Les limites à la libre détermination du contenu du contrat dans le nouveau droit des contrats

Publié le 27/10/2016

La libre détermination du contenu du contrat par les parties est un des aspects essentiels et naturels de la liberté contractuelle. Si les parties ont toujours été par principe libres de définir ce à quoi elles s’engagent, la loi, l’usage et l’équité ont également toujours participé à enrichir le contenu des contrats. Le nouveau droit des contrats va aujourd’hui plus loin en prohibant désormais dans les contrats d’adhésion les clauses qui créent un déséquilibre significatif, en plus d’interdire, dans tout contrat et dans le sillage de la jurisprudence antérieure, les clauses qui privent de leur substance les obligations essentielles. Ceci conduit à s’interroger sur la nouvelle portée de la liberté contractuelle des parties et, par voie de conséquence, sur la marge de manœuvre du rédacteur d’acte.

1. Les parties ont été et continueront d’être libres de déterminer le contenu de leur contrat. C’est là une manifestation élémentaire de la liberté contractuelle que mentionne l’article 1102, alinéa 1er, du Code civil : « [c]hacun1 est libre de déterminer le contenu (…) du contrat ». Il reste que cette liberté s’exerce bien évidemment « dans les limites fixées par la loi » (même article). Or ces limites, dans le nouveau droit des contrats, sont plus importantes qu’elles ne l’étaient auparavant.

2. Au titre des « limites fixées par la loi », il convient en premier lieu de rappeler que « [l]es contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi » (C. civ., art. 1194). Autrement dit, le contrat se présente comme un creuset qui se remplit de ce que les parties ont exprimé, mais aussi des prescriptions (impératives ou supplétives) posées par la loi, l’usage ou l’équité. Rien de nouveau, ici. En second lieu, deux dispositions, nouvelles, retiennent particulièrement l’attention. D’une part, « [d]ans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (C. civ., art. 1771, al. 1er) et, d’autre part, quel que soit le contrat conclu, « [t]oute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite » (C. civ., art. 1770).

3. Ces deux dernières dispositions constituent des limites importantes à la liberté contractuelle des parties et, partant, à la liberté de l’éventuel tiers-rédacteur d’acte. Dans quelle mesure ? C’est ce que l’on se propose d’envisager, en distinguant la clause qui crée un déséquilibre significatif (I) de celle qui prive de sa substance l’obligation essentielle (II).

I – La clause qui crée un déséquilibre significatif

4. Avant que le droit des contrats ne soit réformé, les clauses qui créaient un déséquilibre significatif n’étaient sanctionnées qu’en droit spécial. Elles l’étaient depuis 1978 entre un « professionnel » et un « consommateur » ou un « non-professionnel »2 et depuis 2008 entre « partenaires commerciaux »3. Désormais, elles le sont également en commun des contrats… d’adhésion (C. civ., art. 1171, préc.).

5. On observera à titre liminaire que la question d’une possible application cumulative du dispositif du droit commun d’une part et de ceux du droit spécial d’autre part présente peu d’intérêts pratiques, le droit spécial étant le plus souvent plus avantageux pour la victime. On peut néanmoins relever que la possibilité pour la victime d’une pratique restrictive de concurrence d’invoquer le mécanisme de droit commun lui permettrait de faire juger son cas à l’aune du droit commun par une juridiction non spécialisée (C. com., art. D. 442-3), ce qui réduirait les chances qu’une jurisprudence homogène se forme, dans une matière où l’insécurité juridique est pourtant grande. Mais, en contrepoint, on comprendrait mal que le partenaire victime d’une clause créant un déséquilibre significatif doive se contenter de dommages-intérêts si cette solution4 venait à s’imposer en droit des pratiques restrictives, sans pouvoir profiter du réputé non écrit du dispositif du droit commun5.

6. Cela étant, l’article 1171 du Code civil soulève deux questions importantes : celle de son champ d’application (A) et celle de l’étendue du contrôle (B).

