La codification de la « violence-dépendance » : une confirmation prudente des solutions prétoriennes. Réflexions à propos du futur article 1143 du Code civil

Publié le 22/08/2016

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations extrait la violence qui pourrait être qualifiée de « violence-dépendance » de l’article général sur la violence dans lequel elle trouvait son origine. Cette violence particulière apparaît dans des cas où la victime se trouve contrainte d’accepter des engagements désavantageux, non en raison des agissements de l’autre partie, mais de sa situation propre ; la violence n’est alors pas directe, mais découle du déséquilibre contractuel, ce qui tend à la rapprocher de la lésion…

La réforme du droit des contrats tant attendue a suscité de nombreux commentaires, tant positifs que négatifs. Au risque de venir grossir l’abondante littérature, il sera proposé quelques réflexions sur la violence présentée par le futur article 1143 du Code civil. Cette disposition s’inscrit pleinement dans l’objectif affiché du garde des Sceaux d’alors de « protection de la partie faible dans les contrats »1. Les futurs articles 1140 et 1143 présentent deux acceptions de la violence2. À la différence du premier, dont la rédaction est quasiment identique à celle de l’actuel article 1112 du Code civil, le second précise que la violence peut « également »3 résulter du fait que l’une des parties profite, « abuse », tire « un avantage manifestement excessif » de son état de dépendance. Les deux articles visent ainsi deux comportements distincts : dans le premier, le cocontractant intimide l’autre qui craint « d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » ; dans le second, il ne l’intimide pas nécessairement, mais lui impose un contrat à tout le moins déséquilibré que la partie « faible » ne peut refuser en raison de sa situation. Ce faisant, le nouveau texte, en précisant les contours de cette « violence de dépendance »4, la distingue clairement de la violence « classique ».

L’on comprend ainsi que la violence visée par le futur article 1143 du Code civil est indirecte : elle ne trouve pas son origine dans les manœuvres de la partie « violente », mais dans la situation de la partie violentée (I) et se matérialise par l’acceptation forcée d’un engagement que cette dernière ne peut qu’accepter (II).

I – La situation de dépendance

La violence prévue par l’article 1143 prend racine dans la situation de faiblesse dans laquelle se trouve la partie lésée. Alors que l’état de faiblesse était originellement visé en plus de la dépendance, seule cette dernière situation subsiste (B) ; la qualification de cet état procède d’une analyse in concreto de l’état de la partie lésée (A).

A – L’approche in concreto de la situation de dépendance

L’état de faiblesse doit nécessairement être jaugé à l’aune de la situation propre de la personne, in concreto : « On a égard, en cette matière, à l’âge, au sexe et à la situation des personnes », dispose l’alinéa 2 de l’actuel article 1112 du Code civil, formule semblant tempérer le premier alinéa qui fait référence à la « personne raisonnable »5. Les deux alinéas font entrevoir une différence d’appréciation avec un standard juridique6, donc abstrait, la « personne raisonnable », d’un côté, et les circonstances de la situation de la personne dont le consentement a été vicié, de l’autre. La raison de cette contradiction est essentiellement historique : les rédacteurs du Code civil avaient conservé l’abstraction romaine tout en tenant compte de la critique de Pothier à cet égard7. Si les nouvelles dispositions sur la violence, vice du consentement, ne font plus référence à la « personne raisonnable », elles apparaissent moins disertes quant aux éléments d’évaluation de l’approche concrète. C’est la situation de faiblesse qui est visée ; nul doute que les juges sous l’empire de ces nouveaux textes continueront de prendre en considération l’âge, le sexe et la condition des personnes pour qualifier l’existence de la violence8.

En effet, dans le cas de la violence, l’on ne peut s’en tenir de façon abstraite, à l’individu rationnel libre de ses choix. Une approche désincarnée, théorique, qui prétendrait que les individus seraient libres d’agir et en état de le faire, ne peut trouver sa place9. L’homo oeconomicus fait pour ainsi dire place à l’homo flebilis. Le juriste, à la différence de l’économiste, ne peut se satisfaire d’un modèle mathématique purement abstrait. La pratique des prétoires lui a enseigné que les parties au contrat ne négocient pas dans les mêmes conditions selon qu’il s’agit de professionnels ou de consommateurs, d’employeurs ou de salariés, de distributeurs ou de fournisseurs, etc. Dans ces relations contractuelles – et précontractuelles –, la loi présume une partie faible qu’elle s’efforce de protéger.

Le projet Catala prévoyait l’appréciation de cette situation de faiblesse « d’après l’ensemble des circonstances en tenant compte, notamment, de la vulnérabilité de la partie qui la subit, de l’existence de relations antérieures entre les parties ou de leur inégalité économique »10.

Dans le texte étudié en l’occurrence, il ne s’agit pas d’une catégorie de personnes présumées faibles, mais d’une situation particulière, difficilement appréciable de manière certaine, qui pourrait, à l’aide d’une grille de lecture simple, s’appliquer invariablement. En effet, la détresse de l’un des contractants peut se retrouver dans une multitude de situations concrètes, indifféremment de sa qualité ; le futur article exige que cet état lui fasse faire un choix qu’elle n’aurait pas opéré si elle « ne s’était pas retrouvé(e) dans cette situation de faiblesse ou de dépendance économique ».

Dans le cadre de cette nouvelle acception légale de la violence, l’on peut donc penser que les juges continueront de procéder à une approche in concreto de la situation de la partie demanderesse afin de constater la véracité de la violence subie11.

L’engagement que la partie lésée n’aurait pas contracté trouve son origine dans son état de fragilité liée à sa dépendance envers son cocontractant.

B – La situation de dépendance de la victime

L’article du projet d’ordonnance12 divergeait de l’article 1143 du Code civil en ce qu’il incluait l’état de nécessité (1). Cette modification semble superflue car il ne paraît pas que les deux notions soient exclusives l’une de l’autre : l’état de nécessité implique nécessairement une dépendance, d’autant plus que le texte n’exige pas que celle-ci soit économique (2).

