Propriétaires : pouvez-vous attaquer vos voisins pour perte d’ensoleillement ?

Publié le 24/11/2022
Jardin, ombre
Flower_Garden/AdobeStock

La perte d’ensoleillement peut justifier une action pour trouble de voisinage lorsqu’il n’y a pas prescription.

Cass. 3e civ., 13 juill. 2022, no 21-14065

Si, durant des étés de plus en plus caniculaires beaucoup cherchent à se protéger du soleil et de sa chaleur, d’autres se plaignent du manque d’ensoleillement de leur propriété, en raison d’agissements de leurs voisins. Ces agissements, qualifiés de trouble anormal de voisinage (I), rendent possibles des actions en justice (II). Néanmoins de telles situations peuvent avoir une cause ancienne et évoluer dans le temps, d’autant plus que le droit des biens1 est propice au « temps long », ce qui amène à confronter le trouble anormal du voisinage aux règles relatives à la prescription2 et à en tirer les conséquences en termes de délais de prescription applicables3 aux actions en réparations du trouble anormal de voisinage4. Ce qui est illustré par la présente affaire, dans laquelle les propriétaires d’un fonds ont assigné leurs voisins sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, aux fins d’être indemnisés pour la perte d’ensoleillement due à la hauteur excessive de leurs arbres. Les demandeurs au pourvoi ont invoqué la prescription de la demande d’indemnisation formée par leurs voisins au titre de la perte d’ensoleillement qui, selon eux, est une action en responsabilité extracontractuelle se prescrivant par cinq ans, à compter du jour où la victime en a eu connaissance. Si la cause du trouble existe depuis plus de cinq ans, il appartient à la victime de démontrer que c’est depuis moins de cinq ans que le trouble s’est aggravé. Les arbres constituant la cause de la perte d’ensoleillement ayant été plantés depuis plus de 30 ans, la fin de non-recevoir tirée de la prescription devait être rejetée car il n’était pas démontré que le trouble s’était aggravé dans les cinq dernières années5.

Pour la Cour de cassation, du fait de la poussée des arbres, le trouble allégué s’était s’aggravé dans les cinq ans de l’assignation, la demande d’indemnisation n’était pas prescrite et donc recevable.

I – Troubles anormaux de voisinage

Les relations de voisinage sont parfois difficiles et peuvent entraîner des troubles anormaux de voisinage, spécialement en cas de perte d’ensoleillement, dont la nature doit être précisée (A), ainsi que la qualification et le régime de la responsabilité des troubles anormaux du voisinage (B).

A – Nature des troubles anormaux de voisinage

Le droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue6 est limité par l’obligation de ne causer à des tiers aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du trouble de voisinage7, notion dont les éléments méritent d’être précisés.

Le concept prétorien de trouble de voisinage ou d’inconvénients excessifs est désormais bien ancré dans le droit de la responsabilité et soulagé de la tutelle du droit de propriété. Cette théorie s’est aussi émancipée de la faute en même temps qu’elle a gagné son autonomie au regard de la théorie de l’abus de droit. « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage »8.

Le trouble de voisinage doit être dommageable et anormal (1) excédant les inconvénients raisonnables du voisinage (2). Il doit exister un trouble dommageable : il n’y a pas trouble de voisinage s’il n’existe pas de dommage apporté aux relations de voisinage. Il peut y avoir trouble anormal en présence d’un risque de dommage.

Il importe que le dommage prétendu soit la conséquence des agissements ou du comportement du défendeur : un ou des voisin(s)9.

1 – Un trouble anormal

La jurisprudence retient parfois l’expression de trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage10. Il appartient au demandeur de démontrer le caractère excessif de l’inconvénient ou de la nuisance, reste à savoir si l’inconvénient supposé excessif invoqué est digne d’être pris en considération et donc de nature à ouvrir droit à réparation. Il ne suffit pas qu’un embarras existe, encore faut-il qu’il soit dommageable. Il s’agit là d’une question de fait livrée à l’appréciation souveraine des juges du fond11 qui doivent prendre le soin de suffisamment caractériser le dommage comme anormal et continu et ne peuvent motiver leur refus par de simples considérations générales12. La notion d’inconvénient ou d’excès voire d’« anormalité » est relative et ne peut pas s’apprécier intrinsèquement. « Ce qu’on doit supporter de ses voisins est affaire de convenance et d’usage, donc de temps et de lieu »13. Le caractère excessif du préjudice doit s’apprécier compte tenu de toutes les circonstances du cas et notamment de sa permanence. Il est naturel que les voisins supportent mutuellement certains inconvénients inhérents à cette situation. Le tout est de trouver la norme de tolérance et, au-delà, le seuil de nuisance à partir duquel apparaît l’obligation de réparer. Le dommage qui donne lieu à réparation est le dommage « anormal », celui que les voisins n’ont pas l’habitude de subir dans telle région et à telle époque14. Le voisinage traduit l’idée de l’occupation de l’espace par des personnes, dont certaines, par leur situation de proximité, ont des droits et des devoirs spécifiques les unes par rapport aux autres. Mais les limites de cet espace sont relativement indécises. Les variables semblent si nombreuses qu’il paraît impossible de déterminer des critères fiables. La question sera de savoir si ce dommage est « anormal ».