A – Le champ d’application

7. Le dispositif de l’article 1194 du Code civil limitant sérieusement la liberté contractuelle, la moindre des choses eut été que l’on fût exactement renseigné sur son champ d’application. Or tel n’est pas le cas6. En effet, si le contrôle des clauses créant un déséquilibre significatif est expressément cantonné aux contrats d’adhésion, la définition de ceux-ci par l’article 1110, alinéa 2, du Code civil laisse perplexe : « [l]e contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Et la perplexité s’accroît lorsqu’on la met en perspective avec celle du contrat de gré à gré, donnée à l’alinéa précédent : « Celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties ».

L’absence de symétrie entre ces deux définitions saute aux yeux, ce qui pourrait laisser accroire qu’il existerait des contrats qui ne rentrent ni dans l’une ni dans l’autre des catégories, ce qui paraît difficilement soutenable, dès lors que l’un apparaît comme « l’antonyme » de l’autre7.

8. À suivre la lettre de l’article 1110, alinéa 2, la qualification de contrat d’adhésion suppose la réunion de trois éléments : des conditions générales (1) soustraites à la négociation (2) déterminées à l’avance par l’une des parties (3).

9. Le premier élément consiste en l’existence de conditions générales. Cette expression n’étant pas définie par l’ordonnance, on pourrait l’entendre dans son sens commun, c’est-à-dire comme « l’ensemble des clauses contractuelles types rédigées avant la conclusion de contrats individuels dans lesquelles elles sont destinées à s’intégrer »8. Seuls les contrats standardisés seraient alors susceptibles d’être qualifiés de contrats d’adhésion. L’objet de la réforme aurait été alors pour l’essentiel d’étendre aux professionnels la protection offerte par le Code de la consommation aux non-professionnels9. L’idée serait que, dans un contrat d’adhésion, quelle que soit la qualité des parties, le consentement serait « moins insuffisamment libre qu’imparfaitement éclairé »10, l’absence de prise de connaissance par l’adhérent de certaines clauses justifiant l’adoption d’un régime particulier. Une telle délimitation du domaine des contrats d’adhésion peut cependant ne pas convaincre, si l’on met en perspective le régime et la notion11. En premier lieu, à suivre cette analyse, les contrats particulièrement longs et complexes et souvent peu lus ou compris dans le détail, mais qui ne seraient pas standardisés parce qu’offerts qu’à un seul (voire à plusieurs personnes déterminées), ne pourraient être qualifiés de contrat d’adhésion et emporter l’application du régime correspondant. Il en irait de même des contrats dont l’instrumentum, sans renvoyer à des « conditions générales », comprendraient des clauses qui sont reprises à l’identique ou simplement reprises dans leur substance, moyennant des aménagements, dans d’autres contrats12. Et puis, quoi de commun entre les « conditions générales » d’un contrat de fourniture d’électricité et celles d’un bail commercial dans une galerie commerciale ? En second lieu, on ne voit pas pourquoi la seule circonstance que l’on est présumé ou réputé ne pas prendre connaissance des conditions générales suffirait à emporter l’application d’un régime protecteur.

10. Le deuxième élément consiste dans la soustraction des conditions générales à la négociation. La soustraction à la négociation des clauses13 du contrat constitue, selon nous, l’élément essentiel de la définition du contrat d’adhésion, les autres étant superflus. Dans ce type de contrat, une partie adhère au contenu du contrat proposé par l’autre, sans négociation possible. Ce faisant, on rétablirait une symétrie entre les définitions des contrats d’adhésion et de gré à gré. Par ailleurs, le régime juridique du contrat d’adhésion se comprendrait14 : celui qui impose le contenu du contrat doit répondre des abus de sa position qui se sont traduits par l’insertion de clauses créant un déséquilibre significatif et des obscurités des clauses dont il est l’auteur. Au final, le régime des contrats d’adhésion profiterait à toute personne qui n’a pu négocier le contenu de son contrat, qu’elle en ait ou non pris effectivement connaissance.

