Quelles conséquences en cas d’annulation d’un congé frauduleux délivré par un bailleur pour reprise personnelle ?

Lorsqu’un congé délivré par un bailleur pour reprise personnelle est jugé frauduleux, celui-ci est automatiquement annulé et le bail se poursuit dans les conditions du bail initial, celui-ci étant reconduit. Mais à côté de ces conséquences principales et automatiques, les juges du fond peuvent également prononcer d’autres sanctions.
Le droit au logement est de plus en plus présenté et défendu comme un droit fondamental1. Il a fait l’objet de différentes dispositions légales, notamment la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. Mais également et surtout, l’article 1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 rappelle que « le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent ».
Le même article prévoit que « l’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales.
Aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement pour un motif discriminatoire défini à l’article 225-1 du Code pénal.
En cas de litige relatif à l’application de l’alinéa précédent, la personne s’étant vu refuser la location d’un logement présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives ».
Pour garantir ce droit au logement, la loi de 1989 a donc mis en œuvre un certain nombre de dispositions pour équilibrer les relations entre le bailleur et preneur.
Comme cela a été évoqué dans un autre article de cette même revue2, des dispositions efficaces permettant ce rééquilibrage sont celles relatives à la limitation des causes de reprise du bien donné à bail par le propriétaire bailleur et le contrôle des reprises.
En effet, l’article 15 de la loi de 1989 dispose :
« I. – Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant. À peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. Lorsqu’il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu’il émane du bailleur ».
Ainsi, la loi prévoit un nombre limité de bénéficiaires d’une reprise d’un local d’habitation et des mentions spécifiques dans le courrier de reprise.
Le contrôle de la validité du congé est effectué par le juge d’une façon effective et automatique lorsqu’il est saisi. En effet, l’article 15 prévoit que, en « cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ».
Également, une « notice d’information relative aux obligations du bailleur et aux voies de recours et d’indemnisation du locataire est jointe au congé délivré par le bailleur en raison de sa décision de reprendre ou de vendre le logement. Un arrêté du ministre chargé du logement, pris après avis de la Commission nationale de concertation, détermine le contenu de cette notice ».
Le but de ces dispositions légales est de faire échec aux résiliations intempestives d’un contrat par un bailleur, fondées généralement sur des considérations purement financières ou personnelles. D’ailleurs, une cour d’appel a rappelé cet élément fondamental en précisant que « les dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 et du principe selon lequel le droit au logement est un droit fondamental, interdisent toute reprise afin de se livrer à une opération spéculative quelles que soient les circonstances de la cause et le montant du loyer »3.
Le juge va donc contrôler les congés délivrés afin non seulement de vérifier que les règles de formes ont été respectées, mais encore et surtout que les règles d’ordre public n’ont pas été détournées par le bailleur pour reprendre son bien. En conséquence, les juges du fond peuvent contrôler la réalité de l’intention de reprendre le logement pour en faire une résidence principale. Ce contrôle est réalisé d’office par la juridiction saisie d’un contentieux d’une telle nature.
L’application de ces dispositions légales protectrices suscite un certain contentieux. Les juges doivent donc évaluer chaque situation afin de déterminer si les éléments apportés par le bailleur sont suffisants pour justifier la reprise.
D’une obligation pour le preneur d’apporter la preuve du caractère frauduleux du congé délivré par le bailleur, l’on en vient à une obligation pour le bailleur de justifier que le congé qu’il a délivré est animé par sa volonté réelle et sérieuse de résider dans le local concerné. In fine, il y a donc une inversion de la charge de la preuve depuis la loi ALUR4.
Enfin, ce contrôle peut être réalisé a priori ou a posteriori. Ainsi, le juge sera saisi soit avant le départ du locataire soit après.
Quelles sont les sanctions et conséquences d’un congé jugé frauduleux ?
Si les juges estiment que le congé a été délivré frauduleusement, il prononce certaines sanctions automatiquement (I). D’autres sanctions sont prononcées en fonction de leur appréciation souveraine (II). Mais cette appréciation souveraine est à géométrie variable (III).
I – Des conséquences principales
Il est rappelé que pour juger qu’un congé est frauduleux, les juges du fond se réfèrent à un faisceau d’indices qui lui permettent de conclure que la volonté du bailleur n’est pas sérieuse ou frauduleuse5. Cette appréciation est souveraine.
Une fois le congé jugé frauduleux, la sanction automatique est l’annulation du congé.