Il y a lieu de tenir compte de l’implantation d’un immeuble collectif dans le tissu urbain ou suburbain et des conséquences graves, radicales et permanentes sur les conditions de vie des habitants proches que cela peut produire15.

2 – Un trouble excédant les inconvénients raisonnables du voisinage

Il suffit, en principe, de constater un dommage traduisant un inconvénient excessif de voisinage pour que le demandeur obtienne réparation du préjudice qui lui est causé.

Pour juger de l’anormalité du dommage allégué, il est nécessaire de le rapporter aux paramètres de son environnement, en tenant compte, par exemple, de la qualité de la construction en cause16 ou des distances17.

Conformément aux principes généraux de la responsabilité extracontractuelle, le dommage doit être apprécié in concreto18, en tenant compte des circonstances de lieu19, au regard de la destination normale et habituelle de fonds troublé20, de la perception ou de la tolérance des personnes qui se plaignent.

Il incombe au demandeur de démontrer l’anormalité du trouble, ce qui passe en pratique par la production de constats, d’attestations et donne souvent lieu à une expertise21.

La perturbation doit être appréciée in concreto, en fonction de ce que peut supporter une personne dite « normale ». Mais chacun sait la difficulté de savoir où s’arrête la normalité, la question est donc celle de la preuve de l’imputabilité.

Il n’empêche que l’on doit prêter attention à la sensibilité particulière de l’entourage, dès lors qu’elle est objective et connue22. Mais il existe de plus en plus de paramètres techniques permettant d’évaluer le franchissement du seuil d’anormalité par exemple en matière d’isolation phonique des constructions23. Il est courant que les juges utilisent les services d’experts, y compris pour les préconisations de mesures à prendre24.

À l’examen de la jurisprudence, le trouble dommageable est caractérisé par l’aggravation des embarras inhérents au voisinage, se traduisant en particulier par toutes dégradations des conditions de vie, ou d’exploitation de son industrie, supportées par le demandeur, ou par tous désordres affectant le fonds voisin. Cela illustre la notion de dégradation des conditions de vie ou d’exploitation d’une activité professionnelle qui peut aussi bien consister par exemple dans une réduction d’ensoleillement25, l’été, consécutive à la croissance d’une haie26, à des arbres constituant un écran visuel opaque, ou bien d’autres causes27.

Entre autres, la réduction d’ensoleillement est un critère qui a déjà fait l’objet d’applications jurisprudentielles. Ainsi, la réduction d’ensoleillement dans une cuisine, dont la durée varie selon les saisons, constitue un inconvénient normal et prévisible de voisinage en zone urbaine d’habitat continu28, de même pour une perte d’ensoleillement minime ne créant pas d’obscurité préjudiciable à l’habitabilité de l’immeuble voisin ou à l’exploitation d’un salon de coiffure29. Des arbres plantés à distance légale30 peuvent être sources de troubles31, mais ne constituent pas un trouble de voisinage32. Les juges du fond peuvent néanmoins ordonner l’abattage d’arbres plantés à distance légale s’ils retiennent l’existence d’un inconvénient excessif de voisinage33.

Les inconvénients de la contiguïté foncière deviennent excessifs quand s’exercent ou s’implantent sur le fonds voisin des activités ou des installations perturbatrices. C’est sur ce fondement qu’un propriétaire sera recherché pour qu’il mette un terme à la perturbation qui trouve son origine dans un écran opaque constitué par des arbres34. La nature des troubles du voisinage explique le régime juridique qui leur est appliqué.

3 – Le régime juridique du trouble de voisinage

Le trouble anormal est une condition nécessaire et suffisante de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage.

