Le point de vue du procureur

Publié le 14/11/2016

La conception très secrète de l’enquête en France plonge ses racines dans l’histoire juridique de notre pays.

Ce secret de l’enquête me paraît encore largement justifié par plusieurs arguments. Il reste, en apparence, solidement protégé par de nombreuses dispositions légales. Il est cependant contesté et même raillé depuis longtemps. Il a, de fait, déjà été largement aménagé.

Les évolutions actuelles de la procédure pénale ne condamnent-elles cependant pas à terme ce secret de l’enquête ?

Polichinelle est le fameux personnage bossu de la commedia dell’arte. Il est plein d’esprit et de débrouillardise. Dans un épisode de ses aventures, alors qu’il est le page du roi, il veut se venger d’un seigneur. Polichinelle évoque alors devant le roi l’infirmité cachée de ce seigneur. Comme le roi ignore tout de cette infirmité, Polichinelle la lui révèle, sous le sceau du secret : ce seigneur aurait le corps couvert de plumes. Puis il fait de même avec tous les courtisans, en recommandant le secret à chaque fois. Bientôt tout le monde est au courant.

Un secret de polichinelle est donc, depuis, un secret que tous et toutes connaissent, mais qui n’est pas d’une connaissance officiellement partagée.

L’expression « secret de polichinelle » est souvent utilisée pour parler du secret de l’instruction ou de l’enquête. Le professeur René Garraud, mort en 1930, emploie déjà l’expression dans son Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale de 1912.

De nombreux commentateurs (souvent des juges d’instruction) ont également recours à la métaphore. La métaphore est même devenue une expression lexicalisée.

La conception très secrète de l’enquête en France plonge ses racines dans l’histoire juridique de notre pays.

Ce secret de l’enquête me paraît encore largement justifié par plusieurs arguments. Il reste, en apparence, solidement protégé par de nombreuses dispositions légales. Il est cependant contesté et même raillé depuis longtemps (cf. Pr. Garraud). Il a, de fait, déjà été largement aménagé. Les évolutions (pour ne pas dire les modes) actuelles de la procédure pénale ne condamnent-elles cependant pas à terme ce secret de l’enquête ?

I – Polichinelle : un personnage attachant et traditionnel de la commedia dell’arte ; le secret de l’enquête, un dogme ancien, pénalement protégé, qui a toujours ses justifications

Depuis des générations d’enquêteurs, de juges d’instruction et de procureurs, l’enquête est restée secrète. Ce véritable dogme est rappelé à l’article 11 du Code de procédure pénale. « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal ».

L’instruction, qui représente moins de 4 % des dossiers pénaux actuellement en France, est l’enquête menée à charge et à décharge par le juge d’instruction et les enquêteurs sur ses commissions rogatoires.

L’enquête peut être définie comme « l’ensemble des actes effectués par la police judiciaire, sous la direction du procureur de la République, avant toute décision sur la poursuite, aux fins de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs »1.

A – Justifications

Ce secret correspondait à la conception romano-germanique, continentale, de la procédure inquisitoire, donc secrète, les éléments devant être dévoilés lors de l’audience. Il était aussi très lié à un souci d’efficacité de l’enquête. Le secret de l’enquête remonterait à l’article 110 de l’ordonnance royale de Louis XII de mars 1498, dite ordonnance de Blois, « améliorant la justice et codifiant les coutumes ». Ce dogme a été repris sans exception depuis, sauf au moment de la période révolutionnaire. Plusieurs auteurs indiquent que le premier alinéa de l’article 11 est un des textes du Code de procédure pénale qui n’a pas été modifié depuis sa rédaction initiale.