1 – L’abandon de l’état de nécessité prévu dans le projet d’ordonnance

Tel qu’initialement rédigé, le projet d’ordonnance devait fait rentrer la notion d’état de nécessité dans le Code civil13 – tout comme d’ailleurs il fut inclus dans le projet Catala14. Il faut dire qu’en matière civile cette question avait déjà été soulevée dans un passé éloigné, dans le cadre de la lésion : aussi peut-on lire sous la plume de Pufendorf que « l’obligation quoique contractée sous la crainte de l’impression de la mort sera valable » ; sans contredire le jurisconsulte allemand, Pothier tempérait : « Néanmoins, si j’avais promis une somme excessive, je pourrais faire réduire mon obligation à la somme à laquelle on apprécierait la juste récompense du service qui m’a été rendu »15.

C’est toutefois en matière criminelle que l’état de nécessité connut une attention toute particulière. En effet, le juge pénal eut l’occasion de considérer à plusieurs reprises que la situation d’une personne acculée, n’ayant d’autre choix que de commettre un délit, l’exonérait de sa responsabilité avant que la notion ne fût intégrée dans le Code pénal16. En droit civil17, bien que la jurisprudence ne soit pas abondante en la matière, de tels faits ont également servi à retenir l’inaptitude de la personne à effectuer un choix libre, et reconnaître la nullité du contrat vicié. Ainsi, dans l’affaire Le Rolf, relatif à un naufrage en mer au cours duquel les rescapés avaient accepté d’être remorqués à un prix exorbitant, la Cour de cassation avait alors affirmé que « lorsque le consentement n’est pas libre, qu’il n’est donné que sous l’empire de la crainte inspirée par un mal considérable et présent, auquel la personne ou la fortune est exposée, le contrat intervenu dans ces circonstances est entaché d’un vice qui le rend annulable »18. Pareille solution fut retenue pour un patient gravement malade ayant accepté de verser des honoraires excessifs à son médecin, pour le salarié acceptant des conditions de travail manifestement déséquilibrées en raison d’impératifs familiaux19 et une approche similaire avait été adoptée par le législateur lorsque la question de la validité des contrats passés sous la pression de l’occupant se posa20.

L’état de nécessité, entendu comme une situation de détresse qui prive la partie concernée de son choix de refuser les conditions désavantageuses de l’engagement, ne se distingue pas nécessairement de l’état de dépendance vis-à-vis de son contractant – la prudence du pouvoir exécutif paraît quelque peu excessive.

2 – La dépendance de la partie victime

L’on pouvait légitimement s’attendre à ce que le texte reprît l’expression de « dépendance économique ». Il n’en est rien : le futur article 1143 vise uniquement la dépendance de la partie lésée. En soi, la dépendance n’est pas nécessairement circonscrite au seul cadre économique : il peut s’agir d’une dépendance morale, filiale, envers le cocontractant – à cet égard, il n’est pas inintéressant de relever que les textes relatifs à la violence ne font plus état de la crainte révérencielle envers les ascendants, qui était présumée exempte de violence21. Néanmoins, l’utilisation de ce substantif rappelle immanquablement la jurisprudence de la haute juridiction en matière de violence dite économique22 et l’article L. 420-2, alinéa 2 du Code de commerce, introduit en 1986, qui liste, parmi les pratiques anticoncurrentielles, « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur »23. La dépendance en droit de la concurrence y est réprimée, non en tant que vice du consentement, mais comme atteinte à la liberté de la concurrence24.

Ainsi, en 2000, la première chambre civile de la Cour de cassation avait retenu que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion25. Cette décision avait fait couler beaucoup d’encre en son temps26, et avait pu être légitimement perçue comme une avancée pour la prise en considération de la réalité de la dépendance économique dans les relations contractuelles. Pourtant les magistrats de la Cour suprême se sont révélés ultérieurement plutôt réticents à l’admission de la violence économique27.

Un arrêt récent illustre tout à fait le caractère restrictif de la violence « contrainte économique ». Dans cette décision, la Cour de cassation précise assez finement l’analyse de la dépendance économique28 : selon elle, il s’agit d’une situation dans laquelle le cocontractant ne peut se défaire des liens contractuels tissés ; le fait qu’en l’espèce celui-ci ait la possibilité de trouver un autre partenaire est exclusif de toute dépendance économique et rend donc inopérante la qualification de violence dans ces cas.

Cette solution se comprend aisément au regard de la jurisprudence de la Cour en matière d’abus de dépendance économique en droit de la concurrence. La situation de dépendance y est pareillement appréciée de façon stricte : la haute juridiction considère que la dépendance se traduit par l’impossibilité pour une entreprise de substituer à son cocontractant un autre29.

Ainsi, au vu de cette concordance jurisprudentielle, et avec toute la prudence requise, l’on perçoit donc difficilement comment le futur texte infléchirait la solution : la situation de la partie se prétendant lésée doit s’apprécier concrètement30, et la dépendance est antonymique de toute alternative contractuelle.

Dans les deux situations visées par le texte, la faiblesse d’une partie restreint drastiquement sa capacité de choix, annihile son pouvoir de négociation, et la pousse alors à accepter des conditions contractuelles éminemment défavorables. La seule situation de faiblesse n’est pas en soi constitutive de violence : encore faut-il que la partie forte en ait profité pour imposer un accord particulièrement désavantageux31.

II – Un engagement manifestement déséquilibré

Les conditions personnelles de la partie lésée lui sont, au moment de la conclusion du contrat, défavorables ; mais pour que la violence soit reconnue, il faut en outre que les conditions contractuelles apparaissent manifestement désavantageuses ; que l’auteur de la violence en tire un « avantage manifestement excessif ». Une fois observés les critères permettant de déceler l’abus – la faute, dans la conclusion du contrat (culpa in contrahendo) – révélé d’après son contenu (A), il faudra s’intéresser aux remèdes offerts à la victime (B).