La jurisprudence a construit avec la théorie des troubles anormaux de voisinage un régime particulier de responsabilité civile extracontractuelle détaché de la responsabilité civile pour faute35. L’action en réparation des troubles anormaux du voisinage constitue un régime de responsabilité objective (a) qui s’appuie sur la constatation du dépassement d’un seuil de nuisance et rend inefficace la quasi-totalité des arguments avancés en vue de l’exonération de responsabilité (b).

a – Un régime de responsabilité objective

Le régime de la réparation des troubles anormaux du voisinage est un régime de responsabilité autonome, fondée sur un principe général du droit selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage »36.

Cette conception est généralement reprise par les juridictions du fond qui énoncent que la responsabilité pour troubles de voisinage est une responsabilité sans faute prouvée, qu’un trouble anormal de voisinage suffit, indépendamment de la preuve de toute faute (ou de la garde d’une chose), pour engager la responsabilité de son auteur37 ou qu’un trouble de voisinage se définit comme un dommage causé à un voisin qui, lorsqu’il excède les inconvénients ordinaires du voisinage, est jugé anormal et oblige son auteur à le réparer, quand bien même celui-ci serait inhérent à une activité licite et qu’aucune faute ne pourrait être reprochée à celui qui le cause38.

Le propriétaire d’un bien immobilier est responsable de plein droit dès lors que le trouble ayant causé un dommage à un tiers provient de ce bien, indépendamment de toute faute de sa part. Il suffit, pour que la responsabilité du propriétaire d’un bien soit engagée, que le trouble de voisinage à l’origine du dommage procède de ce bien39. Dans la mesure où il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute, la jurisprudence en conclut que peu importe que les troubles aient commencé avant que les acquéreurs du bien en cause (l’immeuble) en deviennent propriétaires. La date d’apparition du trouble est indifférente si ce trouble a perduré après que l’acquéreur est devenu propriétaire. Ce propriétaire verra alors sa responsabilité pleinement engagée. La continuité ou la persistance du trouble ayant causé le dommage reporte l’intégralité de la responsabilité sur le propriétaire actuel du bien.

L’action en réparation permet de s’affranchir de tout fait personnel (même non fautif) pour retenir la responsabilité du propriétaire du fonds d’où procède le trouble. Celui-ci pourra voir sa responsabilité engagée en cette seule qualité.

Dans la mesure où la théorie des troubles anormaux de voisinage repose sur un régime de responsabilité objective, il importe peu finalement que le propriétaire du fonds ne soit pas lui-même à l’origine du trouble40. La responsabilité objective permet d’absorber les effets attachés à la conception réelle de la théorie des troubles anormaux de voisinage, ce qui lui permet d’en constituer le socle et de couvrir la multitude de situations auxquelles cette théorie est susceptible de s’appliquer. À partir du moment où celle-ci a dépassé les frontières de la propriété, ne s’appliquant plus seulement aux rapports entre propriétaires mais également aux rapports entre tous types d’occupants, seule la responsabilité civile extracontractuelle pouvait lui servir de fondement.

La responsabilité encourue par le propriétaire pour trouble de voisinage n’est pas une responsabilité subsidiaire, susceptible d’être mise en œuvre seulement à défaut d’application des règles de la responsabilité civile41, elle concerne aussi les dommages accidentels et ceux qui ne sont pas continus42. Celle-ci a pour conséquence de dispenser le demandeur d’apporter la preuve d’une faute imputable au défendeur et d’interdire à celui-ci d’exciper de l’absence de faute pour tenter de s’exonérer.

On a pu soutenir qu’il y a faute civile à faire subir à ses voisins un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage puisque, placé dans une même situation, le « bon père de famille » s’en fût abstenu43. L’allégation par le défendeur de l’absence d’une faute de sa part à l’origine du dommage est inopérante44.

Dans une affaire, il a été jugé qu’ayant retenu que la piscine du demandeur a été construite en connaissance de cause dans une zone où la croissance des arbres aurait dû être prise en considération et que la perte d’ensoleillement était minime et tolérable, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a estimé que l’ombre portée des arbres dont l’étêtage était sollicité ne constituait pas un trouble de voisinage45.

Même si les branches d’un arbre dépassent d’environ deux mètres l’aplomb de la limite foncière, il n’y a pas lieu d’en ordonner l’étêtement, dès lors que les demandeurs n’apportent pas la preuve de l’existence d’inconvénients anormaux de voisinage, d’autant qu’ils ont construit à proximité du fonds voisin arboré en toute connaissance de cause46.