C’est ainsi que, à titre d’exemple, le 6 septembre 2016, la cour d’appel de Paris6 a jugé un congé pour reprise frauduleux, et, en conséquence, a « annul[é] le congé donné par la SCI »7.
Mais les conséquences de cette sanction principale et automatique sont logiquement différentes en fonction du type de contrôle effectué par le juge : le contrôle a priori ou a posteriori. Si, pendant des années, la question de la possibilité de contrôler a priori le caractère frauduleux d’un congé s’est posée, la Cour de cassation s’était positionnée clairement en 2003 en sa faveur, par un arrêt de principe8.
Surtout, la dernière mouture de la loi de 1989 a consacré cette possibilité et même l’obligation pour le juge de contrôler le congé même si le preneur est resté dans les lieux.
Pour rappel en effet, le juge peut parfois effectuer un contrôle a priori des motifs du congé délivré, parfois un contrôle a posteriori ; cela à la discrétion essentiellement du preneur. Mais le bailleur lui-même peut diligenter une procédure afin de faire valider son congé et, subséquemment, faire ordonner l’expulsion du locataire et tous les occupants de son chef.
Si le contrôle est effectué a priori, le preneur est donc resté dans les lieux durant la procédure et, en cas d’annulation du congé, le bail se poursuit automatiquement.
Ainsi, la cour d’appel de Paris, après avoir jugé un congé frauduleux, annule ledit congé et « dit que le bail s’est reconduit (…) pour une durée de trois ans »9.
En conséquence, la situation contractuelle entre le bailleur et le preneur sera celle qui existait avant la délivrance du congé. Le bail est donc reconduit pour une nouvelle durée de trois années, s’il s’agit d’un bail d’habitation non meublé. Le preneur reste dans les lieux et l’expulsion sera également automatiquement rejetée si le bailleur en avait fait la demande.
Si le preneur a quitté les lieux et choisit de faire contrôler a posteriori la régularité du congé, la nullité de celui-ci n’emporte pas automatiquement continuation du bail. Bien au contraire, ce n’est qu’exceptionnellement que les juridictions ordonnent la réintégration par le preneur des lieux et la reprise des relations contractuelles. En effet, les juridictions du fond refusent généralement d’ordonner une telle mesure, sans aucun doute parce que la loi ne prévoit pas expressément cette disposition, mais également pour des motifs liés aux relations conflictuelles existant entre le bailleur et le locataire rendant difficile la reprise de l’exécution du bail.
Cela peut sembler logique également dans la mesure où le bailleur a lui-même parfois pris possession des lieux. Dans d’autres situations, la décision d’annulation du congé étant intervenue plusieurs années après le départ du locataire, le bailleur a parfois contracté un bail avec un nouveau locataire. D’une façon tout à fait pragmatique, le texte ne prévoit donc pas de réintégration d’office pour éviter une atteinte aux droits des tiers.
Il faut néanmoins préciser que dans le cas d’autres types de baux, la réintégration est prononcée plus facilement10.
Le texte de la loi de 1989 étant largement évolutif, une nouvelle disposition prévoyant la réintégration d’office du preneur victime serait envisageable et constituerait même une arme de dissuasion non négligeable. Car il doit être rappelé que l’objectif de la loi de 1989 est de sanctionner les bailleurs indélicats.
II – Des conséquences secondaires laissées à la libre appréciation des juges du fond
Une fois évoquées la sanction et les conséquences automatiques d’un congé frauduleux, la seconde sanction la plus usuelle prononcée par les tribunaux est l’allocation de dommages et intérêts. Mais elle n’est pas, à ce jour, automatique. En effet, l’indemnisation dans son principe et son quorum est laissée à la libre appréciation des juges du fond.
Mais, généralement, dès lors que la fraude est retenue et l’annulation prononcée, les juridictions du fond indemnisent les preneurs, même en dehors de tout contentieux supplémentaire relatif à d’autres fautes dans l’exécution du bail. Car il peut bien évidemment être considéré ipso facto que la délivrance d’un congé frauduleux est une faute contractuelle.
C’est ainsi que, dans les décisions les plus récentes, les cours d’appel de Nîmes, de Chambéry, d’Aix-en-Provence et de Bordeaux, à titre d’exemples, ont indemnisé les preneurs suites à des congés annulés pour fraudes à leurs droits11.
Cette affirmation était moins vraie dans les années 2000, car les juridictions se contentaient parfois d’annuler les congés a posteriori et de condamner les bailleurs aux dépens et frais irrépétibles.
