L’absence d’indemnisation des preneurs en cas de délivrance de congés frauduleux et de manquement du bailleur à son obligation de délivrance

Publié le 10/10/2024
L’absence d’indemnisation des preneurs en cas de délivrance de congés frauduleux et de manquement du bailleur à son obligation de délivrance
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Un arrêt rendu par la cour d’appel de Nouméa, le 17 juin 2024, rappelle que les juges du fond doivent effectuer un contrôle a priori de la sincérité des motifs des congés délivrés par un bailleur qui dit vouloir reprendre son local pour y habiter. Subséquemment, une fois les congés annulés car jugés frauduleux, les juges contrôlent le respect par le bailleur de son obligation de délivrer un logement en bon état d’entretien et de réparations. Néanmoins, en l’espèce, en jugeant qu’il n’y a pas lieu d’indemniser les preneurs, alors même que la fraude dans la délivrance des congés et des manquements à l’obligation de délivrance ont été constatés, la cour d’appel remet quelque peu en question l’objectif même de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et la nécessaire impartialité des juges dans l’application de la loi.

Par un arrêt rendu le 17 juin 20241, la cour d’appel de Nouméa rappelle qu’en application de la loi de 1989 sur l’amélioration des rapports locatifs les juridictions doivent effectuer un contrôle a priori de la sincérité d’un congé délivré par un bailleur à ses locataires.

Néanmoins, dans la même décision, la cour d’appel juge, d’une façon critiquable, que des bailleurs, qui ont délivré plusieurs congés frauduleux et qui n’ont pas exécuté des travaux garantissant le respect de leurs obligations en matière de sécurité et de salubrité, peuvent être exonérés de toute indemnisation, en retenant, sans plus de motivation, que les travaux pourtant non réalisés entièrement au moment où elle statuait, avaient été néanmoins exécutés dans des délais raisonnables et que les preneurs n’avaient pas à être indemnisés d’un quelconque préjudice moral, ces derniers étant demeurés dans les lieux.

Si cette décision confirme la jurisprudence constante de la Cour de cassation du contrôle a priori des motifs de reprise d’un logement, elle est sérieusement critiquable en ce qu’alors qu’elle reconnaît que le logement ne répondait pas aux normes en matière de salubrité et de sécurité, que des congés avaient été délivrés frauduleusement aux preneurs, elle ne sanctionne pas les bailleurs, puisqu’elle refuse d’indemniser les preneurs de leurs préjudices. Cette décision marque une rupture avec la jurisprudence constante des juridictions du fond et de la Cour de cassation sur ces questions.

En l’espèce, un couple de locataires avait signé un premier bail en 2008 pour un appartement meublé et situé dans une maison datant des années 1950, déjà vétuste donc lors de l’entrée dans les lieux.

En 2012, à la suite de la vente de l’immeuble constitué de deux appartements et d’un terrain, les nouveaux bailleurs, chirurgien et pharmacienne de professions, ont imposé un nouveau contrat de bail non meublé aux locataires demeurés dans les lieux. Après discussion, le nouveau bail était signé en octobre 2014.

Le bâtiment devenant de plus en plus vétuste et dangereux au fil du temps, les locataires étaient contraints de rappeler oralement aux bailleurs leurs obligations de réparation et d’entretien de certains éléments, notamment en raison d’infiltrations récurrentes par la toiture et de problème de fuite des réseaux d’eaux usées.

Dans ces conditions, en l’absence de réaction des bailleurs, les preneurs les mettaient en demeure une première fois afin qu’ils s’exécutent par courrier recommandé dès le 5 octobre 2015.

À la suite de l’aggravation des désordres, les locataires étaient contraints de mettre en demeure les bailleurs une seconde fois le 10 avril 2017 et faisaient constater les désordres par huissier.

En l’absence de réaction des bailleurs, une nouvelle lettre de mise en demeure leur était adressée le 10 mars 2018.

À la suite de constat d’huissier et à la mise en demeure, les bailleurs prenaient attache de leur compagnie d’assurance, qui mandatait un expert ; ce dernier confirmait la nécessité de faire exécuter des travaux, notamment, sur le garde-corps, le réseau des eaux usées, le mur de soutènement, la dalle de plancher, la toiture…

Insatisfaits d’avoir à s’exécuter et en guise de représailles, les bailleurs donnaient un congé pour reprise pour y habiter à l’époux, sans le notifier à l’épouse.

Les locataires adressaient d’autres lettres de mises en demeure aux bailleurs afin qu’ils réalisent, au besoin selon un calendrier, les travaux évoqués par l’expert amiable, en vain.

Dans ces conditions, arguant du caractère frauduleux du congé délivré et de son inopposabilité à l’épouse, les locataires sollicitaient le juge des référés afin qu’il ordonne les travaux. Le juge des référés, dans une ordonnance du 11 décembre 2018, considérait au contraire que le congé était valable a priori et prononçait l’expulsion des locataires avec recours à la force publique.

Les bailleurs s’empressaient de recourir à la force publique le 13 décembre 2018 avec sommation de déguerpir. Mais sur appel interjeté, la cour d’appel de Nouméa annulait l’ordonnance le 18 avril 2019 et renvoyait les parties à mieux se pourvoir au fond.

En parallèle, les locataires avaient saisi au fond la juridiction de première instance de Nouméa le 20 décembre 2018, afin qu’elle veuille bien condamner les bailleurs à réaliser les travaux évoqués dans les mises en demeure et dans le rapport de l’expert d’assurance et sollicitaient une indemnisation, notamment de leur préjudice de jouissance.

Deux nouveaux congés étaient délivrés aux deux preneurs, cette fois-ci le 6 janvier 2020.

Les bailleurs remettant en question l’expertise amiable de leur propre assureur, les locataires sollicitaient une expertise judiciaire par voie d’incident de la mise en état. L’expert a donc déposé son rapport le 1er octobre 2020 et a conclu notamment que « ’l’état actuel du logement, ancien, est globalement satisfaisant. Certaines non-conformités, ou défauts, ont été exposés par le demandeur, décrits puis analysés dans les chapitres 4.2.2 et 4.3.2. Ils relèveraient, pour quatre d’entre eux, de non-conformités aux divers règlements, citées dans le corps du rapport. Le point relatif à la dalle de la terrasse, ne représente pas de danger structurel immédiat. Il conviendra de le traiter à moyen terme. Il pourra affecter le confort la sécurité des occupants, au regard du risque de chutes (…). Les non-conformités décelées sur les installations de gaz, et le circuit électrique, devront être corrigées (…). Les non-conformités relatives aux installations de gaz et celles du circuit électrique, présenteraient des dangers liés à la sécurité des usagers (asphyxie au monoxyde de carbone et électrisation). Celle liée à l’insuffisance de la hauteur du garde-corps, pourrait également présenter un risque de chute. L’absence d’étanchéité du réseau d’évacuation des eaux usées, pourrait présenter un risque sanitaire. Enfin l’état de la dalle de la terrasse peut présenter un inconfort d’utilisation et le cas échéant, un risque de survenue d’entorse ».

