La prévention contractuelle des préjudices environnementaux
L’indemnité des préjudices environnementaux causés par les relations juridiques et économiques est de plus en plus encadrée par la loi. Toutefois, certains contrats porteurs de ces risques environnementaux peuvent entraîner des conséquences financières importantes sur le patrimoine des parties au contrat. Le recours à la technique contractuelle est devenu un instrument incontournable pour gérer et anticiper de tels préjudices environnementaux.
Depuis plusieurs années, la prévention des préjudices environnementaux constitue une priorité pour le législateur. Toutefois, le rôle du contrat n’est pas négligeable dans cette prévention dans la mesure où, dans certains cas, l’arsenal législatif en la matière n’est pas suffisant pour répondre à tous les préjudices écologiques. L’importance de ce rôle du contrat comme instrument de prévention des risques environnementaux a été soulignée dans une déclaration des rapporteurs du Congrès national des notaires de 2008. Ces derniers considèrent que le contrat est « un instrument de prévision par excellence, [que] le contrat offre un outil privilégié de gestion du risque lié à un passif environnemental et, partant, un instrument participant à l’objectif de développement durable »1. En effet, les préjudices environnementaux peuvent être réalisés non seulement par des actes extracontractuels2 mais également par des relations contractuelles. Durant l’exécution de certains contrats, un préjudice environnemental peut survenir. Cet événement peut avoir des effets négatifs sur la stabilité contractuelle dans la mesure où il peut affecter le consentement des contractants. La prévention contractuelle permet de sensibiliser les parties à cette problématique. Si les contractants consentent à cette prévention, la réalisation des préjudices à réparer s’avère moins néfaste pour le maintien de la relation contractuelle. En revanche, la liberté contractuelle dans la prévention de la réalisation du préjudice environnemental n’est pas absolue ; les parties ne peuvent ignorer l’ordre public. Ainsi, le contenu du contrat doit poursuivre l’objectif fixé par l’ordre public environnemental et les contractants doivent prendre en compte cette contrainte lors de la rédaction du contrat.
Toutefois, le respect de l’ordre public par le contrat ne supprime pas son rôle dans la prévention du préjudice environnemental. La prévention contractuelle permet non seulement de combler les lacunes de l’ordre public – qui est concrétisé par les obligations légales –, mais également de renforcer son effectivité3.
Le contrat joue un rôle important dans la protection des intérêts économiques des contractants. L’impact des préjudices environnementaux sur l’économie générale de l’opération envisagée incite, de plus en plus, les parties à prendre en compte la réalisation de tels préjudices dans le contrat. Les parties ne peuvent ignorer un risque environnemental susceptible de bouleverser la prévision économique des contractants. Ainsi, le contrat n’est pas seulement un instrument pour protéger les intérêts des contractants dans la prévention environnementale mais également un instrument pour protéger l’intérêt général. La prévention contractuelle des préjudices environnementaux poursuit l’intérêt général fixé par l’ordre public en la matière. Cette prévention contractuelle « renforce l’effectivité de l’ordre public environnemental par un processus normatif original : dans un premier temps, incités à contractualiser des obligations environnementales pour veiller à leurs propres intérêts, les propriétaires en viennent, dans un second temps, à les concrétiser dans l’intérêt général »4.
Cette prévention contractuelle des risques environnementaux peut trouver de multiples manifestations dans la pratique5. Cette intervention se traduit principalement dans les contrats eux-mêmes porteurs de risques environnementaux. Dans ces contrats, les contractants peuvent insérer des clauses environnementales qui ont pour objet de gérer les préjudices environnementaux. La prévention contractuelle peut également intervenir dans un contrat indépendant des contrats principaux. Ces contrats ont alors pour objet d’anticiper les conséquences liées à la responsabilité écologique des contractants : le contrat d’assurance6, le contrat de dépollution…
Notre étude sera consacrée aux contrats porteurs de risques environnementaux et principalement au contrat de vente immobilier (I) et au contrat de bail commercial (II).
I – La prévention contractuelle des préjudices écologiques dans le contrat de vente immobilier
Le droit des obligations et le droit de l’environnement possèdent des moyens juridiques permettant d’appréhender certains risques environnementaux dans le contrat de vente immobilier. Toutefois, ces moyens sont insuffisants pour répondre à ces dangers7. De ce fait, la technique contractuelle peut renforcer ces moyens législatifs en insérant des clauses environnementales (A). Ces clauses peuvent avoir un rôle dans la gestion des dettes environnementales (B).