Mais les modifications intervenues ces dernières années sur le texte d’origine, particulièrement celles résultant de la loi ALUR, ont eu pour objet, notamment, de laisser moins de pouvoirs aux bailleurs dans les relations contractuelles avec les preneurs, en application du principe sans cesse plus prégnant du droit au logement présenté par la loi de 1989 comme étant un droit fondamental.
Il est rappelé ici que, dorénavant, la délivrance d’un congé frauduleux peut justifier une peine d’amende pénale, puisqu’une infraction a été créée. Selon le texte, c’est dans le cadre d’une instance pénale que le preneur a notamment la possibilité de solliciter une indemnisation s’il se constitue partie civile. Si aucune plainte pénale n’est déposée, ce qui est à ce jour le cas le plus courant, il est néanmoins constant que l’indemnisation du preneur soit souvent ordonnée, que le juge ait effectué un contrôle a priori ou a posteriori. Ceci est bien logique dans la mesure où, dès lors qu’une partie est victime d’une fraude, elle doit légitimement être indemnisée.
Subséquemment, l’appréciation des juges porte sur l’évaluation du montant de l’indemnisation. Le preneur doit donc donner des éléments concrets permettant de parvenir à une juste indemnisation de son préjudice.
Si le contrôle est effectué a posteriori, plusieurs éléments sont généralement pris en compte : le coût du déménagement supporté par le preneur évincé, la différence entre le montant du nouveau loyer supporté par le preneur et celui qu’il aurait payé si le bail s’était poursuivi, ou encore le coût des aménagements effectués par lui sur le bien qu’il louait et qu’il a dès lors perdu.
Certaines juridictions octroient également une indemnisation au titre du préjudice moral12.
Cela peut arriver notamment lorsque les circonstances qui ont entouré la délivrance du congé révèlent une fourberie particulière du bailleur.
Les congés frauduleux les plus sanctionnés sont ceux qui ont été délivrés dans un contexte particulier. C’est le cas lorsque le bailleur délivre un congé à la suite d’un refus d’accepter une augmentation de loyer13. Ce peut être également le cas quand le bailleur a délivré au locataire un congé pour manifestement faire échec aux demandes légitimes de ce dernier de respect des règles impératives prévues par la loi de 1989 ou plus généralement aux règles du droit commun des contrats de location.
C’est en particulier le cas quand le bailleur pense pouvoir délivrer un congé à son preneur après avoir reçu de sa part une ou plusieurs demandes légitimes de réalisation de travaux. Dans ce cas, le détournement de la loi est évident et le congé pourra être considéré comme étant à l’origine d’un préjudice moral. C’est ce qu’avait jugé le tribunal de première instance de Nouméa dans une décision très bien motivée14.
Le préjudice moral peut être retenu que la validité du congé ait été contrôlée a priori ou a posteriori. En effet, pour le contrôle a priori, la crainte d’avoir à quitter les lieux est génératrice d’un préjudice moral.
Dans le cadre d’un contrôle a posteriori, le préjudice moral est souvent plus important.
C’est ainsi que la cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 13 octobre 2017 (CA Amiens, 13 oct. 2017, n° 15/04960), a condamné un bailleur qui avait délivré un congé frauduleux et indemnisé le preneur au titre de son préjudice moral. Dans cette décision, la cour retient qu’une attestation et un témoignage corroborent l’affirmation selon laquelle le locataire était « très heureux du jardin dans lequel il bricolait, prenait des repas et jouait avec ses enfants, et souffre d’en être privé ». Selon la cour d’appel, « il est démontré qu’il connaît avec son relogement, même si celui-ci a eu lieu rapidement, dans des conditions adaptées à son budget et à sa situation de famille, une baisse sensible de la qualité de son logement ». La cour d’appel retient également que le preneur évincé avait connu des épisodes dépressifs, et que « la proximité dans le temps de cette altération de son état de santé avec la délivrance du congé frauduleux permet de retenir un lien de causalité entre ces deux éléments », même si le locataire avait connu d’autres événements traumatisants dans sa vie à la même époque. La cour d’appel conclut donc que le preneur est « au vu de l’ensemble de ces éléments bien fondé à invoquer le préjudice tant matériel que moral qu’il a subi du fait du comportement fautif de son bailleur ». La cour valide la décision des premiers juges qui avaient fait « une exacte appréciation dudit préjudice, dûment justifié, (…) en ce qu’il a fixé à 12 000 euros les dommages et intérêts dus à ce titre ». Cette décision, très bien motivée et fondée sur une analyse très précise et objective des faits de l’espèce, est à approuver car elle constitue une application précise des dispositions légales en la matière.