Logiquement et pertinemment, vu le rapport d’expertise et les arguments avancés par les preneurs, le tribunal de première instance ayant donc effectué un contrôle a priori des motifs des congés et les considérant comme frauduleux, elle annulait les trois congés. Le tribunal condamnait les bailleurs à réaliser les travaux et indemnisait les locataires pour leurs préjudices moraux et de jouissance.

Les bailleurs interjetaient appel de la décision.

La cour d’appel de Nouméa confirme la décision déférée sur la majorité des points, par arrêt du 17 juin 2024. Elle accepte de contrôler a priori la validité des congés et les juge frauduleux. En effet, elle « relève comme l’a fait à juste titre le premier juge que le premier congé délivré à M [Z] l’a été au lendemain de la réunion avec l’expert amiable Exxcal ayant dressé les désordres à réparer à la charge du bailleur et que la réalité de la séparation du couple invoquée comme motif légitime justifiant la reprise des locaux n’est pas davantage démontrée ».

La cour confirme donc « par adoption des motifs du premier juge la décision entreprise en ce qu’elle a prononcé l’annulation des congés délivrés les 18 mai 2018, 6 janvier et 6 février 2020, constaté la poursuite du bail litigieux aux mêmes conditions et débouté les époux [T] de leurs demandes reconventionnelles en expulsion et fixation d’une indemnité d’occupation ».

Elle confirme la condamnation des bailleurs à réaliser certains travaux inexécutés, mais la cour ordonne la suppression d’une barrière grillagée et d’un portail installés par les preneurs sans leur consentement.

Elle confirme la validité de la clause d’indexation du loyer, mais a condamné les bailleurs à rembourser un trop-perçu au titre de cette indexation.

Néanmoins, d’une façon tout à fait discutable et contre toute logique, elle réforme la décision déférée concernant les préjudices des locataires.

La cour d’appel estime que les travaux ont été réalisés dans « des délais raisonnables », sur plusieurs années, sans d’ailleurs reprendre les éléments de fait qui lui permettent de conclure de la sorte. Plus étonnant encore, elle constate que tous les travaux n’ont pas été réalisés.

Elle retient également que les preneurs seraient de « mauvaise foi », puisque, selon elle, ils savaient, au moment de rentrer dans les lieux, soit il y a plus de seize ans, que le bâtiment était vétuste, étant précisé dans le contrat que « le locataire déclare connaître les lieux qui lui sont loués et les prendre en l’état ».

Cette décision, si elle confirme la jurisprudence en matière de contrôle a priori des motifs des congés délivrés par les bailleurs sous l’empire de la loi de 1989 relative aux rapports locatifs applicable en Nouvelle-Calédonie et que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation, d’entretenir les locaux en état de servir à l’usage prévu au contrat et d’y faire toutes les réparations autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l’entretien normal des locaux loués, est très critiquable à plusieurs égards. En effet, sauf sur des points indiscutables, les juges semblent prendre parti pour les bailleurs qui n’ont pourtant pas délivré un logement en bon état de réparation et d’entretien à leurs locataires et utilisé des stratagèmes frauduleux pour faire échec à leurs droits. En effet, la cour d’appel de Nouméa n’accorde aucune indemnisation aux preneurs, alors qu’il a fallu des années de procédure pour que les bailleurs effectuent des réparations, inachevées au jour où elle statue.

En outre, sur le plan purement technique, elle considère également qu’un rapport d’expertise et une note d’un bureau spécialisé dans le contrôle électrique sont insuffisants pour que les bailleurs soient condamnés à reprendre le réseau électrique.

Cette décision remet en question, par une interprétation particulière de la notion de trouble de jouissance et des conséquences de congés frauduleusement délivrés aux locataires, l’objectif de la loi du loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 qui est, notamment, de contraindre les bailleurs à délivrer des logements en bon état de réparations, non dangereux et de ne pas utiliser des stratagèmes frauduleux pour évincer les locataires. Les termes mêmes de la décision laissent entendre un manque d’objectivité et d’impartialité évident.

Aussi, si l’arrêt commenté rappelle la nécessité pour les juges de contrôler a priori les motifs d’un congé délivré par un bailleur qui dit vouloir son local reprendre pour y habiter, et celle pour un bailleur de délivrer un logement en bon état d’entretien et de réparation (I), l’absence d’indemnisation des preneurs en cas de manquements des bailleurs remet en cause l’objectif même de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (II) et l’impartialité des juges dans l’application de la loi.

I – Le contrôle a priori des motifs des congés délivrés par un bailleur et des conditions de délivrance d’un local d’habitation

La cour d’appel de Nouméa rappelle que lorsqu’un congé pour reprise est délivré par un bailleur, les juges du fond doivent vérifier, par un contrôle a priori, qu’il n’a pas été délivré frauduleusement (A).

Dès lors que les congés sont annulés, les preneurs sont recevables à agir afin que les juges puissent contrôler les conditions de délivrance du local d’habitation par les bailleurs (B).

A – Le contrôle a priori des motifs d’un congé pour reprise par le bailleur

Ainsi, selon l’adage : « Fraus omnia corrumpit », lorsqu’un acte revêt un caractère frauduleux au regard du droit, celui-ci est annulé et ne produit aucun effet. Par ailleurs, la fraude est une faute qui engage la responsabilité de l’auteur.

En matière de congé donné aux preneurs par le bailleur pour reprise du logement, le caractère frauduleux est démontré dès lors que le congé est donné à d’autres fins que celles annoncées.

Il est rappelé à titre liminaire que, selon la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, article 1 : « Le droit au logement est un droit fondamental ».

De plus, « les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives ».

Les motifs pour lesquels un bailleur peut donner congé sont énumérés très précisément. Le congé pour habiter est de surcroît délimité strictement : il ne peut profiter qu’au bailleur et à certains de ses proches et suppose que le logement repris soit occupé à usage d’habitation principale.