A – La clause environnementale : un moyen de renfoncement
Le droit des obligations et/ou le droit de l’environnement imposent certaines obligations précontractuelles et contractuelles aux parties à un contrat comportant un risque environnemental. Ces obligations varient en fonction de chaque type de contrat. Parmi les contrats visés par ces obligations se trouve le contrat de la vente d’un immeuble pollué. Il incombe au vendeur non seulement une obligation d’information générale8 mais également l’obligation de certaines informations spéciales prévues par le droit de l’environnement9. Ces informations sont intégrées dans le contrat de vente. Dans cette perspective, les fausses informations ou encore la réticence dolosive d’une information peuvent conduire à la nullité du contrat. L’acquéreur peut demander la nullité du contrat pour un vice de consentement. Cependant, ces règles n’assurent pas les contractants contre tous les risques environnementaux. Selon l’article 1603 du Code civil, le vendeur doit délivrer le bien vendu en conformité. Mais, cela n’est pas suffisant pour garantir au contractant d’obtenir exactement ce qu’il attend, notamment dans la prévention du risque environnemental. C’est pourquoi, le contrat doit préciser la destination espérée du bien. Pour cela, les contractants doivent insérer une clause de délivrance qui permet de déterminer les caractéristiques de conformité que le vendeur doit respecter lors de la délivrance du bien. Cette clause est considérée comme une mesure de prévention des risques environnementaux et son non-respect par le débiteur conduit à la prise en charge de ces risques par ce dernier. Plusieurs arrêts illustrent le rôle de la clause de délivrance comme mesure de prévention du risque environnemental. Ainsi, dans une affaire relative à la vente d’un immeuble considéré comme dépollué, l’acquéreur a reproché au vendeur une inexécution de son obligation de délivrance. En l’espèce, les parties ont conclu un contrat de vente de terrains en précisant que ces derniers avaient fait l’objet d’une dépollution effectuée par une entreprise privée. Or, après la vente, l’acquéreur a découvert que la dépollution du terrain n’avait pas été totale. Il a donc dû procéder à des travaux de dépollution, et partant, il a réclamé des dommages et intérêts. La Cour de cassation a cassé la décision prise par la cour d’appel au motif que « l’acte de vente mentionnait que l’immeuble avait fait l’objet d’une dépollution, ce dont il résultait que le bien vendu était présenté comme dépollué et que les vendeurs étaient tenus de livrer un bien conforme à cette caractéristique »10. Cette affaire montre l’impact de l’existence des clauses environnementales dans le contrat de vente immobilier. Elle permet aux juges d’apprécier si le vendeur a bien respecté son obligation environnementale à savoir si le bien immobilier a été livré dans l’état prévu dans la convention contractuelle. Lorsqu’une obligation environnementale n’a pas été insérée dans le contrat, le respect de l’exécution de cette obligation devient plus difficile. Les juges vont apprécier l’existence d’une telle obligation de manière subjective en fonction des informations reçues par les parties. Une affaire relative à la vente d’un immeuble en l’absence d’une clause déterminant l’état de pollution illustre cette difficulté d’appréciation : le cédant a assigné le vendeur en justice afin d’obtenir une diminution du prix sur le fondement du manquement à l’obligation de délivrance car le terrain contenait des gravats polluants. Confirmant la position de la cour d’appel, la Cour de cassation a rejeté la demande présentée par l’acquéreur en considérant « qu’ayant relevé que l’acquéreur, qui avait pu constater lors de ses visites des lieux l’existence d’un dépôt de gravats sur une parcelle et avait été informé qu’il constituait une installation de classe 4 soumise à autorisation, avait accepté d’acheter l’immeuble incluant cette parcelle, et retenu que le caractère polluant de ces matériaux n’était pas connu des parties lors de la vente, la cour d’appel a pu en déduire que la présence de matériaux polluants sur l’immeuble ne constituait pas un manquement à l’obligation de délivrance »11. Cette décision nous montre l’importance de l’insertion d’une clause sur l’état de pollution dans le contrat. L’absence d’une telle précision met en évidence les difficultés liées à la preuve du manquement du vendeur à son obligation de conformité de la chose vendue. Par le biais de cette clause de délivrance, qui peut être qualifiée de clause de dépollution, le cédant serait contraint de se préoccuper de la prévention de la réalisation d’un préjudice environnemental. La seule découverte d’une pollution permet d’actionner cette clause. C’est pourquoi, la clause doit être rédigée de façon claire et précise.
