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Violation du droit de préférence du locataire à bail commercial et destruction de l’immeuble postérieure à la vente

Publié le 18/12/2024
Violation du droit de préférence du locataire à bail commercial et destruction de l’immeuble postérieure à la vente
Vastram/AdobeStock

La destruction de l’immeuble vendu, intervenue en cours de procédure, ne prive pas le locataire de la possibilité de faire annuler la vente réalisée en violation de son droit de préférence et d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Cass. 3e civ., 14 sept. 2023, no 22-15.427

En raison du caractère lacunaire de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, le droit de préférence légal du preneur à bail commercial ne cesse de susciter des interrogations. Si ce droit de préférence du locataire sur le local est une création de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi Pinel, ce sont ces derniers mois essentiellement que foisonnent des arrêts précisant son domaine d’application. L’arrêt du 14 septembre 2023 en est une illustration.

En l’espèce, un immeuble donné à bail commercial a été vendu à une SCI. La locataire qui invoquait la violation de son droit de préemption, a assigné le vendeur et l’acquéreur en annulation de la vente et en indemnisation de son préjudice. L’acquéreur a appelé le notaire en intervention forcée. Or, en cours d’instance, un incendie s’est déclaré dans l’immeuble objet de la vente, qui a été détruit en quasi-totalité.

La cour d’appel de Basse-Terre1 a rejeté les demandes d’annulation de la vente et de dommages et intérêts à l’encontre du vendeur. Elle a considéré que, l’immeuble ayant été détruit par un incendie postérieur à la vente, le contrat de vente de l’immeuble était dépourvu d’objet, de sorte que la demande d’annulation de ce contrat, fondée sur la violation du droit de préemption de la locataire, qui ne disposait plus de bail et ne se trouvait plus dans les lieux, était devenue sans objet.

La locataire s’est pourvue en cassation. Elle invoquait en premier lieu les dispositions de l’article 1601 du Code civil afin de soutenir que le seul fait que la chose vendue périsse postérieurement à la vente n’impliquait pas que le contrat de vente soit dépourvu d’objet ; seule l’existence de la chose vendue au moment de la vente détermine si la vente en a un. Elle rappelait en second lieu les termes de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce afin de soulever que l’action en nullité de la vente de l’immeuble détruit fondée sur la violation du droit de préemption du locataire n’est pas conditionnée au fait que le bail commercial soit en cours au moment où les juges statuent.

La Cour de cassation semble partager les prétentions invoquées par la locataire en censurant le raisonnement des juges du fond au visa des articles 1582, alinéa 1er, du Code civil, définissant la vente, et L. 145-46-1 du Code de commerce visant le droit de préférence du locataire à bail commercial.

Dans un premier temps, la cour régulatrice a été interrogée sur la recevabilité du moyen contestée par le notaire.

Il est vrai qu’aucun notaire rédacteur ne peut se risquer à dresser un acte de vente du bien loué sans purge du droit du locataire. Aux termes de l’article L. 145-46-1, il appartient au propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal loué qui envisage de mettre en vente celui-ci, d’en informer son locataire en indiquant le prix et les conditions de la vente envisagée, lequel peut renoncer à exercer son droit de préférence, sauf si un mandat spécial au profit du notaire existe. La purge du droit de préférence du locataire s’impose donc au propriétaire-bailleur cédant.

Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à certaines conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa et, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix.

Dans l’arrêt rapporté, le notaire appelé en intervention forcée ne pouvait que soutenir, pour dégager sa responsabilité professionnelle, le défaut d’intérêt à agir en nullité de la vente de la locataire « dès lors qu’en cas de succès d’une telle action, elle ne pourrait pas préempter le bien qui a péri et dont elle n’est plus locataire ». En effet, il est de principe qu’une « action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention »2.

À ce sujet, la troisième chambre civile a jugé en matière de bail d’habitation que « la seule méconnaissance du droit de préemption que le locataire tient de la loi elle-même suffit à rendre recevable son action destinée à faire respecter ce droit, sans qu’il n’ait à apporter la preuve de sa capacité financière à acquérir »3. C’est dans le droit fil de cette jurisprudence que s’est prononcée la Cour de cassation dans l’arrêt sous commentaire en considérant que « la locataire, qui soutient avoir subi un préjudice moral en raison du non-respect de son droit de préemption, justifie d’un intérêt à agir ». Le non-respect du droit de préférence légal du locataire à bail commercial cause un préjudice moral suffisant à rendre l’action en nullité recevable. Si, dans l’arrêt de 2012, la Cour de cassation se prononçait sur l’intérêt à agir seul, il semblerait qu’en matière de baux commerciaux, la Cour retienne l’intérêt à agir en raison de l’existence d’un préjudice moral. Ainsi, la violation du droit du locataire causerait un préjudice moral suffisant à établir l’intérêt à agir. Peut-on affirmer que le préjudice moral s’infère de la violation du droit de préférence du locataire ?