Par ailleurs, l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 fait obligation au bailleur qui donne congé à son locataire de le « justifier » soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de ses obligations. Les deux types de congés sont distincts et alternatifs.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que le bailleur devait être précis dans la motivation de son congé et qu’il ne pouvait s’agir, concernant un congé pour reprise, que d’une reprise pour habitation principale2.

La cour d’appel de Pau a pu juger qu’un congé motivé par la volonté des bailleurs de conserver le logement pour « leur usage personnel » est imprécis car il peut s’entendre d’une occupation à titre de résidence secondaire3.

Lorsque le courrier est équivoque, et notamment s’il se fonde sur deux motifs différents, un tel congé est jugé irrégulier car l’équivocité des motifs correspond à une absence de motif. C’est notamment ce qu’a jugé la cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 28 septembre 2000.

Si le contrôle du caractère frauduleux d’un congé délivré par un bailleur peut être effectué a posteriori, c’est-à-dire une fois que le preneur a quitté les lieux, il est de jurisprudence constante que le juge doit rechercher a priori si le congé avait été délivré frauduleusement, dès lors que cela lui est demandé.

En cas d’intention frauduleuse de la part du bailleur, le congé n’est pas valable.

C’est ce qu’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt de principe rendu le 18 février 2003, selon lequel le juge doit vérifier « comme il le lui était demandé, si le congé n’avait pas été délivré frauduleusement ». La Cour de cassation cassait donc un arrêt d’une cour d’appel qui avait refusé de contrôler a priori le caractère frauduleux du congé4.

La cour d’appel de Paris, le 16 juin 2005, a aussi rappelé le principe selon lequel « il appartient au juge du fond (…) de vérifier si le motif invoqué par le bénéficiaire de la reprise révèle la réalité de son intention de reprendre les lieux pour les habiter à titre de résidence principale ». Dans cette espèce, le congé a été annulé pour fraude, par un contrôle a priori, le propriétaire ayant menti sur ses intentions de reprendre le logement, le congé pour reprise ayant été délivré à la suite du refus du preneur « d’accepter une augmentation de son loyer »5.

A aussi été jugé frauduleux le congé pour reprise pour habitation personnelle portant sur une surface minime dès lors que l’intention de les occuper à titre de résidence principale n’est pas crédible. La cour d’appel de Paris avait pertinemment retenu un « faisceau d’éléments », et notamment celui relatif à la volonté du bailleur d’obtenir l’expulsion du preneur, pour conclure à la fraude6.

La cour d’appel de Nîmes a également indiqué qu’en cas de contestation le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif invoqué et le respect de l’obligation prévues par les textes. Ainsi, « il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ». Dans l’espèce considérée, la cour d’appel de Nîmes jugeait que « les arguments développés par Mme Geneviève V. (locataire) sur le fait que Mme (Bailleresse) (…) dispose d’un autre logement rénové et vacant dans la même impasse, à proximité tout aussi immédiate (…) pourrait être occupé si elle avait vraiment la volonté de se rapprocher le plus possible du domicile de sa mère (…) ne sont pas sérieusement contredits (…) ». En conséquence, le congé « pour reprise doit donc être déclaré nul et de nul effet car frauduleux »7.

Dans un autre arrêt, la cour d’appel de Nîmes le 8 février 2018 indique également expressément : « Le caractère péremptoire de la reprise pour habiter ou vendre dans le droit ne retire cependant pas au juge tout pouvoir de contrôle : celui-ci peut vérifier la réalité du congé, c’est-à-dire apprécier s’il n’a pas été délivré en fraude des droits du locataire »8.

D’autres décisions, minoritaires en nombre et avant la réforme de la loi de 1989 qui formalise l’obligation d’effectuer un contrôle a priori, avaient jugé le contraire, en retenant que le contrôle ne pouvait être réalisé qu’a posteriori, une fois que les locataires aient quitté leur logement.

En l’espèce, la cour d’appel de Nouméa, dans l’arrêt commenté, effectue bien pertinemment un contrôle a priori, et considère que les éléments apportés par les preneurs sont suffisamment probants pour démontrer que les congés, trois au total, avaient été délivrés frauduleusement.

Le tribunal de première instance de Nouméa avait déjà, d’une façon très pertinente et fort bien motivée, retenu le caractère frauduleux de l’ensemble des congés délivrés par les bailleurs et les avait tous invalidés. Il rappelait que « la fraude doit être appréciée à la date du congé mais peuvent être pris en considération des éléments antérieurs ou postérieurs au congé pour apprécier la sincérité de l’intention du bailleur au moment de la délivrance ».

Ainsi, le tribunal prenait en compte, tout d’abord, le fait que le bailleur, avait « disposé, début 2018, puis le 1er mars 2019, de la possibilité de s’installer dans un logement qui lui appartenait, dont les caractéristiques et l’emplacement étaient exactement similaires au bien pris à bail par les époux (…) et qui était en parfait état d’habitation ».

Le tribunal précisait également que les bailleurs ne s’expliquaient « pas sur les raisons qui ont justifié à deux reprises, leurs décisions de relouer le bien disponible à des tiers malgré le contexte de mésentente conjugale sérieuse qu’ils invoquent alors au surplus que son occupation par M. (…) pouvait intervenir sans délai contrairement à la reprise du bien donné à bail aux époux (…), assujettie au délai de quatre mois ».

En effet, le bailleur qui avait délivré les congés évoquait ses hypothétiques difficultés familiales pour justifier la reprise du logement. Or, le bailleur possédait exactement le même appartement attenant à celui des locataires qui l’ont attrait en justice et qui, lui, avait été libéré à trois reprises avant et pendant la procédure. Or, le bailleur fraudeur n’avait pas repris l’appartement libéré.

Le tribunal de première instance prenait également en compte le fait que le congé avait été délivré le surlendemain de la réunion d’expertise au cours de laquelle a été évoquée avec le propriétaire la nécessité de procéder à divers travaux de reprise sur le bien, faisant suite à plusieurs mises en demeure, adressées depuis plus de trois années et restées infructueuses.

La cour d’appel, sans s’étendre sur l’ensemble des points relevés par la juridiction de première instance, les fait siens et confirme que les congés ont été délivrés avec une intention frauduleuse.

Elle confirme que les juges du fond doivent contrôler a priori les motifs de reprise et ainsi vérifier que les congés délivrés sont valables et non énoncés en fraude aux droits des locataires.

