Paris (75)

« La conception du logement est de plus en plus sociétale et plus seulement patrimoniale » !

Publié le 18/01/2022

Courant septembre, après un an et demi de réflexion, les notaires du Grand Paris présentaient 30 propositions pour un habitat accessible et de qualité, afin d’aider à régler la crise du logement qui s’accroît en Île-de-France. Le constat est sans appel : « Les Franciliens en sont les premières victimes. Chacun d’entre nous le vit au quotidien. Qui n’a pas dans son cercle familial ou amical des proches confrontés au mal logement et à la difficulté de se loger ? », s’interrogent-ils dans l’introduction du rapport. À travers cinq axes – Repenser la propriété pour la rendre accessible ; rénover les logements anciens ; adapter, transformer le parc existant ; accroître l’offre résidentielle ; fluidifier les processus immobiliers grâce à la numérisation – ils abordent non seulement les facettes patrimoniales, mais aussi sociétales, du logement. Marc Cagniart nous éclaire sur les pistes d’innovation proposées, notaire du Grand Paris et premier vice-président de la Chambre des notaires de Paris.

Actu-juridique : Pourquoi cette thématique du logement vous a-t-elle semblé si essentielle ?

Marc Cagniart : De façon très générale, les notaires sont les observateurs privilégiés de l’immobilier. Tous les jours dans nos études nous rencontrons l’ensemble des acteurs de la chaîne immobilière : les gens qui achètent, qui louent, qui vendent, les bailleurs, mais aussi les collectivités locales, les banquiers, les syndics, les administrateurs de bien, les promoteurs immobiliers… Cette position nous permet de constater combien le logement est devenu quelque chose de plus en plus compliqué. L’effort pour devenir propriétaire est de plus en plus prégnant dans le budget des ménages, et les difficultés à se loger sont nombreuses en Île-de-France. Pour les primo-accédants à Paris qui n’auraient pas reçu un transfert de patrimoine ou une aide des générations antérieures, c’est très compliqué. Cela participe de ce mouvement d’escargot, de spirale qui implique que les gens habitent de plus en plus loin de Paris. Nous savons qu’on ne peut plus construire le nombre de logements en France qui devrait permettre de satisfaire la demande, car le foncier est rare, et qu’il existe souvent des recours lorsqu’un projet voit le jour, parce que de plus en plus de maires refusent de construire afin de ne pas artificialiser davantage les sols.

AJ : Comment avez-vous déterminé les thèmes à aborder ?

M.C. : Pour répondre à cette crise du logement, nous nous sommes dit qu’il fallait dans un premier temps recenser toutes les propositions qui avaient déjà été faites les années précédentes, pour vérifier celles qui étaient pertinentes et intelligentes, et que nous voulions porter à notre tour. Suite à ce recensement, nous avons ensuite ajouté certaines propositions pour lesquelles nous avons consulté quelques experts de l’immobilier pour confronter nos propres idées.

Nous ne prétendons pas avoir la solution finale pour résorber la crise du logement en Île-de-France, mais en actionnant plusieurs leviers différents, on devrait pouvoir améliorer les choses et répondre à différents défis. Par exemple le défi de loger les gens en Île-de-France : cela passe aussi par la rénovation importante des logements qui aujourd’hui ne sont pas suffisamment économes énergétiquement. Si l’on va plus loin, agir sur le parc existant est aussi un moyen d’apporter des réponses au vieillissement de la population et de réaliser des adaptations qui permettront aux gens de rester chez eux le plus longtemps possible.

Pour nous, c’est donc un sujet crucial. Comme nous avions en tête les prochaines élections présidentielles, nous nous sommes dit que c’était le bon moment de porter ces idées à l’oreille de ceux qui nous gouvernent. Quand on creuse, on se rend compte que du logement dépendent énormément de choses : le pouvoir d’achat, le transport, la mobilité, le vieillissement…

AJ : À qui exactement sont destinées ces 30 propositions ?

M.C. : Il n’y a pas de droit d’auteur sur le sujet ! C’est vraiment une offre que nous faisons, un travail intellectuel destiné à la communauté des juristes, et plus largement ceux qui travaillent dans l’immobilier. Si les notaires de chaque département se saisissent de ces propositions et les relaient à l’occasion d’un rendez-vous avec un maire, un élu et qu’ils expliquent qu’il y a possibilité d’apporter leur contribution, le but sera atteint. L’idée est de diffuser ces propositions à tous les élus d’Île-de-France mais aussi aux élus politiques (E. Wargon, V. Pécresse et les candidats aux présidentielles) car c’est une question d’intérêt général.

AJ : Vous l’avez dit, le logement est à la charnière de nombreux secteurs. Il est vraiment ancré dans notre société et ses évolutions…