11. Le troisième élément de la définition consiste dans le fait que les conditions générales ont été déterminées à l’avance par l’une des parties. On ne voit guère ce qu’apporte un tel élément de définition à la notion de contrat d’adhésion. Que l’on prenne les « conditions générales » ou toute clause non négociable, celles-ci sont déterminées à l’avance par l’une des parties15.

12. Cela étant, à retenir l’analyse proposée, il resterait à lever encore trois difficultés.

13. En premier lieu, ce qui distingue les deux types de contrats réside-t-il dans le fait que les stipulations sont ou non négociables ou qu’elles ont été ou non négociées ? Retenir cette seconde branche de l’alternative aurait pour effet de donner un champ d’application considérable à la notion de contrat d’adhésion puisque serait ainsi qualifié tout contrat dont les stipulations, pourtant négociables, n’ont pas été négociées par la partie à qui elles étaient proposées. Or il paraît difficile de permettre à une partie de se plaindre d’un déséquilibre significatif (C. civ., art. 1171) ou de prétendre à une interprétation contra proferentem (C. civ., art. 1190) alors qu’elle a fait le choix de ne pas négocier le contrat pourtant ouvert à la négociation. Ce qui fait qu’un contrat est d’adhésion est que ses clauses n’étaient pas négociables16.

14. En second lieu, comment envisager le contrat dont certaines stipulations, mais certaines seulement, ont été soustraites à la négociation ? On peut, en adoptant un premier parti, estimer que le principal l’emporte sur l’accessoire et retenir une qualification unitaire : le contrat sera d’adhésion si et seulement si le principal du contenu n’était pas négociable. Mais en raison de la difficulté qu’il y a à distinguer le principal de l’accessoire, on peut, en adoptant un second parti, distinguer suivant les mécanismes à mettre en œuvre.

Primo, s’agissant du choix d’une règle d’interprétation, une application distributive s’impose naturellement : les clauses négociées sont interprétées en faveur du débiteur et celles imposées, contre leur auteur (C. civ., art. 1190). Ce qui, par ailleurs, pourra soulever des difficultés, puisque l’on sait bien que l’on interprète souvent plusieurs clauses ensemble afin de déterminer la réponse à apporter à la question litigieuse.

Secundo, s’agissant de réputer non écrite une clause créant un déséquilibre significatif, la réponse est plus délicate dès lors qu’il convient de mettre en balance plusieurs clauses du contrat. La réponse pourrait s’ordonner en deux propositions. Une première proposition serait de considérer que les seules clauses non négociables sont susceptibles d’être réputées non écrites. Mais lors de la vérification d’un éventuel déséquilibre causé par cette clause, il conviendra de tenir compte de ce que des concessions ont été faites lors de la négociation des clauses négociables. Tous les éléments du contrat doivent être pris en compte lors de l’examen d’une clause suspectée d’être réputée non écrite en raison du déséquilibre significatif qu’elle crée : les clauses qui étaient ou non négociables, le prix, etc. Ce n’est pas parce que telle stipulation est hors du contrôle du juge qu’elle ne doit pas être prise en compte au titre de l’audit de celles qui le sont.

Au final l’on voit que plutôt que de subordonner la mise en œuvre des règles d’interprétation et sanctionnant le déséquilibre significatif à l’existence d’un contrat d’adhésion, il eut été préférable de les subordonner à l’existence de clauses non négociées17, ce qui n’empêchait pas de les apprécier à l’aune de l’ensemble du contrat.

