La fraude dans la délivrance d’un congé pour reprise personnelle par le bailleur d’un local d’habitation

Publié le 04/12/2024
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Le contrôle de la validité d’un congé délivré par le bailleur d’un local d’habitation est effectué a priori ou a posteriori par les juridictions du fond. Le congé sera jugé frauduleux dès lors que le bailleur ne justifie pas d’éléments sérieux démontrant la réalité de sa volonté de reprendre le local à titre de résidence principale.

« Fraus omnia corrumpit ». Ce vieil adage du droit français connaît des applications diverses dans différentes branches du droit. Il prend une couleur particulière dans les rapports existants entre les bailleurs et les preneurs de locaux d’habitation.

Le législateur a voulu, au fil des années, garantir toujours plus les droits du locataire et plus généralement le droit fondamental au logement1, notamment par la consécration textuelle de la jurisprudence de la Cour de cassation.

En effet, traditionnellement, les bailleurs avaient tendance à considérer que leurs droits de propriété et de propriétaires étaient bien supérieurs aux droits des locataires, et, souvent, imposaient leur volonté aux preneurs.

Si le droit issu du Code civil donne un cadre général aux relations entre les bailleurs et les preneurs, la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs a consacré un certain nombre de droits au bénéfice du preneur afin de contraindre les parties à rééquilibrer leurs relations contractuelles. Les dispositions de cette loi sont en conséquence d’ordre public.

Le texte a été plusieurs fois modifié, avec comme objectif constant de garantir plus pleinement les droits des locataires.

La question du terme des relations contractuelles entre le bailleur et le preneur est fondamentale. En effet, il est apparu évident au législateur que, si le bailleur peut mettre un terme librement au bail existant avec son locataire, il lui sera en définitive possible de faire échec aux droits du preneur.

La situation la plus symptomatique est celle où le preneur sollicite légitimement son bailleur afin qu’il effectue certains travaux mis à sa charge par le législateur, mais que ce dernier refuse de s’exécuter et délivre un congé pour reprendre le logement pour un motif ou un autre. Une autre situation serait celle où le propriétaire estime que le loyer n’est pas assez élevé, alors que la conjoncture économique fait que les loyers ont fortement augmenté dans le secteur. Le refus du preneur d’accepter une hausse du loyer peut conduire le bailleur à lui signifier un congé frauduleux. Il en est de même de toute demande qui serait légitime et résulterait d’une inexécution fautive du bailleur. Mettre fin au contrat de bail est sans doute la solution qui, a priori, pour un bailleur indélicat et qui ignore tout de la législation en la matière, la plus simple.

Dans ce cadre, la question de la fraude dans la délivrance d’un congé pour reprise prend tout son intérêt.

Dans sa version en vigueur le 29 juillet 2023, c’est-à-dire telle que modifié par la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 – article 10, l’article 15 dispose : « I. – Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant (…). Lorsqu’il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu’il émane du bailleur ».

Le même article donne des précisions dans certaines situations particulières, notamment en cas d’acquisition d’un bien occupé.

Le contrôle de la validité du congé est réel. En effet, l’article 15 prévoit également qu’en « cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ».

Certaines restrictions à la délivrance du congé sont prévues, notamment lorsque la procédure contradictoire prévue à l’article L. 511-10 du Code de la construction et de l’habitation, relative à la sécurité et à la salubrité des immeubles bâtis, est déclenchée.

Par ailleurs, une « notice d’information relative aux obligations du bailleur et aux voies de recours et d’indemnisation du locataire est jointe au congé délivré par le bailleur en raison de sa décision de reprendre ou de vendre le logement ».

Conséquence importante, « à l’expiration du délai de préavis, le locataire est déchu de tout titre d’occupation des locaux loués ».

La déchéance de tout droit et titre pour le locataire est la conséquence normale et principale d’un congé valablement délivré par le bailleur.

L’article 15 limite également dans certains cas les pouvoirs du bailleur quand le locataire est âgé de plus de 65 ans.

