La copropriété, la piscine et le « squatteur » : hypothèses juridiques autour d’un triste fait divers

Publié le 23/08/2024

L’affaire du « squatter de piscine » devenu tétraplégique après un plongeon et qui aurait porté plainte contre la copropriété a ému l’opinion ces derniers jours. En réalité, il n’y a jamais eu de plainte, révèle France 3 Occitanie, mais un simple courrier d’avocat dans le cadre d’une procédure civile. On en profite pour faire le point avec Me Benoît Fleury sur l’étendue exacte de la responsabilité d’un syndicat de copropriétaires dans ce type de situation. 

La copropriété, la piscine et le « squatteur » : hypothèses juridiques autour d’un triste fait divers
Photo : ©AdobeStock/Thirawat

L’été ne touche pas encore à sa fin que le droit de la copropriété anticipe sa rentrée au travers d’un triste fait divers largement relayé par la presse. Les faits, tels qu’ils sont exposés, n’auraient été qu’une énième incivilité s’ils n’avaient connu une fin tragique. Depuis plusieurs jours en effet, une histoire de piscine « squattée » se déroulant à Toulouse suscite l’indignation et la polémique. Les 67 copropriétaires d’un immeuble seraient tenus pour responsables des blessures d’un « squatteur » gravement blessé, et désormais lourdement handicapé, après avoir profité illégalement de la piscine de leur résidence privée. Le sujet demeure sensible et l’on conserve encore en mémoire les remous entraînés par la décision de la Cour de cassation confirmant la condamnation d’un propriétaire à indemniser l’occupant sans droit ni titre de son appartement suite à une chute due à un défaut d’entretien d’un garde-corps[1].

Loin de nous l’idée ou la prétention de détenir la vérité de la présente affaire, ce qui relèverait de l’art divinatoire et alors même que les faits paraissent moins bien établis que de prime abord. En revanche, quelques rappels juridiques semblent opportuns pour éviter de céder à la tentation du raccourci ou d’une approche volontairement caricaturée. En droit, la question sera ainsi moins celle de la qualité de la personne (« squatteur » ou invité) que des régimes juridiques susceptibles d’être mobilisés.

Les derniers rebondissements faisant état d’une simple action civile à l’endroit de la copropriété pour l’obtention de dommages et intérêts, le volet pénal ne sera pas abordé dans les lignes suivantes[2].

La piscine constitue un élément d’équipement commun de la copropriété[3]. En pratique, le plus souvent ces équipements collectifs (piscine, cours de tennis…) relèvent d’un ou plusieurs ensembles immobiliers. La gestion en est alors généralement assurée par des organismes extérieurs aux syndicats de copropriétaires la gestion de ces ouvrages. Ainsi, une association syndicale libre régie par l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, une association foncière urbaine régie par les articles L. 322-1 et suivants du Code de l’urbanisme ou une union de syndicats prévue par l’article 29 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ont vocation à assurer la gestion et l’entretien de ces éléments collectifs[4]. Au cas présent, il semblerait que l’équipement ne dépende que d’une seule copropriété, ouvrant le chemin au jeu de la responsabilité de plein droit du syndicat des copropriétaires (1), ce qui n’exclut pas pour autant les mécanismes du droit commun de la responsabilité (2).

1.La responsabilité spéciale de plein droit du syndicat des copropriétaires ?

Le syndicat des copropriétaires dispose d’un pouvoir exclusif pour l’entretien des parties communes et la sauvegarde des équipements communs. Le corollaire de ce pouvoir est sa responsabilité de plein droit encourue sur le fondement du dernier alinéa de l’article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 :

« Il [le syndicat des copropriétaires] est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires ».

Ce régime particulier de la responsabilité est régulièrement rappelé avec fermeté par la Cour de cassation. Ainsi, dans une décision récente, en date du 30 novembre 2023[5], la haute juridiction souligne-t-elle :

« vu l’article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 : il résulte de ce texte que le syndicat des copropriétaires est responsable de plein droit des vices de construction ou du défaut d’entretien de l’immeuble, et qu’il ne peut s’en exonérer qu’en rapportant la preuve d’une force majeure ou d’une faute de la victime ou d’un tiers ayant causé l’entier dommage ».