La loi de 1989 dans sa version actuelle a été remaniée en intégrant en son article 15-I la disposition selon laquelle « en cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ». Et le texte va même plus loin en pénalisant le comportement frauduleux du bailleur en énonçant « V. – Le fait pour un bailleur de délivrer un congé justifié frauduleusement par sa décision de reprendre ou de vendre le logement est puni d’une amende pénale dont le montant ne peut être supérieur à 6 000 € pour une personne physique et à 30 000 € pour une personne morale. Le montant de l’amende est proportionné à la gravité des faits constatés. Le locataire est recevable dans sa constitution de partie civile et la demande de réparation de son préjudice ». Cette pénalisation des congés frauduleux est à approuver, en ce qu’elle garantit plus avant les droits des locataires face à des bailleurs qui, parfois, utilisent des dispositions légales pour faire échec à leurs droits.

Si la version applicable en Nouvelle-Calédonie n’intègre pas à la date de la décision commentée ces deux dernières dispositions, la cour d’appel se fonde néanmoins sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation antérieure à la réforme et effectue le contrôle a priori.

La décision commentée, qui confirme l’analyse précise de la première juridiction, doit être approuvée car elle est de nature à rappeler que les bailleurs ne peuvent pas, par une simple allégation de reprise du logement pour y habiter, délivrer un congé ou plusieurs sans justifier d’éléments probants permettant aux juges d’apprécier le bien-fondé de cette reprise. Sans ce contrôle a priori, la loi aurait perdu une partie de son sens.

Elle rappelle également que les preneurs qui contestent la validité d’un congé doivent apporter des éléments probants au soutien de leurs prétentions.

Enfin, il convient de préciser également que la cour d’appel confirme qu’un congé pour reprise doit être délivré à chacun des époux. À défaut, le congé délivré à un seul époux est inopposable à l’autre.

B – Le contrôle des conditions de délivrance d’un local d’habitation

Une fois les congés annulés, les preneurs sont bien évidemment jugés en droit de solliciter de la juridiction saisie qu’elle contrôle le respect par les bailleurs de leurs obligations légales en matière de délivrance d’un local d’habitation.

Aux termes de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et étendue par la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 :

« Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation (…).

Le bailleur est obligé :

a) de délivrer au locataire le logement en bon état d’usage et de réparation ainsi que les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement (…) ;

b) d’assurer au locataire la jouissance paisible du logement et, sans préjudice des dispositions de l’article 1721 du Code civil, de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle (…) ;

c) d’entretenir les locaux en état de servir à l’usage prévu par le contrat et d’y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l’entretien normal des locaux loués (…) ».

L’article 20-1 de la même loi, dans sa version applicable au litige, dispose que, si le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l’article 6, « le locataire peut demander au propriétaire leur mise en conformité sans qu’il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. À défaut d’accord entre les parties ou à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, la commission de conciliation territorialement compétente peut être saisie et rendre un avis dans les conditions fixées à l’article 20. La saisine de la commission ou la remise de son avis ne constitue pas un préalable à la saisine du juge par l’une ou l’autre des parties. Le juge saisi par l’une ou l’autre des parties détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu’à l’exécution de ces travaux. Le juge transmet à l’autorité définie par la réglementation applicable localement en ce qui concerne les caractéristiques mentionnées à l’article 6 l’ordonnance ou le jugement constatant que le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l’article 6 ».

Plus généralement, l’article 1719 du Code civil dispose également que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° de délivrer au preneur la chose louée ;

2° d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;

3° d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ».

Cette obligation de délivrance est également une application du droit fondamental au logement.

En cas de litige latent, les parties ont souvent recours aux expertises amiables ou judiciaires pour déterminer si le logement répond aux critères de décence et de sécurité.

En l’espèce, les locataires avaient signé un premier bail pour l’appartement meublé en 2008 situé dans une maison datant des années 1950. L’immeuble présentait donc déjà une certaine vétusté lors de l’entrée dans les lieux.

En 2012, à la suite de la vente de l’immeuble constitué de deux appartements et d’un terrain, les nouveaux bailleurs, chirurgien et pharmacienne de professions, ont imposé un nouveau contrat de bail non meublé aux locataires demeurés dans les lieux. Après discussion sur certaines conditions du bail, le nouveau bail était signé en octobre 2014.

Le bâtiment devenant de plus en plus vétuste et dangereux au fil de l’écoulement du temps, les locataires étaient contraints de rappeler oralement aux bailleurs leurs obligations de réparation et d’entretien de certains éléments, notamment en raison d’infiltrations récurrentes par la toiture et de problème de fuite des réseaux des eaux usées.

Plusieurs mises en demeure ont été délivrées aux bailleurs mais, en l’absence de réaction et en raison d’aggravations des désordres, les locataires étaient contraints de faire constater les désordres par huissiers.

Une expertise amiable a ensuite confirmé la nécessité de faire exécuter des travaux, notamment sur le garde-corps, le réseau des eaux usées, le mur de soutènement, la dalle de plancher, la toiture…

Les bailleurs remettant en question l’expertise amiable de leur propre assureur au cours de la procédure, les locataires sollicitaient une expertise judiciaire par voie d’incident de la mise en état.

L’expertise réalisée démontrait un peu plus la nécessité de réaliser de nombreux travaux sur le bâtiment, notamment afin d’assurer la perméabilité du réseau des eaux usées et de la toiture. L’expert constatait en effet l’insalubrité résultant des fuites du réseau des eaux usées et des infiltrations récurrentes dans l’appartement des locataires. D’autres non-conformités et désordres relatifs au réseau électrique ou à la sécurité des personnes avaient été aussi mis en lumière.

L’expert judiciaire indiquait donc que la hauteur du garde-corps n’était pas conforme à la réglementation, tout comme le chauffe-eau et le circuit électrique.

Néanmoins, la cour d’appel, si elle faisait droit aux demandes des preneurs sur plusieurs points, refusait de condamner les bailleurs à reprendre le réseau électrique, à mettre en conformité le chauffe-eau et effectuer une reprise de la dalle.

Elle estime que les expertises n’ont pas conclu aux dangers de ces équipements.

Or, l’expertise avait bien précisé, concernant la dalle notamment, que « ce point devrait faire l’objet d’une remise en conformité à moyen terme, correspondant à la démolition de la dalle en place du fond de forme, et la réalisation d’une dalle en béton armé (B 25), d’épaisseur 10 cm », mais en précisant néanmoins qu’il existait un danger immédiat : « le risque de se tordre une cheville ».