Certaines juridictions ont néanmoins refusé de prendre en compte le préjudice moral des preneurs évincés ou qui auraient pu l’être, en estimant d’une façon péremptoire, dans le cadre d’un contrôle a priori, que les preneurs étaient restés dans les lieux et qu’à ce titre, il n’existe aucun préjudice moral15. Cette position est critiquable dans la mesure où, si l’on s’en tient au raisonnement de ladite cour d’appel, le risque pour le bailleur serait bien minime : la seule sanction encourue par lui en cas de délivrance d’un congé frauduleux est la simple reprise des relations contractuelles dans les mêmes conditions que celles prévues avant la délivrance du congé.
Il convient en définitive d’appliquer dans ces situations le principe d’indemnisation totale du préjudice des preneurs : préjudice matériel, financier et moral. Ce dernier préjudice peut être présumé dès lors que le bailleur a tenté de tromper son preneur et l’a fait craindre de quitter un logement qu’il habite depuis plusieurs années voire plusieurs dizaines d’années dans certains cas.
Aussi, il semble que la loi devrait prévoir une prise en compte automatique du préjudice moral, avec un minimum . Ce minimum pourrait être fixé en fonction du nombre d’années de location et du montant du loyer. En effet, la crainte de quitter un logement crée sans discussion possible une crainte liée à un déménagement, qui induit un changement de cadre de vie, une obligation de rechercher un nouveau logement, voire d’avoir à payer des loyers plus élevés.
À côté de ces préjudices communs dans le cas de la délivrance d’un congé frauduleux, il existe généralement d’autres préjudices indemnisables résultant de la situation particulière de l’espèce. Il peut s’agir d’un préjudice de jouissance si le bailleur a refusé de réaliser des travaux qui relevaient de son obligation de délivrance. Il peut s’agir également d’un préjudice financier particulier si le bailleur a imposé une augmentation de loyer qui s’est révélée contraire à la législation applicable en la matière. Dans ce dernier cas, la restitution des trop-perçus est une conséquence secondaire de l’annulation d’un congé frauduleux.
L’annulation d’un congé peut aussi avoir d’autres conséquences pratiques, comme la recevabilité des actions commencées par le preneur après le terme du congé.
Il sera précisé sur ce dernier point que, pour des questions d’opportunité, l’action en justice devrait être lancée par le preneur avant la fin du congé afin d’éviter que ses demandes puissent être jugées a priori irrecevables. En effet, une juridiction saisie en référé et qui serait peu regardante sur les conditions de son office pourrait ordonner une expulsion sans renvoyer à un débat au fond sur la validité du congé.
III – Des appréciations à géométrie variable
À l’étude de la jurisprudence, il semble que certaines décisions sont plutôt favorables aux bailleurs, alors que d’autres, ont contraire, tiennent plus compte des droits des preneurs.
La difficulté est celle rappelée par certains auteurs, relative à l’impartialité des juges.
Il est difficile pour un juge composant les juridictions de trancher les conflits en faisant abstraction de son histoire et de ses préférences personnelles, et même de ses convictions juridiques sur des questions d’actualité. Il est ainsi particulièrement difficile d’être totalement objectif et impartial dans l’application de la loi, mais cette impartialité est plus que nécessaire16.
Régis de Gouttes, reprenant les termes d’une décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme dans deux arrêts17, énonce que « l’impartialité des juges est la condition même de « la confiance que les tribunaux se doivent d’inspirer aux justiciables dans une société démocratique »18.
L’impartialité du juge est toujours présumée et se décline en impartialité objective et impartialité subjective. Cette dernière impartialité est plus difficile à contrôler, car elle concerne le comportement du juge face à des faits d’espèce qu’il doit analyser pour pouvoir trancher un litige.
Le juge doit prouver son impartialité. Il le fait principalement en motivant sa décision. La motivation est une manifestation d’une tendance générale à la transparence. Elle apporte une garantie : la garantie que le juge fonde son raisonnement sur des faits précis. Dès lors qu’une décision est précisément et pertinemment motivée, elle évite une censure des juridictions supérieures, qu’il s’agisse d’une cour d’appel, de la Cour de cassation ou de la Cour européenne des droits de l’Homme, dans des cas où les droits garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme sont en cause. Dans le domaine du droit au logement et donc sur les questions relatives aux congés délivrés par des bailleurs, il n’est pas exclu que la Cour européenne des droits de l’Homme puisse être saisie en référence, notamment, au droit à la vie familiale ou encore à la nécessaire impartialité.
