Encadrement des loyers à Paris : un premier bilan très satisfaisant pour la ville
Première candidate à l’expérimentation d’encadrement des loyers, Paris exerce également de façon inédite, depuis plus d’un an, un pouvoir de contrôle et de sanction en cas de dépassement des loyers du cadre imposé. Les premiers chiffres témoignent d’un dynamisme de la politique de la ville en la matière.
L’encadrement des loyers est en vigueur à Paris, depuis le 1er juillet 2019. D’abord mis en place dans le cadre de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite ALUR, puis mis en échec par le juge administratif, le dispositif d’encadrement des loyers dans les zones tendues a été rétabli de façon expérimentale par le législateur avec la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN. Le législateur a prévu sa prolongation jusqu’en 2026, dans le cadre du projet de loi 4D (projet de loi relatif à la différenciation, décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, adoptée au Sénat en juillet dernier).
Paris, pionnière de l’expérimentation prévue par la loi ÉLAN
La loi ÉLAN a ouvert ce dispositif expérimental d’encadrement des loyers du secteur privé sur un périmètre défini par les collectivités, au regard de quatre critères : un écart important entre le niveau de loyer constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social, un niveau de loyer médian élevé, un faible taux de logements commencés rapportés aux logements existants sur les cinq dernières années et des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements et de faibles perspectives d’évolution de celles-ci. Paris a été la première candidate à cette expérimentation, vite rejoint par Lille, Lomme et Hellemmes depuis le 1er mars 2020, les territoires de Plaine Commune en juin 2021 puis d’Est Ensemble en décembre 2021, les communes de Lyon et Villeurbanne en novembre 2021, Montpellier et Bordeaux en juillet 2022. Fin 2023, les candidatures de la métropole de Grenoble et celle de la communauté d’agglomération du Pays basque ont été acceptées.
Un dispositif de régulation du marché ?
Le dispositif d’encadrement des loyers repose sur trois mesures, fixées annuellement par un arrêté préfectoral : un loyer de référence, un loyer majoré équivalant au loyer de référence +20 % et un loyer minoré équivalant au loyer de référence -30 %. Un complément de loyer peut être appliqué pour les biens disposant de caractéristiques exceptionnelles. Chaque année, les nouveaux loyers de référence sont fixés par un arrêté du préfet de Paris et sont applicables pour les contrats de location de logements (y compris les colocations à baux multiples), meublés ou vides, à usage de résidence principale ou à usage mixte dans le cadre d’un renouvellement ou d’une création de bail. Ces tarifs sont fixés en fonction de l’observation des prix constatés sur le marché concerné. Lorsque les tensions locatives sont trop fortes, l’encadrement des loyers ne fait donc pas baisser les prix.
De nombreux baux soumis à ce dispositif
L’encadrement s’applique à tous les baux signés à compter du 1er juillet 2019 et soumis à la loi du 6 juillet 1989, c’est-à-dire la location de la résidence principale ou la location dans le cadre d’un bail mobilité. Il s’applique aux locations vides et meublées, tant pour les relocations que pour les premières locations (dont les colocations) et les renouvellements de baux. Les logements sociaux, les logements soumis à la loi de 1948 ainsi que les locations saisonnières ne sont pas concernés par le dispositif. Rappelons enfin que le dispositif de plafonnement s’articule avec le décret annuel de limitation de la hausse des loyers à l’indice de référence des loyers (IRL) appliqué depuis 2012 dans les 28 zones tendues, dont l’agglomération parisienne. Ce mécanisme s’applique aux villes de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements et a été prolongé récemment jusqu’au 31 juillet 2022 ; il est en vigueur à Paris. En conséquence de ce dispositif, si le bail concerne un logement qui était occupé dans les 18 derniers mois par un autre locataire, le loyer ne peut pas être supérieur au précédent, sauf un nombre très limité de cas.
Que faire en cas de dépassement de loyer ?
Le montant du loyer est obligatoirement mentionné dans le bail signé entre le locataire et le propriétaire. Le bail doit comprendre également le loyer de référence, le loyer de référence majoré et, si le propriétaire demande un complément de loyer, son montant et sa justification. Si le bail ne précise pas ces informations, le locataire a un mois à partir de la date de la prise d’effet du bail pour demander au bailleur de régulariser le bail. Sans réponse du propriétaire dans un délai d’un mois ou en cas de refus de ce dernier, le locataire a trois mois à compter de la réception de son courrier par le propriétaire pour saisir le juge des contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Paris. Le propriétaire peut fixer librement le loyer hors charges des logements mis en location, dit loyer de base, à la condition de ne pas excéder le niveau du loyer de référence majoré. À défaut, une action en diminution du loyer peut être engagée.
De très nombreux signalements d’infractions à la réglementation
Deux tiers des Parisiens sont locataires. Cette réglementation est donc lourde d’enjeux dans la capitale. D’après le 3e baromètre de l’encadrement des loyers de la fondation Abbé-Pierre, paru début octobre 2023, l’application du dispositif progresse à Paris. Seules 28 % des annonces analysées dépassent encore les plafonds légaux de loyer, un chiffre en baisse de trois points par rapport à 2022 et de 7 % par rapport à 2021. Jusqu’ici assuré par le préfet, le recueil des signalements de dépassement du loyer de référence majoré, effectués par les locataires, est depuis le 1er janvier 2023 désormais assuré par la ville de Paris, une première pour les collectivités locales. Une dizaine d’agents est affectée à cette nouvelle mission. En effet, le dépassement du loyer peut être signalé à tout moment à la ville de Paris, via une plateforme dédiée, le délai d’action en justice étant de trois ans à compter de la date de signature du bail. Pour vérifier la conformité de son loyer au loyer de référence majoré, le locataire peut utiliser un service mis en ligne par la ville de Paris : https://teleservices.paris.fr/encadrementdesloyers/. Ce service a enregistré 1 181 signalements entre janvier et septembre 2023, soit dix fois plus que ce que l’État a recueilli en trois ans, soulignent les services de la ville. 82 % des signalements portent sur des petites surfaces (studios ou deux-pièces).