Enfin, autre disposition et non des moindres, le dernier alinéa de l’article 15 prévoit une sanction pénale en cas de délivrance d’un congé frauduleux par le bailleur.

Ainsi, l’encadrement de la délivrance d’un congé par le bailleur est strict et surtout de plus en plus favorable au preneur.

Parmi les limites imposées au bailleur, il en est une qui a suscité un contentieux important : le caractère frauduleux ou non du congé délivré. Ce contentieux laisse une marge d’appréciation importante aux juges du fond dans l’interprétation de la loi et des faits d’espèce.

Si au départ la loi de 1989 prévoyait uniquement, par principe, un contrôle a posteriori de la sincérité des motifs de la délivrance du congé pour reprise par le bailleur, la loi dans sa version en vigueur actuellement a formalisé cette obligation du contrôle a priori.

Pour distinguer le contrôle a priori du contrôle a posteriori, il suffit de déterminer si le preneur est resté dans les lieux après la délivrance du congé ou non. Dans le premier cas le congé est contesté avant que le preneur quitte les lieux ; dans le second, le preneur initie une procédure après avoir quitté les lieux mais en contestant la sincérité des motifs de délivrance du congé.

Le contrôle a priori est une consécration législative de la jurisprudence de la Cour de cassation. Il est apparu nécessaire, car il garantit le respect des normes impératives prévues dans le texte.

Mais ce premier type de contrôle n’exclut pas un contrôle a posteriori. En conséquence, le preneur a une marge de manœuvre quant au type de contrôle qu’il entend faire réaliser par le juge.

Le contrôle a priori ou a posteriori du caractère frauduleux du congé pour reprise personnelle délivré par le bailleur à son preneur est à l’origine d’un contentieux non négligeable.

Depuis un arrêt fondateur rendu par la Cour de cassation en 2003 et surtout depuis la modification de la loi de 1989 par la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, le contrôle effectué par le juge peut donc être un contrôle dit a priori ou a posteriori (I). L’étude de la jurisprudence permet de déterminer un certain nombre de critères retenus par les juges du fond pour apprécier la sincérité des motifs des congés délivrés et ses conséquences (II).

I – Le contrôle a priori ou a posteriori du congé

Les fondements du contrôle (A) de la sincérité des motifs de la délivrance du congé pour reprise du bailleur sont très précisément détaillés par la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dans sa version actuelle. Deux contrôles peuvent donc être réalisés : le contrôle a priori et le contrôle a posteriori (B).

A – Fondements du contrôle

Il faut d’abord rappeler à titre liminaire que, selon la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, article 1, « le droit au logement est un droit fondamental ».

Cette énonciation n’est pas anodine, car les différentes réformes impactant la loi de 1989 vont dans le sens d’un plus grand respect de ce principe fondamental.

Le même article 1 dispose que « les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives ».

Constatant que les relations contractuelles sont généralement déséquilibrées au profit du bailleur, l’un des objectifs de la loi est de rééquilibrer les obligations réciproques des cocontractants au profit du preneur.

Sur la question de la reprise par le bailleur du logement, la loi énumère précisément les motifs pour lesquels un bailleur peut délivrer un congé. Le congé pour habiter est délimité strictement : il ne peut profiter qu’au bailleur et à certains de ses proches et suppose que le logement repris soit occupé à usage d’habitation principale.

Le bailleur peut bien légitimement décider de reprendre son logement à son profit. Mais l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 fait obligation au bailleur qui donne congé à son locataire de le « justifier » soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de ses obligations. Les deux types de congés sont distincts et alternatifs.

Pour le contrôle de la validité du congé, en réalité, c’est un contrôle du caractère frauduleux ou non du congé qui est opéré par le juge. Ainsi, en cas d’intention frauduleuse de la part du bailleur, le congé doit être annulé et ne produit aucun effet.