15. En troisième lieu, faut-il voir un facteur de complication dans l’intervention d’un tiers rédacteur d’acte ? Le rédacteur d’acte est, outre un conseil, avant tout et surtout, le traducteur en droit de la volonté des parties et celui qui leur propose un acte destiné à régir leur relation. Aussi, in fine, ce sont les parties et elles seules qui décident du contenu du contrat qui les engagera : la seule question est donc de savoir si le contrat est ou non ouvert à la négociation, entre les parties. Tout au plus réservera-t-on les contrats rédigés par des tiers intéressés en vue de régir les relations d’autrui, très fréquents dans le secteur de l’économie collaborative : ces contrats font difficulté dans la mesure où ils sont imposés, non pas à une, mais aux deux parties… À cet égard, le communiqué de presse du ministre de la Justice relatif à la réforme prend le « cas concret » suivant du dispositif de lutte contre les clauses abusives dans les contrats d’adhésion : « j’ai loué un appartement pour mes vacances sur Airbnb, et le contrat permet au propriétaire de l’appartement de changer la période de location à n’importe quel moment, sans mon accord et sans indemnité. Grâce à la réforme, je pourrai demander au juge de supprimer cette clause ». Est-il pourtant raisonnable de faire comme si le contenu du contrat avait été imposé par le « propriétaire » au « locataire » et de faire subir par principe un régime de défaveur au premier ?

B – L’étendue du contrôle

16. L’étendue du contrôle est envisagée à l’article 1171 du Code civil, aux termes duquel « [t]oute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (al. 1), sachant que « [l]’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (al. 2). Cette disposition doit être rapprochée de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce qui stigmatise les « (…) obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » mais aussi et surtout de l’article L. 212-1, alinéa 1er, du Code de la consommation qui sanctionne « les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » (al. 1), étant précisé que « [l]’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (al. 3). En mettant en perspective l’ensemble de ces textes, on perçoit bien que les auteurs de la réforme se sont largement inspirés des dispositions du Code de la consommation.

17. À ce titre, et en premier lieu, on remarquera que le contrôle opéré à l’aune de l’article 1171 du Code civil ne concernera ni « l’adéquation du prix à la prestation », ni « l’objet principal du contrat ».

La première exclusion, qui concerne « l’adéquation du prix à la prestation », appelle deux observations. D’une part, elle est conforme au principe général suivant lequel la lésion n’est pas en principe une cause de nullité des contrats (C. civ., art. 1168). D’autre part, si la solution retenue est celle du Code de la consommation, elle n’est peut-être pas celle du Code de commerce ; en effet, faute pour l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce d’exclure du champ du contrôle l’adéquation du prix à la prestation, la cour d’appel de Paris semble encline à l’exercer18.