Cet arrêt, rendu sous l’empire de l’ancienne rédaction de l’article 14 est naturellement pleinement transposable à la nouvelle formulation dès lors que celle-ci autorise encore plus facilement la mise en cause de la responsabilité du syndicat des copropriétaires, ainsi que le relève fort justement la doctrine la plus avisée[6]. La nouvelle formulation de la responsabilité spéciale du syndicat n’oblige plus en effet la victime à prouver que le dommage invoqué est la conséquence d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction des parties communes.

Il n’en demeure pas moins que cette nouvelle rédaction est sujette à interprétation. La doctrine s’interroge en effet sur sa portée exacte.

Selon une première interprétation, le syndicat des copropriétaires est automatiquement responsable dès lors que le dommage provient d’une partie commune, sans égard pour les causes précises du dommage. En d’autres termes, la responsabilité du syndicat est engagée dès lors que le siège du dommage se situe dans les parties communes. Il suffirait donc pour mettre en œuvre la responsabilité du syndicat au titre de l’ article 14 d’établir le dommage et son lien avec les parties communes. Il en résulterait une extension considérable de la responsabilité du syndicat[7].

Une autre interprétation est envisageable en considérant qu’il demeure nécessaire de démontrer le rôle causal des parties communes dans la survenance du dommage[8]. Cette solution se rapprocherait du droit commun de la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, le syndicat des copropriétaires pourra s’exonérer de sa responsabilité dans deux hypothèses :

*la faute de la victime, à condition que celle-ci soit à l’origine de l’entièreté du préjudice (à défaut, un partage de responsabilité pourra être retenu[9]) ;

*la force majeure, rarement retenue.

 

À titre d’illustrations, la jurisprudence a, par exemple, écarté la responsabilité du syndicat pour faute de la victime :

*à l’égard de l’acquéreur d’un lot qui, lors de son acquisition, avait connaissance du mauvais état de la toiture dont la réparation était ajournée en raison des difficultés de trésorerie de la copropriété, et sur laquelle avait été posée une bâche[10];

*lorsque le copropriétaire victime avait refusé de voter les crédits nécessaires à la réfection urgente d’une partie commune à l’origine de son dommage postérieur[11];

*lorsqu’un copropriétaire a usé abusivement des conduits de cheminée alors même qu’il avait connaissance des désordres les affectant[12].

Sur ce dernier point, le parallèle est plus aisé avec le régime de responsabilité de droit commun.

2.La responsabilité de droit commun

En droit de la responsabilité, il est constant que tout fait quelconque de l’homme ou des choses qu’il a sous sa garde, qui cause à autrui un dommage, oblige à réparation, conformément à la lettre de l’article 1242 du Code civil. La règle de responsabilité du syndicat du fait de l’immeuble édictée par l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 et rappelée supra n’écarte pas l’application des dispositions de l’article 1242. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de souligner à plusieurs reprises que l’article 14 de la loi de 1965 n’interdit pas aux victimes de dommages d’invoquer le bénéfice de l’article 1242[13].

Il serait donc en théorie possible d’aller rechercher la responsabilité du syndicat des copropriétaires en sa qualité de gardien de la piscine sur le fondement de l’article 1242 du Code civil. Ce régime sera alors proche de celui de l’article 14 de la loi de 1965 dès lors qu’il n’implique plus la démonstration d’une faute, contrairement au régime de la responsabilité personnelle de l’article 1240. La victime doit en revanche démontrer le « fait actif » de la chose ou son caractère anormal s’il s’agit d’une chose inerte, ce qui, en l’espèce, ne paraît pas si évident.

Le régime de l’article 1240 paraît inadapté à la recherche d’une quelconque responsabilité du syndicat des copropriétaires. S’il est possible d’étendre ce régime aux personnes morales, les cas sont cependant limités et impliquent, soit une faute des organes représentatifs de la personne morale, soit un défaut d’organisation à l’origine du dommage. On perçoit mal comment cela pourrait s’appliquer à un syndicat, d’autant plus qu’en l’espèce il existe des régimes de responsabilité sans faute. Le syndic en exercice pourrait, en pur droit, être attrait sur ce fondement. Mandataire du syndicat des copropriétaires, il n’en demeure pas moins tenu à l’égard des tiers des fautes commises dans l’exécution de son mandat dès lors que cette faute est à l’origine d’un préjudice subi par le tiers[14]. Cela supposerait d’être en mesure de démontrer une faute du syndic ; laquelle est entendue largement par le législateur et la jurisprudence : acte positif (faute de commission), omission, abstention… Il s’agit là d’un préalable indispensable, contrairement au régime spécial de l’article 14 de la loi de 1965 dans son acception la plus rigoureuse.