Le demandeur à l’instance qui va conduire à la validation ou l’annulation du congé peut indifféremment être le preneur ou le bailleur. Le preneur a en effet la faculté de solliciter la juridiction compétente afin qu’elle annule le congé litigieux avant même qu’il soit arrivé à son échéance. Il peut également rester dans les lieux et saisir les juges postérieurement.

Le bailleur peut également demander la validation de son congé si le preneur est resté dans les lieux et, en défense, le preneur arguera du caractère frauduleux du congé.

Différentes situations procédurales peuvent donc se présenter, mais, in fine, une seule et même question est posée aux juridictions : le congé est-il frauduleux ? Il doit être rappelé ici qu’une contestation de la régularité et de la sincérité du congé est une question de fond et ne peut pas être jugée en référé.

La question du type de contrôle de la sincérité des motifs d’un congé délivré par un bailleur pour reprise personnelle n’est pas sans intérêt, bien au contraire. En effet, elle conditionne la réponse à une question essentielle pour le locataire : doit-il ou non quitter le logement dans lequel il réside depuis parfois plusieurs années avant de saisir le juge compétent ?

B – Contrôle a priori ou a posteriori

Le contrôle a priori est donc effectué avant que le locataire quitte son logement et lui permet ainsi de rester dans les lieux avant même que la question soit tranchée par la juridiction.

Pendant des années, le juge a généralement refusé d’effectuer un contrôle des motifs de reprise du bailleur avant que le preneur quitte les lieux. Il n’effectuait donc le contrôle qu’a posteriori et indemnisait le preneur évincé s’il arrivait à prouver la fraude.

Aussi, dès lors que le locataire n’avait pas laissé son logement, le juge considérait que la demande n’était pas recevable, car il estimait que le contrôle ne pouvait être effectué qu’après le départ du locataire. Dans ce cadre, le juge prenait en compte surtout les éléments de faits postérieurs au départ du locataire pour déterminer si le bailleur avait porté atteinte à ses droits. À titre d’exemple, le défaut d’occupation des lieux par le bénéficiaire de la reprise était un élément pris en compte2.

Néanmoins, les juridictions du fond ont opéré un revirement de jurisprudence et estimé qu’elles devaient réaliser un contrôle a priori des motifs de reprise, dès lors que le preneur resté dans les lieux le demandait.

Un arrêt rendu par la Cour régulatrice le 18 février 2003 est venu consacrer le principe de contrôle a priori, même si le texte ne prévoyait pas explicitement ce contrôle. La troisième chambre civile affirme que le juge doit vérifier, si cela lui est demandé par le preneur, par un contrôle a priori « si le congé n’avait pas été délivré frauduleusement ». Dans cette décision, la Cour régulatrice casse un arrêt d’une cour d’appel qui avait refusé de contrôler a priori le caractère frauduleux du congé3.

Ce principe a été rappelé par différentes cours d’appel, notamment par la cour d’appel de Paris, le 16 juin 2005, qui précise qu’« il appartient au juge du fond (…) de vérifier si le motif invoqué par le bénéficiaire de la reprise révèle la réalité de son intention de reprendre les lieux pour les habiter à titre de résidence principale ». Dans cette espèce, le congé a été annulé pour fraude puisqu’il a été démontré que le propriétaire avait menti sur ses intentions de reprendre le logement, le congé pour reprise ayant été délivré à la suite du refus du preneur « d’accepter une augmentation de son loyer »4.

Après la décision de principe de la Cour de cassation du 18 février 2003, les juges du fond acceptaient généralement d’effectuer ce contrôle a priori, dès lors qu’il existait des éléments sérieux prouvant que le bailleur n’avait pas la réelle intention d’habiter le bien.

Certaines juridictions du fond, minoritaires, ont néanmoins parfois continué de refuser d’effectuer le contrôle a priori. Elles estimaient que le congé pour reprise était fondé sur une cause péremptoire et, en conséquence, que le bail a pris fin automatiquement à l’expiration du congé5.

