Regard d’un notaire sur quelques dispositions phares de la réforme du droit des contrats
I – L’abus de dépendance (C. civ., art. 1143)
Ce texte s’inscrit dans le même esprit que l’article L. 223-152 du Code pénal relatif à l’abus de faiblesse1.
On relèvera cependant qu’il y a un certain paradoxe à ce que les conditions qui caractérisent l’abus de dépendance civil paraissent plus strictes que celles qui caractérisent l’abus de faiblesse pénal. En effet, dans le texte civil de la violence économique il faut la dépendance, l’abus, l’obtention d’un acte qui n’aurait pas été obtenu et enfin l’avantage excessif. Dans l’abus pénal, en revanche, il faut juste la situation d’ignorance ou de faiblesse ou la sujétion psychologique ou physique, l’abus et l’acte ayant conduit à un préjudice.
Le nouvel article 1143 du Code civil nous invite à une nouvelle vigilance dans notre mission, mais il faut bien admettre que la situation dans laquelle une personne serait en situation de dépendance ou de vulnérabilité ne transparait pas forcément à l’occasion des rendez-vous ou des échanges de courriels ; d’autant que dans de nombreuses opérations, nous ne rencontrons physiquement les personnes qu’une seule fois. Et puis d’ailleurs, quels sont les éléments qui devraient sauter aux yeux du praticien pour caractériser la « vulnérabilité » de manière générale ?
Cet abus de dépendance pose d’abord une question à propos de certains contrats qui, par nature, interviennent dans un contexte dans lequel une partie est sous la domination d’une autre, ou sous la menace d’une action. Tel est cas de la transaction prévue par l’article 2044 du Code civil, lorsqu’il s’agit de mettre fin ou de prévenir un litige né ou à naître et, de manière générale, à tous les contrats qui constatent un renoncement en contrepartie de quelque chose. Un arrêt important rendu en matière d’abus de dépendance économique porte précisément sur une transaction2.
Le nouvel article 1143 du Code civil pose aussi la question de son application dans le périmètre du droit de la famille, en particulier dans le cadre du divorce. Il s’agit de situations dans lesquelles il est fréquent qu’un époux fasse des concessions importantes en contrepartie d’avantages financiers ou tout simplement pour sortir plus rapidement d’une situation de crise. Tel est aussi le cas dans un partage, lorsqu’un héritier impécunieux abandonne un bien à un autre héritier plus fortuné ; ou encore lorsque des héritiers vendent ensemble dans la précipitation un bien à un tiers pour payer un passif ou des droits de succession.
Quelle doit être l’attitude du professionnel du droit ?
Du point de vue de la rédaction du contrat, on peut imaginer d’intégrer en pare-feu que chacun déclare ne pas être sous la dépendance économique de l’autre. Une telle formule peut s’imaginer dans des contrats entre professionnels s’il s’agit par exemple de faire reconnaitre à l’un que l’autre ne représente pas une part de son chiffre d’affaires susceptible de créer une situation de domination. Elle serait en revanche totalement anachronique – et même suspecte – dans un contrat relevant du droit de la famille, tel qu’un contrat de mariage ou une convention de séparation de partenaires d’un pacs.
Du point de vue de l’analyse d’une situation par le praticien du droit, le seul critère appréhendable est celui du caractère excessif de l’avantage, dans la mesure où c’est le seul qui soit objectif et quantifiable. Si la convention n’est pas manifestement déséquilibrée sur le plan économique, il n’y aura rien à redire.
En revanche, s’il apparaît au praticien un décalage important entre la valeur réelle des biens objets d’un contrat et le montant des sommes stipulées en contrepartie, cela devra susciter chez lui une interrogation. Bien entendu, en tant que tel, un contrat désavantageux n’est pas prohibé. Il est même expressément envisagé par le nouvel article 1168 du Code civil. Cependant, c’est en partant du caractère excessif de la valeur de l’avantage que le praticien devra être amené à faire un travail de recherche d’autres indices qui pourraient lui permettre de suspecter une situation de dépendance.
II – Les contrats d’adhésion (C. civ., art. 1110 et 1171)
Le contrat, pour ne pas être d’adhésion, doit avoir été précédé d’une véritable discussion. En d’autres termes, chacun doit avoir pu prendre part à la construction du contrat.
Pour le notaire, le concept de contrat d’adhésion pose plusieurs questions.
Première question : celle du principe de la qualification de contrat d’adhésion.
De prime abord, pour le notaire – dont la fonction légale est d’éclairer et de recueillir des consentements dans des actes publics3 – il est dérangeant d’imaginer que ses actes puissent accueillir des contrats d’adhésion. Dans la plupart des cas, les actes que nous préparons émanent du notaire et non pas de l’une des parties et la qualification de contrat d’adhésion paraît difficile à imaginer, sauf peut-être pour des cas particuliers comme la VEFA ou les prêts relevant du Code de la consommation, lesquels, s’ils ne sont pas à proprement parler rédigés par l’une des parties, sont rédigés sur des instructions de l’une des parties, et, chronologiquement, à l’initiative de l’une des parties.
Mais d’un autre point de vue, la qualification de contrat d’adhésion n’est pas une maladie honteuse, et d’ailleurs toute l’économie est construite autour de contrats d’adhésion, lesquels ont même contribué à sa prospérité et à l’essor de certains services. Dès lors, il n’est pas inconcevable qu’un acte authentique dans sa forme et son processus puisse recevoir cette qualification. L’office du notaire ne sera pas de refuser de recevoir un tel contrat, mais d’expliquer aux parties qu’elles vont signer un tel contrat, et de s’assurer qu’elles y consentent en connaissance de cause.