A – Le caractère abusif de l’engagement

La formule du projet d’ordonnance rappelait fortement celle de l’article 1116 du Code civil relative au dol : « sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ». « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » – désormais remaniée pour la définition de ce vice du consentement32 – et celle du nouvel article 1130 du Code civil 33.

Mais, certainement pour tenir compte des critiques à l’encontre de ce texte, la formule « un avantage manifestement excessif » lui a été préférée ; l’on peut toutefois légitimement douter que la différence soit notable : une appréciation nécessairement subjective du juge sera nécessaire et que ce soit pour cette formule ou celle du projet, il est certain que le risque de subjectivité, d’arbitraire, sera présent.

La partie forte abuse de sa position pour imposer à la partie faible un engagement auquel elle n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse. Le caractère abusif se traduit donc par des conditions contractuelles essentielles fortement déséquilibrées (1) qu’il faudra apprécier (2).

1 – Un déséquilibre manifeste dans les obligations essentielles des parties

L’avantage manifestement excessif paraît être similaire à l’expression de déséquilibre significatif ; il faut qu’il y ait un excès. En effet, classiquement, le seul fait de contracter avec une personne placée dans une situation inextricable n’est pas constitutif à lui seul de la violence : « il y a faute, non pas certes à contracter avec quelqu’un qui ne peut s’abstenir de le faire, mais à exploiter l’état de nécessité où se trouve l’intéressé »34.

En l’état du droit, il faut donc qu’il y ait eu une exploitation abusive de cette situation précontractuelle : il est nécessaire que les agissements, ou les menaces, de l’autre partie aient été illégitimes35, précise la Cour de cassation. Ou plutôt, dans ces situations-là, il faut que les menaces – ou la faiblesse de la partie lésée – aboutissent à un engagement illégitime, en ce sens qu’elle a obtenu de la victime un engagement fortement désavantageux ; si tel n’est pas le cas, le consentement aura été forcé, mais la nullité ne saurait être obtenue36.

Ce futur texte paraît reprendre cette position jurisprudentielle : il y a bien violence lorsque la partie abuse de la situation compromise de l’autre pour la contraindre à accepter un engagement auquel elle n’aurait pas souscrit si elle n’avait pas été placée dans cette situation. Dès lors, il semble nécessaire qu’il y ait eu un abus manifeste se traduisant dans les obligations respectives des parties. Bien que cette condition ne figurât pas dans la version initiale du projet, il semblait que celle-ci fût implicite : le simple fait que les conditions fixées soient désavantageuses pour une partie en situation de dépendance n’aurait pas suffi à ouvrir la voie à l’annulation du contrat pour violence. Toutefois, et très certainement en réponse aux critiques adressées à cette disposition37, le pouvoir exécutif a jugé bon de revoir le texte et d’y insérer l’avantage manifestement abusif, formule qui reprend l’idée du déséquilibre significatif présent dans certains droits étrangers38, dans l’avant-projet Catala39 et dans la prohibition des « clauses abusives » entre professionnels40 – expression d’ailleurs reprise dans l’article du Code civil relatif aux clauses abusives dans les contrats d’adhésion41 qui rentrera en vigueur cette année (v. infra).

La question cruciale réside donc dans la qualification de l’abus qui se manifeste dans les termes du contrat : abuser signifie ici que l’une des parties contraint son cocontractant à accepter des conditions qu’il n’aurait pas acceptées dans une situation « normale ». De quelles conditions s’agit-il ? Un vice du consentement ne peut porter que sur un élément essentiel du contrat, son corps même. En effet, il ne semble pas que la violence visée par l’article 1143 du Code civil puisse être invoquée afin de demander la suppression de « clauses abusives » dans le contrat ; ce serait d’ailleurs contraire à l’économie des nouveaux textes issus de la réforme puisque le projet sanctionne les clauses du contrat créant un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties, déséquilibre ne portant ni sur l’objet ni sur le prix du contrat42.

Étant définie la matière à laquelle la violence s’applique, l’objet du contrat43, sur les obligations essentielles des cocontractants donc, reste à déterminer l’ampleur de l’abus imposé par la violence.

2 – L’appréciation du déséquilibre contractuel

Comment caractériser un « engagement » auquel la partie dans un état de faiblesse n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cet état ? La conséquence de la violence pratiquée sur la partie lésée est ainsi l’extorsion d’un accord fortement déséquilibré en sa défaveur. Sur ce point il n’est pas inintéressant de constater que les principes Unidroit évoquent un « avantage excessif » conféré à l’une des parties, de même que les principes européens de droit des contrats44. Le nouveau texte sera-t-il plus exigeant que ces formules ? Tout dépendra de l’appréciation qu’en feront les juges.

La violence se caractérise ainsi par le fait que les deux obligations essentielles des parties sont fortement déséquilibrées ; le déséquilibre apparaît tellement manifeste que la partie lésée n’aurait pas accepté les termes du contrat si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse. L’appréciation de la situation de faiblesse doit se faire in concreto, au moment de la conclusion du contrat contesté ; l’appréciation du déséquilibre doit se faire à sa lecture – ou à son étude.

Le désavantage excessif, si c’est ainsi qu’on l’entend, de la partie lésée s’analyse au regard de l’obligation essentielle de son cocontractant, ce qui revient au passage à analyser d’une certaine manière la cause de son obligation45, dont l’esprit demeure malgré son inhumation programmée. Si le défaut de cause ne peut qu’être synonyme de déséquilibre – ou plutôt d’absence totale d’équilibre –, il devient bien plus complexe de le déceler lorsque celle-ci existe bel et bien (même sous les traits du « contenu » ou du « but »46, pour reprendre les nouveaux concepts de l’ordonnance). La question vient alors se placer sur le seuil de cet abus, de ce déséquilibre.

