Bâtiment : blocages à tous les étages

Publié le 18/04/2024

Après une année 2023 difficile, la Fédération française du bâtiment (FFB) ne prévoit pas de rebond en 2024. En Île-de-France, le nombre de défaillances des entreprises augmente à mesure que les chantiers diminuent. Et ce ne sont pas les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) qui devraient changer la donne. « Nombre de maîtres d’ouvrages remettent déjà leurs commandes aux lendemains des Jeux olympiques », explique Édouard Durier, vice-président chargé des affaires économiques de la FFB Grand Paris Île-de-France.

Actu-Juridique : Le secteur du bâtiment est mal en point si l’on se réfère à vos données. Comment expliquez-vous cette triste situation ?

Édouard Durier : Les facteurs explicatifs sont évidemment nombreux. Premièrement, la construction de logements neufs, en Île-de-France comme en France, tourne au ralenti : les mises en chantier de logements neufs ont chuté de – 18 % (dépassant la moyenne nationale qui est à – 16,6 %), au troisième trimestre dernier comparé à il y a un an. C’est pire encore pour les autorisations de construction sur la même période puisqu’elles chutent de près de 32 %. Même constat pour l’immobilier de bureau avec une baisse de 20 % ! Il n’y a guère que le segment de l’entretien et de la rénovation qui connaît une légère croissance : + 0,3 %. Évidemment c’est trop peu pour contrebalancer la tendance générale qui est, vous le comprenez, extrêmement négative. Concrètement, certaines entreprises voient leur carnet de commandes se vider. Le nombre de défaillances d’entreprises du secteur en Île-de-France est en hausse de 28 % par rapport à novembre 2022 !

Les raisons de ce pénible état des lieux sont assez claires et connues : des taux d’intérêt élevés, une frilosité concernant les autorisations de chantiers, un contexte économique difficile et la non-revalorisation d’aides aux logements. À cela s’ajoute aussi une concurrence féroce entre les entreprises qui cherchent à s’emparer des projets et qui tirent de fait les prix vers le bas. Et malheureusement rien ne permet de penser que ces éléments changeront en 2024.

AJ : Après le Covid, la guerre en Ukraine et la hausse spectaculaire de l’inflation, le pire est-il passé ?

Édouard Durier : Sans vouloir être trop pessimiste, nous avons l’impression en tant que professionnels que le pire est encore à venir. De fait, la baisse des autorisations de chantiers aura un impact sur plusieurs mois pour les entreprises. La période Covid a aussi entraîné le décalage de chantiers qui sont dorénavant achevés ou en cours d’achèvement. Or, ils ne sont pas remplacés dans les carnets de commandes des entreprises. Difficile d’être confiant dans ce contexte !

AJ : En Île-de-France, un département se démarque des autres, le Val-de-Marne. C’est le seul à connaître une croissance de ses mises en chantier (+ 23 %). Pourquoi ?

Édouard Durier : Le Val-de-Marne a été, pendant longtemps, le seul département de la région à avoir une baisse du nombre de ses mises en chantier. Il partait donc d’un point bas qui lui permet aujourd’hui de connaître une croissance. Cela peut être le fait de décalages notamment. Néanmoins, il y a fort à parier que cette singularité ne devrait pas durer.

AJ : Les Jeux olympiques et paralympiques représentent-ils une bouffée d’oxygène pour les entreprises du bâtiment ?

Édouard Durier : Pas vraiment. En réalité, les JOP ce sont surtout des tracas à venir pour les professionnels. L’organisation d’un tel événement va entraîner, nous le savons d’ores et déjà, des problèmes monstres de circulation. Cela veut dire, concrètement, que les entreprises pourront difficilement accéder aux chantiers en cours, mais nous sommes en négociations et attendons des mesures plus précises. Nombre de maîtres d’ouvrage remettent déjà leurs commandes aux lendemains des Jeux olympiques. Le Port Victor, par exemple, sur les Quais d’Issy-les-Moulineaux, là où se trouvent les centrales à béton, sera fermé le temps de la compétition. Or sans béton, aucun gros œuvre ne pourra être réalisé. Et ce ne sont pas les autres centrales en Île-de-France qui seront en mesure de répondre à la demande, s’il y a de la demande.

Aussi, il faut savoir que ce sont essentiellement les grands groupes qui ont décroché les principaux chantiers des JOP. Or, 80 % des entreprises du bâtiment sont des PME/TPE et ce ne sont pas eux qui ont bénéficié de ces marchés faute, logiquement, de moyens humains et financiers. Seulement 9 % de nos petites entreprises ont profité des opérations liées aux Jeux olympiques. Les retombées économiques sont donc limitées pour une grande partie des acteurs du bâtiment francilien. Nous ne pouvons pas parler « d’effet JO ».

AJ : À plus long terme, les besoins liés à la rénovation énergétique des bâtiments représentent toutefois une opportunité pour votre secteur…

Édouard Durier : Oui comme je vous le disais, le segment de l’entretien rénovation est le seul à connaître une très faible croissance en Île-de-France. Néanmoins cette opportunité est freinée aujourd’hui par la hausse des coûts des matériaux et un contexte inflationniste qui n’engage pas à de grands investissements. Le réajustement répété aussi des aides complique le travail des entreprises et leur compréhension par les particuliers qui ne savent pas à qui s’adresser et comment. Nous demandons à ce propos une véritable simplification des aides à la rénovation.

AJ : Comment vous positionnez-vous face à l’objectif, en 2050, de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols ?

Édouard Durier : C’est évidemment un sujet d’inquiétude majeur pour nous. Non pas que nous ne reconnaissions pas la nécessité de protéger l’environnement, cependant nous faisons face, encore et toujours, à un besoin de logement élevé, qui plus est en Île-de-France. La région reste très attractive. La demande est importante, or l’offre ne suit pas le rythme. 35 000 logements sont construits chaque année en Île-de-France, nous estimons qu’il en faudrait le double. Il est essentiel que les acteurs publics réfléchissent, avec les professionnels du bâtiment, à une manière différente de construire du logement dans la région.

AJ : Travaillez-vous dans ce contexte à l’avenir de votre activité ? Le monde du bâtiment de demain n’aura probablement plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui…

Édouard Durier : Tout à fait, et notre fédération a déjà lancé une réflexion à ce sujet avec une commission consacrée à l’innovation et les perspectives du secteur. À l’échelle de la région Île-de-France nous travaillons aussi sur ce défi. Construire la métropole de demain, comme celle de Paris, nécessitera obligatoirement de nouvelles façons de faire et de nouvelles visions. Par exemple, nous sommes favorables à un rehaussement des bâtiments déjà existants dans Paris.

Enfin nous préparons les petites entreprises aux métiers de demain, davantage basés sur la rénovation, et à la numérisation toujours plus importantes des tâches.

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