La deuxième question est celle de savoir ce que sont les « conditions générales » qui seraient « soustraites à la négociation ».
Beaucoup de contrats n’ont pas de « conditions générales, soit parce qu’ils n’ont pas de « conditions particulières », soit parce qu’ils ne sont que l’addition de conditions particulières. On peut aussi se demander quels sont les éléments qui doivent avoir été soustraits à la négociation, ou, à l’inverse, que faut-il ou que suffit-il d’avoir négocié pour chasser l’adhésion ?
Enfin, si le contrat est susceptible de relever de cette qualification, il se pose la question des parades rédactionnelles qui peuvent être employées pour protéger la clause qui serait susceptible de créer un déséquilibre significatif. C’est la question de l’appréciation du déséquilibre significatif.
En effet, une clause, considérée isolément, peut susciter un doute et sembler excessivement favorable à l’un et défavorable à l’autre. Cependant, elle peut n’être que le contrepoids – la contrepartie – d’une autre stipulation qui peut se trouver cinq ou dix pages plus loin. Dès lors, pour protéger une clause qui pourrait paraître déséquilibrée, les rédacteurs vont peut-être devoir prendre le réflexe de faire le lien entre les stipulations, pour en quelque sorte « causer la clause » et expliquer que telle stipulation trouve sa contrepartie dans une autre, voire dans le prix qui a été convenu.
De ce point de vue, l’alinéa 2 de l’article 1171 du Code civil laisse perplexe lorsqu’il indique que l’appréciation du déséquilibre ne peut pas porter sur l’adéquation du prix à la prestation puisque, précisément, une clause peut trouver son explication dans un prix. Tel est le cas, par exemple, lorsque les parties modulent des clauses de garantie ou de risques au regard du prix qui est convenu.
III – L’imprévision (C. civ., art. 1195)
En premier lieu, la théorie de l’imprévision n’est pas la consécration de l’imprévoyance et de la négligence. Il ne s’agit pas de se prémunir d’un événement que l’on a oublié d’envisager lors de la conclusion du contrat mais d’un événement que l’on ne pouvait pas prévoir.
Lorsqu’il s’agit de se prémunir d’événements prévisibles – tels que la variation d’une devise ou d’une matière – des techniques contractuelles existent et doivent être mises en œuvre. C’est le rôle des clauses d’indexation.
Lorsqu’il s’agit de faire face à un événement imprévisible qui empêche le déroulement du contrat, il s’agit de la force majeure (C. civ., art. 1128).
L’imprévision se situe donc, sur une échelle de gravité, entre l’événement qui aurait pu être raisonnablement pris en compte par des dispositions adaptées et ceux qui étaient imprévisibles et empêchent la poursuite du contrat.
Dans l’article 1195, l’événement considéré doit venir ruiner l’équilibre contractuel, sans rendre l’exécution du contrat impossible mais excessivement onéreuse.
Comme le fait observer le professeur Philippe Stoffel-Munck4, l’onérosité se rencontre lorsque la différence de valeur entre ce que l’on fournit et la valeur de ce que l’on reçoit devient négative ; le rôle du juge étant de définir à partir de quand cette onérosité est excessive.
On devra donc attendre que la jurisprudence donne des indications sur des seuils ou des modalités d’appréciation des seuils
L’arrivée de cette règle pose quatre questions au rédacteur :
1. Quel est son champ, y compris dans les contrats entre particulier ? La variation d’une règle fiscale – qui ne concerne qu’un des deux agents au contrat – est-elle concernée par la règle de l’imprévision ? Par exemple, peut-on considérer comme une imprévision le changement du régime de plus-value applicable à l’un des partenaires, mais pas à l’opération elle-même ?
2. Comment peut-on chasser l’imprévision dans le contrat et accepter le risque ? : suffit-il de dire que l’on écarte l’article 1195 du Code civil ou faut-il nominativement identifier des risques ? Mais alors, si on les liste un par un, n’est ce pas reconnaître qu’ils ne sont pas imprévisibles ? Et d’ailleurs, est ce que cette exclusion ne serait pas une clause qui créerait un déséquilibre au sens du nouvel article 1171 du Code civil ?
3. Peut-on décider de ne pas écarter l’imprévision, mais prévoir d’en organiser les modalités, en prévoyant par exemple le recours à un tiers ou à une procédure de négociation ? Cela pose la question des contrats dans lesquels, par nature, les parties ont accepté un aléa. Autrement dit, est ce que le fait d’accepter l’aléa chasse l’imprévision ? Je pense à la question des marchés à forfait de l’article 1793 du Code civil dans le domaine de la construction. Cela pose d’ailleurs, là aussi, la question du conflit entre le droit commun des contrats et le droit spécial de la construction.
4. Enfin, que devient le contrat lorsqu’il a été réécrit par le juge ? Les parties sont-elles libres de le modifier ensuite à nouveau ? Quelles sont les règles applicables à la clause ainsi réécrite, par exemple en termes de prescription ?
Notes de bas de pages
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1.
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ».
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2.
Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 14-10920.
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3.
On touche ici la différence fondamentale entre certification et authentification : la certification consistant à attester de la matérialité d’un fait, tel qu’une date, l’authentification étant d’une nature différente puisqu’elle s’étend à attester de la réalité d’un consentement.
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4.
« La réforme en pratique », AJ 2015, p. 262.