L’analyse du déséquilibre porte alors sur l’objet du contrat et sur l’adéquation du prix à la prestation, en prenant le contenu du contrat isolément donc, et sur la position d’équilibre auquel il aurait dû être posé. Mais il ne semble pas que les juges pourront se satisfaire du cloisonnement du rapport d’obligations des parties en faisant abstraction de conventions similaires. À cet égard, il convient de noter que les principes Unidroit assimilent le déséquilibre significatif (puisque l’avantage est excessif) au regard des parties, bien évidemment, mais également au regard des usages similaires – autrement dit, erga omnes et inter partes. En effet, les principes européens d’un droit des contrats précisent que le tribunal peut adapter « le contrat ou la clause » « aux exigences de la bonne foi en matière commerciale »47.

Quel est alors le seuil de l’abus dans les conditions contractuelles ? Et, quelle est la valeur étalon permettant de le définir ? La question de l’abus qui caractérise la violence de l’article 1143 du Code civil fait incidemment écho à la réflexion initiée des siècles auparavant sur le juste prix ; ce que « vaut » véritablement une prestation ou un bien. Mais le juste prix tel que posé initialement paraît trop abstrait pour faire l’objet d’une évaluation concrète « si le prix dépasse en valeur la quantité de marchandise fournie, ou si inversement la marchandise vaut plus que son prix, l’égalité de la justice est détruite. Et voilà pourquoi vendre une marchandise plus cher ou l’acheter moins cher qu’elle ne vaut est de soi injuste et illicite »48. L’abstraction de la notion aboutit à une question insoluble telle que la scholastique tardive préférât s’en remettre au marché49. Si les théologiens même se réfèrent au marché, il n’est pas surprenant que les juges en fassent de même ; les prix libres sur un marché fixent la valeur des biens et des services à leur juste valeur. C’est donc nécessairement en référence aux prix pratiqués sur ce marché, à des pratiques similaires, que le déséquilibre manifeste du contrat sera évalué. S’il s’agit d’un moyen d’apprécier le désavantage éloquent, il n’est aucunement question d’équilibrer les prestations réciproques des parties en se fondant sur des pratiques similaires ; ce serait une remise en cause de la liberté contractuelle et de l’impératif de sécurité juridique50. Il n’existe pas de principe de proportionnalité en droit des contrats51 – et le nouveau texte ne l’introduit nullement ; la simple lésion ne suffit donc pas à entraîner l’annulation du contrat52.

Ce texte ne permettra vraisemblablement pas de remettre en cause tout contrat aux obligations essentielles déséquilibrées sous prétexte que l’une des parties est dans une situation économique désavantageuse. La sagesse des juges les conduira certainement à respecter la lettre du texte : il faut que la partie lésée ait été en situation de faiblesse, la privant donc de son consentement, et que la partie forte ait réellement abusé de ces conditions pour imposer des termes fortement désavantageux.

Si ce texte se rapproche d’une certaine manière de la lésion, il s’en distingue quant aux conséquences53.

B – Les remèdes apportés par le juge au contrat vicié par la violence

De façon prévisible, le nouveau texte reprend la même sanction que celle prévue par le texte originel du Code civil, quoique de façon peut-être plus explicite : comme tout vice du consentement, la violence entraîne la nullité relative du contrat54.

Nul doute que la violence, comme les autres vices du consentement, prend naissance avant la conclusion du contrat, engageant ainsi la responsabilité civile délictuelle de la partie fautive. Ainsi, fort logiquement, la jurisprudence a admis l’allocation de dommages-intérêts à la partie lésée dans le cas de violence55, en sus de l’annulation du contrat, sur le terrain donc de la responsabilité extracontractuelle. Cette situation entraîna le désistement de certaines actions menées sur le terrain du vice du consentement pour se reporter sur le fondement extracontractuel56. Au fardeau de l’annulation du contrat57, est préférée l’action en dommages-intérêts, dont le résultat équivaut, de facto, à un rééquilibrage du contrat.

Sous l’égide de ce nouveau texte, la partie victime pourra donc toujours demander la nullité du contrat, l’allocation de dommages-intérêts ou, cumulativement, les deux. Il n’est cependant pas précisé l’option laissée à la victime, à la différence du projet de réforme présenté par feu le professeur Catala ; ce projet, reprenant une formule proche de celle de l’article 1382 du Code civil, prévoyait qu’« indépendamment de l’annulation du contrat, la violence, le dol ou l’erreur qui cause à l’une des parties un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »58.

En ce sens, l’objectif fixé par l’article 8 de la loi d’habilitation n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures de « simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat » et de « clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité qui sanctionnent les conditions de validité du contrat » n’est pas complètement atteint. En effet, il est fort à parier que le justiciable confronté à une situation de violence telle que définie par le texte ne comprenne pas l’option qui lui est laissée sans recourir aux services d’un juriste, un flou non négligeable à une époque où le principe de clarté de la loi et l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ont acquis valeur constitutionnelle59.

Une autre critique peut être adressée à ce texte, comme à l’ensemble du texte au sujet des vices du consentement d’ailleurs, celui d’un formalisme épuré au détriment d’un réalisme qui serait de meilleur aloi. En effet, le tabou – français semble-t-il60 – de la réfaction du contrat par le juge plane toujours sur ce texte. Le juge ne peut toujours pas modifier le contrat, le rééquilibrer donc, afin d’effacer le défaut dont il est entaché. Cet interdit qui trouve son fondement dans le principe de l’autonomie de la volonté a pourtant connu de multiples fêlures. En effet, dans quelques situations, le juge s’est octroyé le soin de modifier certaines clauses contractuelles, parfois relatives au prix de l’objet du contrat61, mais également dans certains contrats comme le mandat où il procède à une réduction de prix62. Dans le cas particulier de l’état de nécessité, en matière d’assistance maritime, le législateur lui a même reconnu cette possibilité63.