Plusieurs justifications sont traditionnellement avancées :

  • tenir le « suspect » dans l’ignorance des actes d’enquête pour éviter des interférences ;

  • le caractère non public d’une information et d’une enquête de fondement inquisitorial ;

  • interdiction que des tiers se voient communiquer des pièces ou des actes de la procédure alors même que l’affaire n’est pas jugée. L’acmé de la procédure pénale française, c’est l’audience, et tout y sera dévoilé. C’est là que s’exercera le contradictoire sous la conduite particulièrement active du juge qui est, en France, bien plus qu’un arbitre, comme il l’est seulement dans la procédure anglo-saxonne. En France il est un véritable « maître du jeu » au sens des jeux de rôle. Dès lors tout doit être tenu secret et préservé jusqu’à cette audience. L’exemple le plus parlant de cette conception spécifique de la procédure française, est l’audience d’assises et le pouvoir discrétionnaire du président de la cour d’assises ;

  • volonté de préserver la présomption d’innocence. À ce titre, le secret de l’enquête est le corollaire de la présomption d’innocence jusqu’au jugement.

Bien entendu (ou malheureusement si l’on est un zélateur acharné du secret de l’enquête), la situation a très largement évolué. Le dogme du premier alinéa de l’article 11 a connu bien des aménagements. À partir du moment notamment où l’avocat est, fort heureusement, entré dans les cabinets d’instruction avec la loi Constans du 8 décembre 1897, il a été nécessaire d’aménager un accès aux pièces de l’instruction et donc de mettre en place des mécanismes garantissant un équilibre entre secret de l’enquête ou de l’instruction et accès aux pièces du dossier. Et dès lors qu’un accès aux pièces du dossier a été possible, il était nécessaire d’instaurer, au-delà des sanctions relatives à la violation du secret professionnel, la sanction de la diffusion de pièces du dossier.

Le secret de l’enquête est ainsi sanctionné par plusieurs dispositions légales.

B – Sanctions

Plusieurs infractions pénales sanctionnent la violation du secret de l’enquête ou de l’instruction. Il existe même des dispositions du Code civil qui prévoient une procédure spécifique de réparation civile.

D’abord, l’article 11 du Code de procédure pénale renvoie expressément aux dispositions du Code pénal relatives à la violation du secret professionnel et aux articles 226-13 et 226-14 de ce code. « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». L’article 226-14 du Code pénal précise, de manière générale, que l’infraction de violation du secret professionnel n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. Cet article prévoit spécifiquement quelques-uns de ces cas.

Ensuite, une infraction spécifique existe dans le Code pénal de divulgation d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours à des personnes impliquées dans cette procédure, lorsque cette révélation est réalisée avec l’objectif de nuire à l’enquête.

Je ne suis pas parvenu à retrouver avec certitude quand cette infraction spécifique a été créée. Il se pourrait qu’elle remonte à 1992. Un avocat toulousain avait été au début des années 2000 incarcéré sur le fondement de cet article. Deux lois de 2004 et 2005 ont modifié l’incrimination, à la demande des avocats, pour la rendre plus difficile à caractériser. Il est à noter que, au départ, cette incrimination était réservée aux violations du secret de l’instruction. La loi de 2005 (C. pén., art. 434-7-2) l’a étendue aux violations du secret de l’enquête en général. « Sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du Code de procédure pénale, d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des personnes qu’elle sait susceptibles d’être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est réalisée dans le dessein d’entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Lorsque l’enquête ou l’instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement relevant des dispositions de l’article 706-73 du Code de procédure pénale, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende »2.

Une autre disposition particulière, cette fois-ci du Code de procédure pénale, faisant suite immédiatement à l’article organisant l’accès aux pièces du dossier d’instruction, sanctionne d’une peine d’amende la diffusion aux tiers d’une telle pièce.

Article 114-1 du Code de procédure pénale : « Sous réserve des dispositions du sixième alinéa de l’article 114, le fait, pour une partie à qui une reproduction des pièces ou actes d’une procédure d’instruction a été remise en application de cet article, de la diffuser auprès d’un tiers est puni de 10 000 € d’amende ».

Enfin, mais je ne suis pas certain d’avoir été totalement exhaustif, il existe dans le Code civil une disposition que de nombreux commentateurs présentent comme de nature à sanctionner une violation du secret de l’enquête de l’instruction. Elle permet d’obtenir la diffusion d’une rectification ou d’un communiqué destiné à faire cesser ou réparer une atteinte à la présomption d’innocence.

Article 9-1 (L. n° 2000-516, 15 juin 2000) : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ».