Mais la cour d’appel conclut, sans le justifier, qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la reprise de la dalle, mais juste de reboucher un trou…

Ce qui étonne dans cette décision, c’est que la cour d’appel de Nouméa ne tient en définitive pas compte totalement du rapport d’expertise, qu’elle refuse d’ailleurs d’homologuer, sur des questions liées à la sécurité des personnes : à savoir le réseau électrique et le chauffe-eau non conformes aux normes.

Car l’arrêt rappelle les conclusions de l’expert qui précisait concernant la dalle que son état pourra « affecter le confort la sécurité des occupants au regard du risque de chutes ». Il précise également que « les non-conformités décelées sur les installations de gaz, et le circuit électrique, devront être corrigés (…) présenteraient des dangers liés à la sécurité des usagers (asphyxie au monoxyde de carbone et électrisation) ».

Mais la cour conclut finalement, concernant le chauffe-eau, « aucun des experts n’a relevé d’anomalie et de non-conformité de cette installation justifiant son changement ou sa mise aux normes ». Concernant le circuit électrique, la cour d’appel conclut « il n’est pas plus démontré en appel qu’en première instance que l’installation électrique actuelle présente un danger pour les personnes ».

Ainsi, pour conclure à l’absence de nécessité de reprendre l’installation du chauffe-eau et l’installation électrique ou encore la dalle, la cour d’appel semble s’être fourvoyée, car l’expert judiciaire avait bien en valeur les risques et dangers des installations.

Dans certaines décisions, les juridictions ont rappelé qu’une installation électrique dangereuse et non conforme aux normes est un élément de non-décence9. Cependant, il a déjà été jugé que le locataire ne peut exiger la mise en conformité de l’installation électrique à des normes arrêtées plusieurs années après la prise à bail que s’il démontre la dangerosité de l’installation ou l’existence de troubles dans la jouissance de ses éléments d’équipement10.

Dans l’espèce jugée par la cour d’appel de Nouméa, les locataires avaient apporté un certain nombre d’éléments de preuve, et notamment un constat d’huissier, qui indiquait que le système d’éclairage extérieur était désuet et ne fonctionnait pas, ce qui démontrait un peu plus la nécessité de réaliser des travaux de remise aux normes du circuit électrique désuet et dangereux.

Il convient donc de rappeler que, une fois de plus, le rôle de l’expert est fondamental sur ces questions techniques, et notamment en matière de conformité et de sécurité des installations. Néanmoins, la décision rappelle que les juridictions ne sont pas liées par les expertises.

Il convient également d’insister sur la nécessité pour les experts de fournir des conclusions claires et non-équivoques, afin d’éviter que les juges les interprètent d’une façon erronée, ce qui est vraisemblablement le cas en l’espèce.

Aussi, s’il y a lieu d’approuver sur le principe la nécessité de justifier et de prouver que des non-conformités existent afin de ne pas contraindre les bailleurs à effectuer des réparations ou des mises aux normes sur simples allégations des preneurs, l’appréciation finale des juges nouméens semble avoir été guidée par des considérations étrangères qui remettent in fine en question la nécessaire impartialité des juges et par là même les fondements et objectifs mêmes de la loi de 1989 sur les rapports locatifs. Cela apparaît d’autant plus lorsque l’on constate que la cour d’appel de Nouméa n’a pas indemnisé du moindre centime les preneurs dans cette espèce où les bailleurs avaient attendu d’être attraits en justice et deux expertises pour réaliser seulement certains travaux, dont plusieurs d’une façon non conformes aux règles de l’art, et dans un contexte où les bailleurs avaient tenté de mettre fin au bail par des congés frauduleux, et alors même que les preneurs avaient réglé intégralement leurs loyers.

II – L’absence d’indemnisation des preneurs en cas de fraude et manquements du bailleur dans l’obligation de délivrance ou la mise en échec de la loi de 1989 sur l’amélioration des rapports locatifs

L’absence d’indemnisation des preneurs dans un cas où des bailleurs ont délivré des congés frauduleux dans le seul but de ne pas réaliser des travaux tend à remettre en question, par le biais d’une appréciation dite souveraine des faits de l’espèce, l’objectif même de la loi de 1989 et plus généralement du droit fondamental au logement (A). La décision commentée révèle par ailleurs le manquement évident d’objectivité, de neutralité et d’impartialité des juges nouméens (B).

A – La remise en question de l’objectif de la loi de 1989 par l’absence d’indemnisation des preneurs victimes de la fraude des bailleurs et ayant subi différents préjudices

La loi de 1989 a pour objet principal de régir les rapports entre les bailleurs et les preneurs de locaux d’habitation.

Mais il importe de rappeler que l’article 1er de la loi dispose que « le droit au logement est un droit fondamental ».

Le but est donc de faire du droit au logement un droit concurrent des droits des propriétaires sur leurs biens. En ce sens, les propriétaires bailleurs ne peuvent imposer, par des clauses contractuelles ou dans l’exécution même du bail, des rapports locatifs contraire au droit fondamental au logement ou plus généralement déséquilibrés au détriment des locataires.

Les dispositions de la loi de 1989 sont d’ordre public, ce qui a pour conséquence principale l’obligation pour les bailleurs et les preneurs de respecter l’intégralité des dispositions de la loi, sans pouvoir y déroger par contrat. Or, cette évidence semble avoir été écartée par les juges nouméens, qui estiment les preneurs « de mauvaise foi » puisque, selon eux, le contrat initial de 2008 et celui de 2014 stipulent que « le locataire déclare connaître les lieux qui lui sont loués et les prendre en l’état ».

Cette prise de position discutable pourrait contraindre les preneurs à ne solliciter aucuns travaux de la part de leurs bailleurs, si une clause de style commune, comme celle insérée dans le contrat de bail signé en l’espèce, précise que les locataires connaissent les lieux et les prennent en l’état. Cette position de la cour d’appel revient à donner carte blanche à des bailleurs indélicats, qui, en insérant une clause souvent imposée dans le bail, interdisent à leurs preneurs de faire toute réclamation liée à une aggravation de désordres existants ou pour des installations qui se révéleraient finalement plus dangereuses qu’au moment de la signature du contrat.

