Justice : la parole est aux magistrats civilistes !

Publié le 20/04/2023

Bien que majoritaire en nombre de décisions comparée à la justice pénale, la justice civile est victime d’un tarissement des vocations qui engendre son déclassement. Décidé à résister,  un groupe de magistrats du siège vient de créer l’Association des magistrats français pour la Justice civile (AMFJC), dont Clément Bergère et Manuel Carius sont les co-présidents. La toute nouvelle association a une marraine, le professeur Natalie Fricero, ancien membre du CSM et doyenne du pôle civile de l’ENM. Tous trois expliquent dans cette tribune les raisons de la création de cette association et quelles sont ses ambitions.

Cour_cassation_Chambre_civile_face_Philippe_Cabaret(Photo : ©P. Cabaret)

Le constat de l’invisibilité de la justice civile est unanimement partagé. C’est d’ailleurs ainsi que débutent les développements que lui consacre le rapport dit « Sauvé », rendu public en juillet 2022 en clôture des États généraux de la justice (EGJ).

Il ne fait pourtant nul doute que la justice civile est un rouage majeur, non seulement du système judiciaire mais également de l’État de droit, dont le droit d’accès à la justice et celui de faire exécuter les décisions juridictionnelles font partie intégrante (v. Conseil de l’Europe, commission de Venise, 18 mars 2016).

En 2019, les juridictions civiles ont rendu 2 250 217 décisions

Les données chiffrées confirment le poids considérable des contentieux civils. En 2019, les juridictions civiles ont rendu 2 250 217 décisions, loin devant les 812.249 décisions prononcées en matière pénale. De plus, la justice civile constitue un vecteur d’accès au prétoire des personnes les moins favorisées : 240 M€, soit plus de la moitié du budget global de l’aide juridictionnelle, ont été alloués dans des contentieux civils en 2021 (chiffres-clés de la justice, 2022).

Le rapport Sauvé estime que la justice civile française connaît un « lent déclassement », dont l’une des causes résiderait dans le « tarissement des vocations ». Reprenant à son compte les conclusions d’un rapport de l’inspection générale de la justice (avril 2021), la commission en charge de restituer les réflexions des EGJ craint une véritable « désorganisation » de la filière civile des juridictions, avec pour conséquence une perte de compétence et, à terme, une dégradation de la qualité des décisions. Le constat n’est pas neuf. Déjà, en 1998, le rapport « Coulon » décrivait la crise de la justice civile, soulignant que « les efforts entrepris et le dévouement des juges ne suffisent plus pour lutter contre la pression des flux ».

Des réformes « trop souvent tournées vers la gestion des flux »

La justice civile, personnifiée par les magistrats civilistes (qu’ils soient du siège ou du parquet), se trouve donc à la croisée des chemins et il y a urgence. De nombreuses réformes de la procédure civile et de l’office du juge civil ont, ces dernières décennies (la plus récente datant de 2020), modifié en profondeur de multiples aspects de la procédure civile et l’office du juge civil, tant en première instance qu’en appel. Trop souvent tournées vers la gestion des flux, elles n’ont pas produit tous les bénéfices escomptés.

La justice civile ne pourra pas se satisfaire d’un simple objectif de réduction des stocks et des délais, notamment par le biais d’une déjudiciarisation ou du recours à l’amiable. En effet, cet objectif ne réglera pas la question du manque d’attractivité des fonctions civiles au sein de la magistrature. En 2018, le rapport Molfessis-Agostini présente la justice civile comme un « continuum dont chaque partie dépend des autres » et qui doit être réformée de manière globale. Le rapport Sauvé reprend cette idée à son compte et prône une véritable refondation de la justice civile, prise dans son ensemble, appelant de ses vœux un « new deal » et l’élaboration d’une « politique publique civile » dont le gouvernement serait le maître d’ouvrage et la direction des affaires civiles et du Sceau la maîtresse d’œuvre. Cette approche est séduisante pour qui est attaché à la qualité de la justice civile, mais son ambition est sans doute vertigineuse.

Face à cela, les magistrats civilistes peinent à se faire entendre. La masse de travail, un certain goût pour la discrétion et la crainte des instrumentalisations les ont relégués au rang de « juges non spécialisés ».

C’est de ce double constat, l’urgence d’agir et l’absence de voix, qu’est né le besoin d’un cadre dédié à la réflexion et à la promotion des magistrats civilistes.

Contrairement à d’autres fonctions juridictionnelles qui peuvent compter sur des associations professionnelles identifiées, reconnues pour leur expertise et légitimes en raison de la qualité de leurs membres, les fonctions civiles n’étaient pas représentées. LAssociation des magistrats français pour la Justice civile (AMFJC), créée en janvier 2023 se donne comme but de relever ce défi.

Objectif : « désinvisibiliser » le magistrat civiliste et son équipe

Association professionnelle, l’AMFJC s’adresse, d’abord, aux magistrats, qu’ils soient du siège ou du parquet, de première instance, d’appel ou en fonction à la Cour de cassation. Elle est aussi ouverte aux auditeurs de justice, ainsi qu’aux magistrats honoraires ou à titre temporaire. Constituée à partir de l’idée que la justice civile s’articule autour de diverses parties prenantes, l’AMFJC admet en son sein les directeurs des services judiciaires, les juristes-assistants et les enseignants-chercheurs.

L’objet de l’AFMJC couvre tous les aspects des fonctions civiles :

*création et animation d’un espace de réflexion et d’échanges autour du droit civil, de la procédure civile et des fonctions juridictionnelles s’y rapportant ;

*mise à la disposition des magistrats pratiquant le droit civil et/ou la procédure civile des outils destinés à leur activité quotidienne ;

*valorisation et promotion de l’exercice des fonctions civiles au sein de l’ensemble des juridictions judiciaires ;

*organisation de colloques, séminaires, stages ou webinaires ;

*proposition de toute réforme relevant du champ d’activité professionnelle de ses membres ;

*rédaction d’avis ou d’analyse à la demande des administrations publiques.

Elle aspire à participer à la construction de la justice civile de demain en « désinvibilisant » ses acteurs majeurs : le magistrat et son équipe.

Plus d’informations sur le site de l’association.

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