Cette influence jurisprudentielle n’est pas surprenante dans la mesure où le droit de préférence du locataire à bail commercial est inspiré du droit de préemption en matière de bail d’habitation4.

Pour autant, la destruction quasi totale de l’immeuble survenue postérieurement à la vente prive-t-elle celle-ci de son objet ?

Après avoir rappelé les termes de l’article 1582, alinéa 1er, du Code civil et de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, la Cour régulatrice y répond négativement en considérant : d’une part, la destruction du bien vendu qui survient après la conclusion de la vente ne prive pas celle-ci de son objet ; d’autre part, la circonstance que le locataire ne dispose plus de bail sur le bien, en raison de sa destruction postérieure à la vente, ne prive pas d’objet ses demandes d’annulation de la vente réalisée en violation de son droit de préemption et d’indemnisation de son préjudice.

En vertu du premier de ces textes, la vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose et l’autre à la payer. Lorsque bailleur et acheteur se sont mis d’accord sur la chose et sur le prix, un transfert de propriété s’opère, lequel en principe et conformément à l’adage res perit domino engendre dans le même temps un transfert des risques de sorte que c’est sur l’acheteur (nouveau propriétaire) que repose, dès le jour de la vente, le risque de la disparition ou de la dégradation du bien vendu.

En revanche, « si au moment de la vente la chose vendue était périe en totalité, la vente serait nulle »5 pour absence d’objet de sorte que, comme l’énonçaient les juges du fond, la demande d’annulation du contrat fondée sur la violation du droit de préemption de la locataire doit être rejetée car devenue sans objet. Or, en l’espèce, l’immeuble vendu a été détruit après la conclusion du contrat de vente ce dont il résulte que, la vente étant parfaite, le contrat de vente n’est pas dépourvu d’objet. En effet, le seul fait que l’immeuble vendu soit détruit postérieurement à la vente n’implique pas que le contrat de vente soit dépourvu d’objet.

Si le contrat de vente de l’immeuble n’est pas sans objet, la disparition de l’immeuble postérieurement à la vente engendre-t-elle des effets sur l’action engagée par la locataire pour violation de son droit de préférence légal ?

Pour les hauts conseillers, la circonstance que la locataire ne dispose plus de bail sur le bien, en raison de sa destruction postérieure à la vente, ne prive pas d’objet ses demandes d’annulation de la vente réalisée en violation de son droit de préemption et d’indemnisation de son préjudice. En effet, dans la mesure où la vente passée en violation du droit de préemption du locataire n’est pas sans objet, elle devrait être susceptible d’encourir la nullité en vertu de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce6. Dit autrement, la disparition de l’immeuble est sans effet sur l’action du locataire en violation de son droit de préemption. Il importe peu que le local ait été quasiment détruit par un incendie et que le bail ait disparu. L’action en nullité est subordonnée à la seule condition du non-respect du droit de préférence du locataire dont la violation cause un préjudice moral. En définitive, le droit de préemption est acquis dès lors que le propriétaire du local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci7, en somme avant que l’immeuble ne périsse en l’espèce.

Cette solution peut paraître sévère à l’égard du bailleur dans la mesure où le bien détruit retourne dans son patrimoine sans que le locataire ne puisse à nouveau en jouir. Une action en réparation aurait été plus souple bien qu’extra legem. La solution met en exergue cette volonté de protéger le droit de préférence du locataire qui est d’ordre public.

Il appartiendra à tout bailleur envisageant de vendre son local de ne pas se heurter aux conséquences du non-respect d’information envers le locataire du projet de vente.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Basse-Terre, 10 janv. 2022, n° 19/00171.
  • 2.
    CPC, art. 31.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 14 nov. 2012, n° 11-22.433 : Loyers et copr. 2013, comm. 35, obs. B. Vial-Pedroletti ; RJDA 3/13 n° 204.
  • 4.
    L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 15, II.
  • 5.
    C. civ., art. 1601.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 14 sept. 2023, n° 22-15.427 : Loyers et copr. 2023, n° 11, comm. 169, obs. M.-L. Besson.
  • 7.
    Loyers et copr. 2023, n° 11, comm. 169, obs. M.-L. Besson.
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