Une cour d’appel avait jugé le contraire en précisant que « le bailleur ne peut s’exonérer de ses obligations au motif que l’immeuble a été pris ‟en l’état” en 1997 dès lors que les règles d’ordre public concernant la décence du logement sont applicables à toute occupation en cours et que l’état de vétusté initial n’a pu que s’aggraver »11.

Il va sans dire que cette interprétation des règles applicables et du contrat est très favorable au bailleur et dans le sens inverse de ce qu’a voulu le législateur. En effet, la loi de 1989 sur les rapports locatifs a été remaniée à plusieurs reprises pour contraindre plus encore les bailleurs à respecter pleinement les dispositions légales, notamment en ce qui concerne les congés délivrés frauduleusement.

En effet et à titre d’exemple, dans sa rédaction actuellement applicable, l’article 15, V, dispose que « le fait pour un bailleur de délivrer un congé justifié frauduleusement par sa décision de reprendre ou de vendre le logement est puni d’une amende pénale dont le montant ne peut être supérieur à 6 000 euros pour une personne physique et à 30 000 euros pour une personne morale. Le montant de l’amende est proportionné à la gravité des faits constatés. Le locataire est recevable dans sa constitution de partie civile et la demande de réparation de son préjudice ».

Ainsi, le législateur a voulu pénaliser les fraudes des bailleurs dans la délivrance de congés.

En l’espèce, si la cour d’appel de Nouméa reconnaît, comme le tribunal de première instance, que les preneurs étaient recevables en leurs demandes de travaux, en ayant auparavant annulé les congés jugés frauduleux, la juridiction d’appel n’a pas suivi l’argumentation retenue par les premiers juges en refusant toute indemnisation aux preneurs.

Elle estime en définitive que les bailleurs, s’ils avaient bien délivré plusieurs congés mensongers et l’obligation de réaliser des travaux non exécutés pendant des mois, n’avaient commis aucune faute qui justifie leur condamnation à verser des dommages et intérêts.

Ainsi, même si des congés avaient été délivrés frauduleusement aux preneurs, l’un des bailleurs arguant mensongèrement depuis plus des années qu’il voulait reprendre le logement pour y résider, aucun préjudice moral n’a été retenu par la cour d’appel de Nouméa, en contradiction flagrante avec ce qu’avait jugé la première juridiction.

Si la dernière mouture de la loi de 1989 prévoyant une disposition pénale n’a pas été rendue applicable en Nouvelle-Calédonie, cette décision opère un net recul dans la défense des droits des preneurs face à des bailleurs utilisant une disposition de la loi pour faire échec à leurs droits.

Aussi, il y a lieu de retenir deux conséquences négatives de cette interprétation critiquable des faits de l’espèce au regard de l’application de la loi de 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dans sa version applicable aux faits d’espèce.

Premièrement, lorsqu’un bailleur décide de délivrer des congés jugés frauduleux par les juridictions, il n’y a pas lieu à indemnisation des preneurs. Deuxièmement, lorsqu’un bailleur refuse de réaliser des travaux préconisés par des experts et qu’il tarde à réaliser certains d’entre eux alors qu’il a attendu d’être attrait en justice pour ce faire, les preneurs n’ont droit à aucune indemnisation si une juridiction estime que lesdits travaux ont été réalisé « dans des délais raisonnables » et s’ils ont signé un contrat stipulant qu’ils connaissent les lieux et déclarent les prendre en l’état.

En l’espèce pourtant, sur la première question relative aux congés délivrés frauduleusement pour faire échec aux demandes légitimes des preneurs, il doit être rappelé que ces derniers ont été contraints de subir la pression d’huissiers à la suite de l’ordonnance de référé. Cela, alors même qu’ils étaient installés dans l’appartement depuis seize années et avaient honoré l’intégralité des loyers.

En effet, les bailleurs, alors même qu’ils avaient constaté que l’ordonnance avait été frappée d’appel, et qu’ils n’avaient aucun besoin du logement, ont sollicité l’huissier afin qu’il recoure à la force publique pour expulser les locataires. C’est dire la volonté démesurée des bailleurs de déloger leurs locataires.

La cour d’appel, statuant en référé, infirmait l’ordonnance d’expulsion. Les juridictions du fond, qu’il s’agisse de celle de première instance et ou celle de la cour d’appel, reconnaissent unanimement que les congés, trois au total, devaient être annulés car apparaissant manifestement comme non dictés par une volonté réelle de reprendre les lieux pour y résider. Les bailleurs avaient donc bien utilisé les congés pour faire échec aux droits de leurs locataires.

Néanmoins, la cour d’appel de Nouméa justifie l’absence de quelconque préjudice, moral notamment, en rappelant que les preneurs se sont « maintenus dans les lieux »…

Manifestement, les juges de la cour d’appel ne tiennent pas compte de la nature morale du préjudice allégué et des implications concrètes qu’a eu la délivrance des congés litigieux et, finalement, de toute la procédure qui n’avait comme objet que de faire réaliser des travaux reconnus comme nécessaires par différents experts.

Si l’on s’en tient à ce raisonnement, quelque peu ubuesque, de la cour d’appel de Nouméa, les bailleurs n’ont rien à perdre s’ils ne consentent pas à réaliser des travaux nécessaires à la sécurité et la salubrité du logement pour respecter l’obligation de délivrance des locaux d’habitation. Ils peuvent délivrer des congés mensongers, ne pas réaliser les travaux, le risque est moindre : si les preneurs décident de rester dans les lieux et d’engager une procédure judiciaire afin d’obliger le bailleur à réaliser les travaux, ces derniers n’encourent comme sanction que l’obligation de réaliser les travaux préconisés par des experts, sans plus de contraintes et de conséquences.

Cette position de la cour nouméenne n’est pas conforme à la celle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt récent du 16 mars 202312, casse, au visa des « articles 1719 du Code civil et 6, b) et c), de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 », l’arrêt d’une cour d’appel qui, pour rejeter les demandes de la locataire, retenait « que la bailleresse, informée des infiltrations, a fait toutes les démarches nécessaires pour qu’il y soit remédié auprès du syndic de la copropriété et du constructeur et, qu’après la reprise de l’étanchéité des parties communes, elle a fait réaliser à trois reprises des travaux de peinture dans l’appartement ». La Cour régulatrice censure la décision en précisant qu’« en statuant ainsi, sans constater qu’il avait été remédié aux désordres et par des motifs impropres à caractériser un cas de force majeure, seul de nature à exonérer la bailleresse de ses obligations d’entretien et de garantie de jouissance paisible, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Ainsi, pour la troisième chambre, seule la force majeure peut exonérer les bailleurs de leurs obligations d’entretien et de garantie de jouissance paisible dues aux preneurs. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas dans l’espèce jugée par la cour d’appel de Nouméa.