La seconde exclusion, qui concerne « l’objet principal du contrat », est a priori plus mystérieuse. Afin d’en saisir le sens et la portée, il faut remonter à la source. Cette expression figure dans la loi n° 95-96 du 1er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d’ordre économique et commercial (art. 1) et dans la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs qu’elle transposait19. Or le sens de l’expression « l’objet principal du contrat » est livré dans un de ses considérants : « Pour les besoins de la présente directive, l’appréciation du caractère abusif ne doit pas porter sur des clauses décrivant l’objet principal du contrat ou le rapport qualité/prix de la fourniture ou de la prestation ; (…) l’objet principal du contrat et le rapport qualité/prix peuvent, néanmoins, être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif d’autres clauses ; (…) il en découle, entre autres, que, dans le cas de contrats d’assurance, les clauses qui définissent ou délimitent clairement le risque assuré et l’engagement de l’assureur ne font pas l’objet d’une telle appréciation dès lors que ces limitations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par le consommateur ». Par où l’on voit que c’est principalement le contrat d’assurance que le législateur européen a eu à l’esprit, même si tous les contrats sont finalement concernés. Par la suite, la jurisprudence européenne a précisé que l’objet principal du contrat désignait en réalité ses « obligations essentielles »20. Aussi voit-on poindre l’idée qu’en droit commun, c’est tout ce qui ne formera pas le cœur du contrat – ses obligations essentielles – d’adhésion qui sera contrôlé. S’il sera donc permis de contrôler les obligations dites accessoires, il nous semble qu’en pratique l’essentiel du contrôle concernera autre chose. À cet égard, il faut rappeler qu’un contrat ne se borne pas à la création d’obligations en vertu desquelles telle partie doit telle prestation à l’autre ; le contrat comporte des clauses qui organisent la relation contractuelle. Primo, il octroie des prérogatives, c’est-à-dire des pouvoirs de modifier la situation contractuelle (ex. fixer le prix ; mettre en œuvre une clause de dédit, une clause pénale, une clause résolutoire ; exercer une action interrogatoire). Secundo, il met à la charge des parties des incombances, c’est-à-dire des devoirs devant être accomplis préalablement à l’exercice d’un droit (ex. se renseigner sauf à se voir opposer le caractère inexcusable d’une erreur ; mettre en demeure le débiteur avant de se plaindre d’une inexécution ; faire une demande de prêt ; répondre à une action interrogatoire). Or la jurisprudence rendue en matière de « clauses abusives », qu’elle concerne le droit de la consommation ou le droit des relations commerciales, montre bien que c’est dans la répartition de ces prérogatives et incombances que gît le plus souvent le déséquilibre significatif : telle partie a des prérogatives que l’autre n’a pas, telle autre supporte des incombances que l’autre ne supporte pas. Au final, il apparaît que le contrôle du déséquilibre significatif, contrairement à ce que pourrait laisser entendre une interprétation littérale de ses termes, ne portera pas tant sur les obligations (entendues stricto sensu), mais sur les clauses organisant la situation contractuelle, en créant prérogatives et incombances21.

II – La clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle

18. Consolidant l’acquis jurisprudentiel, l’article 1170 du Code civil prévoit désormais que « [t]oute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Comme on l’a fait précédemment, on envisagera successivement le champ d’application de cette disposition (A) et celle de l’étendue du contrôle qu’elle prescrit (B).

A – Le champ d’application

19. D’après l’article 1170 du Code civil, « [t]oute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». On voit d’emblée que le champ d’application de ce texte n’est pas circonscrit aux contrats d’adhésion comme l’était l’article 1171 au sujet des clauses créant un déséquilibre significatif. Il n’en demeure pas moins au fond que de telles clauses sont le plus souvent, sinon toujours, des clauses imposées par une partie à l’autre. On verra d’ailleurs que lorsqu’une clause a priori suspectée de vider de sa substance l’obligation essentielle du débiteur a fait l’objet de négociations ayant conduit à la mise en place de contreparties, elle pourra être considérée comme étant valable22.

B – L’étendue du contrôle

20. On est dans un premier élan tenté de rapprocher l’article 1170 du Code civil de la jurisprudence relative aux clauses limitatives de responsabilité. Toutefois, le contrôle jurisprudentiel des clauses vidant de leur substance l’obligation essentielle du débiteur était en réalité plus large. Pour ne prendre que l’exemple des contrats d’assurance, on notera en effet que la Cour de cassation a par le passé sanctionné des clauses comprises dans des contrats d’assurance qui les vidaient de leur substance : la clause d’un contrat d’assurance de responsabilité civile souscrit au nom d’un incapable majeur et qui ne garantit que le comportement d’un individu normal23 ou encore la clause d’un contrat d’assurance qui vide de sa substance la garantie en raison des exclusions24. Par où l’on voit au passage que la Cour de cassation exerce un contrôle sur l’étendue des garanties, contrôle pourtant écarté au titre des clauses abusives si l’on suit les termes de la directive de 199325