Dès lors que des arbres plantés de longue date en limite de propriété sont entretenus régulièrement par l’élagage des branches et des racines et ne peuvent raisonnablement être à l’origine d’inconvénients particuliers liés à la chute de feuilles ou à la suppression d’ensoleillement, aucun trouble de voisinage justifiant leur abattage ne peut être retenu à l’encontre du propriétaire du terrain47.

La demande d’élagage d’arbres situés en limite de propriété de façon à rétablir un ensoleillement normal n’est pas fondée dès lors que la preuve de ce dommage n’est pas rapportée48. Le caractère objectif de la responsabilité rend quasiment nulles les possibilités d’exonérations.

b – La quasi-inefficacité des arguments présentés en vue de l’exonération

Exercice légitime d’un droit. Il est acquis que le respect des dispositions légales n’exclut pas l’existence éventuelle d’inconvénients excessifs de voisinage49. Le fait que l’installation en cause ne soit soumise à aucune réglementation spécifique est dénué d’intérêt50. Exciper de ce que le trouble serait couvert par l’existence d’une servitude est aussi inopérant51. Il appartient au juge du fond de rechercher si les troubles subis par le propriétaire du fonds servant, du fait de l’exercice de la servitude acquise par le propriétaire du fonds dominant, excèdent ou non ce qui peut être admissible52. Ainsi, si l’obturation d’un jour de souffrance n’excède pas nécessairement les inconvénients du voisinage, il en va autrement quand il en résulte une baisse sensible de luminosité. On notera que, même plantés à distance légale53, des arbres peuvent créer un trouble auquel il faudra porter remède54. Tel est le cas, par exemple, quand des arbres de grande hauteur diminuent grandement l’ensoleillement de la propriété voisine55 ou obstruent la vue sur un panorama56.

Le fait d’un tiers. Classiquement, en présence d’une responsabilité de plein droit, le fait d’un tiers n’est pas de nature à exonérer le défendeur57 sauf s’il revêt les caractéristiques de la force majeure. Le régime des troubles de voisinage n’échappe pas à la règle58.

La force majeure. Dans l’hypothèse où le trouble est préexistant à un événement naturel qui, dans l’absolu, aurait pu être qualifié de cas de force majeure, l’exonération n’est pas envisageable. Il en résulte que les moyens de défenses sont généralement irrecevables, ce qui se répercute sur la qualification de l’action.

II – Les actions pour trouble anormal du voisinage

Pour pouvoir engager l’action (A), sous réserve de la prescription (B), les demandeurs doivent justifier d’un intérêt direct et personnel. Seul un intérêt fondé sur l’usage juridiquement établi d’un fonds peut servir de base à l’introduction d’une action en justice. L’action pour trouble de voisinage peut être intentée uniquement par les victimes directes. C’est le cas du propriétaire voisin à qui l’action appartient. Même s’il ne réside pas sur son fonds, il est néanmoins recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles provenant du fonds voisin59.

A – Principes de l’action en réparation

Il est loisible à celui qui prétend subir des inconvénients excessifs de voisinage d’en demander réparation à l’auteur.

L’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, engage de plein droit la responsabilité du propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble60.

Il est jugé que l’action en réparation des troubles anormaux du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle (1) et que la responsabilité de plein droit61 qui en résulte pour le propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble est une responsabilité objective (2), indépendamment de toute faute commise par ce propriétaire.

1 – La qualification d’action en responsabilité civile extracontractuelle des troubles anormaux du voisinage

L’action en réparation des troubles anormaux du voisinage62 s’adapte, grâce à la diversité des actions en responsabilité civile extracontractuelle, à chaque situation à laquelle elle s’applique.

La théorie des troubles anormaux du voisinage a dépassé les frontières de la propriété, pour s’appliquer à de nombreux rapports personnels. Les troubles ne se limitent plus aux rapports entre propriétaires, mais concernent les rapports entre toutes personnes ayant un lien matériel avec les fonds voisins, quelle que soit la nature de ce lien.

2 – Une responsabilité objective

Le caractère de responsabilité objective a des conséquences sur le choix de la réparation en nature (a) ou par équivalent (b).

À l’égard des victimes, l’action en réparation bénéficie à tous les occupants d’un immeuble, quel que soit leur titre d’occupation, tel un locataire à raison des désagréments qu’il peut subir63. Seule la responsabilité civile extracontractuelle peut accueillir cette action avec un champ qui s’exprime dans des rapports aussi divers64 et permettre la mise en œuvre du principe et des modalités de la réparation.

