L’erreur provoquée demeure excusable
Dans un arrêt du 18 septembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé que l’erreur provoquée demeure excusable. Ainsi, en cas de cession de parts sociales, le cessionnaire n’a pas à se renseigner, préalablement, sur la situation financière de la société pour que soit caractérisée une réticence dolosive.
Le 18 septembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation concernant la réticence dolosive pour déterminer la possibilité d’annuler une cession de parts sociales.
En l’espèce, le cessionnaire de la totalité des parts sociales composant le capital social d’une société a demandé la nullité du contrat au motif que le cédant aurait commis, à son égard, une réticence dolosive.
La cour d’appel de Douai ayant rejeté sa demande dans un arrêt du 15 septembre 2022, le cessionnaire s’est pourvu en cassation. Les juges du fond estimaient qu’il pesait sur l’acheteur une « obligation renforcée de se renseigner sur la situation de la société qu’il acquérait » et qu’en l’absence de démarche « pour se renseigner sur la situation financière de la société » de sa part, « le silence du cédant sur l’existence de dettes et de contrats liant cette société à des tiers ne constitue pas une dissimulation volontaire de la situation financière pouvant caractériser un dol ». De son côté, le demandeur au pourvoi considérait que les juges du fond ne pouvaient, pour écarter la réticence dolosive commise par le vendeur, retenir « l’absence de toute démarche de l’acheteur pour se renseigner sur la situation financière de l’entreprise » alors que celle-ci « rend toujours excusable l’erreur provoquée » par le cocontractant.
Se posait donc, pour la Cour de cassation, la question de savoir si, en cas de cession de parts sociales, le cessionnaire devait se renseigner, au préalable, sur la situation financière de la société pour que la réticence dolosive soit caractérisée.
Dans ses motifs, la haute juridiction répond par la négative, ce qui conduit à la cassation partielle de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai. Cette solution présente l’intérêt de rappeler les caractéristiques du dol, en particulier de la réticence dolosive, et de préciser si le cocontractant devait se renseigner pour obtenir l’annulation du contrat litigieux.
I – Une réticence dolosive caractérisée
La Cour de cassation fonde sa solution au visa des articles 1137 et 1139 du Code civil. Le premier article dispose que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges », son deuxième alinéa précisant que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». Le troisième alinéa de cet article ajoute que « néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».
Le deuxième article dispose que « l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou un simple motif du contrat ».
Ces deux articles sont repris en synthèse par l’attendu de principe : « Selon le premier de ces textes, constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des cocontractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Selon le second, l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ».
Cette solution de la Cour de cassation rappelle ainsi qu’une réticence dolosive constitue un dol, frappant le contrat de nullité pour vice du consentement en application de l’article 1131 du Code civil. Elle précise, comme le fait déjà l’article 1137 du Code civil, que cette réticence dolosive revient à ce qu’un contractant dissimule, de manière intentionnelle, une information dont il sait le caractère déterminant pour son cocontractant.
Rapporté à l’espèce, il faut retenir que constitue une réticence dolosive le fait pour une partie au contrat de ne pas informer le cessionnaire sur la situation financière de la société objet de la cession, en particulier l’existence de dettes et de contrats la liant à des tiers, comme peut l’être un emprunt bancaire. La position contraire des juges du fond rendait dès lors légitime la cassation de l’arrêt de la cour d’appel. En effet, les informations non transmises étaient déterminantes pour permettre à l’acheteur de consentir car, en les connaissant, il ne se serait pas engagé.
II – Le caractère excusable de l’erreur provoquée
L’erreur étant un élément constitutif du dol et l’erreur inexcusable n’entraînant pas la nullité du contrat au sens de l’article 1132 du Code civil, était-il légitime pour les juges du fond de vérifier le caractère inexcusable ou non de l’erreur commise par la victime du dol ? En retenant que la réticence dolosive rend toujours excusable l’erreur provoquée, la Cour de cassation répond avec fermeté pour écarter toute discussion sur l’appréhension de l’erreur commise par la victime de ce vice du consentement. Elle ne fait qu’appliquer l’article 1139 du Code civil disposant que « l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ». Elle s’inscrit, en outre, dans une jurisprudence constante faisant primer le dol sur l’erreur.
Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la chambre commerciale rappelait que « l’erreur provoquée par la réticence dolosive est toujours excusable » et justifiait la cassation d’un arrêt de la cour d’appel excluant le dol au motif qu’il appartenait à la victime de se renseigner au-delà des seuls documents comptables communiqués dans le cadre de l’information légale pour évaluer la valeur du fonds de commerce faisant l’objet du contrat1.
De même, dans un arrêt du 21 février 2001, la troisième chambre civile de la Cour de cassation considérait déjà qu’une « réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée »2. Dans cette espèce, la haute juridiction censurait l’analyse de la cour d’appel selon laquelle le dol n’était pas caractérisé, pour une vente d’immeuble à usage d’hôtel, au motif que l’acheteur avait commis une erreur « inexcusable » en ne se renseignant pas sur l’opération et en ne vérifiant pas l’exacte situation administrative de l’établissement faisant l’objet de la vente.
Ainsi, la réticence d’information du cocontractant est suffisante pour impliquer un dol dès lors qu’elle conduit la victime en erreur et alors même que cette dernière pouvait être moins négligente ou plus diligente dans sa quête de renseignements sur le contrat projeté. Cette approche du droit civil est satisfaisante pour garantir une protection de la victime d’un dol et car elle « permet de remettre chacune des parties en présence face à ses propres obligations »3.
Notes de bas de pages
Référence : AJU015z1