La prévention contractuelle de préjudices environnementaux issus d’une vente immobilière ne s’arrête pas à l’état environnemental du bien avant la vente. La pollution peut être réalisée après la vente, la raison de cette pollution étant attachée à un vice avant la délivrance. En principe, selon le droit commun du contrat, le vendeur a l’obligation de garantir la chose de tout vice caché de nature environnementale qui trouve son origine avant la date de la vente. Lorsque l’acquéreur découvre l’existence d’une pollution sur le bien immobilier, ce dernier peut mettre en cause le contrat de vente (action rédhibitoire) ou au moins demander que lui soit versée une somme équivalente au montant des travaux nécessaires pour remédier à la pollution (action estimatoire). La jurisprudence admet que la pollution puisse constituer un vice caché rendant l’immeuble impropre à sa destination dès lors que toute construction se révèle risquée pour la santé ou la sécurité tant des participants au chantier que des futurs utilisateurs12. Toutefois, l’acquéreur ne peut pas mettre en œuvre les règles de vice caché pour toute pollution trouvée sur la chose vendue. Il faut que cette pollution rende la chose impropre à l’usage auquel on la destine. Cela peut conduire à écarter certaines pollutions qui ne sont pas de nature à rendre la chose impropre à l’utilisation qui en était attendue, et partant, l’acquéreur va supporter le coût de la dépollution13. Dans cette perspective, l’existence d’une stipulation contractuelle déterminant les engagements relatifs à la qualité environnementale du bien permet de protéger davantage l’acquéreur de l’existence d’un vice caché de nature écologique. Ainsi, la Cour de cassation a pris en compte la clause environnementale souscrite par une commune afin d’engager la responsabilité de cette dernière pour l’existence d’un vice caché lors de la vente d’un site14.
En revanche, la liberté contractuelle dans la prévention contre le vice caché de nature environnementale n’est pas absolue. Les contractants ne peuvent insérer une clause de non garantie car elle est contraire à l’ordre public environnemental15. Le refus de l’insertion d’une telle clause n’est pas fondé sur la protection de l’acquéreur mais sur la protection de l’intérêt général environnemental.
B – La prévention contractuelle : moyen de gestion des dettes environnementales
Les contractants peuvent gérer les obligations environnementales au moyen de clauses insérées au contrat. On songe principalement au passif environnemental lors de la vente d’un site pollué. Les parties peuvent aménager conventionnellement la dette environnementale16. La prévention de la réalisation d’un passif environnemental peut être envisagée par la mise en place d’une clause de garantie de passif. Par cette clause, le vendeur soit s’engage à indemniser le cessionnaire en cas de découverte d’un site pollué ou si la pollution est plus importante que celle qui a été déclarée dans le contrat, soit s’engage à procéder à la réhabilitation du site17. L’efficacité de cette clause est plus nette dans la cession des biens pollués qui sont hors ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) dans la mesure où la cession de ces biens n’est pas soumise aux réglementations spéciales prévues par le droit de l’environnement. En effet, si les sites font partie d’ICPE, le dernier exploitant de l’activité polluante est le débiteur de cette pollution. La loi ALUR considère le vendeur comme dernier exploitant lorsqu’une pollution a été constatée rendant le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat18. La jurisprudence a adopté cette position à plusieurs reprises. Elle considère que l’obligation de remise en état pèse sur le vendeur et que la cession de terrain ne l’exonère pas de son obligation sauf si le cessionnaire s’est substitué à lui en qualité d’exploitant19.
Par ailleurs, les parties peuvent convenir de transférer à l’acquéreur tout ou partie des obligations relatives à la remise en état du site ou à la dépollution. L’efficacité de l’application de cette clause rencontre certaines difficultés dans les ICPE, le cessionnaire ne pouvant pas prétendre à l’existence d’une telle clause devant l’Administration pour s’exonérer de son obligation de remise en état. À cet égard, à plusieurs reprises, la jurisprudence a affirmé que l’exploitant d’un site classé ne peut pas opposer à l’Administration les contrats de droit privé qui en confient les charges environnementales à autrui20. Toutefois, les parties peuvent convenir de transférer les charges de dépollution à un tiers. En effet, la loi ALUR a confirmé légalement ces pratiques. Elle a autorisé la substitution d’un tiers intéressé par la réalisation des travaux de réhabilitation à la condition qu’il dispose des compétences techniques et financières nécessaires21.