Le contrôle a posteriori est également possible. En effet, il est des cas où le locataire qui se voit notifier un congé pour reprise par son bailleur quitte le logement avant même la fin de la période prévue. L’ignorance du preneur de l’existence des dispositions protectrices de la loi de 1989 et lui permettant de faire annuler le congé peut le contraindre à s’exécuter.

S’il s’avère que des éléments factuels font naître des doutes postérieurement à la reprise du logement par le bailleur sur les motifs de cette reprise, le juge peut être sollicité pour contrôler la régularité du congé alors même qu’il n’existe plus de relation contractuelle entre le bailleur et le preneur. Dans ce cas, l’objectif du preneur est généralement et exclusivement le versement d’une somme au titre des dommages et intérêts, la réintégration dans les lieux étant extrêmement rare.

La question posée sur la possibilité ou non pour le juge d’effectuer un contrôle a priori n’est plus d’actualité dans la mesure où le texte a été modifié pour intégrer la jurisprudence de la Cour de cassation.

L’article 15-I de la loi de 1989 dispose ainsi qu’« en cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ».

Le texte va même plus loin en pénalisant le comportement frauduleux du bailleur en énonçant : « V. – Le fait pour un bailleur de délivrer un congé justifié frauduleusement par sa décision de reprendre ou de vendre le logement est puni d’une amende pénale dont le montant ne peut être supérieur à 6 000 € pour une personne physique et à 30 000 € pour une personne morale. Le montant de l’amende est proportionné à la gravité des faits constatés. Le locataire est recevable dans sa constitution de partie civile et la demande de réparation de son préjudice ». Cette pénalisation des congés frauduleux garantit plus encore les droits des locataires face à des bailleurs qui, parfois, détournent les dispositions légales. Néanmoins la jurisprudence n’est pas abondante sur cette question voire inexistante à ce jour.

II – Critères de contrôle

Certains critères sont utilisés par les juridictions pour contrôler la validité du congé. L’une des questions essentielles est celle de la charge de la preuve (A). En définitive et généralement, les juges utilisent un faisceau d’indices pour déterminer le caractère frauduleux du congé (B).

A – Charge de la preuve

Il est possible de donner quelques éléments pris régulièrement en compte par les juges du fond pour déterminer le caractère frauduleux du congé pour reprise personnelle donné par le bailleur.

Il y a en définitive deux grandes catégories d’appréciation par les juridictions du caractère frauduleux du congé. Ces deux catégories se rapportent à la charge de la preuve.

Pour rappel, après modification de la loi depuis le 29 juillet 2023, l’article 15-I dispose : « I. – Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant. À peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. Lorsqu’il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu’il émane du bailleur ».

Certaines mentions sont donc obligatoires dans la lettre de congé.

Mais si l’on s’attache à la question du caractère frauduleux du congé, la question de la charge de la preuve est essentielle.

Certaines juridictions laissent la charge de la preuve du caractère frauduleux du congé délivré au preneur. Mais d’autres juridictions, à l’inverse et bien logiquement en application de la dernière version de la loi de 1989, prennent en compte les éléments apportés par le bailleur afin de déterminer s’il a une intention réelle de reprendre le logement objet du congé.

C’est ainsi que, très récemment, le tribunal judiciaire de Paris, le 16 juillet 20246, rappelle deux éléments fondamentaux. Tout d’abord il rappelle qu’« à peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise ». Dans un second temps, il précise que « s’agissant du caractère réel et sérieux du congé, il sera rappelé que depuis la loi ALUR lorsqu’il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Cette loi a ainsi opéré un renversement de la charge de la preuve puisqu’il appartient désormais au bailleur d’apporter des justifications au soutien de son congé pour reprise alors qu’auparavant il appartenait au locataire de rapporter la preuve d’une fraude manifeste. En cas de contestation, le juge peut même d’office vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues audit article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si « la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ».

Le tribunal judiciaire de Paris rappelle donc que c’est au bailleur de prouver le caractère « réel et sérieux de sa décision de reprise ». Le juge peut, même d’office, annuler un congé jugé non justifié par des éléments sérieux et légitimes.