21. Il reste, il est vrai, que c’est la jurisprudence relative aux clauses de responsabilité qui a probablement le plus mis en lumière la notion de clause vidant de sa substance l’obligation essentielle. À cet égard, on peut dire que l’arrêt Faurecia II avait, après certaines circonvolutions, fixé la jurisprudence26. Après cette décision, il apparaissait qu’étaient probablement condamnées, lorsqu’elles portaient sur une obligation essentielle, les clauses élusives de responsabilité ou prévoyant un forfait de dommages-intérêts dérisoire27. Quant aux autres, les clauses simplement limitatives de responsabilité, on les considérait en général comme valables. Il convient néanmoins de relever que dans l’arrêt Faurecia II, la Cour de cassation n’avait validé la clause litigieuse qu’après avoir relevé que « le montant de l’indemnisation [avait été] négocié » et que le débiteur « [avait] consenti un taux de remise de 49 % » sur le prix de prestation, entre autres avantages. Aussi, la licéité de la clause non élusive ou non dérisoire semblait subordonnée à son appréciation « à l’aune de l’économie générale du contrat, (…) en contemplation de son environnement contractuel »28. Ce serait là une limite importante à la validité des clauses limitatives de responsabilité que n’avait pas souhaité apporter l’avocat général Mollard, ainsi qu’il ressort de son avis sous cet arrêt. Cela montre en tout cas, pour en revenir à l’article 1170 du Code civil, qu’une clause qui affecte une obligation essentielle, qu’il s’agisse d’une clause limitative de responsabilité ou de toute autre clause, est a priori suspecte. Prévoir une contrepartie incitera sans doute à lui porter un regard plus bienveillant.

22. Au final, toute clause suspectée de créer un déséquilibre significatif ou de priver de sa substance une obligation essentielle gagnerait à être justifiée, tant au regard de sa raison d’être, que des contreparties, économiques ou non, accordées en échange. En effet, une clause douteuse doit être envisagée à l’aune de l’ensemble du contrat et non prise isolément. Il n’existe pas de liste de clauses prohibées comme il en existe en droit de la consommation et, au fond, la notion de clause est toute relative : elle n’est que la partie d’un tout et ne saurait, sans artifice, être considérée isolément.

