avez une autre responsabilité par rapport au logement et à la ville dans laquelle vous vivez. Vous créez cette notion de mixité sociale en ayant responsabilisé ces personnes. L’important est de créer du turnover dans le logement social pour avoir du renouvellement de population et une mixité qui se fera naturellement. Ma conviction est donc de favoriser la sortie du logement social.

AJ : Selon vous, c’est l’autre enjeu du moment ? 

Arnaud Legros : Oui ! Mais il y a aussi une autre question essentielle et fondamentale qui se pose aujourd’hui : existe-t-il encore aujourd’hui une politique publique du logement social ? J’en reviens à ce que je disais précédemment. Il n’y a plus de modèle économique qui fonctionne dans notre domaine face aux évolutions actuelles. L’État doit mettre des moyens pour mettre en place une politique de logement aidé pour favoriser des situations sociales compliquées. Actuellement, il est en train de se désengager car nous n’avons plus d’aide à la construction et un tiers de l’aide personnalisée au logement (APL) est cofinancé par les recettes des bailleurs sociaux à travers la réduction de loyer de solidarité (RLS). Ainsi, l’État réduit son budget concernant les APL. En tant que bailleur social, nous devons savoir si une politique publique pérenne autour du logement va continuer d’exister. C’est vital pour les entreprises sociales de l’habitat.

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