Il y a donc un inversement de la charge de la preuve qui est favorable au locataire.

D’autres décisions sont moins limpides, comme celle rendue par la cour d’appel de Paris7 dans laquelle les juges précisent que le contrôle effectué par les juges « n’implique (…) pas un contrôle de l’opportunité même de la décision de reprise ». La cour d’appel indique que « pour apprécier, au jour de la délivrance du congé, le caractère réel et sérieux de l’intention du bailleur de reprendre le logement pour l’habiter à titre de résidence principale, le juge peut tenir compte d’éléments postérieurs, dès lors qu’ils sont de nature à établir cette intention8 » pour néanmoins préciser que « la fraude ne se présume pas et doit être établie par celui qui l’invoque ». Mais in fine, dans cette décision, les juges de la cour d’appel inversent bien la charge de la preuve, conformément à la modification de la loi, puisqu’ils évaluent les éléments apportés par le bailleur pour finalement considérer que la reprise est justifiée.

La même cour d’appel de Paris, le 20 juin 20249, précise que c’est au preneur d’apporter la preuve de la fraude.

La cour d’appel de Toulouse a de son côté invalidé un congé car il n’était pas justifié. En effet, selon elle, le propriétaire « n’établit pas la réalité de ses affirmations, notamment la nécessité pour sa fille de s’installer dans l’habitation dont son père est l’usufruitier ». La cour estimait que le bailleur ne démontre pas la nécessité pour sa fille de venir s’installer dans un logement plus spacieux10. La cour d’appel annule donc le congé et réforme la décision rendue en première instance.

A contrario, dans certains cas minoritaires, il apparaît que le contrôle des juges de la sincérité des congés est plus léger. Dans une décision du 7 mars 2013, la cour d’appel d’Agen n’a pas tenu compte de plusieurs éléments factuels qui étaient plutôt en faveur du locataire, notamment ceux relatifs à l’ancienneté du locataire dans les lieux et la possibilité pour le bailleur de reprendre un autre logement similaire. La juridiction restait sur une vision péremptoire du congé pour le juger valable. Elle avait d’ailleurs considéré que le contrôle de celui-ci ne pouvait être réalisé qu’a posteriori11.

Il est néanmoins possible d’affirmer qu’en application de la loi de 1989 modifiée le caractère frauduleux du congé délivré est présumé dès lors que le bailleur ne parvient pas à justifier par des éléments probants qu’il a la volonté sérieuse de reprendre le bien pour son profit. La charge de la preuve du caractère non-frauduleux du congé pèse donc sur le bailleur, ce qu’il faut approuver.

B – Prise en compte d’un faisceau d’indices

Les juges du fond font référence, directement ou indirectement, à la notion de « faisceau d’indices »12 pour déterminer la volonté réelle du bailleur lorsqu’il délivre un congé pour reprendre le logement à titre personnel. En effet, il y a généralement plusieurs indices qui permettent de déterminer son intention réelle13.

L’un des critères que le juge prend parfois en compte pour annuler un congé est la précision dans les termes employés dans le courrier donnant congé.

La Cour de cassation a rappelé que le bailleur doit être précis dans la motivation de son congé. Point fondamental rappelé par la Cour régulatrice, il ne peut s’agir, concernant un congé pour reprise, que d’une reprise pour habitation principale14. Dans le cas contraire où le congé n’est pas précis, le congé peut être annulé.

Ainsi, la cour d’appel de Pau a pu juger qu’un congé motivé par la volonté des bailleurs de conserver le logement pour « leur usage personnel » est imprécis et nul, car il peut s’entendre d’une occupation à titre de résidence secondaire15. Il ne produit donc aucun effet.

Lorsque le courrier de congé est équivoque, et notamment s’il se fonde sur deux motifs différents, par exemple un motif lié à des fautes du preneur et un autre relatif à une reprise pour y habiter, il peut être jugé irrégulier16.