Un transfert de compétence
La ville de Paris a désormais un pouvoir de contrôle et de sanction en cas de dépassement de l’encadrement des loyers. Le transfert du pouvoir de contrôle et de sanction à la ville doit permettre de limiter au maximum les abus, en ayant un effet dissuasif sur les propriétaires. En cas de non-respect de l’encadrement des loyers, la ville de Paris met en demeure le propriétaire de rectifier le montant du loyer dans le bail et de verser les trop-perçus au locataire dans un délai de deux mois. En cas de refus, ou sans réponse de sa part, la ville de Paris informe le propriétaire des sanctions qu’il encourt. Il peut, à cette occasion, transmettre ses observations. La ville de Paris peut prononcer une amende à l’encontre du propriétaire en cas de refus ou d’absence de réponse de ce dernier. Cette amende peut aller jusqu’à 5 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Même si une amende est prononcée par la ville de Paris à l’encontre du propriétaire, le bail reste à régulariser et les loyers trop-perçus à verser. Parallèlement à la démarche de signalement auprès de la ville de Paris, le locataire peut effectuer une démarche auprès de la commission départementale de conciliation pour demander l’actualisation du bail et le reversement des trop-perçus.
Régularisations et amendes
Près de la moitié des signalements effectués auprès de la plateforme dédiée ont déjà été instruits. 61 % de ces dossiers concernaient des dépassements avérés d’un montant moyen de 162 euros. 183 mises en demeure ont été envoyées aux propriétaires concernés. 45 dossiers ont déjà été régularisés, les propriétaires ont remboursé le trop-perçu au locataire et abaissé le montant des loyers prévus. Au total, les locataires concernés ont déjà perçu 97 000 euros de remboursement. 34 dossiers ont fait l’objet d’un deuxième courrier, avant de se voir infliger une amende, et sept d’entre eux se sont déjà vu appliquer une amende financière. Ainsi, dans le XVIe arrondissement, un propriétaire louait un studio de 15 m2 pour 900 euros, alors que le loyer de référence autorisé pour ce type de surface est de 583 euros. Refusant de respecter l’encadrement des loyers, le propriétaire a été sanctionné par une amende de 5 000 euros.
Le difficile contrôle du complément de loyer
En revanche, la municipalité n’est pas à même de contrôler les compléments de loyers prévus par les propriétaires. Seule la commission départementale de conciliation (CDC) a compétence pour le faire, à condition que le locataire l’ait saisie dans le délai de trois mois à compter de la signature du bail. Cette étape est indispensable avant toute saisine du juge judiciaire. Le complément de loyer consiste en un montant qui s’ajoute au loyer de base, hors charges, qui peut être demandé par le propriétaire lorsque le logement comprend des caractéristiques liées à la localisation et/ou pouvant être considérées comme luxueuses ou rares, par rapport à des logements similaires dans le même secteur géographique. Qu’il s’agisse d’un logement vide ou meublé, un complément de loyer ne peut pas être demandé si le loyer hors charges est inférieur au loyer de référence majoré. Les caractéristiques justifiant le complément de loyer ne doivent pas avoir déjà été prises en compte pour fixer les loyers de référence (meublée ou vide, nombre de pièces principales, époque de construction). Le montant du complément de loyer et les caractéristiques du logement le justifiant doivent obligatoirement être mentionnés dans le contrat de location.
Les éléments pour contester un complément de loyer
Pour contester un complément de loyer, le propriétaire doit démontrer et justifier les caractéristiques du logement permettant la mise en place d’un complément de loyer. D’après l’analyse de la jurisprudence, les motifs considérés comme recevables pour demander un complément de loyer sont une grande terrasse, une vue directe exceptionnelle sur un monument, des équipements luxueux ou encore une hauteur sous plafond de plus de 3,3 mètres. En revanche, la décoration ou la luminosité du logement, la présence d’une cuisine équipée, de placards de rangement, d’un petit balcon, des travaux de rénovation ou encore la proximité du RER et métro ne sont pas admis comme éléments justificatifs. Dans tous les cas, le propriétaire ne peut pas demander un complément de loyer si le logement a un niveau de performance énergétique de classe F ou de classe G ou des caractéristiques défavorables comme des sanitaires sur le palier, des signes d’humidité sur certains murs, un vis-à-vis à moins de dix mètres, une mauvaise exposition de la pièce principale… Dans le cadre de la conciliation menée par la CDC, en cas d’accord, le montant du loyer tenant compte de son complément est fixé par le document de conciliation établi par la commission. En l’absence d’un accord, le locataire dispose d’un délai de trois mois à compter de la réception de l’avis pour saisir le juge des contentieux et de la protection d’une demande en annulation ou en diminution du complément de loyer. La décision judiciaire, comme l’accord de conciliation, s’appliquent à compter de la prise d’effet du bail.
Référence : AJU012x5