Et la preuve d’une faute n’est pas toujours aisée à rapporter, ce qu’illustre une décision récente de la Cour de cassation. Un enfant qui se trouvait en la seule compagnie d’enfants dont la plus âgée avait 10 ans dans le jardin d’une propriété qui n’était pas entièrement clôturée, en est sorti et a pénétré dans une propriété située trois maisons plus loin, avant de se retrouver dans la piscine de celle-ci située à l’arrière de la maison et non visible de la rue, dans des circonstances indéterminées. L’enfant âgé de 2 ans et demi, a été découvert inanimé dans la piscine et est décédé 10 jours plus tard. L’enquête diligentée par un procureur de la République a établi que les normes de sécurité alors en vigueur et afférentes à cette piscine étaient respectées puisque ses propriétaires avaient fait installer une bâche de sécurité rigide mise en place lors de leur absence du domicile. De plus, les propriétaires, présents à leur domicile, avaient nettoyé leur piscine et installé une bâche non rigide sur celle-ci dans le but de s’y baigner ultérieurement, ne pouvaient envisager la présence d’un jeune enfant sur leur propriété, de surcroît sans ses parents et qu’il ne pouvait leur être reproché de ne pas avoir exercé une surveillance constante de la piscine et de ses abords ou de ne pas avoir replacé immédiatement la bâche protectrice[15].

Dans tous les cas, le fait de la victime constitue une possibilité d’exonération. Dès lors qu’il présente les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, le fait de la victime permet au gardien d’échapper totalement aux conséquences de sa responsabilité, qu’il soit fautif ou non fautif. La faute de la victime est appréciée en fonction des critères traditionnellement utilisés dans le cadre de l’interprétation de l’article 1240 du Code civil. Il s’agit d’une faute objective, qui consiste dans un comportement non conforme à celui qu’aurait adopté, dans les mêmes circonstances, le bon père de famille normalement prudent et diligent. La Cour de cassation est toutefois particulièrement exigeante : le gardien doit établir l’existence d’une faute de la victime constitutive d’une « cause étrangère » et « revêtant un caractère imprévisible et irrésistible[16] ». La faute de la victime ne permet donc une exonération totale du gardien que si elle présente les caractères de la force majeure. Au surplus, la jurisprudence a adopté une conception restrictive de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité. Par exemple, l’absence de port de casque par la victime, lors du déchargement de carcasses de voitures, n’est pas considérée comme présentant les caractères de la force majeure[17]. La Cour de cassation témoigne fréquemment de sa réticence à reconnaître le caractère imprévisible et irrésistible de la faute de la victime. Elle a ainsi considéré que le franchissement d’un mur d’enceinte d’une hauteur de deux mètres, par un enfant de cinq ans qui s’est noyé dans un bassin de décantation, n’est pas un événement imprévisible et irrésistible[18]. Le fait, pour un agent de l’Office national des forêts, d’avancer la main vers une tronçonneuse en marche afin de retirer des branches, ne présente pas non plus les caractéristiques de la force majeure[19]. Un enfant de 12 ans qui provoque l’arrêt d’un ascenseur, ouvre les portes intérieures, déverrouille le système de sécurité des portes palières à l’aide du bouton-poussoir prévu à cet effet et tente de s’extraire de la cabine, ne se comporte pas de manière imprévisible et irrésistible, si bien que le syndicat des copropriétaires, gardien de l’ascenseur, ne saurait se prévaloir d’une exonération totale de responsabilité[20].