La garantie de passif environnemental joue un rôle essentiel dans les opérations du haut bilan lorsque les sociétés exploitent des sites ou installations réglementés par le droit de l’environnement. Cette clause s’intéresse aux autorisations administratives nécessaires à l’exploitation, à la conformité de l’exploitation aux lois et règlements applicables en matière environnementale, à l’absence de pollution sur les sites exploités par la société, ou encore aux conditions d’exploitation qui sont susceptibles de générer une pollution sur les sites. Cette clause va préciser le préjudice environnemental indemnisable qui correspond le plus souvent au coût de dépollution ou à la perte d’exploitation. Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 octobre 2011, a illustré l’efficacité de la clause de garantie de passif environnemental dans les opérations sociétales22. En l’espèce, un supermarché et une station-service ont été vendus par une société et les parties ont inséré une clause de garantie de passif environnemental. En raison d’une pollution liée à une fuite d’hydrocarbure, un tiers a assigné en justice le cessionnaire qui a appelé le cédant pour sa garantie de passif dans l’acte de cession. La cour d’appel a refusé la demande du cessionnaire de faire appel à la garantie souscrite par le cédant en raison de l’absence d’une condamnation formée à l’encontre du cédant. La Cour de cassation a cassé cette décision au motif que l’absence de condamnation à l’encontre du cessionnaire « ne privait pas d’objet la demande dirigée contre les cédants dès lors que cette demande tendait à l’exécution de la convention de garantie d’actif et de passif conclue avec ces derniers ».
La mise en œuvre de la garantie de passif environnemental par le cessionnaire n’est efficace que si la clause a été rédigée de manière claire et précise. En effet, dans une affaire relative à la cession d’une société spécialisée dans le traitement de fûts d’hydrocarbures et de solvants, les parties ont inséré une clause de garantie de passif. Un contentieux a eu lieu entre les contractants après l’apparition du passif environnemental. La cour d’appel de Paris a refusé une des demandes présentées par le cessionnaire pour engager la responsabilité du cédant en se basant sur la clause de garantie. Elle a considéré que l’acte de cession ne mentionnait aucune obligation de procéder à la dépollution à la charge du cédant23.
Il convient de noter que la prévention de passif environnemental peut être réalisée en intégrant également des clauses interdisant au repreneur d’exercer certaines activités ou limitant la destination du bien24. Cette possibilité, déjà reconnue dans la pratique, a été récemment consacrée par le législateur. La loi du 8 août 2016 a créé ainsi l’obligation réelle environnementale. Afin de protéger l’intégrité environnementale du bien, le propriétaire peut conclure un contrat avec une collectivité ou un établissement public. Par ce contrat environnemental, le propriétaire met non seulement à sa charge mais également à la charge des futurs acquéreurs du bien des obligations réelles environnementales25. Ces obligations sont source de responsabilité environnementale. Elles engagent la responsabilité civile contractuelle en cas de manquement de la part de celui qui les a souscrites. Ce contrat environnemental protège non seulement les intérêts personnels du propriétaire mais également l’intérêt général environnemental. On peut imaginer que le contrat conclu prévoie des obligations telles que l’interdiction de certaines plantations ou l’interdiction de l’utilisation d’OGM, de pesticides ou autres produits néfastes pour la biodiversité.
Le rôle du contrat dans la prévention des préjudices environnementaux ne se limite pas au contrat de vente immobilier, ce rôle étant également important dans le contrat de bail commercial.
II – La prévention contractuelle des préjudices écologiques au sein du bail commercial
La prise en compte de données environnementales est de plus en plus présente dans la rédaction des baux commerciaux. En effet, une grande partie des activités industrielles qui causent des préjudices environnementaux (pollution, déchets) sont exercées dans le cadre d’un bail commercial. Le contrat peut jouer un rôle non négligeable dans la prévention des risques environnementaux. Ce rôle se traduit dans les deux obligations majeures du bail commercial, à savoir, d’une part, l’obligation qui pèse sur les bailleurs de fournir au locataire un local à usage d’activité industrielle en conformité à l’égard de l’environnement, (A) d’autre part, l’obligation faite au locataire de restituer le bien loué exempt de toute pollution (B).