Un autre critère retenu pas les juges est celui de la crédibilité. La cour d’appel de Paris a notamment jugé qu’un congé était frauduleux car celui-ci portait sur une surface minime. Elle estimait que l’intention par les propriétaires d’occuper les lieux à titre de résidence principale n’était pas crédible. La cour d’appel de Paris avait pertinemment retenu plusieurs éléments pour annuler le congé pour fraude, notamment que la volonté du bailleur était d’obtenir l’expulsion du preneur17.

La cour d’appel de Nîmes a jugé que, en cas de contestation, le juge vérifie la réalité du motif invoqué en prenant en compte plusieurs éléments factuels ou faisceau d’indices. Ainsi, « il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ». Dans l’espèce considérée, la cour d’appel de Nîmes jugeait que « les arguments développés par Mme Geneviève V. (locataire) sur le fait que Mme (Bailleresse) (…) dispose d’un autre logement rénové et vacant dans la même impasse, à proximité tout aussi immédiate (…) pourrait être occupé si elle avait vraiment la volonté de se rapprocher le plus possible du domicile de sa mère (…), ne sont pas sérieusement contredits (…) ». En conséquence, le congé « pour reprise doit donc être déclaré nul et de nul effet car frauduleux »18.

Ainsi, comme indiqué supra, certaines décisions mettent en évidence une inversion de la charge de la preuve ; elles annulent le congé car les éléments ou indices présentés par le bailleur pour justifier sa reprise ne sont pas suffisamment sérieux et légitimes. Cette tendance jurisprudentielle va dans le sens de l’objectif de la loi de 1989 qui est de garantir le respect des droits du locataire.

Dans une espèce particulière tranchée par la cour d’appel de Nouméa, particulière en ce sens que la version de la loi applicable n’est pas celle applicable en France métropolitaine mais celle en vigueur avant la dernière mouture, les juges nouméens effectuaient bien, pertinemment, un contrôle a priori et considéraient que les éléments apportés par les preneurs étaient suffisamment probants pour démontrer que les trois congés avaient été délivrés frauduleusement.

Le tribunal de première instance de Nouméa19 avait déjà très bien motivé sa décision et retenu le caractère frauduleux de l’ensemble des congés délivrés par les bailleurs et les avait tous invalidés. Il rappelait que « la fraude doit être appréciée à la date du congé mais peuvent être pris en considération des éléments antérieurs ou postérieurs au congé pour apprécier la sincérité de l’intention du bailleur au moment de la délivrance ». Il prenait en compte le fait que le bailleur avait « disposé, début 2018, puis le 1er mars 2019, de la possibilité de s’installer dans un logement qui lui appartenait, dont les caractéristiques et l’emplacement étaient exactement similaires au bien pris à bail par les époux (…) et qui était en parfait état d’habitation ». Il retenait également que les bailleurs ne s’expliquaient « pas sur les raisons qui ont justifié à deux reprises, leurs décisions de relouer le bien disponible à des tiers malgré le contexte de mésentente conjugale sérieuse qu’ils invoquent alors au surplus que son occupation par M. (…) pouvait intervenir sans délai contrairement à la reprise du bien donné à bail aux époux (…), assujettie au délai de quatre mois ». En effet, le propriétaire du logement évoquait des difficultés familiales pour justifier la reprise du logement. Or, celui-ci possédait un appartement identique attenant à celui des locataires qui l’ont attrait en justice, appartement qui, lui, avait été libéré à trois reprises avant et pendant la procédure. Par ailleurs, le congé avait été délivré le surlendemain de la réunion d’expertise au cours de laquelle a été évoquée avec le bailleur la nécessité de procéder à divers travaux. Cette réunion faisait suite à plusieurs mises en demeure adressées depuis plus de trois années par les preneurs mais restées infructueuses.

Cette décision confirmée en appel sur ce point par un arrêt de la cour d’appel de Nouméa le 17 juin 2024 a considéré que les éléments retenus par la première juridiction étaient suffisants. Elle validait l’analyse des juges fondée sur un faisceau d’indices. Le bailleur était donc bien un fraudeur20.