Toutes ces dispositions sont cependant relativement peu souvent utilisées. Il convient en outre de déterminer précisément quelles sont les personnes qui « concourent à la procédure » selon l’expression de l’article 11 du Code de procédure pénale. Ce n’est pas toujours chose aisée.

Ainsi par exemple des hésitations et des interprétations divergentes concernant l’avocat. Il peut être par ailleurs très délicat de concilier nécessité de la défense pénale et respect de ces textes.

Par ailleurs, il peut exister des stratégies de contournement de la limitation de l’obligation du secret de l’enquête, obligation en principe imposée seulement à ceux qui « concourent à la procédure ».

Ainsi par exemple la Cour de cassation a validé, notamment dans un arrêt du 19 juin 2015, la poursuite pénale d’un journaliste. Il avait publié un « portrait-robot », pièce issue d’une information judiciaire en cours. La personne qui lui avait communiqué ce document n’avait pas pu être identifiée. Il n’avait pas été poursuivi pour violation du secret professionnel, secret qui ne lui était pas applicable. Il avait été poursuivi pour recel de violation du secret de l’instruction.

La Cour de cassation précise que « contrairement à ce qui est soutenu au moyen, l’identification de l’auteur de la violation du secret professionnel n’est pas nécessaire, seule étant exigée la démonstration qu’il fait partie des dépositaires de ce secret. (…) Les conditions de confidentialité apportées à la diffusion de ce document aux services de police excluent qu’il ait pu être transmis aux journalistes par une personne n’étant pas tenue au secret ».

L’application, pourtant parcimonieuse, de ces dispositions suscite toujours une jurisprudence très abondante, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, des commentaires juridiques et souvent des critiques nombreuses.

II – Polichinelle doit-il disparaître de la scène ? Le secret de l’enquête a constamment été contesté, aménagé et en passe de disparaître

La contestation du dogme du secret de l’enquête vient parfois de très haut. Ainsi, on peut rappeler les propos du président de la République Nicolas Sarkozy dans son discours devant la Cour de cassation le 7 janvier 2009.

On se souvient que c’est également dans ce discours qu’il annonçait la disparition à venir du juge d’instruction.

« Une audience publique sur les charges s’impose d’autant plus que le secret de l’instruction est une fable à laquelle plus personne ne croit. Alors là aussi les choses sont simples : si le secret de l’instruction n’existe plus, si plus personne ne le respecte, alors il est inutile de maintenir dans le code cette fiction. Je crois en revanche utile de créer un réel secret de l’enquête avec comme seule limite de renforcer la communication du parquet afin, le cas échéant, de démentir les informations fausses qui, souvent à dessein, sont diffusés dans le seul but de nuire à tel ou tel ».

On peut du reste observer, comme l’ont fait avec malignité certains commentateurs, que l’on pouvait éventuellement déceler dans ces propos une pointe de contradiction interne. Car quelques instants plus tôt il avait également indiqué : « Je veux être clair : le respect des libertés individuelles doit aussi être garanti dans le secret du cabinet des juges d’instruction. Puisqu’il ne l’est pas suffisamment aujourd’hui, je m’engage très fermement à ce qu’il le soit demain ».

A – Contestations et aménagements

Parce qu’une justice cachée est suspecte, les tenants de l’abrogation pure et simple du secret de l’instruction considèrent parfois la règle comme attentatoire à la circulation de l’information consacrée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La relative discrétion autour des faits divers qui a été longtemps de mise de la part des juges d’instruction ou des procureurs, à quelques célèbres exceptions près, me semble le témoin de la conception traditionnelle du secret de l’enquête.

Peu à peu, une évolution a conduit les procureurs à parler de plus en plus dans les médias. Toute cette stratégie de communication est fondée sur une disposition assez lapidaire du Code de procédure pénale, le 3e alinéa de l’article 11 :

« Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

Par ailleurs, une jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation et maintes fois réaffirmée, considère que le secret de l’instruction n’est pas opposable au procureur de la République.

Celui-ci peut en effet puiser dans une instruction judiciaire tous éléments d’information qui lui sont indispensables et en faire usage dans l’exercice des missions que la loi lui attribue. Et l’étendue de ses missions est considérable3.