Sur ce point, le juge dispose du choix entre la réparation en nature ou par équivalent65. Il lui est loisible de cumuler les deux modalités s’il l’estime justifié et il est d’ailleurs tenu de le faire afin de compenser financièrement, par l’allocation de dommages-intérêts, le préjudice antérieur ou subsistant. Le régime des troubles de voisinage est un exemple de réparation en nature. L’idéal en la matière est, lorsque cela s’avère réalisable, de condamner le défendeur à prendre les mesures nécessaires à la cessation du trouble et à indemniser le préjudice subi. Néanmoins, la diversité des modes de réparation se justifie pleinement.

a – Réparation en nature

La réparation des dommages matériels se traduit par l’allocation de dommages-intérêts destinés, d’une part, à transférer sur le responsable les frais supportés par la victime, d’autre part, à indemniser des dommages temporaires et compenser un préjudice définitif et, enfin, à réparer les conséquences dommageables du trouble jusqu’au moment où il y a été mis un terme66 – y compris la remise en ordre du bien sinistré67. La disparition de la cause du dommage ou l’atténuation du trouble n’effacent pas le dommage qui a été causé68.

b – Réparation par équivalent

Dès lors qu’il ne peut être porté remède à la situation dommageable, que les mesures imposées se sont révélées totalement ou partiellement inefficaces, ou bien encore si le coût d’éradication du trouble s’avérait sans commune mesure avec le préjudice réellement subi, le juge s’orientera vers l’appréciation de la dépréciation du bien69 et décidera de la réparer par la seule allocation d’une somme d’argent70. Ce fut le cas pour la diminution de la valeur vénale d’un pavillon du fait de l’implantation à sa proximité d’un immeuble de quatre étages et haut de plus de 13 mètres entraînant une perte d’ensoleillement et de vue71. Il appartient toutefois au demandeur de démontrer la perte de valeur vénale de leur bien ; à défaut, l’indemnisation porterait sur un préjudice hypothétique72.

Dans bon nombre de cas, le défendeur va être condamné, généralement sous astreinte73, à ne plus nuire à son entourage. C’est le domaine privilégié des actions en référé fondées qui donnent pouvoir au président du tribunal judiciaire, même en présence d’une contestation sérieuse, de prescrire en référé des mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite74.

Le juge doit choisir le remède le plus adapté mais aussi le plus proportionné. La réduction de la hauteur des arbres pourra ainsi être préférée à leur arrachage75, car le trouble anormal de voisinage ne se répare pas forcément par la démolition de l’ouvrage à l’origine du trouble76.

Le juge doit se garder de l’excès d’une décision aux conséquences hors de proportion avec le trouble effectivement supporté, de telle manière qu’il hésite à condamner le responsable à la démolition du bâtiment litigieux77, la réparation du trouble devant donc être assurée par des dommages-intérêts. Néanmoins, il doit également tenir compte de l’éventuelle prescription de l’action.

B – Action pour trouble anormal du voisinage et prescription

L’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal du voisinage ne constitue pas une action réelle immobilière, mais une action en responsabilité civile extracontractuelle78, de sorte que la prescription applicable à cette action est celle du droit commun (1) des actions personnelles et non celle des actions réelles79 donc soumises à la prescription de cinq ans80. Cependant, en présence d’un dommage corporel imputable à un trouble anormal du voisinage, le délai décennal pourrait trouver à s’appliquer si l’on considère que l’action en réparation est au moins pour partie une action en responsabilité81. Le trouble anormal du voisinage se voit donc logiquement appliquer les règles relatives à la prescription (2).

1 – Principe de prescription quinquennale

Le droit commun de la prescription peut avoir des applications dans le cadre des troubles de voisinage. Pour qu’une obligation soit prescrite, il faut que le délai soit écoulé. Le délai de prescription de droit commun est de cinq ans82.

2 – Trouble anormal du voisinage et règles relatives à la prescription

Dans une affaire dans laquelle elle estimait pâtir de la présence de pins sur le fonds voisin, ce qui générait des chutes d’aiguilles et de pommes de pin, une propriétaire s’en est plainte estimant qu’il y avait là un trouble anormal du voisinage. Elle s’est tournée vers le juge pour faire cesser la gêne que lui causaient ces désordres et espérer réparation.

Sur ce fondement le délai pour agir est de cinq ans à compter de la première manifestation des troubles83. Or, entre celle-ci (première manifestation des troubles) et l’exercice de l’action, plus de cinq années peuvent s’être écoulées. Ce qui pose la question de savoir si une cause interruptive n’est pas venue interrompre la prescription.