M.C. : Nous n’avons plus seulement une approche juridique et patrimoniale des choses, il y a une approche sociétale et environnementale du logement. Et chaque propriétaire d’un logement a une responsabilité plus large. Quelque part, les intérêts sont repesés. Auparavant l’intérêt du propriétaire devait être sacralisé, protégé, de la façon la plus extrême qui soit, découlant de la conception du Code Napoléon. Mais aujourd’hui, l’intérêt général vient prendre un poids plus important face aux intérêts particuliers du propriétaire ou du locataire. On voit bien qu’il y a une ligne qui bouge, entre les intérêts généraux et les intérêts particuliers. Cela se traduit dans certaines de nos propositions. Cela peut heurter certains, mais aujourd’hui, est-il encore normal d’avoir des locataires soumis au régime de la loi de 1948 ? On ne peut, par exemple, pas les sortir pour permettre la rénovation lourde des logements qu’ils habitent. Les sensibilités sont vraiment en train de bouger, d’évoluer. Autre exemple : l’isolation par l’extérieur. Auparavant, il fallait l’accord du voisin, mais aujourd’hui, avec la rénovation énergétique, est-ce qu’il ne faut pas imposer à un voisin d’isoler son logement par l’extérieur, sans pour autant prendre de la superficie à l’intérieur ? On est en train de réfléchir à une conception sociétale du logement et de moins en moins patrimoniale. Même si les deux vont de pair, car le logement qui n’est plus environnementalement correct perd de sa valeur, ce que l’on appelle la valeur verte.

AJ : Ces évolutions se traduisent-elles aussi dans votre métier ?

M.C. : Vous avez mis le doigt sur un sujet important, c’est-à-dire que les notaires prennent conscience de plus en plus qu’ils ont une responsabilité dans la façon dont ils accompagnent et conseillent leurs clients au moment d’une acquisition, par exemple. Il y a encore quatre ou cinq ans, le DPE (diagnostic de performance énergétique) n’intéressait personne. On l’annexait comme un détail. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : le DPE devient un indicateur important de la qualité du bien. Si la qualité n’est pas bonne, nous devons donner des conseils à nos clients, en expliquant que si le classement est vraiment très mauvais, ils seront confrontés à une impossibilité de louer, etc. La façon d’approcher la transaction n’est plus purement juridique, elle est également sociétale et écologique. Il y a réellement des transactions qui n’aboutissent pas à cause de DPE vraiment mauvais. Il revient désormais au vendeur d’apporter un dossier complet. La valeur verte devient importante dans le marché.

On doit aussi de plus en plus alerter les gens sur le fait qu’un bien, cela revient à des frais et un prix d’acquisition, certes, mais qu’après il est nécessaire, pour conserver ce bien, d’être en mesure d’investir chaque année. Il faut l’entretenir, faire des travaux de façon régulière afin de préserver ses qualités environnementales et de manière à garantir sa valeur patrimoniale.

AJ : Parmi les propositions, certaines vous semblent-elles incontournables ?

M.C. : C’est surtout un thème – la flexibilité – qui fait l’objet de plusieurs propositions. Le premier groupe de propositions fait référence à la réforme de la réglementation sur les usages et la destination d’un immeuble. Aujourd’hui, des surfaces importantes sont vides, simplement parce que le propriétaire n’a aucun intérêt à abandonner des bureaux ou des commerces pour passer à de l’habitation. Une fois qu’il l’a fait, il ne pourra plus revenir en arrière. Mais il faudrait au contraire une flexibilité qui permette une optimisation des surfaces en Île-de-France, que les bureaux vides puissent redevenir des logements. Avec plus de flexibilité, je pense que certains propriétaires fonciers seraient plus susceptibles de passer le cap. En effet, cette police date de 1947, à l’époque, c’était une loi de circonstance, liée à l’effort de construction post-Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, est-on dans les mêmes circonstances ? Cette loi peut s’avérer contre-productive et rendre rigide les frontières entre les différents usages.

Dans le même ordre d’idée, le permis d’innover, dit « à double état » a été mis en œuvre pour les JO de 2024. Pourquoi ne pas l’étendre, de façon plus générale, pour pouvoir permettre à des gens de construire un immeuble, dont les usages de départ pourront trouver une affectation alternative par la suite ? Bref, il s’agit d’opter pour davantage d’agilité.

Et puis, il y a le changement d’échelle. Aujourd’hui, ces réglementations envisagent le logement quasiment à l’échelle d’un immeuble. Aujourd’hui nous proposons de raisonner à l’échelle d’un pâté de maisons, ce qui est une manière de trouver des solutions sur la transformation du parc existant. Certaines propositions doivent nous permettre de mutualiser certaines choses. Si l’on prend l’exemple de trois immeubles côte à côte. En théorie, chacun doit avoir son local poubelle. Mais certains ne peuvent pas. Pourquoi ne pas organiser au niveau du pâté de maisons et prévoir des choses pour mutualiser afin de répondre aux objectifs environnementaux ? Et pour un immeuble en géothermie, pourquoi ne pas imaginer qu’il partage ses installations avec d’autres immeubles ? Il existe des contrats de performance énergétique qui permettraient à un opérateur de financer des travaux de rénovation d’un immeuble en ayant sur l’immeuble un droit réel lui garantissant un retour sur investissement. Il faut trouver des choses qui fonctionnent, qui se financent, sans avoir à demander systématiquement à la puissance publique d’intervenir. Si l’on prend l’exemple de propriétaires ayant décidé la rénovation de leur logement, ne serait-il pas pertinent d’envisager un régime de microconstruction de manière à ce que le propriétaire voie les démarches simplifiées, surtout quand la rénovation n’a pas un impact énorme sur la construction ?

Et peut-être envisager une carotte fiscale ? Un propriétaire qui voudrait faire relever la qualité environnementale dans son immeuble et prêt à faire des travaux importants, pourrait transmettre son bien aux générations suivantes avec une base taxable réduite de moitié par exemple. Cela inciterait à offrir des logements performants aux locataires, mais permettrait aussi de les transmettre au mieux.