Certes, il pourra être rétorqué que ces quelques situations ne concernent pas – au moins directement – les vices du consentement ou des hypothèses extrêmement limitées. Soit. Mais qu’en est-il de cette réduction de prix lorsqu’elle concerne un vice du consentement, le dol ? En effet, la Cour de cassation, quoique parfois discrètement, accorde une place à cette « habituée du palais »64 : l’action en réduction d’obligations excessives. En matière de dol, la haute juridiction reconnaît son fondement civiliste : « pour rejeter la demande de la SARL en réduction du prix de la cession, l’arrêt retient que ce type de dédommagement est le privilège de l’action estimatoire (…) en statuant ainsi, alors que l’acquéreur pouvait invoquer le dol pour conclure seulement à une réduction de prix, la cour d’appel a violé le texte susvisé »65.

Si d’aucuns rétorqueront que l’allocation de dommages-intérêts et/ou l’annulation du contrat aboutissent à un résultat semblable à celui du rééquilibrage du contrat, dont le résultat n’apporte rien en pratique et heurte la logique bien établie de la distinction de nature de fondement des actions, il n’en demeure pas moins que la réfaction directe du contrat par le juge présente un intérêt non négligeable, en particulier lorsqu’il s’agit de contrats à exécution successive – dans le cadre de relations commerciales suivies, par exemple. Dans ces situations-là, l’intérêt de la victime serait que le contrat continue à courir, mais à des conditions plus équitables. Ainsi, reconnaître à la partie lésée une action « quanti minoris », semblable à l’action estimatoire en matière de garantie des vices cachés – ou « quanti marjoris »66, s’il s’agit de l’objet du contrat qui a été sous-évalué – permettrait une clarification et une officialisation de ce recours fort utile à la partie victime.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Vote du 16 avril 2014 de l’Assemblée nationale rétablissant l’habilitation en vue de réformer par voie d’ordonnance le droit des contrats dans le cadre du projet de loi relatif à la « modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ».
  • 2.
    C. civ., art. 1140 : « Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable » ; C. civ., art. 1143 : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (Ces textes rentreront en vigueur le 1er octobre 2016 – article 9 de l’ordonnance n° 2016-131).
  • 3.
    Futur article 1143 du Code civil : v. supra.
  • 4.
    Chenede F., « L’équilibre contractuel dans le projet de réforme », RDC 2015, p. 365.
  • 5.
    Abstraction proche de celle présentée par Pothier R.-J. : « l’homme d’une fermeté ordinaire », donc un personnage qui dans une situation de crainte n’est ni couard ni téméraire ; Pothier R.-J., Œuvres posthumes contenant les traités de la procédure civile et criminelle, t. 3, 1778, p. 315.
  • 6.
    Luby M., « La notion de consommateur moyen en droit communautaire : une commode inconstance… », Contrats, conc. consom. janv. 2000, chron. n° 1.
  • 7.
    Dejean de la Bâtie N., Appréciation “in abstracto” et appréciation “in concreto” en droit civil français, 1965, LGDJ, n° 288 ; Ghestin J., Traité de droit civil, Les obligations, Le contrat : formation, 3e éd., 1993, LGDJ, n° 588 ; Mazeaud J. et Chabas F., Leçons de droit civil, Les obligations, Théorie générale, vol. 1, t. 2, 9e éd., 1998, Montchrestien, n° 204, cité par Petit B. et Rouxel S., in « Contrats et obligations – Violence », JCl. Civil (art. 1111 à 1115), fasc. n° 33, 2013, LexisNexis.
  • 8.
    Certaines affaires illustrent parfaitement l’approche in concreto retenue par les juges en matière de violence : v. notamment : Cass. 1re civ., 22 avr. 1986, n° 85-11666 : Bull. civ. I, n° 98 (appréciation de la violence du père pour imposer une convention déséquilibrée à son fils, fragile psychologiquement) ; Cass. 3e civ., 13 janv. 1999, n° 96-18309 : Bull. civ. III, n° 11 ; RTD civ. 1999, p. 381, obs. Mestre J. ; D. 2000, p. 76, note Willmann C. ; Defrénois 30 juin 1999, n° 37008, p. 749, note Delebecque P. (une femme sous l’emprise d’une secte et séparée de son mari tout en ayant la charge de ses enfants – qu’elle était donc « vulnérable » – avait conclu un contrat lui étant fort défavorable ; les juges avaient ainsi retenu que ces éléments étaient de nature à faire impression sur une personne raisonnable).
  • 9.
    Sur le caractère insoluble de la liberté contractuelle, v. not. : Chazal J.-P., « Violence économique ou abus de faiblesse », in « Réforme du droit des contrats : le débat », Dr. & patr. hebdo, n° 240, p. 47.
  • 10.
    L’avant-projet Catala, 22 sept. 2005, art. 1114-3, al. 2.
  • 11.
    En ce sens, v. not. : Cass. 1re civ., 3 nov. 1976 : Gaz. Pal. Rec. 1977, I, p. 67, note Damien A.
  • 12.
    v. infra.
  • 13.
    C. civ., art. 1142 (numérotation telle que prévue dans le projet d’ordonnance) : « Il y a également violence lorsqu’une partie abuse de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse ».
  • 14.
    Projet Catala, art. 1114-3, al. 1.
  • 15.
    Le professeur français cite l’exemple donné par Pufendorf : « si étant attaqué par des voleurs, j’aperçois quelqu’un à qui je promets une somme pour qu’il me vienne délivrer d’entre leurs mains, cette obligation, quoique contractée sous l’impression de la crainte de la mort, sera valable ». Pothier, Traité des obligations, t. 1, 1805, Paris, Librairie Letellier, n° 24. La solution dégagée par Pothier s’échappe de la violence vice du consentement pour rejoindre celui de la lésion. Sur la lésion et la violence, v. infra.
  • 16.