L’interruption de prescription suppose la « reconnaissance » par le débiteur du droit de l’autre84. La « reconnaissance » du droit de demander indemnisation sur le fondement des troubles anormaux du voisinage doit résulter d’un comportement, sinon positif, du moins dénué de toute équivoque.

L’action en responsabilité intentée sur le fondement des troubles de voisinage doit être exercée dans les cinq ans à compter de la manifestation du trouble ou de son aggravation.

Les actions en responsabilité intentée sur le fondement des troubles de voisinage sont concernées par les règles relatives aux interruptions de la prescription85. On sait que seule une « reconnaissance non équivoque » du débiteur du droit à l’indemnisation interrompt le délai de prescription contre qui il prescrit.

Pour écarter la prescription quinquennale86, qui résulte de l’action en réparation du trouble anormal de voisinage constituant, en toute logique, une action personnelle et mobilière, les juges du fond notent l’existence d’une lettre recommandée qui, une fois reçue par le voisin, défendeur originaire, n’avait pas été contestée. S’il est exigé que soit constaté, par les juges du fond, le caractère « non équivoque » de la reconnaissance par le débiteur du droit litigieux de celui contre lequel il prescrit, il semble que cette reconnaissance puisse être implicite. Le texte d’ailleurs ne distingue pas, encore faut-il que cette reconnaissance soit « non équivoque »87.

Dans la présente espèce, ce raisonnement a permis de rejeter le pourvoi au non d’une prescription invoquée mais non acquise.