A – La prévention contractuelle de l’obligation de conformité environnementale du bien loué
L’obligation de conformité du bien loué qui pèse sur le bailleur est encadrée par la loi. Selon les articles 1719 et suivants du Code civil, le bailleur doit non seulement délivrer au locataire un bien en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué, mais également garantir à ce dernier que le bien est exempt de tout vice ou défaut qui empêche son usage. Aucune stipulation contractuelle ne peut exonérer le bailleur de son obligation de conformité de bien loué26. Lorsque le bien loué fait partie des installations classées pour la protection de l’environnement, le droit de l’environnement impose certaines contraintes supplémentaires à l’obligation de délivrance. Cette obligation consiste à assurer que les locaux sont conformes aux normes qui permettent au locataire d’obtenir les autorisations administratives nécessaires pour son activité et à assurer également que l’ensemble des installations lui permet d’exercer immédiatement l’activité prévue au bail. Une affaire relative à la location d’un entrepôt destiné au stockage illustre cette obligation. Dans cette affaire, la Cour de cassation a considéré que le propriétaire n’a pas rempli son obligation de délivrance en conformité car l’immeuble ne répond pas à la condition d’éloignement exigée par le droit de l’environnement27.
Toutefois, l’exécution de ces obligations environnementales peut susciter certains conflits entre les parties. C’est pourquoi, afin d’éviter toute contestation quant à leur exécution, les parties insèrent souvent plusieurs clauses dans le contrat de bail. L’insertion de ces clauses a une incidence en matière de preuve. Sans celle-ci, il appartient au créancier de prouver l’absence de l’exercice de l’obligation et au débiteur de prouver l’exécution. Ainsi, la clause de délivrance permet de déterminer exactement ce qui doit être délivré au regard des attentes spécifiques des parties. Cette clause de délivrance est souvent liée à une clause de mise en conformité pendant la durée du bail. En principe, la mise en conformité du bien loué est à la charge du bailleur. En revanche, les parties peuvent convenir de transférer au locataire la charge des travaux de mise en conformité durant le bail. Ces charges peuvent concerner les obligations en matière d’hygiène et de sécurité aussi bien que les obligations issues de toute demande de l’Administration ou même d’un changement dans les réglementations ou les lois applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement28. Toutefois, cette liberté contractuelle de transfert de charges n’est pas totale. Le transfert est subordonné à la condition que les travaux de mise en conformité ne fassent pas partie des charges ou travaux qu’il est interdit d’imputer au locataire29. Ainsi, l’obligation de délivrance en matière environnementale exige que le bien loué ne soit pas entaché d’une pollution qui empêche le locataire d’en jouir. La technique contractuelle peut atténuer cette obligation. Les parties peuvent convenir, dans le contrat de bail, que le locataire prenne le bien en l’état et exerce son activité en remplissant les règles visées par le droit de l’environnement. Dans ce cas, le contrat de bail contient souvent une clause d’information dans laquelle les parties déclarent qu’ils ont effectué un diagnostic total et précisent l’état environnemental du bien. Ce diagnostic permet au locataire de prendre connaissance de l’état environnemental du bien pour lequel il va s’engager30.
La prévention contractuelle en matière environnementale ne protège pas seulement le locataire mais également le bailleur. Ce dernier souhaite souvent protéger son bien de tout préjudice environnemental qui entacherait la conformité du bien loué. C’est pourquoi il insère plusieurs clauses concernant l’activité exercée par le locataire. Tel est le cas lorsque le propriétaire demande à insérer une clause qui définit la nature de l’activité exercée par le locataire et détermine si son activité est conforme aux réglementations environnementales. Cette clause est souvent attachée aux autres clauses qui imposent au locataire certaines obligations en cours d’exécution du bail. L’employeur exige de l’exploitant qu’il n’exerce pas certaines activités polluantes sur le bien ou n’utilise pas certains produits dangereux. Ainsi, le propriétaire peut exiger d’être informé de toute modification dans l’activité susceptible de remettre en cause l’usage des locaux loués et de se voir communiquer tout document d’échange avec l’Administration qui prouve que l’exercice de l’activité est toujours en conformité avec les réglementations31.