Les juridictions s’attachent aux circonstances exactes de la survenance du dommage tout autant qu’aux actes de la victime et si la haute juridiction se montre exigeante à l’égard du gardien, il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de décisions plaideraient en faveur du syndicat des copropriétaires dans notre affaire :

« Ayant relevé qu’alors qu’il connaissait la configuration des lieux et savait que l’eau était trouble et peu profonde, M. S. avait, après avoir consommé de l’alcool dans des proportions induisant une perte de vigilance, à nouveau plongé dans la rivière, la cour d’appel, qui a pu en déduire que la victime avait ainsi commis une faute d’imprudence à l’origine exclusive de son dommage, a, par ces seuls motifs, exactement retenu que cette faute faisait obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité des défendeurs, tant en leur qualité de gardien du lit de la rivière qu’au titre de la faute alléguée de défaut d’implantation de panneaux d’information[21] ».

A minima, le fait de la victime, s’il n’exonère pas totalement le gardien, pourra aboutir à une exonération partielle dès lors que la victime a commis une faute d’imprudence ou d’inattention qui a concouru à la réalisation du dommage[22].

Au regard des faits tels qu’ils sont publiquement rapportés ce jour, la condamnation totale de la copropriété est ainsi loin d’être acquise. Il serait temps d’abandonner les approches simplistes et de laisser la justice œuvrer. L’affaire est certes complexe, mais loin d’être une nouveauté.

 

 

[1] Cass. 2e civ., 15 sept. 2022, n° 19-26.249.

[2] Pour mémoire, le statut de la copropriété ne comporte aucune disposition spéciale d’ordre pénal. Il convient donc de se référer aux textes généraux et règlementations de la matière. Le syndicat des copropriétaires, en tant que personne morale, peut, en théorie, voir sa responsabilité pénale engagée au cas où une infraction pénale serait commise par un de ses organes ou représentants, en application de l’article 121-2 du Code pénal. Cas extrêmement rare. De même le syndic peut être condamné pour blessures ou homicide involontaires en cas d’accident dû à sa négligence ou à son défaut de surveillance (en matière d’ascenseur, V. T. corr. Seine, 31 janv. 1957).

[3] Cass. 3e civ., 26 mai 2016, n° 15-16.288 :  Loyers et copr. 2016, comm. 181 , note G. Vigneron ; Administrer août-sept. 2006, p. 62 , obs. J.-R. Bouyeure.

[4] Spécialement pour la piscine, v. C. Ivars, La piscine de la copropriété : Actes prat. ing. immobilière 2022, n° 13 et s.

[5] Cass. 3e civ., 30 nov. 2023, n° 22-22.738.

[6] A. Lebatteux, Responsabilité du syndicat des copropriétaires. Les conditions d’exonération de la responsabilité du syndicat des copropriétaires en cas de faute de la victime : Loyers et copr. 2024, comm. 14.

[7] M. Poumarède, Quelle responsabilité spéciale du syndicat des copropriétaires ? Loyers et copr. 2021, étude 2.

[8] J. Lafond, Le syndicat des copropriétaires après l’ordonnance du 30 octobre 2019 : Loyers et copr. 2020, dossier 3.

[9] Par exemple CA Paris, 23 mars 2022, n° 18/07647.

[10] CA Paris, 20 mai 1985 : JurisData n° 1985-022795.

[11] Cass. 3e civ., 27 févr. 2007 : Administrer mai 2007, p. 50.

[12] CA Paris, 25 avr. 1988 : JurisData n° 1988-024044.

[13] Par ex : Cass. 3e civ., 16 févr. 1994 : Loyers et copr. 1994, comm. 256 – Cass. 3e civ., 19 juin 2007 : Administrer oct. 2007, p. 90 – Cass. 3e civ., 22 sept. 2009, n° 08-18.193.

[14] C. Coutant-Lapalus, Quelques réflexions sur la responsabilité civile et le syndic de copropriété : Loyers et copr. 2014, étude 1.

[15] Cass. 2e civ., 9 mars 2023, n° 21-18.713.

[16] Cass. 2e civ., 11 juill. 2002, n° 01-10.016.

[17] Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n° 15-12.217.

[18] Cass. 2e civ., 16 déc. 2004, n° 03-18.860.

[19] Cass. 2e civ., 23 oct. 2003, n° 02-16.155.

[20] Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n° 02-19.454.

[21] Cass. 2e civ., 29 mars 2018, n° 17-15.918.

[22] Cass. 2e civ., 19 févr. 2004, n° 02-18.796.

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