Ensuite, les avocats ont souvent contesté les limitations que leur impose le secret de l’enquête, contestations sous l’angle de l’absolue liberté revendiquée de la défense pénale. Leurs règles déontologiques ont du reste connu une évolution. Le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat prévoyait dans son article 1604 : « L’avocat, en toute matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. Il doit, notamment, respecter le secret de l’instruction en matière pénale, en s’abstenant de communiquer, sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une information en cours ».

Le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat, prévoit désormais dans ses articles 4 et 5 des formules plus souples, semble-t-il, vis-à-vis du secret de l’enquête.

Article 4 : « Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel ».

Article 5 : « L’avocat respecte le secret de l’enquête et de l’instruction en matière pénale, en s’abstenant de communiquer, sauf pour l’exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours.

Il ne peut transmettre de copies de pièces ou actes du dossier de la procédure à son client ou à des tiers que dans les conditions prévues à l’article 114 du Code de procédure pénale ».

Enfin, certains commentateurs ont pu estimer que la loi du 5 mars 2007, tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, avait fait « voler en éclats » le secret de l’instruction. Il s’agit de la loi assez directement issue des propositions de la commission parlementaire d’Outreau.

La loi pose en principe la publicité des débats et du rendu des décisions en matière de détention provisoire, au premier comme au second degré.

La loi prévoit également la possibilité régulière de fenêtres d’examen de l’état d’avancement d’une information judiciaire, par la chambre de l’instruction et en audience en principe publique.

C’est-à-dire que les charges, les éléments de preuve pourront être éventuellement publiquement discutés et donc exposés.

Force est de constater que ces dispositions n’ont pas révolutionné les pratiques ni mis à mal les enquêtes judiciaires.

B – Évolutions à venir ; vers une disparition inéluctable ?

Le caractère non contradictoire ou très peu contradictoire de l’enquête, spécialement dans les enquêtes longues et complexes, soulève depuis des années d’importantes critiques au regard notamment de l’exigence de procès équitable posée par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Il n’a toutefois donné lieu à aucune condamnation de la France par la cour de Strasbourg, ni par la Cour de cassation (hors le cas de la question spécifique des droits de la personne gardée à vue).

En particulier, la Cour de cassation considère que l’absence d’accès au dossier ne prive pas d’un procès équitable, puisque cet accès est garanti devant les juridictions d’instruction ou de jugement5.

De même la Cour européenne des droits de l’Homme, dissipant les interrogations qui avaient pu résulter de certains arrêts (tel que CEDH 13 oct. 2009, Dayanan c/ Turquie), n’impose pas la mise à disposition du dossier, dès le premier interrogatoire de police6.

Le principe en matière d’enquête restait donc encore le caractère secret de l’enquête en dépit notamment de la place de plus en plus importante du contradictoire et de l’avocat qui peut désormais assister son client placé en garde à vue ou même à l’occasion une audition simple en garde à vue en tant que suspect. Là encore, certains aménagements étaient intervenus au fil du temps.

L’article 60, dernier alinéa, permet ainsi depuis 1999 au procureur de la République de communiquer aux suspects ou aux victimes le résultat des examens techniques, c’est-à-dire des expertises réalisées au cours de l’enquête.

Les articles 77-1 et 77-2 permettent, depuis janvier 2001, à une personne ayant été gardée à vue puis libérée six mois auparavant d’interroger le procureur sur l’état de l’enquête. Il n’est toutefois plus prévu que la poursuite de l’enquête doive alors être autorisée par le juge des libertés et de la détention, cette exigence ayant été supprimée en 2002.

L’article 706-105 prévoit, depuis 2004, que dans les enquêtes en matière de délinquance ou de criminalité organisée qui se prolongent plus de six mois après une garde à vue, la personne gardée à vue puisse demander à ce que son avocat ait accès au dossier avant de nouvelles auditions.

Les avocats revendiquent fortement la possibilité d’accéder au dossier de l’enquête. En l’état actuel des textes, l’avocat ne peut avoir accès qu’au procès-verbal de placement en garde à vue, aux certificats médicaux et aux procès-verbaux d’audition de son client.