B – La prévention conventionnelle de l’obligation de remise en état environnemental
Dans le cadre du bail commercial, l’obligation de remise en état environnemental lors de la restitution du bien en fin de bail peut entraîner plusieurs litiges entre les parties. En principe, selon les règles de droit commun, le locataire doit, en fin du bail, restituer le bien loué dans le même état que lors de sa délivrance32. L’application de ces règles sur la restitution d’un site faisant parties des installations classées pour la protection de l’environnement suscite certaines difficultés dans la mesure où il y a un risque de pollution. Le locataire doit-il restituer un bien moins pollué qu’il l’avait reçu ? Si la réponse est positive, peut-il demander une indemnité au bailleur pour les dépenses effectuées lors de la dépollution du site ? En matière environnementale, en tant que dernier exploitant le locataire doit procéder à une remise en état qui conduit à considérer le site comme réhabilité33. Autrement dit, il appartient au locataire de prendre les mesures nécessaires pour que le site soit réhabilité à l’égard des règles environnementales avant la restitution du bien loué. Cela signifie que la remise en état qui pèse sur le locataire n’est pas la dépollution. Il suffit que le locataire prouve que l’état du site est compatible avec le nouvel usage34. Dans cette perspective, dans le cadre de la remise en état, le locataire, en qualité de dernier exploitant, ne peut pas demander au bailleur une indemnité pour les travaux écologiques apportés au bien loué35.
Ainsi, une question majeure peut se poser : quel usage le bailleur entend-il faire du bien remis en état par le locataire après sa restitution ? Les réglementations et les lois ne nous fournissent pas de réponse satisfaisante. En effet, bien que le locataire remplisse son devoir concernant la remise en état à l’égard du pouvoir public, le propriétaire peut contester cet état car il ne lui apparaît pas suffisant pour l’usage prévu. C’est pourquoi, le recours à la prévention contractuelle permet d’éviter tout contentieux entre les parties sur la nature de l’usage. Les parties insèrent dans le contrat de bail une clause qui détermine l’usage attendu par le bailleur en fin de contrat. Cette clause doit être rédigée de manière claire et précise afin d’éviter toute interprétation susceptible de lui faire perdre son efficacité36. Cette clause est souvent liée à un audit sur l’état environnemental du site. Cet audit, qui est réalisé par un expert indépendant, permet d’évaluer l’état du bien en fin de bail.
Ces opérations de remise en état sont souvent longues et coûteuses. Il arrive que leur réalisation se termine après la fin du contrat de bail. Dans cette hypothèse, le locataire va s’occuper de manière illégale des biens. Le bailleur sera donc lésé car il ne pourra pas louer à nouveau son bien tant que la remise en état ne sera pas terminée. Face à cette problématique, la jurisprudence française a considéré que l’indemnité d’occupation due pendant la remise en état d’un site après la cessation d’activité sera fixée en référence au loyer prévu au contrat de bail37. La prévention contractuelle peut également intervenir pour éviter tout litige en insérant dans le contrat de bail des clauses qui organisent les mesures nécessaires pour réaliser une remise en état environnementale. En cas de retard de réalisation de ces mesures, une sanction pécuniaire sera infligée au locataire38.
La prévention contractuelle peut jouer un rôle important dans la gestion des déchets. Les déchets laissés sur place, issus de l’activité industrielle du locataire, constituent un problème important pour les bailleurs. Ces derniers risquent de financer des opérations de dépollution en lieu et place du locataire. La présence de ces déchets, constatée à l’issue du bail commercial, peut être une source de conflit entre les parties39. Selon le dispositif légal, chaque producteur ou détenteur de déchets est tenu de prendre les mesures nécessaires pour éliminer ces déchets40. Lorsque des déchets ont été constatés sur le site, l’exploitant de ce dernier est considéré comme le détenteur de ces déchets et, partant, le locataire (exploitant du site) est le responsable de leur gestion. Toutefois, le bailleur ne sera pas à l’abri de cette obligation. En effet, lorsque l’activité industrielle est en difficulté, l’exploitant risque de procéder à la fermeture. Le bailleur risque d’être responsable de déchets qu’il n’a pas produits. Face à cette problématique, la jurisprudence est intervenue en considérant que le bailleur peut être responsable des déchets à la condition de l’absence d’un détenteur connu et s’il a participé à la création de ces déchets ou a commis une faute de négligence (un manque par négligence)41. Cette solution a été reprise par la loi ALUR du 24 mars 2014 qui a instauré une hiérarchie de responsabilité des déchets. Au sommet de cette hiérarchie se trouve le dernier exploitant du site. Ensuite, lorsque les déchets proviennent d’une autre origine, c’est le producteur de ces déchets qui sera le responsable. Enfin, la responsabilité du propriétaire du bien pourrait être recherchée à titre subsidiaire en cas d’absence d’un responsable connu et s’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à cette pollution42. Toutefois, dans certains cas, l’application de cette règle peut être difficile, notamment lorsque le site est loué plusieurs fois consécutives. Le locataire (dernier exploitant) peut nier que son activité est à l’origine de ces déchets. De ce fait, le bailleur peut renforcer sa protection par le bais de la prévention contractuelle en insérant, dans le bail commercial, des clauses concernant la gestion des déchets. Tel est le cas d’une clause d’information régulière qui oblige le locataire à justifier auprès du propriétaire du bon respect des obligations légales et réglementaires dans le domaine environnemental43 ou encore d’une clause qui exige des contrôles réguliers des déchets sur le site par le recours à un audit environnemental.