Le tribunal de Nouméa et la cour d’appel appliquaient donc la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les éléments pris en compte par les juges du fond pour apprécier le caractère frauduleux du congé peuvent être des éléments antérieurs, concomitants mais également postérieurs à la délivrance du congé. La Cour de cassation a rappelé ce principe dans un arrêt du 12 octobre 202321.

Pour qu’un congé puisse être valablement considéré comme justifié et validé par les juridictions sans critique possible, le bailleur ne doit avoir aucune autre possibilité que celle de mettre fin au bail pour reprendre les lieux pour en faire effectivement sa résidence principale. Il devra également en prendre possession dans un délai raisonnable22 « et pour une durée sérieuse »23. À défaut, en cas de contrôle a posteriori, il risque de voir son congé annulé si le preneur initie une procédure et sera condamné à verser des dommages et intérêts24.

Le contexte dans lequel est délivré le congé sera bien un facteur pertinent dans l’analyse. Si le fait que le congé soit délivré dans le cadre d’un désaccord avec le preneur n’est pas automatiquement pris en compte par le juge pour annuler le congé, il pourrait bien être un facteur décisif ; cela particulièrement si ce désaccord est en cours et porte sur des éléments importants des conditions d’exécution du bail.

Pour le preneur qui a des doutes sur la volonté réelle du bailleur de reprendre le bien donné à bail pour en faire sa résidence personnelle, il devra accumuler des preuves tendant à démontrer la fraude de son cocontractant, même si la tendance jurisprudentielle actuelle inverse la charge de la preuve et fait comme présumer que le congé est frauduleux.

Enfin, des conséquences sont attachées aux décisions annulant un congé frauduleux : certaines sont automatiques, comme l’annulation du congé, d’autres sont prononcées et appréciées souverainement par les juges, que ce soit dans leur objet ou leur quorum, comme l’allocation de dommages et intérêts.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. pour une référence à cette notion : Cass. 3e civ., 22 oct. 2003, n° 02-14702.
  • 2.
    CA Paris, 11 avr. 1992, n° 11/04923.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 18 févr. 2003, n° 01-16664.
  • 4.
    CA Paris, 16 juin 2005, n° 04/06769 – Cass. 3e civ., 31 oct. 2006, n° 05-19293.
  • 5.
    V. à titre d’exemple : CA Agen, 7 mars 2013, n° 12/00592.
  • 6.
    TJ Paris, 16 juill. 2024, n° 24/00054.
  • 7.
    CA Paris, 4 juill. 2024, n° 22/05938.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 22-18580, PB.
  • 9.
    CA Paris, 20 juin 2024, n° 21/20297.
  • 10.
    CA Toulouse, 3e ch., 14 juin 2021, n° 20/02954.
  • 11.
    CA Agen, 7 mars 2013, n° 12/00592.
  • 12.
    CA Paris, 26 juin 2007, n° 05/05202.
  • 13.
    V. également CA Nancy, 2e ch. civ., 5 juill. 2012, n° 11/02746.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 31 janv. 2001, n° 99-11956.
  • 15.
    CA Pau, 18 janv. 2007, n° 06/00312.
  • 16.
    Sur l’équivocité dans une reprise pour vendre et la nullité du congé, v. par ex. : CA Paris, 30 juin 2022, n° 20/01013.
  • 17.
    CA Paris, 26 juin 2007, n° 05/05202.
  • 18.
    CA Nîmes, 8 févr. 2018, n° 17/00820.
  • 19.
    Trib. 1re inst. Nouméa, 28 juin 2021, n° 19/37.
  • 20.
    CA Nouméa, 17 juin 2024, n° 21/00246, note J.-M. Hisquin, à paraître.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 12 oct. 2023, n° 22-18580.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 21 févr. 2001, n° 99-12261.
  • 23.
    CA Aix-en-Provence, 5 avr. 2011, n° 09/18543.
  • 24.
    Cass. 3e civ., 12 oct. 2004, n° 03-14794.
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