    On garde en mémoire la fameuse affaire Louise Ménard qui fut exonérée de sa responsabilité par le bon juge Magnaud, décision confirmée en appel (Amiens, 22 avr. 1898). Cette solution fut retenue par la jurisprudence, sans qu’aucun texte ne la prévît. Le législateur l’inscrivit dans le nouveau Code pénal en 1994 (Jourdain P., JCl. Civil, (art. 1382-1386), fasc. n° 121-20 : « Droit à réparation. Responsabilité fondée sur la faute – Faits justificatifs », 2012, n° 45). C. pén., art. 122-7 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».
  • 17.
    Lallement P., L’état de nécessité en matière civile, thèse, 1922, Paris, PUF ; Pallard R., L’exception de nécessité en droit civil, thèse, 1949, Poitiers.
  • 18.
    Cass. req., 27 avr.1887 : D. 1881, p. 263. Cette solution fut reprise par le législateur avec la loi du 24 avril 1916, puis avec la loi n° 67-545 du 7 juillet 1967 relative aux événements en mer (article 15 de ladite loi), cité par Chauvel P., JCl. Contrats distribution, fasc. n° 45, ; Fabre-Magnan M., Les obligations, 2004, PUF, p. 303-304. L’on peut d’ailleurs se demander s’il existe véritablement un contrat dans ce cas, vu qu’il n’y a eu aucun consentement de la part de la personne naufragée : en ce sens, Montas A., Le quasi-contrat d’assistance : essai sur le droit maritime comme source du droit privé, thèse, Nantes, 2005.
  • 19.
    CA Rennes, 20 mars 1929 : S. 1929, p. 255 ; Cass. soc., 5 juill. 1965, n° 62-40577 : Bull. civ. IV, n° 545.
  • 20.
    Ord. n° 45-770, 21 avr. 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de ceux de leurs biens qui ont fait l’objet d’actes de disposition, cité Petit B. et Rouxel S., « Contrats et obligations – Violence », in JCl. Civil (art. 1111 à 1115), 2013, LexisNexis, fasc. unique.
  • 21.
    La rédaction de ces textes suivrait ainsi une évolution sociétale en matière contractuelle, déjà traduite dans la loi de 2006 qui faisait de la violence légitime une cause de nullité du mariage. Voir sur ce sujet : Genzaoui Y., « La crainte révérencielle », D. 2010, p. 984.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15242, v. infra.
  • 23.
    Ce texte tant espéré à l’époque n’a connu que peu de succès : Boy L., « Abus de dépendance économique : reculer pour mieux sauter ? », RLC juin 2010, p. 94 ; Pedamon M., « 20 ans de répression des abus de puissance d’achat », RLC mars 2007, cités par Nicolas-Vullierme L., Droit de la concurrence, 2e éd., 2011, Vuibert. En outre, depuis sa promulgation, d’autres dispositions sont venues sanctionner des pratiques anticoncurrentielles spécifiques, ce qui laisse peu d’espoir quant à une généralisation de son application. Malaurie-Vignal M., Droit de la concurrence interne et communautaire, 3e éd., 2005, Armand Colin. Sur la question de l’articulation de ces deux textes, Montels B., « La violence économique, illustration du conflit entre droit commun des contrats et droit de la concurrence », RTD com. 2002, p. 417.
  • 24.
    Malinvaud P. et Fenouillet D., Droit des obligations, 12e éd., 2012, LexisNexis, p. 160, n° 211. Sur les conséquences de cette distinction, v. infra.
  • 25.
    Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15242 : « Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
  • 26.
    Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-15242 : Bull. civ. I, n° 169 ; D. 2000, p. 879, note Chazal J.-P. ; D. 2001, p. 1140, obs. Mazeaud D. ; JCP G 2001, II, n° 10461, note Loiseau G. ; Defrénois 15 oct. 2000, n° 37237, obs. Delebecque P. ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. n° 142, note Leveneur L. ; RTD civ. 2000, p. 827, obs. Mestre J. et Fages B., RTD civ. 2000, p. 863, obs. Gautier P.-Y. ; LPA 11 avr. 2001, p. 17, note Belmonte L.
  • 27.
    À la suite de cet arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation n’a jamais reconnu la violence sur ce terrain-là. Sur ce point, voir Ghestin J., Loiseau G. et Sérinet Y.-M., Traité de droit civil, La formation du contrat, t. 1, Le contrat – Le consentement, 4e éd., 2013, LGDJ, n° 1511.
  • 28.
    La première chambre civile de la Cour de cassation avait retenu qu’« ayant relevé que la société [de courtage], dont le rang dans le classement des courtiers en France et le chiffre d’affaires, supérieur en 2006 à celui réalisé par son partenaire, témoignaient d’une position éminente sur le marché du courtage en assurance, n’avait entrepris aucune démarche avant la prise d’effet de la résiliation de la première convention, alors pourtant qu’elle n’était pas liée à la société [d’assurances] par une clause d’exclusivité, pour trouver un nouvel assureur auprès duquel placer les risques, comme elle allait le faire avec succès lors la résiliation de la seconde convention, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, faisant ressortir l’absence d’état de dépendance économique du courtier grossiste, justifié légalement sa décision de rejeter l’exception de nullité pour violence, par contrainte économique », Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 13-28278 : RTD civ. 2015, p. 371, obs. Barbier H. ; Gaz. Pal. 9 juill. 2015, n° 231y8, p. 16, obs. Houtcieff D.
  • 29.
    Cass. com., 16 déc. 2008, n° 08-13243 ; Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-21948.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 13-28278, v. supra ; au sujet de l’appréciation concrète de la situation de dépendance économique en droit de la concurrence, v. not. : Cass. com., 10 déc. 1996, n° 95-10931 : Bull. civ. IV, n° 309.
  • 31.
    Cette disposition civiliste rappelle l’abus de faiblesse : v. not. Chazal J.-P., « Violence économique ou abus de faiblesse », in Réforme du droit des contrats : le débat, op. cit.
  • 32.