Sur la question relative à la motivation, la Cour de cassation a d’ailleurs rappelé dans un arrêt rendu en sa première chambre civile le 19 décembre 2018 (Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 17-22056) qu’en exposant « les moyens et prétentions des parties, selon des modalités différentes de nature à faire peser un doute légitime sur l’impartialité de la juridiction, la cour d’appel a violé les textes susvisés », à savoir « l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du Code de procédure civile ».
Ainsi, une simple lecture d’une décision permet parfois de déceler une partialité des juges en faveur des bailleurs.
Dans une espèce jugée par la cour d’appel de Nouméa et l’objet de l’arrêt rendu le 17 juin 2024 (CA Nouméa, 17 juin 2024, n° 21/00246), c’est la terminologie employée qui pose un problème.
En effet, relever « la mauvaise foi » des preneurs fondée sur une clause type imposée par les bailleurs au moment de la signature du bail, clause selon laquelle les preneurs reconnaissent prendre les lieux en l’état, pour faire échec à leur demande d’indemnisation résultant d’un préjudice moral est très critiquable. De la même façon, dans cette espèce, la cour d’appel, après avoir rappelé que trouble de jouissance doit s’entendre comme « une impossibilité de jouir du bien loué tel qu’il est défini contractuellement au bail, dans le périmètre fixé par ce dernier », conclut que « ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les bailleurs démontrent par les échanges de mails, de courriers, notamment avec les entreprises et les disponibilités des locataires pour donner accès à leur logement aux entreprises afin d’effectuer les travaux revendiqués, qu’ils ont répondu à la demande de leurs locataires dans un délai raisonnable ». La cour d’appel ne motive pas par des éléments précis sa décision. Elle n’indique pas les éléments pris en compte pour conclure que les bailleurs ont répondu aux demandes des preneurs « dans un délai raisonnable », et alors même que les travaux sollicités n’avaient pas été tous réalisés et que ceux réalisés l’ont été uniquement dans le cadre d’un contentieux judiciaire de plusieurs années. Ce défaut de motivation laisse planer un doute sérieux sur l’impartialité des juges. D’autant plus que le tribunal de première instance de Nouméa avait pris le soin dans cette espèce de lister les troubles et de détailler les périodes pendant lesquelles les preneurs les avaient subis.
Comme déjà indiqué précédemment, les tribunaux sont généralement enclins à indemniser les preneurs dès lors que la fraude est retenue. L’indemnisation est le principe, que le contrôle ait été réalisé a priori ou a posteriori. La cour d’appel de Nouméa refuse l’indemnisation des preneurs victimes de plusieurs congés frauduleux au simple motif qu’ils sont restés dans les lieux. Ce raisonnement est un non-sens. En effet et pour rappel, par principe, lorsque le contrôle du caractère frauduleux des congés est effectué a priori, les preneurs sont demeurés dans les lieux et ont demandé la nullité des congés. Une juridiction ne peut donc pas considérer que dès lors qu’un congé est annulé, il n’y a pas lieu d’indemniser les locataires restés dans les lieux. Cela tendait à réduire à néant les efforts mis en œuvre par législateur pour contraindre le bailleur à respecter les droits des locataires.
Un pourvoi en cassation contre cette décision de la cour d’appel de Nouméa a bien légitimement été formé et la décision fera l’objet d’une attention particulière.
A contrario, dans une décision déjà citée rendue par la cour d’appel d’Amiens le 13 octobre 2017 (CA Amiens, 13 oct. 2017, n° 15/04960), les juges du fond procédaient à une analyse objective des éléments de l’espèce et concluaient que le bailleur devait indemniser le preneur évincé frauduleusement.
D’autres décisions sont également très bien motivées, notamment celle rendue par la cour d’appel de Nîmes, le 8 février 2018, dans laquelle les juges estimaient notamment que la bailleresse qui disait vouloir reprendre un logement à proximité de celui de sa mère « dispose d’un autre logement rénové et vacant dans la même impasse, à proximité tout aussi immédiate de son domicile » qu’elle « pourrait occuper si elle avait vraiment la volonté de se rapprocher le plus possible du domicile de sa mère alors qu’elle réside à 2 minutes en voiture »19. La cour d’appel condamnait la bailleresse à verser des dommages et intérêts à son preneur au titre de son préjudice moral.
La cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt du 18 janvier 2024, juge également « que la délivrance d’un congé frauduleux constitue une faute pouvant donner lieu à la réparation des préjudices nés de cette faute. À ce titre, les tracas causés par la réception d’un tel congé et les suites qu’il faut y donner, sont constitutifs d’un préjudice moral direct et certain » pour condamner le bailleur à dédommager le preneur. La cour pose en définitive le principe d’une indemnisation automatique du préjudice moral d’un preneur à qui un congé frauduleux a été délivré, ce qui est pertinent. Cette même décision mentionne d’ailleurs la notion de « complète indemnisation de ce préjudice »20.
Il existe donc des tendances variables d’une juridiction à l’autre, même si la tendance majoritaire est à un durcissement des sanctions à l’encontre des bailleurs peu scrupuleux et surtout une indemnisation quasi automatique des preneurs.
Ainsi, les conséquences et les sanctions de la délivrance d’un congé frauduleux par un bailleur ne sont pas négligeables. Surtout, celles laissées à la discrétion des juridictions, notamment l’allocation des dommages et intérêts, doivent faire l’objet d’une évaluation rigoureuse. Et, dans ce cadre, la sanction pécuniaire des bailleurs fraudeurs est une nécessité, dans la mesure où dans, la très grande majorité des cas, les intérêts de ces derniers sont en définitive uniquement de cette nature. L’allocation de dommages et intérêts garantit à notre sens le respect du droit fondamental au logement car il a un effet dissuasif.
Notes de bas de pages
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1.
Sur la référence au droit au logement, v., par ex., CA Paris, 20 oct. 2022, n° 20/000784.
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2.
Actu-Juridique.fr, 4 déc. 2024, n° AJU015r1, note J.-M. Hisquin.
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3.
CA Aix-en-Provence, 26 avr. 2016, n° 14/15462.
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4.
V., dans ce sens, TJ Paris, 16 juill. 2024, n° 24/00054.
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5.
CA Paris, 26 juin 2007, n° 05/05202.
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6.
CA Paris, 6 sept. 2016, n° 14/16672.
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7.
V., pour un autre ex., CA Douai, 6 juill. 2017, n° 15/03816.
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8.
Cass. 3e civ., 18 févr. 2003, n° 01-16664.
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9.
CA Paris, 6 sept. 2016, n° 14/16672.
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10.
CA Angers, 21 mai 2024, n° 20/01816, pour un exemple concernant des baux ruraux
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11.
CA Nîmes, 8 févr. 2018, n° 17/00820 – CA Chambéry, 18 janv. 2024, n° 22/00066 – CA Chambéry, 9 févr. 2023, n° 21/00732 – CA Aix-en-Provence, 7 sept. 2023, n° 20/00636 – CA Bordeaux, 22 mai 2023, n° 21/05880.
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12.
CA Amiens, 13 oct. 2017, n° 15/04960 – T. 1re instance Nouméa, 28 juin 2021, n° 19/37.
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13.
CA Paris, 16 juin 2005, n° 04/06769.
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14.
T. 1re instance Nouméa, 28 juin 2021, n° 19/37.
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15.
CA Nouméa, 17 juin 2024, n° 21/00246.
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16.
M.-A. Frisson-Roche, « L’impartialité du juge », D. 1999, p. 53 ; R. de Gouttes, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », RSC 2003, p. 63. V. aussi L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, 2004, PUF, v° discrimination, p. 340 et s., et v° impartialité, p. 607 et s.
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17.
CEDH, 1er oct. 1982, n° 8692/79, Piersack c/ Belgique – CEDH, 26 oct. 1984, n° 9186/80, de Cubber c/ Belgique.
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18.
R. de Gouttes, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité », RSC 2003, p. 63.
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19.
CA Nîmes, 8 févr. 2018, n° 17/00820.
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20.
CA Chambéry, 18 janv. 2024, n° 22/00066 – v. également, dans le même sens, les décisions déjà citées : CA Chambéry, 9 févr. 2023, n° 21/00732 – CA Aix-en-Provence, 7 sept. 2023, n° 20/00636 – CA Bordeaux, 22 mai 2023, n° 21/05880.
Référence : AJU015u4
