États généraux : la justice bientôt sauvée ?
Attendu depuis le mois de mai, le rapport du comité présidé par Jean-Marc Sauvé dans le cadre des états généraux de la justice a été rendu public ce vendredi à 14 heures au tribunal judiciaire de Paris.
C’est dans un auditorium raisonnablement rempli que les membres du Comité Sauvé au grand complet ont présenté les conclusions du rapport éponyme remis au Président de la République le matin même. Sur les quelque 200 pages que comporte le document, la moitié est consacrée à décrire l’état « préoccupant » de la justice française. Cela a été « un choc, une révélation » a précisé le président Jean-Marc Sauvé, évoquant des « sentiments de honte, de souffrance ». Face à ce « constat terrible d’un grand manque de moyens », il s’est avoué impressionné par « la résilience des magistrats qui arrivent à faire face dignement ».
La première vertu de ce travail est ainsi d’acter de manière absolument incontestable l’état dégradé de la justice. On le savait, mais il se murmurait souvent dans les hautes sphères que finalement ce n’était pas si grave, qu’il y avait sans doute des personnels paresseux, que les désordres étaient d’origine organisationnelle plus que budgétaire etc. Le diagnostic est désormais objectivement posé et difficilement contestable.
Des politiques publiques défaillantes
Une crise qualifiée de « paradoxale » par les auteurs du rapport. Depuis 15 ans, relèvent-ils, le contentieux ne s’accroit pas, mais les délais néanmoins s’allongent. En cause ? L’inflation normative, la complexité du droit, l’allongement des écritures et la difficulté de la justice à relever le défi du management des stocks et celui de la gestion des ressources humaines au-delà des seules questions de statut. C’est ainsi que l’institution paie aujourd’hui les conséquences d’un « ensemble de politiques publiques qui se sont révélées défaillantes, par leur difficulté voire leur incapacité à penser la justice de manière globale et systémique » analyse Jean-Marc Sauvé.
Renforcer les moyens
Sans surprise, la première des mesures préconisées consiste à renforcer les moyens. Les besoins sont évalués à 1500 magistrats, 2000 juristes-assistants, 2 000 appuis administratifs et 2 500 à 3000 greffiers. Sur le fond, la deuxième vertu du rapport consiste à émettre des propositions relativement raisonnables et consensuelles pour améliorer la situation sans bousculer une institution au bord de l’implosion. Pas de révision de la carte judiciaire, autrement que purement technique, pas de suppression du juge d’instruction non plus. En revanche, pour sauver une justice civile en plein naufrage, il est préconisé de concentrer tous les moyens sur la première instance qui doit cesser d’être un galop d’essai. En matière pénale, le rapport recommande sans surprise de procéder enfin à la réforme de l’indépendance du parquet mais aussi de simplifier le code de procédure, sans toutefois toucher aux droits de la défense. On se reportera au rapport accessible en fin d’article pour la liste exhaustive des propositions qui doivent se lire de façon globale, sans oublier les annexes qui font partie intégrante du rapport, a tenu à préciser Jean-Marc Sauvé.
« Tracer un chemin »
Reste à savoir quel va être le sort de ce travail titanesque. Parce qu’au terme de ces milliers d’auditions, de ces centaines de milliers d’heures de consultation, débats, travaux de rédaction, ce qu’on lit dans le rapport n’est jamais que ce que constatent, dénoncent ou réclament les professionnels de justice en vain depuis des années. Sans doute eut-il mieux valu les écouter lors de la réforme pilotée par Nicole Belloubet, plutôt que d’organiser un tel chantier en fin de mandat, pour finalement constater qu’ils avaient raison sur tout. En 2014, Christiane Taubira avait organisé à grands frais un colloque de plusieurs jours sur la justice du 21e siècle à l’Unesco. En 2017, Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, a publié un rapport très complet sur l’état de la justice en France. Lorsqu’il a quitté ses fonctions de garde des sceaux en avril 2018, Jean-Jacques Urvoas a laissé une lettre à ses successeurs contenant les mêmes constats et à peu près les mêmes recommandations. Sans compter les rapports spécialisés par exemple ceux de l’inspection générale de la justice sur les frais de fonctionnement des juridictions, ou encore l’état de la justice civile etc. Le rapport Sauvé s’installe donc tout en haut d’une pile déjà impressionnante. Jean-Marc Sauvé n’est pas dupe des limites de l’exercice. Ce ne sera pas le dernier rapport sur une institution qui en a déjà suscité plus que n’importe quelle autre, a-t-il confié. Au moins espère-t-il que ce travail, en imbriquant les moyens et les propositions de réforme, pourra « tracer un chemin ».
La vraie question au fond, n’est pas tant celle de l’état de la justice, parfaitement connu depuis longtemps, que celle de savoir pour quelle raison le politique demeure sourd depuis des décennies aux appels au secours réguliers, répétés et de plus en plus pressants de l’institution ? « Parce que ce n’est pas rentable politiquement » confiait avec un brin d’amertume un haut magistrat à la sortie de la présentation. « Je n’ai pas eu le sentiment ce matin que la justice était la priorité du président » regrettait pour sa part un membre du groupe de travail. Une loi de programmation est cependant annoncée à la rentrée. Elle devrait s’inspirer des propositions du rapport sur lesquels les professionnels de la justice vont être consultés dès le 18 juillet.
Référence : AJU305886