Le raisonnement de la cour d’appel mérite donc la critique car les preneurs ont démontré, comme cela a été retenu pas la première juridiction, qu’ils ont dû attendre des mois, voire des années, des expertises et ont dû engager une procédure judiciaire pour faire valoir leurs droits et finalement obtenir de leurs bailleurs la réalisation de certains travaux seulement.

En définitive, la décision commentée est contraire à toute logique, car elle ne fait que contraindre les preneurs à entamer de nouveau une demande de réalisation de travaux car, à l’évidence, le bâtiment vieillissant, les désordres vont continuer de s’aggraver et d’autres vont apparaître.

Ce sont finalement les fondements mêmes de la loi organisant les rapports locatifs et son objectif principal qui sont mis à terre par cette décision rendue par la cour d’appel de Nouméa.

Cela se vérifie également sur la question de la validation d’une clause d’indexation erronée. En effet, pour rappel, l’article 63 de la loi n° 48-1360 du 2 septembre 1948 dispose que « toute clause ou stipulation tendant à imposer, sous une forme directe ou indirecte, telle que remise d’argent ou de valeurs ou reprises d’objets mobiliers, un prix de location supérieur à celui fixé en application des dispositions de la loi, est nulle de plein droit, même si elle a reçu exécution antérieurement à la publication de la présente loi ».

À ce sujet, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 20 décembre 201813 a jugé que « le caractère d’ordre public des règles posées (…) relativement aux indexations illicites, (…) permet de demander qu’une clause d’indexation illicite soit réputée non écrite (…). En effet, la demande en restitution des sommes payées en application de la clause d’indexation litigieuse, s’analyse en une demande de restitution de l’indu ».

C’est également ce qu’a jugé la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 21 juin 2016, selon lequel « contrevenant ainsi aux dispositions d’ordre public (…), la clause d’indexation du bail doit être déclarée non écrite en son entier »14.

Le caractère illicite d’une clause repose sur le postulat qu’une clause est contraire aux règles d’ordre public.

Les preneurs demandaient ainsi l’annulation de la clause, mais la cour d’appel retenait sans répondre à leurs arguments légaux et jurisprudentiels que « le principe de revalorisation même du loyer initial était acté dans le bail litigieux et accepté par les locataires, sans que cela rende pour autant illégale la clause d’indexation litigieuse ».

La clause est donc validée, alors même qu’elle peut être considérée comme formant un tout et donc annulable, car en contradiction avec les règles impératives sur les baux d’habitation. Les sommes indûment versées auraient pu être restituées. La cour substitue donc un indice à un autre, ce qui peut être critiquable en ce qu’elle se donne le droit de « refaire » une partie du contrat.

Il ne faudrait pas qu’en raison d’une marge de manœuvre trop importante laissée aux juges du fond les bailleurs puissent être libérés des contraintes légales organisant leurs rapports locatifs avec les locataires.

Car l’interprétation des juges du fond peut parfois laisser transparaître un manque d’impartialité, pourtant essentielle dans la fonction de juger.

B – Le manque d’impartialité de la cour d’appel révélant un retour en arrière dans la garantie des droits des locataires

S’il peut paraître difficile à un juge de trancher les conflits en faisant abstraction complète de ses propres convictions ou ses préférences, voire de son histoire personnelle, et ainsi d’être totalement objectif et impartial dans l’application de la loi, cette impartialité est plus que nécessaire, elle « est la condition sine qua non du système juridique entier »15.

Pour R. De Gouttes, « selon l’expression de la Cour européenne des droits de l’Homme dans ses arrêts Piersack et de Cubber c/ Belgique des 1er octobre 1982 et 26 octobre 1984, l’impartialité des juges est la condition même de “la confiance que les tribunaux se doivent d’inspirer aux justiciables dans une société démocratique” »16.

L’impartialité du juge est dans tous les cas présumée. Elle se décline en impartialité objective, lorsqu’il s’agit de l’impartialité dans l’organisation des juridictions et en impartialité subjective, quand elle concerne le comportement du juge en particulier face à l’espèce qui lui est soumise.

Découlent de ces deux types d’impartialité deux écueils : le préjugé et le préjugement.

Si l’impartialité objective peut poser un certain nombre de difficultés, l’impartialité subjective est celle qui peut être parfois remise en cause, à la lecture de certaines décisions. Elle est, pour Marie-Anne Frison-Roche, la capacité à « être apte à être convaincu par un fait, un argument, une interprétation juridique qu’une partie va proposer au juge »17. Au contraire, « il y a partialité lorsque, quels que soient les faits, les arguments et les interprétations qu’une partie fait valoir, leur articulation n’aura aucune influence car l’appréciation par le juge du fond de l’affaire est déjà définitivement acquise »18.

Pour un juge, être impartial, c’est donc faire abstraction de ses considérations personnelles, de ses propres orientations sociales, philosophiques ou religieuses et laisser aux parties la possibilité de donner une argumentation qui lui permettra de trancher objectivement le litige.

Le juge doit prouver et démontrer son impartialité dans des espèces où l’avis personnel est rarement inexistant. Car le risque est que le juge, conscient de la nécessité d’être neutre et impartial, feigne de prendre en compte certains éléments mais « dans son for intérieur interdi[se] à ceux-ci toute puissance d’influer sur l’issue du litige »19.

Le juge doit donc prouver son impartialité, principalement en motivant au maximum sa décision. La motivation, manifestation d’une tendance générale à la transparence, apporte une garantie. Le juge fondera ainsi son raisonnement sur des faits précis. Dans le cas contraire, le juge pourrait être considéré comme étant à l’origine d’un manque d’impartialité. En motivant au maximum leurs décisions, les juges évitent une censure des juridictions supérieures, notamment de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’Homme, dans des cas plus rares. Le juge devra ainsi exposer son raisonnement en détail, ce qui constitue aussi une garantie contre l’arbitraire.

En poussant plus loin la réflexion, la motivation précise des décisions ne garantit pas une totale absence de partialité du juge ou une absence totale de discrimination. En effet, les motivations réelles peuvent être remplacées par des motivations apparentes ou stéréotypées. La prise en compte d’éléments concrets surévalués peut en fait cacher une méfiance, un a priori négatif ou un manque d’impartialité.