Notes de bas de pages

  • 1.
    F. Terré et P. Simler., Droit civil. Les biens, 10e éd., 2018, Dalloz.
  • 2.
    M. Richevaux., L’essentiel du régime général des obligations, 2018, Ellipses, fiches n° 38 à 40, prescriptions.
  • 3.
    L. Tranchant., « Trouble anormal du voisinage et prescription de l’action : connaissance n’est pas reconnaissance », obs. sous Cass. 3e civ., 7 janv. 2021, n° 19-23262, PB (cassation partielle) : DEF 18 févr. 2022, n° DEF169c0.
  • 4.
    Délai de prescription de l’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal de voisinage obs. sous Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 16-24352, FS-PBI (rejet) : DEF flash 10 févr. 2020, n° DFF154u8.
  • 5.
    C. civ., art. 2224.
  • 6.
    C. civ., art. 544.
  • 7.
    M. Cosmas et P. Yocas, Les troubles de voisinage, 1966, LGDJ, p. 66.
  • 8.
    Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n° 84-16379 : Bull. civ. II, n° 172.
  • 9.
    F. Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, 1981, LGDJ, p. 270.
  • 10.
    CA Versailles, 30 nov. 1989 : D. 1990, IR, p. 18.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 4 janv. 1990, n° 88-15740 : Resp. civ. et assur. 1990, comm. 107 – Cass. 2e civ., 27 mai 1999, n° 97-16200 : Resp. civ. et assur. 1999, comm. 261.
  • 12.
    Cass. 2e civ., 18 juin 1997, n° 95-20652.
  • 13.
    R. Savatier, Traité de la responsabilité civile, t. 1, LGDJ, 2016, n° 72 – A. Colin et H. Capitant, Cours élémentaire de droit civil, 9e éd., t. 1, Dalloz, 1932, n° 943.
  • 14.
    H. Mazeaud, L. Mazeaud et A. Tunc, Traité théorique et pratique de la responsabilité délictuelle et contractuelle, t. 1, Sirey, 1938, n° 600.
  • 15.
    CA Rouen, 1re ch., 22 févr. 2006.
  • 16.
    CA Riom, 10 avr. 1997.
  • 17.
    CA Besançon, 19 nov. 1996.
  • 18.
    N. Dejean de la Bâtie, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français, thèse, 1965, p. 263 à 302.
  • 19.
    CA Paris, pôle 4, ch. 2, 11 mai 2016, n° 15/04007 : Loyers et copr. 2016, comm. 187, par G. Vigneron.
  • 20.
    CA Reims, 21 déc. 1982.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 26 oct. 2010, n° 09-70734.
  • 22.
    Cass. 2e civ., 16 juill. 1969 : Bull. civ. II, n° 257.
  • 23.
    CCH, art. L. 111-11 et s.
  • 24.
    CA Douai, 1re ch., 1er févr. 1999.
  • 25.
    CA Paris, 8e ch. A, 29 avr. 1997.
  • 26.
    Cass. 2e civ., 15 mars 2007, n° 06-11571 : Resp. civ. et assur. 2007, comm. 161.
  • 27.
    Cass. 2e civ., 9 oct. 1996, n° 94-16616 : Bull. civ. II, n° 231, p. 142 ; JCP G 1996, IV 295 ; Resp. civ. et assur. 1996, comm. 387 –Cass. 3e civ., 11 juin 1997, n° 95-10152 – Cass. 3e civ., 22 mai 1997, n° 93-20957 : JCP G 1997, IV 231.
  • 28.
    CA Paris, 19e ch. A, 22 avr. 1997.
  • 29.
    Cass. 2e civ., 17 oct. 1990, n° 89-14309 : Resp. civ. et assur. 1990, comm. 410.
  • 30.
    C. civ., art. 671 et C. civ., art. 673.
  • 31.
    CA Reims, 4 juill. 1996.
  • 32.
    CA Angers, 1re ch. A, 16 janv. 1996.
  • 33.
    Cass. 3e civ., 4 janv. 1990, n° 87-18724 : Bull. civ. III, n° 4.
  • 34.
    Cass. 2e civ., 9 oct. 1996, n° 94-16616 : Bull. civ. II, n° 231, p. 142 ; JCP G 1996, IV 295 ; Resp. civ. et assur. 1996, comm. 387.
  • 35.
    C. civ., art. 1240.
  • 36.
    Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n° 84-16379.
  • 37.
    CA Paris, 2e ch. B, 27 mars 1997.
  • 38.
    CA Orléans, 23 janv. 1997.
  • 39.
    Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 18-23954.
  • 40.
    Cass. 3e civ., 8 nov. 2018, n° 17-24333 : RTD civ. 2019, p. 140.
  • 41.
    C. civ., art. 1240 et s.
  • 42.
    CA Aix-en-Provence, 17e ch., 1er avr. 1997.
  • 43.
    G. Endréol, « La théorie des troubles du voisinage après les lois du 31 décembre 1976 et du 4 juillet 1980, art. 122-16, CCH », RDI 1981, p. 469 et s.
  • 44.
    Cass. 2e civ., 24 avr. 1989, n° 87-16696 : Resp. civ. et assur. 1989, comm. 222.
  • 45.
    Cass. 2e civ., 17 oct. 1990, n° 89-14309.
  • 46.
    CA Besançon, 1re ch. A, 12 sept. 2007.
  • 47.
    CA Riom, 1re ch., 10 mai 2007.
  • 48.
    CA Rennes, 1re ch. A, 27 sept. 2005.
  • 49.
    C. civ., art. 678 et C. civ., art. 679 – Cass. 2e civ., 12 oct. 2005, n° 03-19759 : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 349 – Cass. 3e civ., 7 févr. 2007, n° 05-21405 : Resp. civ. et assur. 2007, comm. 160.
  • 50.
    Cass. 3e civ., 24 oct. 1990, n° 88-19383 : Bull. civ. III, n° 205.
  • 51.
    Cass. 3e civ., 13 nov. 1970, n° 68-14247 : JCP 1970, IV 316 ; Bull. civ. III, n° 600 – Cass. 3e civ., 18 juill. 1995, n° 93-19149.
  • 52.
    Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 93-21820 – Cass. 3e civ., 8 janv. 1997, n° 95-10778.
  • 53.