Dans cette perspective, on peut constater que, malgré l’intervention incontournable du droit de l’environnement dans les contrats porteurs de risques environnementaux, la technique contractuelle reste un outil non négligeable dans la prévention des préjudices environnementaux. De ce fait, il appartient aux parties d’être vigilantes et précises dans la rédaction des clauses en matière environnementale.
Notes de bas de pages
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1.
104e Congrès des notaires de France, Développement durable. Un défi pour le droit, Nice, 4-7 mai 2008, p. 458. V. égal. Mekki M., « Cession d’un bien pollué et passif environnemental – Petit guide-âne adressé au notaire », JCP N 2015, 1131.
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2.
Il convient de noter que l’instauration des préjudices écologiques est issue de la célèbre affaire Erika. Dans cette affaire, la Cour de cassation a reconnu ce préjudice en condamnant civilement et pénalement la société Total pour les dommages écologiques causés par le navire pétrolier. Cass. crim., 25 sept. 2012, n° 10-82938 : Juris Data n° 2012-021445, Environnement et dév. Durable, n° 3, 1er mars 2013, étude 10, note Bacache M. ; Environnement et dév. durable, n° 3, 1er mars 2013, étude 9, note Trebulle F.-G – V égal. Cass. crim, 22 mars 2016, n° 13-87650: Juris Data n° 2016-005341; JCP G, 2016, note 647, note Bacache M.; Gaz Pal. 4 oct. 2016, n° 275h1, p. 26, note. Mekki M.
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3.
Boutonnet M., « Le contrat, un instrument opportun de l’ordre public environnemental ? », D. 2013, p. 2528.
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4.
Ibid.
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5.
Boutonnet M., « Le contrat environnemental », D. 2015, p. 217.
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6.
Pour une lecture plus approfondie, v. Geugen A., « Le contrat d’assurance » : in Le contrat de l’environnement : étude de droit interne, international et européen, 2014, PUAM.
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7.
Mekki M., « La gestion conventionnelle des risques liés aux sols et sites pollués à l’aune de la loi ALUR », JCP N 2014, n° 1239, p. 29.
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8.
C. civ., art. 1112-1.
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9.
C. envir., art. L. 514-20.
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10.
Cass. 3e civ., 29 févr. 2012, n° 11-10318 : JCP E 2012, spéc. n° 25, p. 30, comm. Loir R. ; JCP N 2013, 1007, note Piedelièvre S.
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11.
Cass. 3e civ., 5 déc. 2012, n° 11-20689 : Environnement et dév. durable , n° 6, 1er juin 2013, p. 29, note Boutonnet M. et Herrnberger O.
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12.
Cass. 3e civ., 8 juin 2006, n° 04-19069 : BDEI 2007/n° 7, p. 45, note Trebulle F-G. ; v. égal. Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n° 12-19445 : JCP N 2013, n° 49, p. 28 note Mekki M.
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13.
Par ex. dans une cession de titres d’une société qui exploite des biens immobiliers la découverte d’une pollution sur un des sites ne permet pas d’invoquer la garantie de vice caché. En effet, ce vice n’affecte pas l’utilisation de titres sociaux. V. Cass. com., 23 janv. 1990, n° 87-17521 : Bull. civ. IV, n° 23, p. 15 ; D. 1991, p. 333, note Virassamy G.
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14.
Cass. 3e civ., 22 oct. 2014, n° 13-22305 : Catt Immobilier SCI/la commune de Rouffach, administrer : droit immobilier, n° 490, p. 61, note Rezeau P.
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15.
Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-14986 : RDC 2012, p. 1314, note Boutonnet M.
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16.
Pour une lecture plus approfondie, v. Mekki M., « Vente d’un site pollué et passif environnemental », JCP N 2017, n° 29, p.37.
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17.
Trébulle F.-G., « Les passifs environnementaux », Gaz. Pal. 20 mai 2010, n° I1502, p. 63.
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18.
C. envir., art. L. 514-20.
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19.