    Le futur article 1136 du Code civil définit le dol comme « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres, des mensonges ou par la dissimulation intentionnelle d’une information qu’il devait lui fournir conformément à la loi ». Sur le terrain de la réticence dolosive, cette disposition opère un changement de perception : il y est fait mention aux prescriptions légales en matière d’obligations précontractuelles, référence objective, et non à la situation subjective du cocontractant trompé par le manque d’informations.
  • 33.
    C. civ., art. 1130 du texte de la Chancellerie : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».
  • 34.
    Flour J., Aubert J.-L. et Savaux E., Droit civil, Les obligations, L’acte juridique, 15e éd., 2012, Dalloz-Sirey, n° 224.
  • 35.
    V. Cass. com., 21 févr. 1995 : Bull. civ. IV, n° 50 ; RTD civ. 1996, p. 391, obs. Mestre J. ; Cass. com., 20 mai 1980, n° 78-10833 : Bull. civ. IV, n° 212, cassant CA Paris, 27 sept. 1977 : D. 1978, p. 690, note Souleau H. Sur la « violence économique », v. sur ce point : Cass. 1re civ., 3 avr. 2002, n° 00-12932 : D. 2002, p. 1860, note Gridel J.-P. et Chazal J.-P. ; Defrénois 15 oct. 2002, p. 1246, note Savaux E. ; RTD civ. 2002, p. 502, obs. Mestre J. et Fages B. Dans cet arrêt, la Cour retient que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne peut vicier de violence son consentement ».
  • 36.
    Cass. 3e civ., 17 janv. 1984, n° 82-15753 : Bull. civ. III, n° 13 : « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code civil que s’il y a abus de cette voie de droit, soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif », cité par Benabent A., Droit civil – Les obligations, 10e éd., 2005, Montchrestien, p. 71, n° 94.
  • 37.
    Ainsi, notamment, le professeur Tournafond considère-t-il que cette disposition « ouvre très largement la porte à l’arbitraire du juge et à l’insécurité contractuelle », Tournafond O., « Le projet de la Chancellerie de réforme du droit des contrats – Commentaire raisonné et critique », Dr. & patr. hebdo n° 241, p. 38.
  • 38.
    Sur ce point, Hugo Barbier, « Le vice du consentement pour cause de violence économique », « Dossier : réforme du droit des contrats : le débat », Dr. & patr. hebdo p. 50-53.
  • 39.
    Avant-projet Catala, art. 1114-3, al. 1 : « Il y a également violence lorsqu’une partie s’engage sous l’empire d’un état de nécessité ou de dépendance, si l’autre partie exploite cette situation de faiblesse en retirant de la convention un avantage manifestement excessif ».
  • 40.
    L’article L. 442-6 du Code de commerce précise qu’engage sa responsabilité le professionnel qui soumet ou tente de « soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ou obtient « ou tente d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ». C. com., art. L. 442-6, I, 2° et 4°, respectivement.
  • 41.
    C. civ., art. 1171, al. 1 : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».
  • 42.
    C. civ., art. 1171, al. 2 : « L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». L’article 1171 du Code civil rappelle ainsi fortement l’article L. 132-1 du Code de la consommation. À ce sujet, il convient de noter que le projet de réforme prévoyait que la sanction de telles clauses était leur possible annulation par le juge (« peut être supprimée par le juge »). Là encore, le ministère, tenant également compte des critiques, a revu le texte. Sur une critique de l’ambiguïté du projet d’ordonnances sur ce point, v. not. : Dissaux N., « Clauses abusives : pour une extension du domaine de la lutte », Dr. & patr. hebdo n° 240, p. 53-56.
  • 43.
    Sur la question de l’emploi de l’expression « objet du contrat » ou « objet de l’obligation », qui serait la plus idoine, v. not. Malaurie P., Aynes L. et Gautier P.-Y., Les obligations, 5e éd., 2011, Defrénois, p. 297-298, § 596 : « Le Code civil se réfère tantôt à “l’objet de l’obligation” (art. 1129), tantôt à “l’objet du contrat” (art. 1120, al. 1 ; art. 1128 ; art. 220, al. 1), ce qui, selon la doctrine dominante, est incorrect car ce qui a un objet est, non le contrat, mais l’obligation. Ainsi, un contrat synallagmatique a-t-il deux objets, ou plus exactement deux objets faisant naître deux obligations, ayant chacune un objet (…) ». Le terme d’objet n’a pas été complètement effacé du projet d’ordonnance, mais apparaît à l’endroit même de l’article relatif aux clauses créant un désavantage significatif entre les parties (v. supra).
  • 44.
    « La nullité du contrat ou de l’une de ses clauses pour cause de lésion peut être invoquée par une partie lorsqu’au moment de sa conclusion, le contrat ou la clause accorde injustement un avantage excessif à l’autre partie », article 3. 2. 7, premier paragraphe, Principes Unidroit relatifs au contrat du commerce international, 2010. ; Principes européens du droit des contrats : article 4 :109 paragraphe 3 : « excessive benefit  », « avantage excessif ».
  • 45.
    « Ainsi l’obligation qui se forme (dans les contrats synallagmatiques), au profit de l’un des contractants, a toujours sa cause de la part de l’autre : et l’obligation serait nulle si dans la vérité elle était sans cause », pour reprendre la définition de Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel, t. 1, 2e éd., p. 65. Définie par la Cour de cassation dans la première moitié du XXe siècle : « Dans les contrats synallagmatiques, l’obligation de l’une des parties a pour cause l’obligation de l’autre, de telle sorte que, si l’obligation de l’une n’est pas exécutée quel qu’en soit le motif, l’obligation de l’autre devient sans cause », Cass. civ., 17 déc. 1928 : DH 1929, p. 52.
  • 46.
    V. notamment article 1161 du futur Code civil : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par son contenu, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ».
  • 47.
    Article 3.2.7, troisième paragraphe des principes Unidroit relatifs au contrat du commerce international.