    C. civ., art. 671 et C. civ., art. 673.
  • 54.
    CA Reims, 4 juill. 1996.
  • 55.
    CA Chambéry, 2e civ., 30 août 2005.
  • 56.
    CA Aix-en-Provence, 4e ch. B, 12 juin 2006.
  • 57.
    Cass. 2e civ., 19 févr. 1992 : Resp. civ. et assur. 1992, comm. 178.
  • 58.
    CA Paris, 23e ch. A, 1er juill. 1998 – CA Paris, 19e ch. B, 3 mai 2007.
  • 59.
    Cass. 2e civ., 28 juin 1995, n° 93-12681 : JCP N 1995, II 1705 ; D. 1995, IR, p. 182 ; D. 1996, somm. p. 59 ; Resp. civ. et assur. 1995, comm. 327 – Cass. 3e civ., 3 mars 2016, n° 14-14534.
  • 60.
    F. Danos, « L’action pour trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle », obs. Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 18-23954, FS-B : RDC juin 2022, n° RDC200r6.
  • 61.
    Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 18-23954.
  • 62.
    F. Danos, « Responsabilité civile et droit des biens », in Mélanges en l’honneur du professeur Suzanne Carval, 2021, IRJS éditions, p. 207 et s., spéc. nos 12-15 ; F. Danos, note sous Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 16-24352 : RDC juin 2020, n° RDC116x9, spéc. p. 114-115 ; R. Libchaber, « Le droit de propriété, un modèle pour la réparation des troubles du voisinage », in Mélanges Christian Mouly, t. 1, 1998, Litec, p. 421 et s. ; W. Dross, Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, n° 74-3.
  • 63.
    Cass. 2e civ., 7 mai 2009, n° 08-12385.
  • 64.
    G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil. Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., 2017, LGDJ, n° 175.
  • 65.
    L. Heinzmann, « Le choix des modalités de réparation du préjudice en droit de la responsabilité civile », Revue générale du droit 2021, n° 53949, www.revuegeneraledudroit.eu/?p=53949.
  • 66.
    Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20068 et Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20991 : Resp. civ. et assur. 2005, comm. 288.
  • 67.
    Cass. 2e civ., 30 janv. 1991 : Resp. civ. et assur. 1991, comm. 152.
  • 68.
    Cass. 2e civ., 29 mai 1996, n° 94-17012.
  • 69.
    Cass. 2e civ., 30 janv. 1991, 2e esp. : Resp. civ. et assur. 1991, comm. 152.
  • 70.
    Cass. 2e civ., 21 mai 1997, n° 95-19688 : Resp. civ. et assur. 1997, comm. 265.
  • 71.
    CA Paris, 2e ch. B, 5 juin 1997.
  • 72.
    Cass. 2e civ., 8 févr. 2018, n° 16-26857 : Resp. civ. et assur. 2018, comm. 137.
  • 73.
    M. Richevaux., L’essentiel du régime général des obligations, 2018, Ellipses, fiche n° 29.
  • 74.
    CPC, art. 809 – Cass. 2e civ., 21 janv. 1987, n° 85-17611 : Bull. civ. II, n° 22.
  • 75.
    CA Montpellier, 27 mai 2008, n° 07/05369.
  • 76.
    Cass. 3e civ., 27 févr. 2020, n° 18-22558 et Cass. 3e civ., 27 févr. 2020, n° 18-24324.
  • 77.
    CA Toulouse, 1re ch., 27 avr. 1998.
  • 78.
    Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 16-24352 : RDC juin 2020, n° RDC116x9 – Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-22474 : Dalloz actualité, 18 oct. 2018, obs. N. Kilgus ; AJDI 2019, p. 470, obs. N. Le Rudulier ; RTD civ. 2018, p. 948, obs. W. Dross.
  • 79.
    Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 18-23954.
  • 80.
    C. civ., art. 2224 – Cass. 2e civ., 7 mars 2019, n° 18-10074 : Resp. civ. et assur. 2019, comm. 189 – Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 16-24352 : Resp. civ. et assur. 2020, comm. 87, avis avocat général P. Brun.
  • 81.
    C. civ., art. 2226.
  • 82.
    C. civ., art. 2224.
  • 83.
    C. civ., art. 2224 – La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a réduit de 10 à 5 ans les délais de prescription des actions personnelles ou mobilières – Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 16-24352, FS-PBI : LEDIU mars 2020, n° 113a9, obs. B. Derrar ; DEF flash 10 févr. 2020, n° DFF154u8 – Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-22474, F-PB : AJDI 2019, p. 470, obs. N. Le Rudulier ; RTD civ. 2018, p. 948, obs. W. Dross ; Constr.-Urb. nov. 2018, p. 24, obs. P. Cornille ; Constr.-Urb. nov. 2018, p. 26, obs. M.-L. Pagès-de Varenne.
  • 84.
    C. civ., art. 2240.
  • 85.
    M. Scheffer., « Interruption de la prescription de l’action en indemnisation du trouble anormal de voisinage : conditions requises » obs. sous Cass. 3e civ., 7 janv. 2021, n° 19-23262, M. G. H c/ Mme N. M. épouse D et M. W. D, F–PB (cassation partielle) : LEDIU mars 2021, n° DIU113z0 ; Dalloz actualités, 29 janv. 2021, obs. E. Botrel ; DEF 18 févr. 2021, n° DEF169c0, note L. Tranchant.
  • 86.
    C. civ., art. 2224.
  • 87.
    C. Berlaud., « Reconnaissance d’une obligation et interruption de prescription : condition » obs. sous Cass. 3e civ., 7 janv. 2021, n° 19-23262 : GPL 26 janv. 2021, n° GPL395j4.
Plan