CE, 10 janv. 2005, n° 252307, société Sofiservice, env. n° 3, mars 2005, comm. 24, note Trouilly P. – CAA Lyon, 9 déc. 2010, n° 09LY00211, Environnement et dév. durable , n° 4, 1er avr. 2011, comm. 47, note Gillig D.
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20.
CE, 8 juill. 2005, n° 247976, société Alusuisse-Lonza-France : JCP E 2006, spéc. n° 12, note Trébulle F.-G. – Cass. 3e civ., 16 janv. 2013, n° 11-27101 : Environnement et dév. durable, nos 8-9, 1er août 2014, note Boutonnet M. et Hernberger O.
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21.
C. envir., art. L. 512-21.
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22.
Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-26563, SA ITM Ouest France c/ T. : JCP E 2013, spéc. n° 17, p. 28, note Trébulle F.-G.
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23.
CA Paris, 1er févr. 2012, n° 10/15521 : Environnement et dév. durable, n° 4, 1er avr. 2013, p. 30, note Trébulle F.-G.
-
24.
Mekki M., « Vente d’un site pollué et passif environnemental », préc. note 16.
-
25.
C. envir., art. L. 132-3. Pour une lecture plus approfondie, v. Herrnberger O., « L’obligation réelle environnementale, le point de vue de la pratique » in Énergie – Env.– Infrastr, n° 6, 1er juin 2017, dossier 6, p. 51 ; Dross W., « L’originalité de l’obligation réelle environnementale en droit des biens » in Énergie – Env. – Infrastr, n° 6, 1er juin 2017, dossier 16.
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26.
Cass. 3e civ., 11 oct. 1989, n° 88-14439 : Loyers et copr. 1990, comm. 504.
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27.
Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 08-12126 : Dr. & patr. 2010, p. 77, note Trébulle F.-G. ; Dr de l’environnement, n° 176 , p. 103, note Nesi F.
-
28.
Garnier A.-H., « La pratique contractuelle des baux commerciaux en matière environnementale : délivrance, conformité et remise en matière d’installations classées et de pollution des sols », 1er avr. 2016, dossier 9, p. 26.
-
29.
C. com., art. R. 145-35.
-
30.
V. Wertenschlag B., « L’impact du droit de l’environnement sur la rédaction des baux commerciaux » in Energie – Env.- Infrastr, n° 4, 1er avr. 2016, dossier 8.
-
31.
Lièvre X. et Muller F., « L’enjeu des conventions de jouissance », JCP N 2014, 1111 ; Wertenschlag B., « Bail commercial et environnement : clause d’information », AJDI 2015, p. 195 ; Pour des exemples sur ces clauses, v. Lafond J., « Bail commercial. Installation classée pour la protection de l’environnement », Loyers et copr. 2017, form. 3.
-
32.
C. civ., art. 1730 et C. civ., art. 1731.
-
33.
C. envir., art. L. 512-6-1.
-
34.
Wertenschlag B., préc., note 30.
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35.
Cass. 3e civ., 2 avr. 2008, nos 07-12155 et 07-13158 : JCP N 2008, 1294, note Herrnberger O.
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36.
Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-14080 : Environnement et dév. durable , n° 8-9, août 2009, comm. 99, note Boutonnet M.
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37.
Cass. 3e civ., 23 juin 2016, n° 15-11440 : JCP E 2016, 1501, spéc. n° 38, note Cerati-Gauthier A. ; AJDI 2016 p. 848, note Wertenschlag B.
-
38.
Wertenschlag B., « Environnement et bail commercial », AJDI 2014 p. 259.
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39.
Souchon A., « La gestion des problématiques de pollution à l’épreuve des polices administratives (ICPE, déchets et sols pollués) : quels risques pour le bailleur et pour le preneur ? », Energie – Env.- Infrastr, n° 4, avril 2016, dossier 7.
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40.
C. envir., art. L. 541-2.
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41.
CE, 26 juill. 2011, n° 328651, Palais-sur-Vienne : D. 2011, p. 2694, obs. Trébulle F.-G. – Cass. 3e civ., 11 juill. 2012, n° 11-10478 : AJDI 2012, p. 766 – CE, 25 sept. 2013, n° 358923 : JurisData n° 2013-020586 ; JCP N 2013, 1254, note Boutonnet M.
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42.
C. envir., art. L. 556-3.
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43.
Wertenschlag B., « Notion de détenteur des déchets entreposés », AJDI 2012, p. 766.