La Cour de cassation a rappelé dans quel cas il peut y avoir un doute sur l’impartialité d’une juridiction. Ainsi, par un arrêt rendu par la première chambre civile le 19 décembre 201820, la Cour relève qu’en exposant « les moyens et prétentions des parties, selon des modalités différentes de nature à faire peser un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction, la cour d’appel a violé les textes susvisés », à savoir « l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ».

Ainsi, à la simple lecture d’une décision, il est parfois possible de déceler une partialité des juges en faveur des bailleurs.

Dans l’espèce jugée par la cour d’appel de Nouméa, si certains arguments jurisprudentiels et légaux semblent avoir été éludés par la juridiction, concernant notamment la validité d’une clause d’indexation fondée sur un indice erroné, c’est la terminologie employée qui peut poser un problème.

En effet, relever « la mauvaise foi » des preneurs fondée sur une clause type imposée par les bailleurs au moment de la signature du bail pour faire échec à leur demande d’indemnisation résultant d’un préjudice moral est quelque peu léger.

De la même façon, après avoir rappelé que le trouble de jouissance doit « s’entendre d’une impossibilité de jouir du bien loué tel qu’il est défini contractuellement au bail, dans le périmètre fixé par ce dernier », la cour indique que « ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les bailleurs démontrent par les échanges de mails, de courriers, notamment avec les entreprises et les disponibilités des locataires pour donner accès à leur logement aux entreprises afin d’effectuer les travaux revendiqués, qu’ils ont répondu à la demande de leurs locataires dans un délai raisonnable ».

La cour d’appel ne détaille pas les éléments précis pris en compte pour conclure que les bailleurs ont répondu aux demandes des preneurs « dans un délai raisonnable », étant rappelé que les travaux n’ont été réalisés, pour ceux qui l’ont été, que dans le cadre d’un contentieux judiciaire de plusieurs années. Cette motivation insuffisante et légère pose question sur l’impartialité des juges, alors même que les premiers juges avaient pris le soin de lister les troubles et de détailler les périodes pendant lesquelles les preneurs avaient subi lesdits troubles.

Cette impartialité latente est d’autant plus remise en question dans la décision commentée, en ce qu’elle va à contresens de la majorité des décisions rendues en cas de délivrance de congés frauduleux. Elle va également en contresens du législateur qui a créé une infraction pénale de délivrance d’un congé frauduleux.

En effet, dès lors que la fraude est retenue, les juridictions du fond indemnisent les preneurs, même en dehors de tout contentieux supplémentaire relatif à des travaux inexécutés par le bailleur. C’est ainsi que, dans des décisions récentes, les cours d’appel de Chambéry, d’Aix-en-Provence et de Bordeaux, à titre d’exemples, ont toutes indemnisé les preneurs suite à des congés annulés pour fraudes à leurs droits21. Cette indemnisation est courante, pour ne pas dire automatique, même lorsque les locataires sont restés dans les lieux et que le contrôle de la validité des congés a été réalisé a priori.

Refuser l’indemnisation au simple motif que les locataires sont restés dans les lieux, comme le fait la juridiction nouméenne, est un non-sens, puisque, par principe, lorsque le contrôle du caractère frauduleux des congés est effectué a priori, les preneurs sont demeurés dans les lieux et ont demandé la nullité des congés.

Ainsi, une attention particulière sera portée à l’éventuel pourvoi en cassation contre cette décision de la cour d’appel de Nouméa. Car si l’arrêt commenté rappelle des fondements des relations entre les bailleurs ou les preneurs, certains éléments d’appréciation remettent en question ces mêmes fondements.

La sanction pécuniaire des bailleurs fraudeurs demeure nécessaire pour garantir le respect du droit fondamental au logement reconnu dans la loi de 1989 tenant à améliorer les rapports locatifs.

Enfin, il faudra rappeler ici que la version applicable en Nouvelle-Calédonie de la loi de 1989 n’est pas satisfaisante en l’état, car elle laisse encore trop de prérogatives arbitraires aux bailleurs et de latitude dans son interprétation aux juridictions nouméennes.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Nouméa, 17 juin 2024, n° 21/00246.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 31 janv. 2001, n° 99-11956 : Bull. civ. III, n° 11 ; Juris-Data n° 2001-009825 – Cass. 3e civ., 22 oct. 2003, n° 02-12977 et Cass. 3e civ., 4 nov. 2003, n° 02-16391 : Loyers et copr. 2004, comm. 25, B. Vial-Pedroletti.
  • 3.
    CA Pau, 18 janv. 2007, n° 06/00312 : Juris-Data n° 2007-328854.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 18 févr. 2003, n° 01-16664.
  • 5.
    CA Paris, 16 juin 2005, n° 04/06769.
  • 6.
    CA Paris, 26 juin 2007, n° 05/05202 : Juris-Data n° 2007-336648.
  • 7.
    CA Nîmes, 8 févr. 2018, n° 17/00820.
  • 8.
    CA Nîmes, 8 févr. 2018, n° 17/01085.
  • 9.
    CA Toulouse, 11 avr. 2006, n° 05/02434 – CA Agen, 20 févr. 2006, n° 04/01666.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 12 juin 2003, n° 01-10902.
  • 11.
    CA Riom, 15 déc. 2011, n° 10/03216, n° 759.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 16 mars 2023, n° 22-10013.
  • 13.
    CA Paris, 20 déc. 2018, n° 17/00245.
  • 14.
    CA Versailles, 21 juin 2016, n° 14/07069.
  • 15.
    M.-A. Frisson-Roche, « L’impartialité du juge », D. 1999, p. 53 ; R. De Gouttes, « L’impartialité du juge ; Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », D. 1999, p. 63. V. aussi L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, 2004, PUF, Vo Discrimination », p. 340 et s. et Vo Impartialité, p. 607 et s.
  • 16.
    R. De Gouttes, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », RSC 2003, p. 63.
  • 17.
    R. De Gouttes, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », RSC 2003, p. 63.
  • 18.
    R. De Gouttes, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », RSC 2003, p. 63.
  • 19.
    R. De Gouttes, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », RSC 2003, p. 63.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 17-22056.
  • 21.
    CA Chambéry, 18 janv. 2024, n° 22/00066 – CA Chambéry, 9 févr. 2023, n° 21/00732 – CA Aix-en-Provence, 7 sept. 2023, n° 20/00636 – CA Bordeaux, 22 mai 2023, n° 21/05880.
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