Notes de bas de pages

  • 1.
    En réalité, ce sont les parties ensemble, et non « chacun », qui déterminent le contenu du contrat.
  • 2.
    V. auj. C. consom., art. L. 212-1 : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (…) ».
  • 3.
    V. C. com., art. L. 442-6 : « I.– Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (…) ».
  • 4.
    CA Paris, 6 sept. 2016, n° 15/21026 ; contra : CA Paris, 29 oct. 2014, n° 13/11059.
  • 5.
    Et v. Behar-Touchais M., « Le déséquilibre significatif dans le Code civil », JCP G 2016, 391.
  • 6.
    On en profitera pour rappeler ici les difficultés récurrentes que pose la notion de « partenaire commercial » en droit des pratiques restrictives (et v. not. Malaurie M., « Notion de partenaire commercial », Contrats, conc. consom. 2016, n° 141).
  • 7.
    Revet T., « Les critères du contrat d’adhésion (article 1110 nouveau du Code civil) », D. 2016, p. 1171 et s., spéc. n° 8.
  • 8.
    Mainguy D., « Conditions générales de vente et contrats-types », JCl. Contrats – Distribution, fasc. n° 60, n° 1.
  • 9.
    Chenédé F., « Le contrat d’adhésion de l’article 1110 du Code civil », JCP G 2016, 776 ; comp. Gaudemet S., « Quand la clause abusive fait son entrée dans le Code civil », Contrats, conc. consom. 2016, dossier 5, spéc. n° 7.
  • 10.
    Chenédé F., « Le contrat d’adhésion de l’article 1110 du Code civil », préc.
  • 11.
    Revet T., « Les critères du contrat d’adhésion (article 1110 nouveau du Code civil) », art. préc., nos 7 et s.
  • 12.
    On pense notamment à de nombreux contrats de distribution.
  • 13.
    L’expression de « conditions générales » est « maladroite » (Fabre-Magnan M., Droit des obligations, t. 1, Contrat et engagement unilatéral, 4e éd., 2016, PUF, Thémis, n° 230).
  • 14.
    Même si on peut, par ailleurs, ne pas l’approuver…
  • 15.
    On regrettera par ailleurs l’emploi de la formule « à l’avance », toute relative.
  • 16.
    Revet T., « Les critères du contrat d’adhésion (article 1110 nouveau du Code civil) », art. préc., n° 7. La négociabilité du contrat devra d’ailleurs être bien réelle, si l’on veut échapper à la qualification de contrat de gré à gré (et v. Choné A.-S., « Commentaire de l’article 1110 », in Douville T. (dir.), La réforme du droit des contrats. Commentaire article par article, 2016, Gualino, p. 48).
  • 17.
    Comp. Savaux E., « Le contenu du contrat », JCP G 2015, suppl. n° 21, p. 20 et s. ; Bicheron F., « N’abusons pas de la clause abusive », Gaz. Pal. 30 avr. 2015, n° 222d8, p. 24.
  • 18.
    CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166, SAS Green Sofa Dunkerque c/ Sté Ikea Supply AG ; comp. CA Paris, 1er juill. 2015, n° 13/19251, Min. éco. c/ Galec.
  • 19.
    La directive prévoyait d’ailleurs en son article 4.2 que l’exclusion n’était pas impérative ; et v. CJUE, 3 juin 2010, n° C-484/08.
  • 20.
    CJUE, 30 avr. 2014, n° C-26/13, pts. 49 et s. : « Compte tenu également du caractère dérogatoire de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 et de l’exigence d’une interprétation stricte de cette disposition qui en découle, les clauses du contrat qui relèvent de la notion d’“objet principal du contrat”, au sens de cette disposition, doivent s’entendre comme étant celles qui fixent les prestations essentielles de ce contrat et qui, comme telles, caractérisent celui-ci. Par contre, les clauses qui revêtent un caractère accessoire par rapport à celles qui définissent l’essence même du rapport contractuel ne sauraient relever de la notion d’“objet principal de contrat”, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 ».
  • 21.
    Les concepts de prérogative et d’incombance sont d’ailleurs importants à d’autres titres. Ainsi, alors que son champ d’application paraît a priori illimité, le devoir de bonne foi est en réalité circonscrit à l’exercice d’une prérogative et à l’accomplissement d’une incombance, car l’on n’est pas créancier ou débiteur de mauvaise foi (ce qui n’a pas de sens ; et v. Malaurie P., Aynès L. et Stoffel-Munck P., Droit des obligations, 8e éd., 2016, Defrénois LGDJ-Lextenso, n° 459 ; Cass. com., 10 juill. 2007, n° 06-14768, Société les Maréchaux, B. 188 : « Si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties »).
  • 22.
    V. infra, n° 21.
  • 23.
    Cass. 1re civ., 26 nov. 1991, n° 89-10791 : Bull. civ. I, n° 326.
  • 24.
    Cass. 1re civ., 4 juin 1991, n° 88-17707.
  • 25.
    V. supra, n° 17.
  • 26.
    Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11841 : Bull. civ. IV, n° 115 ; JCP G 2010, 787, note Houtcieff D. ; D. 2010, p. 1832 et s., note Mazeaud D. ; JCP E 2010, 1790, note Stoffel-Munck P. ; RDC 2010, p. 1220, obs. Laithier Y.-M. ; RTD civ. 2010, p. 555, obs. Fages B. : « Seule est réputée non écrite la clause limitative qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » ; Grimaldi C., « Précisions sur les conditions de validité des clauses de responsabilité », LPA 8 sept. 2010, p. 7.
  • 27.
    Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-10350 : RDC 2009, p. 1359, obs. Mazeaud D.
  • 28.
    Mazeaud D., note préc. sous l’arrêt, n° 10. Tant et si bien que l’on peut se demander si les clauses limitatives de responsabilité portant sur une obligation essentielle ne seraient pas illicites, sauf à être justifiées par l’économie générale du contrat, la question demeurant de savoir qui doit prouver quoi.