  • 48.
    Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, t. 3, 2007, Cerf, p. 484.
  • 49.
    De Lugo J., Disputationum de iustitia et iure, tomussecondus, 1642, Lyon, cité par Hayek F., Règle et ordre, t. 1, 1980, PUF. Traduit de l’anglais par Audoin R.
  • 50.
    Mazeaud D., « Lésion », in Répertoire de droit civil, 2012, n° 47.
  • 51.
    Lagarde X., « Sur l’utilité de la théorie de la cause », 2007, Recueil Dalloz ; v. également sur cette question, Pech-Le Gac S., La proportionnalité en droit privé des contrats, thèse, 1997, Paris XI.
  • 52.
    La lésion n’est pas un vice du consentement, bien que la place qu’elle occupe dans le Code civil pourrait amener à penser le contraire : sur ce point, v. notamment Mazeaux D., « Lésion », in Répertoire de droit civil, 2012, nos 5-6.
  • 53.
    En cas de lésion portant sur un immeuble, l’acquéreur peut soit demander la rescision ou le rachat de la lésion : article 1681 du Code civil ; il en va de même pour la lésion portant sur l’achat d’engrais : la lésion « donne à l’acheteur une action en réduction de prix et dommages-intérêts » (article 1 de la loi du 8 juillet 1907 concernant la vente d’engrais).
  • 54.
    Futur article 1141 du Code civil : « La violence est une cause de nullité relative, qu’elle ait été exercée par une partie ou un tiers ». À noter toutefois que certains auteurs considèrent que la violence physique fait obstacle à tout consentement, fût-il vicié, et implique la nullité du contrat ou son inexistence : Petit B. et Rouxel S., « Contrats et obligations – Violence », in JCl. Civil (art. 1111 à 1115), 2013, LexisNexis, fasc. unique, n° 38.
  • 55.
    Cass. 1re civ., 17 juill. 1967 : D. 1967, p. 509 ; dans le même sens : CA Aix-en-Provence, 22 avr. 1974 : Gaz. Pal. Rec. 1974, 2, p. 638, note Raymond.
  • 56.
    Nourrissat C., « La violence économique : beaucoup de bruit pour rien ? », D. 2000, p. 369.
  • 57.
    Annuler le contrat implique de remettre les parties en leur état initial à la conclusion du contrat ce qui peut s’avérer très délicat. Sur la question des restitutions, v. not., Rouviere F., « L’évaluation des restitutions après annulation ou résolution de la vente », RTD civ. 2009, p. 617 ; le nouveau texte procède à une modification de l’état des règles en la matière, fixées jusqu’alors par la jurisprudence : futurs articles 1353, 1353-1 et suivants du Code civil. V. not. : Blanc N., « Les restitutions », Gaz. Pal. 4 juin 2015, n° 225z3, p. 14.
  • 58.
    L’avant-projet Catala, art. 1115, al. 2.
  • 59.
    Cons. const., 29 juill. 2004, n° 2004-500 DC.
  • 60.
    Le Code civil québécois accorde ce pouvoir au juge : article 1407 : « Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat ; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer ». De même, les principes Unidroit accordent la possibilité pour le juge, en cas d’avantage excessif injustifié, lorsque la partie lésée le demande, d’« adapter le contrat ou la clause afin de la rendre conforme aux exigences de la bonne foi en matière commerciale » (article 3.2.7 des Principes Unidroit).
  • 61.
    En ce qui concerne la nullité d’une clause d’indexation, il est arrivé que le juge maintienne le contrat en la ramenant à l’indice légal : Cass. 3e civ., 22 juill. 1987 : Bull. civ. III, n° 151, cité par Benabent A., Droit civil – Les obligations, op. cit., p. 166, n° 220.
  • 62.
    Dans le contrat de mandat, bien qu’aucun texte ne le prévoie, la jurisprudence a admis le pouvoir de révision des honoraires du mandataire ; il s’agit d’une jurisprudence ancienne et constante (Cass. req., 11 mars 1824) ; de même, bien que n’étant pas majoritairement mandataires, le prix du contrat de prestation passé avec des avocats, notaires et autres prestataires de services intellectuels peuvent être revus par les juges : Cass. 1re civ., 5 mai 1998, n° 96-14328 : Bull. civ. I, n° 168 ; Defrénois 5 mai 1998, p. 1042, Delebecque P. ; cités par Malaurie P., Aynès L. et Gautier P.-Y., Les contrats spéciaux, 3e éd, 2007, Defrénois, p. 289, n° 550. En outre, pour les clauses illicites, le juge peut moduler une clause du contrat, la mettant ainsi en conformité avec le droit, afin de permettre le maintien du contrat.
  • 63.
    Article 15 de la loi n° 67-545 du 7 juillet 1967 relative aux évènements en mer ; codifié à l’article L. 5132-6 du Code des transports depuis l’ordonnance ; v. supra.
  • 64.
    « Il y a dans la théorie des obligations, une réductibilité des obligations dont on parle aussi peu que possible. Dans la pratique tout le monde la connaît, c’est une habituée du palais », Perrin J., Essai sur la réductibilité des obligations excessive, thèse, 1905, Paris, p. 1 ; cité par Zambrano G., L’inefficacité de l’action civile en réparation des infractions au droit de la concurrence, thèse, 2012, Montpellier, p. 242, n° 536.
  • 65.
    Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15973, F-D : RDC 2012, p. 1180, Genicon T. ; dans le même sens, v. également : Cass. com., 14 mars 1972, n° 70-12659 : Bull. civ. IV, n° 90 ; D. 1972, p. 653 ; Defrénois 1972, n° 30293, p. 446, Aubert J.-L. ; Cass. com., 23 nov. 1993, n° 92-10284 : Bull. civ. IV, n° 421 ; RTD civ. 1995, p. 354, Mestre J. ; affaires citées par Petit B. et Rouxel S., « Contrats et obligations – Violence », in JCl. Civil (art. 1111 à 1115), 2013, LexisNexis, fasc. unique, n° 46.
  • 66.
    Expression utilisée par un célèbre juriste du XIXe siècle au sujet de la vente : « car il (le vendeur) a l’action quanti majoris, de même que l’acheteur a l’action quanti minoris », Trolong R.-T., De la vente ou commentaire du titre VI du livre III du Code civil, 1835, Paris, Hingray, p. 530.
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