Certains parquets pratiquaient déjà proprio motu une communication du dossier d’enquête préliminaire afin de susciter d’éventuelles observations ou demande complémentaire de la part des avocats des personnes susceptibles d’être poursuivies et ce avant un éventuel renvoi devant le tribunal correctionnel.

La commission Nadal concernant l’avenir du ministère public et la commission Beaume concernant la réforme de l’enquête pénale initiale avaient toutes deux proposé des solutions permettant plus de contradictoire dans la mise en état et donc limitant encore un peu plus le secret de l’enquête.

La commission Nadal proposait une sorte de mise en état finale de l’enquête par la généralisation de débat contradictoire au moment de l’orientation de la procédure par le procureur. La commission Beaume proposait diverses solutions pour introduire plus de contradictoire et limiter le temps des enquêtes préliminaires.

C’est une solution intermédiaire qui a été retenue par la loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » adoptée le 25 mai 2016.

L’article 56 de cette loi instaure le respect du contradictoire dans les enquêtes préliminaires longues (supérieures à un an), à la demande des personnes qui ont fait l’objet d’une mesure d’audition libre, de garde à vue, ou de saisie de leurs biens. Un amendement avait été adopté prévoyant une phase de contradictoire préalable dans la quasi-totalité des enquêtes pénales. Cet amendement avait été voté à l’unanimité des députés présents !

Ces dispositions impliquaient que le procureur ne pouvait désormais plus engager de poursuites sans avoir préalablement donné aux parties la possibilité d’accéder au dossier, d’en demander copie, de faire des demandes d’actes (y compris donc dans le cadre des compte-rendu en temps réel). Toutes les procédures, quels que soient les faits (contraventionnels ou délictuels), quelle que soit la durée de l’enquête ou la nature des poursuites envisagées (de l’ordonnance pénale à la COPJ), étaient concernées par ces dispositions. Celles-ci revenaient donc à créer une sorte « d’avis de fin d’information » généralisé à toutes les enquêtes préliminaires. L’organisation et les moyens des juridictions pénales ne leur permettaient absolument pas de faire face à ces charges nouvelles. C’est l’exemple même d’une fausse bonne idée. Heureusement, le Gouvernement a proposé une solution de rédaction beaucoup plus raisonnable.

Néanmoins, les dispositions de l’article 11 ne sont pas modifiées. On pourrait dire que « le secret subsiste toujours, mais beaucoup moins longtemps ». Ce mouvement s’inscrit dans l’évolution de notre société qui prône toujours plus de transparence même lorsque parfois elle frise l’indécence.

Comme écrit un ami, Philippe Farlay, auteur d’un recueil d’aphorismes modernes mais dans la tradition de La Bruyère ou de Chamfort : « Nous sommes tellement attachés à notre vie privée que nous nous empressons de la partager aussi vite que possible avec le plus grand nombre ».

On voit que le principe du secret de l’enquête se restreint peu à peu en réalité à la phase de l’enquête, au cours de laquelle la plus grande confidentialité est strictement nécessaire à l’établissement de la vérité, et prend fin peu ou prou à partir de l’audition libre ou en garde à vue de la personne soupçonnée. Cela conduit les enquêteurs et magistrats à modifier leurs stratégies d’enquête et envisager la phase d’audition des personnes mises en cause en toute fin d’enquête. Le secret de l’enquête doit être préservé mais désormais presque uniquement pour des raisons liées à l’efficacité de celle-ci et de la recherche de la vérité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Desportes F et Lazerges-Cousquer L., Traité de procédure pénale, 2015, Economica, n° 1526.
  • 2.
    L. n° 2005-1549, 12 déc. 2005.
  • 3.
    Cass. com., 15 nov. 1961 ; un procureur avait communiqué au tribunal de commerce des pièces d’une instruction judiciaire en cours.
  • 4.
    Abrogé par D. n° 2005-790, 12 juill. 2005.
  • 5.
    Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-81491 : Bull. crim., n° 164.
  • 6.
    CEDH, 9 avr. 2015, n° 30460/13, AT c/ Luxembourg.
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